Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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123 Val Richer, Dimanche 23 Juillet 1854

Ce que je regrette bien vivement pour vous, malgré la passion Russe, c’est Hélène ; elle vous était très bonne et sa fille très agréable. A part les grandes tristesses de la vie, c’est une tristesse véritable que ces liens de quelques mois, de quelques semaines qui se rompent au moment même où ils devenaient. utiles et doux. Que devient Hélène après Schwalbach ? Retourne-t-elle immédiatement à Pétersbourg. Faites lui, je vous prie, de ma part, un adieu un peu affectueux. Je compte bien la revoir à Paris. Car nous avons beau être tristes, et avec grande raison ; ce qui se passe passera, et si Dieu nous laisse encore en ce monde, nous n’y serons pas toujours séparés.
On m'écrit, que Morny se refuse aux instances de l'Empereur qui veut le faire président du Corps législatif à la place de Billaut. Je doute que si les instances sont sérieuses, la résistance le soit longtemps. Et vraiment l'Empereur aurait raison d'insister Morny conviendrait très bien à ce poste. Il n’est pas lettré et habile écrivain, comme l'était M. de Fontanes ; mais il servirait. avec une certaine mesure d'indépendance, dans l’attitude, et un vernis de dignité, comme faisait M. de Fontanes sous le premier Empereur. Cela aussi est un service qui a son prix. On me dit, en même temps que si Morny refuse décidément, c'est M. Rouher qui remplacera Billaut, et que c’est Morny qui le propose. Il paraît que l’incapacité a été la seule cause du renvoi de Persigny. Son idée fixe n’a pu suffire, plus longtemps à couvrir sa paresse et sa nullité comme ministre de l’Intérieur. Certainement Billaut sera plus actif et plus capable. Il a de la ressource dans l’esprit, et je ne serais pas surpris qu’il menât assez bien et assez rondement l'administration. On dit que l'Empereur commence à s'apercevoir, que même le pouvoir absolu d’une part et le dévouement absolu de l'autre, ne suffisent pas, et que les hommes capables sont nécessaires. Il est très content de Bourqueney ; à ce point que s’il y avait un congrès, ce serait probablement Bourqueney qui y serait son homme. Il proposerait cela aussi à Morny ; mais Morny se dit aussi peu de goût pour le congrès européen que pour la Présidence du Corps législatif.
A Paris, on est content et confiant ; bien disposé pour la paix et prêt à s’arranger. de conditions modérées pour vous, mais convaincu que Londres en voudra de fort dures, et bien décidé à ne pas se séparer de Londres. On jouit du charmant mécompte qu’on a, depuis trois mois, à votre égard : " Nous qui étions persuadés que c’était un colosse, que ses ressources étaient inépuisables et ses armées invincibles ; et tout cela n'était qu’une apparence, à peine de la fumée ! " Ce sont là les propos courants, dans les cafés et au foyer de l'opéra, comme ailleurs. Voilà Espartero en scène en Espagne. Je l’attendais, lui ou Narvaez. L’un exclut l'autre, on plutôt l’un pousse l'autre de l'autre côté. Malgré l'extrême décri de la Reine Isabelle, je doute qu’elle tombe ; la Reine Christine sera encore une fois le bouc émissaire. Espartero, c’est-à-dire le parti progressiste, s'emparera de la Reine Isabelle et gouvernera sous son nom. Puis, un jour Narvaez viendra la délivrer et délivrer l’Espagne d’un autre mauvais gouvernement. Je ne m'attends pas à autre chose qu'à la répétition des vieilles scènes.
J’ai des nouvelles du Prince de Joinville. Purs remerciement pour le Cromwell qu’il a trouvé, en arrivant à Claremont. Remerciements tristes, d’une tristesse digne et abattue.

Midi
Adieu, adieu. J'espère que vous avez aussi. beau et aussi chaud que moi, et que votre rhume est parti. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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108 Val Richer, samedi 1er Juillet 1854

Je vous renvoie, la lettre d’Ellice, intéressante si j'y croyais tout à fait, j'en conclurais que la politique de la paix a fait son temps, que l'Angleterre veut du nouveau, n'importe par quels motifs, et à quel prix, et que nous entrons dans une de ces époques où les gouvernements et les peuples dépensent en enfants prodigues, le capital de force, de richesse et de bonheur qu’ils avaient acquis dans ces jours plus sensés. Cela se peut ; il y a bien des symptômes de cet état. Pourtant je n'y crois pas ; je vois bien des symptômes contraires, et je suis sûr que la France n’est pas du tout dans cette disposition.
// Ne croyez pas que je vous dis ceci par pure malice ; tenez pour certain que, s'il y avait dans ce pays-ci une tribune et si ses affaires du dehors, et du dedans, étaient publiquement discutées, ce qui arrive n’arriverait pas. Le vrai sentiment et intérêt de la France se ferait jours et les amis de la paix en Angleterre trouveraient en France un point d’appui. Je conviens qu’il aurait fallu s'y prendre plutôt, et qu’au point où en sont aujourd’hui les choses la paix ne peut se faire que fort à vos dépens.//
Le Duc de Broglie m'écrit : " Voilà l'affaire d'Orient qui entre dans une phase nouvelle ; il me paraît difficile qu’il n’y ait pas, dans tout cela, un dessous de cartes une certaine entente entre la Prusse et l’Autriche et la partie modérée du Ministère anglais. S'il y avait un homme quelque part, les choses étant posées comme elles sont, la paix telle qu’elle s’en suivrait. Mais je n'y crois pas ; je crois que John Bull poussera sa pointe que nous l’y seconderons un peu à contrecoeur, et que l'Allemagne laissera faire. Les événements décideront. "
J’ai aussi des nouvelles de Ste Aulaire qui me demande quelques renseignements pour ses Mémoires ; très amical : “ De fréquentes lettres de vous, c’est tout ce que je regrette des ambassades hélas, je serais bien indigne à présent de votre correspondance ; mon esprit s'endort et ma main tremble " Il m’écrit au crayon ; il ne peut plus tenir une plume. C'est ce qui m’arrivera un jour. Sa lettre finit par ceci : " Pauvre Princesse de Lieven ! On croit qu’elle a renouvelé son bail de la rue St Florentin. et j'en augurais bien pour son retour vous me ferez plaisir de mettre, mon nom dans une de vos lettres ; je lui suis bien sincèrement attaché. "
Puisque j'en suis sur les souvenirs, vous vous souvenez de M. Sauzet ; il est à Paris et M. Vitet m’écrit : " C'est à tomber à la renverse ; un spectre, un vrai fantôme. Le pauvre homme m’a donné l'explication de sa maigreur extrême ; c’est son énergie qui l’a dévoré. Par malheur, elle ne lui a pris que son embonpoint et lui a laissé sa faconde, à l’entendre, on le reconnaît." Il paraît qu’il y a eu de vifs débats à l'Académie, à propos des prix Monthyon ; les philosophes aux prises avec les dévots ; Cousin et Montalembert se sont querellés vivement. Cousin a été battu. Adieu.
Toujours un temps abominable des torrents de plus depuis trois jours. Si votre Empereur est aussi entêté que mon éternuement, il n’y a guère de chances de paix. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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96 Val Richer, samedi 17 juin 1854 Je comprends que vous soyez curieuse de ce qui se passe à Constantinople. J’ai peine à croire que la retraite de Reschid Pacha ne soit pas quelque chose de sérieux. Il est, depuis bien des années, l'auteur où l’instrument de la politique qui prévaut à Constantinople. Il a bien servi lord Stratford. S’est-il brouillé avec lui, ou bien Lord Stratford le trouve-t-il usé ? Quel autre cheval Turc va-t-il monter ? Reschid avait, pour le gouvernement intérieur de la Turquie, une certaine autorité et respon sabilité personnelle qui manquera à son successeur, quelqu’il soit. Ce sera Lord Stratford qui répondra de l’intérieur comme de l'extérieur à Constantinople. C'est beaucoup. D’autant que j’ai toujours trouvé les diplomates les plus habiles, très impropres au gouvernement intérieur ; les qualités qu’il y faut sont tout autres que celles de leur métier. M. de Talleyrand était curieux à voir comme Président du Conseil dans son court ministère de 1816 ; il était à chaque instant, surpris, embarrassé, sans avis sur les questions et sans action sur les hommes. Et Pozzo, si différent. de lui, n'eût pas mieux fait que lui dans la même position ; ni l’un ni l’autre. n'eût été capable de faire ce que fit Casimir Périer. Nous verrons ce que sera Lord Stratford s'il devient grand visir. Y a-t-il le moindre fondement au bruit que le Roi de Prusse se rend à Stettin pour avoir, sur la frontière, une entrevue avec votre Empereur ? Ce serait le meilleur indice de pourparlers vraiment pacifiques ; mais je n'y puis croire. J’ai peur de devenir aussi incrédule à la paix que je l’ai été longtemps à la guerre. Il me semble que vos généraux se sont conduits très convenablement envers l’équipage et le pauvre capitaine du Tiger échoué sur votre côte. Leur assistance aux obsèques du capitaine m’a plu. Pourquoi le langage n’est-il pas, de part et d'autre, aussi convenable. que de tels procédés ? Puisqu’on ne veut pas être brutal dans les actions, autant vaudrait ne pas l'être dans les paroles. Mais il faut que les mauvais et grossiers instincts trouvent quelque part leur satisfaction. Que de sottes inconséquences dans la nature humaine ! Je suis fâché pour M. de Meyendorff. On le trouvait trop enclin à la paix, trop pressé. qu’on s’arrangeât, et maintenant on dit qu’il a été trop vif et trop cassant si vous lui écrivez encore, parlez-lui un peu de moi, je vous prie, et de la part que je prends à ce qui le touche. Il m’a vraiment inspiré de si loin, beaucoup d’estime et de goût. C'est dommage que nous ne puissions pas causer. Au moins faudrait-il que l’esprit, qui ne sert plus à rien, pût servir à cela. Midi Vous aurez eu Mercredi, si je ne me trompe une lettre moins triste que celle de mardi, plus longue au moins. Je me porte bien. Adieu, Adieu. Voilà un rayon de soleil. J’en profiterai pour me promener. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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89 Val Richer, Vendredi 9 Juin 1854

