9. Mémoire d’une histoire désarmée. Laissez-nous, après on verra

Auteur(s) : Sassine, Williams

Les folios

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N°9, 20 avril 1992 : Mémoire d’une histoire désarmée. Laissez-nous, après on verra

Hé la vie là c'est quoi ! Vous êtes fâchés, les civils, nous en tenue on est fâchés, les étudiants c’est fâché, les professeurs c'est fâché, les commerçants même, tout le monde c’est fâché. Même le candidat du patron à Mamou c’est fâché.

Hé ! Kéla. C’est pas bon. Mais qu’est-ce que tu veux, le Lynx. C’est Dieu qui donne tout à un homme. Ou bien il ne lui donne rien du tout. Notre général, il n’avait rien, aujourd’hui il a tout. Il a goudronné la rue qu’il veut, le reste ça ne marche pas, mais nous on s’en fout. Moi je suis un militaire et je le suis. Même s’il y a plein de trous devant.

Wallahi ! La mort c’est quoi même ? Hein ? Il faut voir Donka. Toutes les courtes maladie sont là-bas là. Wallahi ! Toute la capitale est enterrée là-bas là. Après vous les civils, vous dites il n'y a pas logements à Conakry 1 à Conakry 2 ou quelque chose comme ça là. Nous tous on peut loger au cimetière de Donka. Tout le monde. Civils ho ! Militaires ho ! Nous quand on est mort est-ce que on devient pas un civil ! Mais la vie c’est quoi même ? Hein

Je sens que Fanta est en train d’arriver elle va nous trouver en disant que le poisson est cher, que les oeufs c’est devenu gros, que la voiture m’a tamponnée dans le derrière, que ton copain l’autre jour là m’a appelée.

Hé Kéla ! Je ne peux pas tout dire ! Toi tu es assis ici, tu veux que je parle, mais je ne sais rien hé. Le Lynx regarde moi bien en face. Est-ce que tu me vois ? Quand je bois, Fanta dit que je vois double. Mais est-ce que je n’ai pas deux yeux ?

Wallahi ! Même si on me casse un œil, je vais voir double. Tu bois un peu, deux peu. Après où est le problème.

Hé Kéla ! Tu as vu Fanta n’est pas encore là. Tu peux lire dix numéros de Lynx et elle n’est pas venue encore. Mais elle viendra. Nous les militaires on a attendu combien de temps pour venir ? Hein !

Ne me laisse pas trop parler, dé ! Moi je suis petit, de rien du tout mais je connais. Wallahi ! Regarde mon frère Lynx ! Qui a fait coup. Personne rien du tout. C’est parce que on devait attraper le Général et l’autre Diarra, il a dit si c'est comme ça, comme chat, comme si, tout ça là, on va se débrouiller. Rien ne marchait, les tanks ho, les fusils ho, la population ho, les étudiants ho. Tout ça là quoi ! D’ailleurs rien ne marche encore. Mais on s’est débrouillés. Est-ce que débrouiller c’est voler ? Hein !

Nous ici dans ce pays en tout cas, on peut tout faire, Wallahi ! Est-ce que tu connais un pays où on peut prendre le pouvoir, l’argent, tout ça là quoi et puis le reste quand tu es pauvre, pauvre jusqu’à mourir quoi !

Hé Kéla ! Cette vie là même c’est quelque chose même ! Moi que tu vois là, c’est Dieu seul qui voulait pas me faire chef en Sierra Leone, en Côte d’Ivoire. Surtout dans notre pays même là.
Bokassa est devenu chef d’État, qui a voté pour lui Hein ? C’est Allah.

Eyadéma est lui aussi patron chez lui, qui a voté pour lui ? Hein ? C’est Allah.

Mobutu c’est pareil, qui a voté pour lui ? C’est Allah.

Même si aujourd’hui il se cache sur un bateau pour manger, boire, tout ça là quoi. Il a de l’argent partout.

Hé Kéla ! Regarde aujourd’hui encore Houphouët, un civil qui veut pas laisser le pouvoir. Il a mille ans, deux mille ans, il faut soulever ses paupières avec des crics pour qu’il voit un peu. Sa femme, la plus connue fait même des maternités mais où sont les bébés du Vieux ?

Hé Kéla ! La vie même ! Vous nous dites, c’est pas bon ici, tout ça, ci quoi ! Mais au Tchad, Hissen Habré a fui avec l’argent de la banque. Il a donné par ci, par ça, et il a dit : « On se reverra plus tard les ministres ».

Wallahi ! Kérékou lui est malin. Il a dit : « Ne regardez pas mon passé, je ne regarde pas votre avenir, sinon… »

Aujourd’hui, est ce qu’il n’est pas tranquille à Co …co (illisible). Comment s’appelle d’ailleurs là-bas leur capitale.

Et puis, il y a l’autre là. Le petit pays qu’on ne voit pas sur la carte. C’est gombo ou Gambie. Voilà, c’est Diawara. Lui il est malin Dé ! Il a deux femmes. Une pour rester et l’autre pour sortir. Comme ça il n’est pas en panne quand il y a coup. Un homme doit avoir des pneus de secours. Moi, quand je serai patron, je place une femme dans chaque quartier, et puis dans chaque région, après dans chaque pays, ensuite, partout, partout. Mais pas de baptêmes à mon absence sinon j’ai le fusil. Quand tu vois pleurer un singe et tu lui tires dessus, est-ce que y a pitié pour un civil qui critique.

