Robinson de Paul Valéry : édition génétique

Robinson de Paul Valéry : édition génétique


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Collection : Cahier « Robinson »

Collection : Cahier «Robinson»
Auteur : Valéry, Paul
F°12

Il n’est pas rare que Valéry ouvre, comme il le fait ici, un cahier spécifiquement consacré à une œuvre ou un projet (de tels cahiers sont évidemment, à distinguer de la série des cahiers « du matin » : en dépit d’un même type de support, l’écriture et à la démarche qui les orientent sont tout à fait différents).  

Les premières pages du cahier offrent une prose élaborée et une écriture peu raturée. Il ne s’agit nullement du « premier état du texte », comme l’annonce le dossier de la BnF mais, bien au contraire, de l’état le plus avancé de Robinson qui nous soit parvenu. Il est en effet postérieur à la série de dactylographies puisqu’il intègre les modifications manuscrites apportées à la dernière d’entre elles.

Il faut donc considérer qu’après un travail à la machine à écrire et après la rédaction de cinq états successifs, l’écrivain a choisi de revenir vers l’écriture manuscrite : sans doute l’unité matérielle du cahier, anticipant et mimant celle du virtuel volume à venir, le séduit-elle. Valéry orne le cahier avec une solennité absente des dactylographies : sur la couverture (f. 13) un « C » en forme de serpent tracé à la peinture verte, à l’intérieur duquel se love le « R » de Robinson, ce même  « R » est repris en calligraphie à l’encre bleue au centre du f. 14.  Au bas du verso de la dernière page, de minuscules initiales évoquent une signature : « P. V. ». Une très belle aquarelle (reproduite par Gallimard à l’orée du volume des Histoires brisées) figure dans le f. 18 verso.

Même si les premières pages du cahier sont la mise au net d’une série d’états antérieurs, il est évident que, même dans ses pages les plus abouties, le cahier ne présente nullement une allure définitive : on y trouve non seulement nombre de ratures et de substitutions mais, surtout, à plusieurs reprises, des hésitations non résolues : des ajouts interlinéaires proposent un choix alternatif sans qu’aucun signe ne tranche en faveur de l’un ou de l’autre. Ce genre d’hésitation est présent dès le titre : le titre à l’encre bleue : « Le Robinson oisif », dans la première page intérieure (f. 15), est assorti de deux ajouts au crayon noir, l’un aligné (« et Pensif »), l’autre, au-dessous (« pourvu ») (le « et » est omis dans l’édition 1950, ce qui donne l’illusion d’un titre achevé). Il est de plus en plus évident lorsqu’on s’avance dans le cahier que nous nous trouvons face à une écriture en devenir.

Dans les premières pages du cahier s’établit une distinction très nette (qui n’est pas rare chez Valéry ni chez d’autres écrivains) entre deux espaces d’écriture : les pages de droite accueillent une rédaction suivie, tandis que les pages de gauche sont destinées aux éléments plus informes, aux notes de régie, à des passages faisant écho à l’écriture sur la page de droite plus qu’ils ne s’intègrent à celle-ci, voire à des éléments graphiques (l’aquarelle f. 18).     A partir de la page foliotée f. 20 recto, laissée en blanc, la rédaction continue s’interrompt (et avec elle, l’alternance entre les pages de droite réservées à l’état rédactionnel et les pages de gauche prévues pour les corrections et les éléments de recherche) cédant la place à une recherche tâtonnante et multidirectionnelle : l’écriture quitte entièrement sa phase rédactionnelle et revient vers une phase exploratoire.

Si dans les premières pages s’articulait un petit nombre de motifs présentant une unité évidente, après la page foliotée 20 recto, des notes elliptiques s’engagent dans des directions nouvelles et imprévues : besoins d’amour de Robinson, la trace d’un pied pouvant faire croire à une femme, l’amnésie et le danger de perdre la raison et le langage… L’écriture s’éloigne des sillages antérieurs à un point tel que l’unité de l’œuvre devient problématique. Valéry songe-t-il à donner un prolongement aux pages rédigées ? Envisage-t-il une écriture fragmentaire pouvant donner lieu à un montage de passages aphoristiques (proche de ce que deviendra le volume rassemblant les divers textes autour de Monsieur Teste en 1926) ? Il n’est nullement certain que Valéry ait des intentions nettes présentes à l’esprit au moment où il écrit ces pages.

Plusieurs pages à l’intérieur du cahier sont restées vierges. Une dizaine d’autres en ont été retranchées, coupées ras. Ces pages amputées portaient-elles des notes ou des passages relevant du projet Robinson, et si tel est le cas, pourquoi ont-elles été détruites ? Il est également possible qu’elles aient accueilli une écriture sans rapport avec Robinson et, de ce fait, retranchées puis déplacées ou détruites une fois que le cahier s’est constitué autour d’un seul projet.

Un dernier trait est à signaler dans ce cahier « Robinson » : sa dernière page, inversant le sens de l’écriture (ce qui veut dire que, pour la lire, il faut tenir le cahier tête-bêche) propose une rédaction de l’incipit, dans un état assez embryonnaire, très nettement antérieur à celui qui s’écrit dans les premières pages du cahier. Il est probable que l’orientation que nous considérons tête-bêche a posteriori ait été le sens premier du cahier. Plus tard, Valéry aurait renversé le sens du cahier, reprenant l’écriture manuscrite à nouveaux frais.

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