Je ne vous ai pas écrit hier un peu parce que je n'avais rien à vous dire, bien plus parce que je vous aurais écrit trop tristement.
Je trouve que la guerre s’établit, à la fois molle et obstinée, pas intolérable pour les peuples et interminable pour les gouvernements. Les grandes affaires ne se terminent que par la force ou par la raison. Où est aujourd’hui la force ? Où est la raison ? Je dis la force ou la raison capable de décider.
Vous ne prenez pas et probablement vous ne prendrez pas Silistrie. On vous fera peut-être lever le siège ; il semble que les trois armées alliées se préparent à cette opération. Soit qu'elles réussissent, ou qu'elles ne réussissent pas, quoi après ? Les diplomates n'en font pas plus que les généraux. Quand on aura mis le prince Gortschakoff à la place de M. de Meyendorff, inventera-t-il quelque meilleur expédient, ou consentira-t-il à quelque plus grande concession ? Je ne vois point de rayons lumineux ; je n'entends point de coup de foudre efficace. J’attends et je n'attends rien. J'en étais là hier, et c'est pourquoi je ne vous ai pas écrit. J'en suis encore là aujourd’hui.
Il y a bien du vrai dans ce que Morny vous a écrit. On était bien bon à Londres de se tant préoccuper du congrès russe de Bruxelles trois mois d'insignifiance, et le voilà dispersé. Rien n’est plus ridicule que la présence réelle et vaine. Je comprends la satisfaction de Chreptowitch.
Je ne me distrais de tout cela qu’en travaillant. Mais je ni plus de grand homme pour me tenir compagnie. Cromwell est mort. Je ne vis plus qu'avec ses fils, ses conseillers et ses ennemis, tous impuissants, et à le continuer et à faire autre chose que lui. J’aurai bien de la peine à prendre l'Impuissance des petites gens aussi intéressante que celle du grand homme.
Voilà ce pauvre Amiral Baudin mort. On lui a donné un bâton pour l'aider à descendre dans son tombeau. C’était un marin capable, hardi, plein d’entrain et d'entraînement avec les matelots. Charlatan d'ailleurs et peu sûr ; cherchant toujours le vent, cachant la ruse sous l’étalage de la franchise. Le Roi de Portugal, en allant à Bruxelles, épousera-t-il la Princesse Charlotte ? A-t-elle pris son parti entre Lisbonne et Naples ? Êtes-vous sûre que l'Impératrice soit grosse ? De Paris, personne ne me l’a mandé. Il est vrai que mes correspondants sont ou absents, ou très paresseux. Duchâtel est revenu à Paris, et ne va plus à Vichy. Je ne sais pourquoi. C’est Vitet qui me l'a écrit.

Midi
Je ne m'étonne pas que vous ne m'ayez pas écrit, avant hier, en partant de Bruxelles. Mais je n’en serai que plus impatient. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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74 Paris, Mardi 23 Mai 1854

Dîner hier chez Duchâtel ; un petit dîner tout Français assez agréable. D'Haubersart part le 5 juin pour Vichy et n'ira pas ailleurs auparavant. Le soir, chez le Duc de Broglie. Le traité des Allemands est la seule préoccupation du moment. On se demande s’ils se maintiendront de concert à l’état de neutralité jusqu'à l'automne, ou si les cas de guerre très précisément prévus dans l’article secret trouveront bientôt leur application.
Duchâtel disait hier soir que les bruits du château étaient à la paix. J’avais eu ce matin des renseignements tout contraires, l'Empereur prévoyant une longue guerre, s'y préparant, et prenant des mesures pour rallier contre vous toutes les petites puissances de l’Europe occidentale, et méridionale, de cette sorte que l’Autriche ne puisse se dispenser de suivre le mouvement. A l’Europe méridionale, il faut ajouter la Suède qu’on dit de plus en plus ébranlée contre vous, et prête à fournir 40 000 hommes si on veut les payer.
Voilà votre N°60 qui a été courir je ne sais où, à Lisieux d’abord, puis encore ailleurs. Ces irrégularités sont bien ennuyeuses.
Je regrette de ne pas lire la lettre de votre grande Duchesse ; l'allure de son esprit me plaît. En fait de lettres royales, j'en ai reçu une du Roi de Wurtemberg, très aimable, à propos de Cromwell. Mais son français est plus spirituel que correct.
Quand vous aurez Mlle de Cerini, faites vous lire un roman feuilleton de l'Assemblée nationale, intitulé : Pourquoi nous sommes à Vichy, de M. de Pontmartin. Je ne lis aucun roman ; mais on dit que celui-là est très joli. L’auteur est un homme d'esprit, de bonne compagnie, et un galant homme. Je suppose qu’il ne vous serait pas difficile à Bruxelles de vous procurer les numéros du commencement.
L’instruction contre Montalembert se poursuit toujours, mollement, mais toujours. On a interrogé de nouveau M. Villemain. On recommence aujourd’hui avec Montalembert lui-même. On dit qu’on traînera jusqu’au départ du Corps législatif, et qu'alors, on abandonnera ce qu’il y a de grave dans la poursuite, pour la réduire à de très petites proportions ; plus d’offense contre l'Empereur, plus d'excitation à la haine et au mépris du gouvernement ; une simple plainte en mauvais bruits répandus et mauvais propos tenus, de manière à avoir une condamnation quelconque ; insignifiante en fait, condamnation pourtant en principe, une amende sans prison. Régulièrement, cela est difficile, mais tout se peut.
Autre livre à lire, réellement amusant, quoique je voie d’ici la mine que vous ferez au nom : Histoire de la réunion de la Lorraine à la France, par M. d'Haussonville, Tome 1er. Je doute qu’il continue. Il avait puisé des documents curieux dans les archives des affaires étrangères. On lui a refusé toute communication de la suite. C'est tout simple. On répond à l'hostilité par la maussaderie. Adieu.
Je ne sais si j’aurais aujourd’hui des nouvelles de votre affaire avec Rothschild ; mais il ne peut pas vous faire faire des réparations que vous ne demandez pas. Adieu. Adieu. G
Savez-vous que Hübner est baron ?