Mais c’est la vie mon frère. Nous, avant on mangeait poulets, coqs, poules, moutons, canards, tout ça là quoi, et c’était bon, très bon prix.

Hé Kelà ! La vie là même c’est quoi ! Fanta va venir tout de suite me dire que le riz est monté comme sa marmite quoi.

Mais nous, on s’en fout. Il y a riz militaire et riz civil. Le Libéria, c’est pas grave. Eux là-bas, ils mangent pas riz. Ils mangent personnes comme toi et moi. Il paraît que les bras, les seins qui tombent là, c’est bon, avec graisse tout.

Nous, il y a beaucoup de seins comme ça partout. Hé Kelà ! Le sous-développement nous a mangé ! Sinon avec ces vieux seins, on peut gagner de l’argent. Beaucoup même tu fais sécher ça et ça marche Wallahi ! Moi je ne sais plus…Wallahi, c’est une aile ou deux ailes. Avec vous les journalistes, qui sait quoi, ou que ? Tu prends tout ça, les seins même et les blancs vont trouver qu’il y a du lait dedans même. Nestlé, Nescafé, Nescao c’est quoi ? Hein ? Le vieux Houphouët il est malin lui. Quand une de ses parentes meurt, tout le monde paye. S’il avait deux cents ou trois cents tantes, il allait gagner encore beaucoup d’argent. Mais elles sont déjà mortes.

Hé Kelà ! C’est la vie. Moi je ne connais pas beaucoup dans les histoires des blancs là. Lire, écrire, tout ça là quoi. Mais je m’en fous. J’ai beaucoup de femmes, à manger, tout ça là quoi. Ceux qui font université là, moi je connais, je connais ils sont quoi aujourd’hui ? Chauffeurs de taxi ou…ou bordelles. C’est ça la vie. La vie ça vous regarde et puis ensuite elle rit jusqu’à mourir. Et quand la mort vient, elle rigole, elle rigole. Nous les militaires on connaît tout ça là. Mais on vous attend. On n’a pas peur de rien du tout. Même pour l’arrivée du Pape on a fabriqué quelque chose contre un commerçant. Il va pleurer Hann !

On a pris son argent. Alors où il peut aller ?

C’est qui, que quoi tout chat là quoi comme toi le Lynx.

Il faut que Fanta soit là sinon je ne vois plus l’heure.

Attends mon frère ce n’est pas fini ! Vous dites, moi j’ai documents, papiers quoi tout ça là, mais qui n’a pas affaires de Blancs là. Nous on sait pas écrire, va au Camp Boiro. Au Camp Boiro, il n’y a rien. On s’en fout. Qui va lire tout ça là d’ailleurs.

Les étudiants là même, ils sont fâchés pour rien du tout. S’il n’y a pas livres, dictionnaires, tout ça là quoi, pourquoi fâchés ? Hein !

Ils n’ont qu’à chercher l’argent pour gagner diplômes de chômeur. Est-ce que ministre fait concours même ? Hein !

Wallahi ! Tester, détester c’est quoi même ! ça c’est fabrication, invention de civils.

Nous, le matin on dit gare à vous ! Repos ! Et c’est fini. Après on va s’occuper pour trouver manger, boire, femmes, tout ça là quoi. Hé Kéla ! C’est pas bon de tout dire comme les civils. Nous on est militaires. On a pris tout le moment je me sens fatigué. Je me suis battu la nuit contre moustiques, cancrelats, rats, petits voleurs, vauriens qui veulent pas faire l’armée pour devenir quelque chose.

Mais la vie là même ! C’est quelque chose.

Williams Sassine

Billet

Remettez tout à l’heure

Certains fonctionnaires se lèvent tard
A huit heures des coqs sont encore couchés
Les pattes en l’air.
Mon chien ne boit que sa salive.
Air Guinée, dans quel ciel vole t-il ?
On attend toujours la pluie.
Il fait beau mais le vent ne passe pas.
Nous sommes ici, nous sommes là-bas.
Chaque parti nous appelle, et nous on appelle Dieu.
Mais le téléphone ne marche pas.
Je surveille mes mangues le jour, mais on me les vole la nuit
Je ne reconnais même plus l’heure.
Mais il est bientôt minuit Général

W.S.

Recettes

Contre les seins qui tombent

Mesdames et mesdemoiselles. Le Lynx qui voit loin, en haut et bas, vous déconseille les soutiens. Soutiens-gorges, soutien cou, soutien tout et même soutien parti.
Le Pape est loin avec ses Saints. Mais nous on est restés parce qu’on ne peut pas vivre sans vous. Votre mari disparaît souvent à cause d’un corsage qui, le plus souvent, n’est pas un corps sage.
Alors prenez votre revanche. Et ça ne vous coûtera rien. Tout coûte tellement cher aujourd’hui !
Mesdames et mesdemoiselles, pour avoir les seins droits, tout de suite, instantanément (comme le Nescafé) marchez à quatre pattes.
Ecrivez nous

W.S.

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 9

Présentation

Date1992/04/20

GenreDocumentation - Presse

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Avec l'aimable autorisation des ayants-droits
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Fiche : Elisabeh Degon, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes, CNRS-ENS ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

Éditeur de la ficheClaire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

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Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

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