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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64 Val Richer, Jeudi 11 Mai 1854

Le langage de Rothschild prouve qu’il a bien envie que la paix se fasse, et que vous cédiez assez pour qu’elle se fasse. Je ne connais pas d'homme dont toutes les paroles tendent plus constamment au but de son intérêt personnel, par instinct ou avec dessein. Il ne s'oublie pas un moment.
Le jour même de mon départ de Paris, j’ai fait un effort pour vous envoyer Montebello qui était venu me voir. Mais je n'y crois pas, malgré son envie. Outre ses enfants, il a des affaires qui le clouent à Paris. Son second fils doit faire, bientôt ses examens pour entrer à l'École de St Cyr. Il n’ira chez lui, en Champagne, que tard, vers la fin de Juillet. Duchâtel part le 22 de ce mois pour La Grange, et de là à Vichy, où d'Haubersart va aussi. Dumon part aussi pour aller inaugurer la moitié de son chemin de fer de Lyon à Avignon. Je trouverai encore tout notre monde à Paris jeudi prochain, mais, en en repartant, je n’y laisserai plus personne.
Moi aussi cela me déplait que vous vous éloigniez encore davantage. Ce sera pis encore quand vous serez à Schlangenbad ou à Bade. Je connais Ems ; je vous y vois. Que de sentiments puissants et doux il faut refouler dans son coeur quand on est loin ! Que de choses qu’on voudrait se dire quand on ne le peut pas, et qu’on n'aurait pas besoin de se dire si on était ensemble !
Le journal des Débats a fait un bon article sur la duchesse de Parme. Elle se fait vraiment honneur. Lord Clauricard, et M. Disraeli s’en font moins par leurs taquineries sur l'amiral Dundas et le Duc de Cambridge. Le gouvernement anglais n'a pa grandi ; mais l'opposition a bien plus baissé. Est-il vrai que lady Clauricard a perdu une de ses filles, Lady Larcelles, je crois ?
Vous voyez bien que je n’ai rien à vous dire. Je vais faire ma toilette en attendant la poste. Adieu. Midi. Voilà le N°53. Adieu, Adieu.
Je n’ai pas encore ouvert les journaux. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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61 Val Richer. Lundi 8 Mai 1854

Je ne comprends pas pourquoi ma lettre du Jeudi 4 a été en retard. Je vous ai écrit tous les jours, sauf samedi, jour de mon arrivée ici. Je sais ce que vaut ce déplaisir, et je le ressens pour vous comme pour moi. Vous aurez en deux lettres samedi
Voilà enfin des nouvelles officielles d'Odessa. Courtes encore et incomplètes. J'ai peine à comprendre qu'un amiral ne dise pas lesquels de ses bâtiments ont été engagés, ni combien d'hommes, il a perdu, car il on a perdu. Evidemment le combat a été vif puisque les quatre premières frégates n'ayant pas suffi il a fallu que quatre autres vinssent les soutenir. Nous aurons surement plus de détails, les Rapports des amiraux Hamelin et Dandas à leur Ministères. C'est vraiment le commencement de la guerre. J’aime le ton des quelques lignes de l'amiral Hamelin, simple et modéré. S'ils ont épargné autant qu’ils le disent les particuliers. Et le commerce, c'est bien. Quand les hommes mettront leur amour propre à ce que la guerre fasse le moins de mal possible ils seront bien près d'aimer mieux la paix que la guerre.
Vous êtes de plus en plus galants pour la Prusse. L'Impératrice elle-même assistant à la tête de son régiment, au service pour M. de Rochoir ! Et le Ministre de la guerre changé, comme Bunsen. Vous serez bien bonne de m'envoyer à Paris le discours de M. de Stahl par la première occasion. Je le prendrai en allant voter le 18 à l'Académie. M de Stahl est l’orateur très distingué d’une opinion qui, en religion et en politique, ressemble fort à une coterie, mais une coterie plus spirituelle et plus respectable que sa nation. Adieu.
Il pleut. Je ne ferai pas ce matin ma promenade ordinaire dans mon jardin avant le déjeuner. C'est mon heure d'inspection et de conversation avec mon jardinier.
J’ai reçu hier une lettre de Mad. la Duchesse d'Orléans, en remerciement de Cromwell. Très gracieuse ; intention évidente de plaire. « Cette oeuvre deviendra l'enseignement de notre époque- " Apres avoir été, pour vous, un noble emploi de la retraite, c’est, pour moi, une utile et charmante distraction de l'exil. " Des politesses pour mes filles.

Midi
Je ne comprends pas ce qu’est devenu mon N°58, et je ne me souviens pas de ce qu’il contenait, rien de nouveau, ni de bien spécial. Je suis sûr de l'avoir mis moi-même à la poste, en allant Jeudi à l'Académie. Ce qui me déplait, c'est qu’à cause de mon voyage vous aurez eu encore une interruption. J’ai été un jour sans écrire, et je suis d’un jour plus loin. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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44 Paris, Jeudi 20 Avril 1854

J’ai dîné hier chez M. Molé. La famille Molé et Noailles, MM. de Falloux, de Barante Berryer, Corrales, Mallac. Beaucoup plus d'Académie que de politique. Berryer se décide à se faire recevoir. Il ne peut pas se montrer plus difficile que ses amis dont l’un, l'évêque d'Orléans, va entrer, et dont l’autre, M. de Falloux, se présentera à la plus prochaine vacance. La réception de Berryer aura lieu probablement dans le cours du moi de Mai. Quelle fête pour Salvandy ! Trois discours de réception ; Berryer, tout à l’heure, M. de Sacy et l'évêque d'Orléans un mois de Décembre prochain. Le Duc de Noailles part lundi pour aller passer deux un trois jours à Bruxelles. Je m'en réjouis vraiment pour vous.
Montebello est parti pour conduire lui même son fils à Brest, où il va s’embarquer pour aller rejoindre l'amiral Parseval. Quoiqu’un peu rétabli, ce jeune homme est encore faible et tousse toujours à la suite d’une pleurésie. Mais à aucun prix, il n’a voulu manquer son embarquement. L'inquiétude du père m'a touché. Je ne crois pas que vous puissiez compter le voir à Bruxelles, ses enfants et ses affaires l'en empêcheront.
C'est l'Empereur Napoléon, dit-on, qui a insisté pour que le Duc de Cambridge passât par Vienne et fît un nouvel effort pour décider l’Autriche à entrer dans l'alliance.
J’ai vu hier Ellice, très appliqué à dire et à prouver que les deux gouvernements sont très contents l’un de l’autre, et que le gouvernement français fait tout ce qu’il doit et peut faire pour agir en Orient aussi efficacement et aussi promptement que le gouvernement anglais peut et doit le lui demander.
Sir H. Seymour persiste à dire, vous le voyez qu’il a perdu ses bagages. C’est incroyable, et cela fait ici plus de bruit que vous ne pouvez croire. On répète partout : " Barbares, barbares ! " et le mot de M. de Rulhières. " Entrouvez la veste. Vous verrez le poil encore tout rude." Les comédies, les opéras, les vaudevilles anti-russes se multiplient sur les théâtres.
Après le dîner chez Molé, la soirée chez Mad. d’Haussonville. Peu de monde, les Rémusat, les d'harcourt, Langsdorff, de Sahune. Le Duc de Broglie n’y était pas. Mad. de Staël est arrivée avant hier de Genève. On annonce une rentrée éclatante de Melle. Rachel dans une nouvelle tragédie de Médée, dont j’ai entendu la lecture il y a un an. Assez de talent. L’auteur, M. Legonel, sera l'un des concurrents de M. de Falloux aux prochaines vacances de l'Académie. Voilà votre N°34. Je me suis trompé de N°. Mardi, j'aurais dû mettre, 42 et non pas 43. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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37 Paris, Jeudi 13 Avril 1854

J’ai vu hier, chez Mad. de Sebach, l'autre jeune baronne saxonne, Mlle de Chérigny, dont la princesse Kotchoubey m’avait parlé. Je lui en dis à elle-même, en détail, mon impression exacte. Ce n’est pas la peine que je vous la répète. Toutes les apparences sont bonnes.
Le rappel de Bunsen est-il vrai ? La façon dont Clarendon en a parlé me porte à y croire. Ce serait en contradiction avec la pente sur laquelle à Berlin même, on paraît d'ailleurs se placer. Mais c’est par les contradictions que les faibles espèrent se tirer des difficultés. L'entrée des Autrichiens, en Servie, à la suite de votre violation du territoire Serbe, fait ici assez d'effet. Les confiants s'en promettent l'engagement décisif de l’Autriche contre vous. Les méfiants demandent, si l’Autriche ne saisit pas cette occasion d'occuper la servir, comme vous la Valachie et la Moldavie. Les Russes à Bucharest, les Autrichiens à Belgrade, les Anglais et les Français aux Dardanelles, voilà l’intégrité et l’indépendance de l'Empire Ottoman parfaitement garanties.
On dit que la revue d’hier a été belle. L'infanterie surtout a frappé les étrangers par sa bonne mine, sa bonne tenue, la précision et la rapidité de ses mouvements. Les chasseurs de Vincennes ont été applaudis au défilé, par l'Impératrice, et par le public. Aussi la garde municipale.
Décidément, la cavalerie anglaise ne traversera pas la France. Je vois sans cesse M. de Marcellus. Il fait ses affaires avec une extrême assiduité. Je lui ai dit que vous m'aviez parlé de lui.
L’évêque d'Orléans et M. de Sacy entreront les premiers à l'Académie. M. de Marcellus sera ensuite sur la même ligne que deux ou trois poètes que vous ne connaissez pas, M. Ponsard, M. Legouvé & &. On dit que le gouvernement veut mettre en avant l'archevêque de Paris contre l'évêque d'Orléans. Ce serait une grande gaucherie. Il n'aurait pas la moindre chance.
Voilà le cabinet anglais hors d'embarras pour son nouveau bill réforme. Ce n'est pas pour une session seulement qu’il est ajourné, mais jusqu'à ce que la guerre soit finie. Quand le grand génie politique manque dans ce pays là, ils ont toujours la ressource du bon sens. Adieu, adieu.
Quand vous recevrez M. Barrot, ayez, je vous prie, la bonté de lui dire que j'ai été très sensible à sa courtoisie, et point du tout surpris. Il était conservateur de mon temps il a eu bien raison de rester ce qu’il était. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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34 Paris, lundi 10 avril 1854

Hier matin, le chancelier ; hier soir le Duc de Noailles, Molé, Duchâtel, Savandy, Berryer. Personne ne sait et n'attend rien de nouveau, si ce n'est la guerre réelle. Vous semblez partout décidés à une guerre purement défensive. C'est la guerre indéfiniment. Il faudra pourtant bien qu’elle finisse, dit-on. Qui sait ? Je suis triste, et plein de sombres pronostics. Je ne connais rien de plus inattendu, de moins nécessaire, de plus factice que tout ce qui arrive. Apparemment Dieu le veut. Si la paix n’est pas faite, l'hiver prochain, nous en aurons pour dix ans, et l'Europe entière bouleversée.
Le nouveau protocole, après la déclaration de guerre a en effet une grande valeur. On dit que la lettre de l'Empereur d’Autriche à l'Empereur Napoléon, en ce sens. " Maintenant, approbation de la politique occidentale, entente continuée dans la neutralité ; avec la Russie, jamais union active ; avec la France et l'Angleterre, union active peut-être, probablement plus tard, certainement le jour où les intérêts propres de l’Autriche seraient engagés. "
Voici une moins grande question. La mort de M. Tissot laisse une place vacante à l'Académie Française. M. l’évêque d'Orléans se présentera-t-il pour faire, en lui succédant, l'éloge d’un vieux Jacobin archi-voltairien ? Je voterai pour lui, s’il se présente ; mais je serais étonné qu’il se présentât. Il y a encore dans l'Académie quatre octogénaires, dont deux malades. M. l'évêque d'Orléans n'attendra pas longtemps une autre vacance.
J’irai aujourd'hui voir et renverser la prince de Ligne. On ne se rencontre plus nulle part. Le Chancelier ne donne plus à dîner. Molé ne reçoit plus. Dans trois ou quatre semaines, tout le monde sera disposé.
J’attends ma fille Pauline demain, et certainement avant le 15 Mai. Je serai rétabli au Val Richer. Quand les grandes satisfactions de l’âme me manquent, je prends les petites en dégoût, et je ne me plais plus que dans le libre repos de la famille et de la campagne.
Kisseleff a bien peu d’esprit d'être revenu chez vous sans commencer par vous offrir son appartement avec ses excuses. L’égoïsme finit toujours par être sot et ridicule. La moindre société humaine vaut un peu de bienveillance sincère et de sacrifices mutuels, je dirai volontiers un peu d’amitié. Où il n’y en a pas du tout, la simple politesse même et le bon goût disparaissent bientôt. Adieu, Adieu.
On commence à se désoler sérieusement du beau temps. On dit que si ce soleil sec dure encore quinze jours, la moitié de la récolte prochaine sera perdue. La disette avec Dantzig et Odessa de moins, ce serait grave. Adieu encore. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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33 Paris, Dimanche 9 avril 1854

Peu importe le retard du courrier de Brocks ; il n’apportera rien qui change le cours des choses. Personne ne croit que les propositions de votre Empereur soient sérieuses ; et le fussent-elles, il faudrait pour arrêter le flot, bien autre chose que des propositions.
J’ai vu hier un Anglais de ma connaissance, homme d’esprit, radical modéré, qui vient passer ici huit jours. Sa conversation m’a beaucoup frappé. Point d'enthousiasme de guerre grand regret de la paix ; mais parti pris d’aller jusqu’au bout, à tout risque à tout prix, et quelque loin que soit le bout. La longue durée de la lutte, le poids de nouvelles taxes, l'alliance avec les nations mécontentes, le remaniement de l'Europe, rien n’arrête ; on s'attend à tout cela, ; on est très riche ; on aura des points d'appui partout. Si on peut en finir en une campagne, tant mieux ; c’est très désirable : sinon, soit ; les longues guerres ont coûté très cher à l’Angleterre ; mais après tout, elle en est toujours sortie plus grande et plus forte. Elle se repose, depuis 40 ans. Evidemment les deux terreurs de notre mémoire à nous, les révolutions et les guerres n'effraient plus la génération actuelle ; elle veut suivre sa fantaisie et faire son trait dans le monde.
Mon radical est inquiet pour le cabinet anglais. Si Lord John persiste dans son bill de réforme, il sera battu et le cabinet se retirera. Nul autre n'est possible. Les reformers feront eux-même une démarche pour engager Lord John à ajourner son bill. Il cédera peut-être. Alors, point de grand embarras. Lord Aberdeen très affaibli. Il s'en irait si Lord Lansdowne voulait bien prendre l’office de premier ; mais il ne veut, à aucun prix. Lord Palmerston the most popular man in England, mais hors d'état de faire un gouvernement. Le plus probable est qu'on restera comme on est et que tout le monde ira jusqu'au bout ; fallût-il même mettre les puissances Allemandes au pied du mur et leur déclarer qu’on leur fera la guerre si elles ne vous la font pas.
Plusieurs personnes m'ont parlé de Kisseleff et j’ai dit, sans me gêner, ce qui en était. Tout le monde s'étonne et le blâme fort. On ne comprend pas. Je crois franchement qu’un Français peut s'empêcher d'être indiscret, et je le prouve. L'indiscrétion est partout, et partout. Il y a des discrets.
Rien hier matin que Mad. Mollien, et le soir que Mad. Lenormant. Assez de monde-là, et la musique de Lulli pour les amuser. Adieu, Adieu.
Je voudrais qu'il plût, pour nos champs et pour votre consolation ; mais il fait toujours très beau. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874) ; Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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25 Paris, Samedi 25 Mars 1854

Je voudrais bien espérer que votre Empereur saisira l'occasion de l'Émancipation des Chrétiens, si elle arrive, pour nous tirer tous, et lui-même de cette détestable situation. Il ferait deux grandes choses ; il sauverait l’Europe du chaos révolutionnaire où elle tombera. Si la guerre éclate et dure ; il ferait évanouir d’un seul coup, les méfiances dont il est lui-même l'objet, et deviendrait le chef de l’ordre Européen. Remettre le monde sur sa base et remonter soi-même au sommet cette double gloire vaut bien la peine qu’on ne la manque pas. Mais je vous avoue que j'espère peu. Ce qui s’est passé depuis un an, ce que je lis depuis deux mois, me laisse une impression triste. L'âme et la politique de votre Empereur sont pleines de troubles, et de combats intérieurs. Je suis convaincu qu’il désire la paix, qu’il n’a nul dessein de renverser l'Empire Ottoman et d'en prendre promptement ce qui lui convient. Et pourtant, par les conversations de 1844 et de 1853 à Londres, et à Pétersbourg, il a donné lieu au cabinet anglais, de croire le contraire. Préparer ce qu’on ne veut pas faire, se montrer pressé de régler d'avance une succession qu’on serait fâché de voir ouvrir, est-ce prudent, est-ce conséquent ? Autre désaccord. J’ai quelquefois trouvé, et je vous ai dit, que, dans ses manifestations officielles, tout en se disant décidé à maintenir la paix et l’ordre Européen, votre Empereur devrait avouer plus hautement la politique générale, que lui prescrivaient, et la position géographique de son empire et les traditions de la race ; on en eût ajouté plus de confiance à sa modération, et on lui en est eût plus de gré. Or, en même temps qu’il ne faisait pas cela dans ses manifestations officielles, il le faisait dans ses communications confidentielles ; il entrait, avec le Cabinet Anglais, dans le détail des vues traditionnelles qu’il était obligé de suivre, et qu’il s'ouvrait au moment de la crise de l'Empire Turc : " Je tolérerai ceci, et non pas cela ; je prendrai ceci et non pas et prenez ceci vous-même, mais non pas cela. " Étrange. contraste entre le désintéressement affiché en public et les desseins avoués en secret ! Et puis, après avoir eu, avec le Cabinet anglais ces épanchements si intimes et si bien cachés, votre Empereur y fait tout-à-coup un appel public, oubliant que l'Angleterre est un pays de publicité, et que ses ministres ne peuvent être provoqués ou défiés, par un souverain étranger sans répondre. aussitôt à son défi. Pourquoi ces alternatives ces incohérences, ces perplexités dans la conduite comme dans le langage ? Parce que votre Empereur n'est, ou pas assez ambitieux, ou pas assez conservateur, trop peu Russe, ou trop peu Européen. Il ne se gouverne pas par une idée simple, permanente, dominante ; il flotte entre ses propres vues, qui sont pour la paix, et les traditions de ses ancêtres, qui sont pour l’agrandissement. Il se préoccupe trop à la fois du présent et de l'avenir. Quelque puissant qu’on soit, on ne peut pas être tout et tout faire à la fois, la paix et la guerre, maintenir, et partager les Empires ; il faut choisir. Si la Porte accorde l'Émancipation des Chrétiens, Dieu donnera encore là, à votre Empereur, à la dernière heure, l'occasion de faire son choix, un bon et grand choix. Puisse-t-il lui donner en même temps la volonté de le faire en effet et de rendre la paix à l’Europe, au lieu d'encourir la responsabilité de tous les maux, prévus et imprévus, que la guerre nous attirera à tous !
Voilà votre N°18 qui m’arrive. J’ai tous les précédents, sans lacune. Je vous ai écrit Mercredi du Val Richer. Je m'étonne des nouvelles de la Mer Noire que la princesse Kotschoubey a reçues de Pétersbourg comment n'en savait-on rien à Vienne le 20 mars et à Constantinople le 14 ? C’est étrange.
Je compte toujours partir le 31 pour aller vous voir. Soyez assez bonne pour me faire assurer une chambre à l'hôtel Bellevue, si c’est possible, comme je l’espère, et un petit cabinet pour mon domestique. Ce sera charmant de causer.
Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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22 Lundi 20 mars 1854

Si Lord Stratford obtient pour les Chrétiens les quatre concessions qu’il a dit-on, formellement demandées, l'abolition du Karatoch, le droit de témoigner en justice, le droit de posséder des terres et celui d'entrer dans l'administration civile et dans la milice, je ne comprends pas ce qui vous restera à demander spécialement pour les chrétiens grecs. Il est vrai que vous avez manifesté, dit-on, l’intention de ne vous occuper que des Chrétiens grecs et de ne pas vouloir que les concessions fussent communes entre eux et les autres. Ceci vous mettrait encore, vis-à-vis de l'Europe, sur un plus mauvais terrain. J’ai peine à y croire.
On disait hier soir que votre refus péremptoire d'obtempérer à la sommation Anglo-française était arrivé le matin, et que vous aviez répondu sur le champ, sans attendre le terme des six jours. On en concluait que vos flottes de la Baltique s'étaient mises en sûreté, autant qu'elles le peuvent sans quoi, vous auriez profité du délai de six jours.
J’ai dîné hier chez Mad. de Boigne ; le chancelier, M. et Mad. de Rémusat, Mad. de Chastenay, d'Haubersart et Lagrené. Le soir, il est venu assez de monde, Dumon, la Duchesse de Maillé, Mad. Mollien, le général d’Arbouville, la petite Lagrené qui est bien jolie. Sa mère ne sort pas ; leur seconde fille sort à peine d’une fièvre typhoïde qui l’a mise en grand danger. le plus de votre absence.
Barante est arrivé, bien portant, et assez en train. Il me semble que, l’hiver dernier, vous l'aviez repris en grâce. Pour moi, amitié à part, je retrouve toujours sa conversation avec plaisir. Il a l’esprit juste, fin, varié et libre, et nous avons le même passé ; grande sympathie. Je ne puis en conscience répéter à Chasseloup Laubat votre compliment de regret.

Midi
Je viens de lire les deux premières des nouvelles pièces communiquées au Parlement. Le Memorandum de 1844 vous vaut mieux que la dépêche de Seymour de 1853. Je n'ai pas encore entendu parler de votre occasion. Adieu. Je pars ce soir pour le Val Richer ; d’où je vous écrirai après-demain mercredi. leur seconde fille sort à peine d’une fièvre Je serai de retour à Paris vendredi matin. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Au château de Broglie, Mercredi 26 oct. 1853

Certainement si la Grèce prenait parti contre les Turcs et soulevait partout les Grecs, la complication serait grosse et l’Europe Chrétienne bien embarrassée. Mais cela n’arrivera que si vous le voulez, et vous ne le voudrez pas. Il y avait un homme qui est mort, et qui s’il vivait n'y manquerait pas ; c'était Colettis. Il aurait cru trahir, la Grèce et les Grecs s’il avait laissé échapper une telle chance que l'Europe le voulût ou non. Mais ces hommes-là sont rares, et je ne pense qu’il y ait en Grèce un autre Colettis.
Le Duc de Broglie reçoit à l’instant une lettre du Dr Chomel qui est arrivé de Genève le 22. Il avait quitté la Reine le 24, la laissant mieux, mais pas encore tout-à-fait en convalescence. Encore de la fièvre. Il craint l’âge, la saison, la fatigue. Cependant il est plutôt rassurant qu'inquiétant.
On a eu grand tort à Londres de n'être pas parfaitement poli envers votre grande Duchesse. D’autant plus poli qu’on semblait plus près de se battre. La guerre n’est pas une brouillerie entre les personnes. Je trouve misérables ces impolitesses préméditées, par raison d'Etat. Il n’y a à cela ni dignité, ni habilité. C’est une humeur subalterne ou une maladroite, imprévoyance. Reine d’Angleterre, j’aurais rendu extérieurement à votre grande Duchesse tout ce qui lui appartient, sans me préoccuper de la paix ou de la guerre. Empereur des Français j'aurais invité Kisseleff et Hübner à Compiègne comme les autres, sauf à ne pas leur dire là un mot de politique. C’eût été de meilleur goût dans le présent, et de meilleure politique pour l'avenir.
Je suis revenu hier ici, par un temps magnifique qui dure. Il y a chasse aujourd’hui dans la forêt. On court un chevreuil. Mon fils, est parti ce matin avec Albert et Paul de Broglie. Il y aura certainement moins de confusion qu'à Compiègne, et j’espère pas d'accident. J'écrirai à M. Monod pour qu’il n’attende rien. Je crois qu’on a raison. Ce serait bien solitaire. Ecrivez-moi encore et demain Jeudi, je vous prie. Je n'en partirai que samedi matin de bonne heure. Le Duc de Broglie partira aussi samedi pour Paris où Mad. de Staël arrive. Il va conduire son fils Paul à l'Ecole polytechnique où ce jeune homme entre brillamment. Il est spirituel, original, sauvage, et doué, à ce qu’il paraît de dispositions rares pour les Mathématiques.
Adieu, adieu. Où donc est allé Dumon ? Je ne pense pas qu’il doive être absent longtemps. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Au château de Broglie, mardi 18 Oct. 1853

Je m'assois pour vous écrire et on m’apporte votre lettre d’hier. Celle de M. de Meyendorff est très rassurante. Il faut être deux pour faire la guerre. Le seul embarras, c’est qu’il y a trop de gens pour faire la paix. Ils ont bien de la peine à s'entendre. Ils en viendront à bout pourtant. Mais évidemment vous occuperez les principautés tout l'hiver.
Il n’y a personne ici que les maîtres de la maison. Barante, et Mad. Anisson sont partis avant hier. C’est bien un des lieux les plus tranquilles qu’on puisse imaginer. Beau et froid. On n’y sait point de nouvelles, quoiqu'on les aime. On se promène et on cause beaucoup. Bonne conversation, très sensée. Je trouve la princesse de Broglie changée, maigre et pâle. Ma fille croit qu’elle est grosse. Elle a déjà quatre fils.
J'écrirai demain à M. Monod ; mais sa lettre me fait, comme à vous l'impression qu’il n’a, quant à présent, point de pensionnaires, et je suis tout-à-fait de votre avis, il faut des camarades. M. Meyer, dont il parle est un excellent homme, pasteur luthérien, collègue de M. Morny. Je sais qu’il a en effet plusieurs fils jeunes peut-être à défaut de M. Monod cela conviendrait-il ?
Il est très bon que le Roi Léopold aille en Angleterre. La Reine Marie Amélie s’est arrêtée à Genève assez malade d’un rhume violent. En arrivant, elle avait fait dire à Mad. de Staël, qui est à Coppet de venir la voir, et quand Mad. de Staël est venue, elle n’a pas pu la recevoir. Elle restera à Genève jusqu'à ce que son rhume soit tout-à-fait passé. On n’avait cependant point d'inquiétude sur son compte.
Je suis bien aise que vous ayez retrouvé Dumon, et que du monde vous arrive. Je crois que vous en aurez beaucoup cet hiver. On sera agité sans vrai malheur, ni même vraie inquiétude. On court alors, on voyage.
Je trouve excessif que Kisseleff et Hübner ne soient pas invités à Compiègne. Il n’y a pas de raison pour cela. C'est trop d'empressement à couper l'Europe en deux, sans compter qu’on ne la coupe pas réellement en deux. Tant qu'Aberdeen sera au pouvoir, il ménagera l’Autriche, et la Prusse fera toujours plus que vous ménager. Adieu.
J’irai samedi prochain 22 au Val Richer dire adieu à ma fille Pauline qui part le lundi 24 pour Hières, je reviendrai ici Mardi 25 pour toute la semaine prochaine. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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45 Val Richer, Mardi 9 Août 1853
3 heures
Il se peut fort bien que votre Empereur ait eu raison de penser à la Russie plus qu’à l'Europe. Je ne suis pas juge du cas particulier ; mais en thèse générale, on a toujours raison de se préoccuper du dedans plus que du dehors. Le pauvre roi Louis-Philippe se préoccupait infiniment du dedans ; à ce point qu’il en désespérait. Il a certainement en grand tort de faiblir le 22 février, et cette faiblesse a été la cause prochaine de sa chute ; mais il a été de tous, le moins surpris de ce qui lui est arrivé, tant, il en connaissait les causes générales et lointaines, et les regardait comme irrésistibles. Deux dispositions parfaitement contradictoires s'alliaient en lui ; dans l’ensemble, il était sans espérance, sans confiance, convaincu qu’il ne réussirait pas à fonder sa monarchie, que la France était vouée à l’anarchie et à la révolution dans chaque occasion particulière, quand le jour du péril venait, il était imprévoyant et sanguin, convaincu qu’avec un peu d'adresse, de souplesse et de patience. Il reviendrait sur l'eau et se relèverait après avoir plié, les deux dispositions ont également contribué à le perdre ; il a vu à la fois trop en noir et trop en beau ; il a trop désespèré du présent et trop espéré de l'avenir. On pouvait très bien résister en Février 1848, il ne l’a pas cru. Il a cru qu’il reviendrait du renvoi de son cabinet et même de son abdication ; et cela ne se pouvait pas. Il avait cela, et seulement cela, de commun avec Louis XI qu'il faisait beaucoup de fautes, et qu’il excellait. à s'en tirer, et qu’il espérait toujours avoir le temps de s’en tirer. Le temps lui a manqué pour se tirer de la dernière. Le chagrin a été pour plus de moitié dans sa mort. Le désespoir de votre N°43 est mal tombé, ce matin, après les quatre lignes du Moniteur d'hier. Vous aurez certainement eu directement l’avis de l'adhésion de votre Empereur à la proposition combinée à Vienne ? Je tiens pour impossible que le sultan n’y adhère pas aussi. Je suis donc de l’avis du Moniteur, et de la Bourse Je regarde l'affaire comme finie. Vous vous serez beaucoup tourmentée en pure perte. A part l’intérêt Européen, je suis charmé que vous voyez un terme de vos inquiétudes.

Mercredi 10 9 heures
Il me revient que Kisseleff est très content, et qu'on est très content de lui à Paris. Son attitude. et son langage, pendant toute cette crise, ont été très fermes et très tranquilles. C'est Morny qui a renversé M. de Maupas, et fait supprimer le ministre de la police. Il s'est allié pour cela avec Persigny. L'Empereur Napoléon est content de Drouyn de Lhuys et du mélange de pacifique et de guerrier qu’il a mis dans ses conversations et dans ses pièces. Bon pour tous les en cas. M. d’Hautpoul a obtenu la permission de recommencer à se promener, en mer avec son yacht de Trouville.
Mad. la Duchesse d'Orléans confie M. le comte de Paris à Paul de Ségur pour aller faire un tour en Irlande. Adieu, adieu. J'espère que demain le facteur m’apportera votre tranquillité au lieu de votre désespoir.
Par grand hasard, j’ai reçu hier une lettre de Massi ; on me dit : " La paix jusqu'ici n’est pas troublée par l'occupation ; les troupes russes observent la plus exacte discipline et payent tout ce qu'elles consomment.” Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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43 Val Richer, Samedi 6 Août 1853

Merci de la lettre de M. de [Meyendorff] qui m’a beaucoup intéressée. Je suis charmé que les miennes l’intéressent un peu. J’aimerais bien mieux causer avec lui. Je lui dirais que je n'ai jamais pensé à un protectorat collectif des Chrétiens en Turquie. J'en sais, comme lui, l'impossibilité pratique. Ce qui me paraissait praticable, c'était que votre Empereur, puisque on regardait un engagement de la Porte envers lui comme attentatoire à l’indépendance Ottomane, proposât lui-même que la Porte prit le même engagement, non plus envers lui seul, mais envers toutes les Puissances Chrétiennes, laissant chacune de ces Puissances protéger ensuite, pour son compte, ses propres dieux Chrétiens, l’une les Grecs, l'autre les Catholiques, l'autre les Protestants &
Mon idée n'était qu’un expédient pour sortir de la difficulté du moment par une porte qui ne fût plus seulement Grecque et Russe, mais Chrétienne et Européenne, qui fût par conséquent plus grande pour votre Empereur et unobjectionable pour les autres. Ce sont les situations prises qui décident. des affaires je voyais là une bonne situation à prendre, bonne pour la dignité et pour la solution. Voilà tout. Cela ne signifie plus rien aujourd’hui. Le sultan a beau se griser et traîner. L'affaire finira bientôt puisque tout le monde veut, qu'elle finisse. Les embarras ne sont des périls que lorsqu’il y a des puissants qui veulent en faire des périls.
Vous ne lisez probablement pas les récits de la révolution de Chine. S'ils sont vrais il y aura bientôt là, pour l'Europe, de nouveaux Chrétiens à protéger. Seront-ils Grecs, Catholiques ou Protestants ? Je crois que vous avez une mission religieuse à Pettiny. Du reste, ces Chrétiens chinois, orthodoxes ou non, me paraissent en train de se bien protéger eux-mêmes. Convaincu, comme je le suis, que le monde entier est destiné à devenir Chrétien, je serais bien aise de lui voir faire, de mon vivant, ce grand pas.
Avez-vous des nouvelles de la grande Duchesse Marie ? Le voyage de la grande Duchesse Olga en Angleterre est-il déterminé par la santé de sa sœur ? Dieu veuille épargner à votre Empereur cette affreuse épreuve ! Il m’arrive le contraire de ce qui arrive, dit-on, ordinairement ; je deviens en vieillissant, plus sympathique pour les douleurs des autres ; mes propres souvenirs me font trembler pour eux comme pour moi-même.
Je voudrais vous envoyer un peu du beau temps que nous avons depuis quelques jours ; très beau, mais pas chaud. C'est le vent du Nord avec le soleil. Nous n'aurons décidément point d'été. Vous ne me dites rien de l'effet de vos bains ; mais à en juger par l’air de votre silence, Schlangenbad vaut mieux qu'Ems.
Changarnier parle en effet trop de lui. Mais quand vous n'avez rien à faire des gens, vous ne savez pas assez les prendre par le bon côté, et mettre à profit ce qu’ils ont tout en voyant ce qui leur manque. Vous vous ennuyez trop de l'imperfection dès qu’elle ne vous est bonne à rien.
Adieu, adieu. Je ne fermerai ma lettre que quand mon facteur sera venu ; mais il ne m’apportera probablement rien à y ajouter. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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31 Val Richer, Mercredi 13 juillet 1853

Si j’avais besoin d'être rassuré, les paroles de votre impératrice et l’embarquement de votre grande Duchesse Marie sur [?] pour l’Angleterre me rassureraient pleinement. Il est clair que votre Empereur ne veut pas la guerre, et puisqu’il ne la veut pas, il ne l'aura pas, car personne ne la [?]. La nouvelle circulaire que M. de Nesselrode est bien pacifique aussi ; meilleure que la première, plus catégorique sur les deux points capitaux.” Nous ne demandons, comme protectorat religieux, que le maintien obligé du statu quo. Nous voulons maintenir aussi longtemps que possible, le statu quo actuel de l’Orient, parce que tel est en définitive l’intérêt bien entendu de la Russie. " - C'est là de la bonne politique, et vous en faites très hautement votre politique. A ces conditions, je tiens la paix pour certaine, quelque embarrassé qu’on soit de part et d'autre, à sortir du mauvais pas où l’on s’est mis, et qui ménerait à la guerre. Je ne sais rien d'ailleurs. Il ne me paraît pas qu'à Paris on s’inquiète des complots des rouges. Ils se renouvelleront éternellement, et il faut s'en bien garder, sans en témoigner aucune inquiétude. Je pense que le gouvernement est bien averti à ce sujet, et que la chute de M. du Maupas n’a pas fait tomber la police. Je ne connais pas l'homme qui en est chargé sous M. de Persigny ; mais on en parle bien.
Votre grande Duchesse de Weimar a perdu son mari. L’aimait-elle beaucoup et comment est-elle avec son fils ? Quand il est venu à Paris, ce jeune Prince m’a paru bien intelligent et digne. Mais entre les Princes Allemands, mon favori est le Prince George de Mecklembourg.
Vous figurez-vous ce que sera la place Louis XV en face de vos fenêtres quand les deux Terrasses des Tuileries seront terminées, par deux séries de gradins qui descendront sur la place ? Je ne me représente pas bien cet arrangement. On dit qu’il sera fait l'automne prochain.

Midi
Nous faisons chaque jour un pas vers la sécurité de la paix. Adieu, adieu. Je n’ai que le temps de fermer ma lettre. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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26 Val Richer, Dimanche 3 Juillet 1853

Vous êtes probablement entrée hier dans les Principautés. On s'y attend depuis trois semaines. Pourtant cela fera de l'effet. Si, comme vous le dites, de Constantinople, on excite les Circassiens, et si à Pétersbourg, vous acceptez les provocations des Bulgares ou des grecs, cela peut aller loin. C'est là ce que je crains le plus. Ma sécurité, c’est que je demeure convaincu que vous ne voulez pas la guerre, et que, ni à Constantinople, ni à Londres, on ne la veut pas plus qu'à Paris. Vous l’engageriez sur un bien puérile motif et sous de bien mauvais auspices. Ne croyez pas que le gouvernement Français résistât à la tentation d’une union intime avec l’Angleterre et des chances que la guerre pourrait lui ouvrir. Chances d'éclat, sinon de conquête. L'éclat lui suffirait pour quelque temps. Vous verriez bientôt l'Allemagne prendre elle-même parti contre vous, sinon ouvertement et par ses armes, du moins par ses voeux les peuples allemands pousseraient fortement dans le sens et les gouvernements, quelque crainte, et quelque besoin qu’ils aient de vous, ne se compromettraient pas, pour vous soutenir, avec la France et l'Angleterre, et avec leurs peuples.
Vous ne pouvez entreprendre, à vous seuls, la solution définitive de la question Turque, c’est à dire la conquête de Constantinople ; il vous faut, de toute nécessité, l’entente préalable et l'accord soit avec l’Autriche et la France, soit avec l’Autriche et l'Angleterre. Vous ne l’avez pas et vous ne l'aurez pas aujourd’hui. Vous jetteriez l’Europe dans le chaos, en l'ayant au début, presque tout entière contre vous, et en ne pouvant attendre de chances favorables que des séductions et des bouleversements du chaos. Je persiste à croire que vous ne voulez pas cela. Le ferez vous sans le vouloir, par entraînement. et par pique ? Je ne puis le croire. D'autant que si vous voulez vraiment l’éviter de toutes parts certainement on vous y aidera. Conclusion votre entrée dans les Principautés ne sera pas la guerre ; on recommencera à négocier, et on finira par trouver un biais dont vous vous contenterez. Je vous le répète, je ne crains que les folies Turques et grecques, et vos faiblesses, à vous, en présence de ces folies, faiblesses de colère ou faiblesses de sympathie. Vos hommes de sens et d’esprit, qui veulent la paix, ont bien à regarder et à se garder de ce côté.
L’amiral Hamelin, qui remplace La Susse est un officier plus jeune, très bon marin, point mauvaise tête, homme d’exécution au besoin, mais qui va pas au devant des aventures. Je suppose que le vrai motif du rappel de La Susse, c’est qu’il était détesté de sa flotte, officiers et matelots. On fait sur toutes nos côtes, une levée de marins considérable, dans mon petit port de Trouville, où il y en a 400, on en a appelé 100 qui ont été envoyés à Brest, pour l'escadre de l'Océan, que commande l’amiral Bruat.

Onze heures
Vous devez avoir en mon avis sur votre circulaire mardi, ou mercredi dernier, le 28 ou le 29. Il est vrai que nous pour parlons de bien loin et bien tard. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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19 Val Richer, Dimanche 19 Juin 1853

Je n’ai pas cru à la mission de M. de Panin. Pourquoi ? Les missions soudaines de gros personnages ne sont bonnes que lorsqu'il y a quelque résultat éclatant à emporter en quelques jours. Rien de semblable ici. Vous n'avez qu'à laisser aller la situation. Il est évident que personne ne vous fera la guerre pour votre occupation, dite temporaire, des principautés. Si les Turcs tiennent beaucoup à ce que vous en sortiez, ils feront ce que vous leur demandez pour l'Eglise grecque. S'ils craignent davantage votre Protectorat des Grecs que votre séjour dans les Principautés, vous y resterez. Le protectorat, ou les principautés, l'alternative n’est pas mauvaise. Vous ne perdrez à ceci que sous un rapport, votre influence Euro péenne. Il y aura du dissentiment en Europe à votre sujet et de l'humeur contre vous. Vous êtes redevenus la Russie et non plus la tête de l’Europe, je ne sais pour combien de temps.
Vous regretterez ce pauvre Garibaldi. Il n'était pas, pour le corps diplomatique, un ornement, comme Valdegamas, mais une bonne pièce, sensé, tranquille, d’un commerce doux, ne faisant pas grand bien, mais jamais de mal. Sa mort ne m’a pas surpris, c'était une machine détraquée, et qui se savait détraquée. Il est mort d’une de ces maladies, du cœur qui éclatent tout à coup. L’année est mauvaise à Paris pour le corps diplomatique ; deux en quelques mois, c’est rare. Je n'ai point d’idée sur le remplaçant de Garibaldi. Jamais l’Eglise romaine n’a été aussi dépourvue d'hommes. C’est un bien mauvais symptôme, surtout pour l'Eglise qui n’a dominé et ne peut dominer que par la supériorité des hommes.
Nous sommes ici dans le calme le plus profond. Les préoccupations de guerre s'en vont. A Paris, la bourse, dans les campagnes le temps, il ne reste plus que ces préoccupations là. Je vis au milieu des dernières, et j'en prends ma part. A tout prendre, j’ai eu trop de pluie depuis que je suis ici.

Onze heures
J'attends impatiemment la nouvelle de votre arrivée et de votre établissement à lui. J’espère l'avoir demain, après-demain au plus tard. Si vous êtes à peu près sûre de la bienveillance de l’Autriche, vous auriez bien tort de ne pas accepter sa médiation. Vous sortirez d’embarras et vous regagneriez presque tout votre terrain en Europe. Je conviens qu’il faut être sûrs qu’elle vous donnera le Protectorat grec, ou à peu près. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 7 oct. 1852

J’ai eu hier une lettre de Lord Aberdeen qui m'a été apportée à Paris par M. Cardwell. Il y est venu passer quelques jours avec sa femme. Je regrette de ne pas le voir. C’est un homme d’esprit, et Aberdeen me le recommande chaudement. Il nous aurait mis bien au courant de Londres. Lady Allice Peel le connaît beaucoup. J’ai déjeuné avec lui chez elle. Elle vous l’a peut-être déjà amené.
Aberdeen est évidemment, très peu bien veillant pour le Cabinet : " I suppose our Parliament will not meet before the middle of november, and although some indication will be afforded of the relative strength and disposition of parties, it is not at all probable that the existence of the government will be endangered before Christmas. Their real trial will commence in February, and what may be the result, it is extremely difficult to say. Their position, although discreditable and entirely unprecedented, is strong when compared with the scattered forces and disunited taste of their opponents. "
Nous oublions trop que Lord Aberdeen a été le collègue de Peel, de Graham, Gladstone, Cardwell, le Duc de Newcastle, qu’il a pris part à toutes les mesures de réforme commerciale, que c’est là son dernier acte politique, et qu’il reste attaché aux mesures et aux hommes. Il se sépare de ceux qui les repoussent ; il s’unira à ceux qui les adopteront. Il m’a l’air plus préoccupé de nos affaires que des [?], et bien convaincu que l'Empire, " Although it may, at present, make no great change in France or in Europe, is surely pregnant with future complications and wars "
Il est de l’avis de M. de Heeckenen. Il me dit qu’il voudrait bien venir causer. " It is not impossible that, after our short session before Christmas, I may go to Paris for two or three weeks ; but this must be extremely doubtfull. "
Avez-vous fait attention, au discours que Michel Chevalier a adressé au président, à Montpellier, au nom du Conseil général, et à la réponse du Président ? C'est le programme de ce qu’il y a de plus sincère et de plus honnête dans le Bonapartisme.
Il me semble que le Roi de Wurtemberg, des princes allemands, celui qui s'exécute le mieux pour la répression de la presse injurieuse au Président. C'est qu’il est celui qui a le plus d’esprit et le plus d'autorité chez lui. Savez-vous s'il y a un parti pris sur Napoléon 2 ou Napoléon 3 ? La diversité des acclamations me laisse dans le doute à cet égard.
Le départ de M. Frère d'Orbon pour l'Italie prouve que la retraite du Ministère Belge est sérieuse, et qu’il ne pense pas à se reconstituer en se rapieçant.

Onze heures
Je n'ai que le temps de vous dire adieu. Deux visites m’arrivent, en même temps que le facteur Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer Lundi 4 octobre 1852

Puisque vous avez besoin des médecins. Je suis bien aise que vous ayez vu concurremment les deux meilleurs. Le départ de Chomel vous y a obligé. Vous ne pourrez pas les garder tous les deux à son retour ; mais vous comparerez leurs avis et leurs procédés et Olliffe se changera de prendre de l’un et de l'autre, ce qui vous sera bon. Andral est moins agréable de sa personne que Chomel ; mais je lui crois plus d’esprit, et il est extrêmement consciencieux.
Je n’ai absolument rien à vous dire. Rien n’est plus stérile que l’attente d’une chose prévue et regardée comme certaine.
Dans le sentiment public, l'Empire est déjà du passé. Pour moi, je ne vis plus qu’avec Cromwell. Si vos yeux vous le permettent quand il paraîtra, il vous amusera à connaître quoique aucun passé ne vous amuse guère.
C'est le bruit de la bourse, m’écrit-on que le Pape viendra sacrer le nouvel Empereur. Je n'y crois pas. Pourtant, il se fera sacrer. L'exemple de son oncle, et ses propres relations avec le Clergé lui en font une loi. Par qui ? L’archevêque de Paris sera bien petit Il n’ira pas le faire sacrer à Reims. Peut-être un sacre collectif ; tous les cardinaux Français réunis. Je suppose qu’on a pensé à cet embarras.

Onze heures
Adieu, adieu. Les paroles sont aussi vaines sur l'Empire que sur la santé. Il faut attendre. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Dimanche 3 oct. 1852

Je suis impatient de la lettre d'aujourd’hui qu’est-ce que ce malaise qui vous est survenu subitement ? J’ai été moi-même assez mal à mon aise ces jours-ci, nous vivons au milieu des ouragans et des orages. J'en ai ressenti l'influence.
Je vois dans les feuilles d'Havas que Hatzfeldt a demandé sa retraite à cause de sa santé. Je ne suppose pas qu’il y ait rien de vrai. Il était au contraire, ce me semble, allé à Berlin pour faire voir qu’il se portait bien.
M. Hébert est même hier passé la journée avec moi. Il dit que l'Empire sera décidément bien vu à Rouen, et dans tout le département de la Seine inférieure. Les affaires y vont très bien ; les manufacturiers gagnent beaucoup d’argent ; les ouvriers ont de bons salaires ; les uns et les autres ne demandent que de la durée, et ils espèrent que l'Empire leur en donnera.
La paix et la durée, ils ne pensent pas à autre chose.
L’Angleterre sera couverte de statues du duc de Wellington, aristocratiques ou populaires ; en voilà une à Manchester, au milieu des ouvriers. Du reste, c’est juste.
Il est vrai que les 2 500 000 fr. donnés pour la Cathédrale de Marseille sont singuliers. Le Président peut dire que c’est une simple promesse dont il demandera la ratification au corps législatif. Ce sera à ce corps à voir ce qu’il aura à faire, et de bonne ou de mauvaise humeur, je ne pense pas qu’il refuse de ratifier.
Le lac français est une parole plus étourdie que les deux millions. Est-ce par cette raison qu’on n’a pas publié le discours ? C’est une nécessaire mais fâcheuse sagesse. Quest-ce qu’une vanterie qu’on cache ?
Montalembert reste donc à Paris. Je croyais qu’il devait aller rejoindre en Flandres son beau-frère Mérode. Je suis bien aise qu’il vous reste plus longtemps.
Ste Aulaire vient-il vous voir quelquefois le jeudi, après l’Académie ?
Je trouve la conversation du Moniteur et de l'Indépendance belge au moins aussi aigre que le fait même. Quelle nécessité à cette discussion prolongée qui ne fera qu'embarrasser la négociation prochaine ? Quelques lignes d'explication suffiraient.
Croit-on à la formation d’un cabinet catholique et à la dissolution de Chambres Belges, ce ne serait guère dans les procédés habituels du Roi Léopold.
Avez-vous lu, dans les deux derniers N° de la Revue contemporaine, les fragments des Mémoires du comte Beugnot sur les derniers temps de l'Empire. Quoiqu'un peu bavards et longs, ils vous amuseraient. Je l’ai beaucoup connu, c'était un homme d’esprit et d’expérience, très douteux et très gouailleur, ce qui m’est antipathique. J’aime les gens qui veulent quelque chose et qui ne se moquent pas de tout.

Onze heures
Je remercie bien Aggy. Si je n'avais rien eu du tout, j’aurais été inquiet, triste et fâché, très mauvais états d’âme. Je suis fort aise que vous ayez vu. Andral et qu’il vous prescrive de vous bien nourrir. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 1er oct. 1852

Un spectateur sensé m’écrit d'Avignon : " Tout s’est très bien passé ici ; au moin 100 000 âmes ; peu de cris, sauf de la part des gendarmes et des membres du Corps législatif ; mais l’absence d'enthousiasme ne laissait pas à sa place le moindre air de mécontentement. Quant aux rois et au barrières des communes des campagnes, c'était Louis-Napoléon et qu'elles demandaient ou saluaient. Le Prince avait fort bon air, gracieux et d’un accès simplement bienveillant. Notre ciel brillant, notre beau fleuve, notre rocher, nos créneaux et nos quais couverts de monde, tout cela ferait une grande fête. "
Evidemment, il n'y a point eu de discours à Marseille ; seulement la réponse du président à l'Evêque. Il aurait tort de faire un autre discours ; il ne paraît pas si bien qu'à Lyon. D'ici au fait de l'Empire, il n’y a plus de place pour des paroles.
Le Roi Léopold doit être bien embarrassé. Un ministère ainsi renversé de l’épaisseur d’un cheveu est difficile à remplacer. Le Cabinet nouveau sera évidemment obligé de dissoudre et de faire des élections. Peut-être lui donneront elle, une meilleure majorité. En tout cas ceux qui tombent ne sont pas regrettables. Ils ont rendu service en Février 1848.
Le lac français est une de ces hâbleries dont les Français se repaissent, et qui sont à la fois ridicules et compromettantes. L'Empereur Napoléon a mis celle-là en circulation, et elle pèse sur vous depuis. Je l’ai ouvertement attaqué un jour à la Chambre des Députés et on a beaucoup murmuré, à peu près autant que lorsque j'ai maintenu le mot sujets dans une Monarchie.
Les Américains ont beaucoup de ces hâbleries là, et les Anglais eux-mêmes, en ont eu ; j'en trouve pas mal du temps de Cromwell. Il faut un bon sens et un bon goût très développés pour que les peuples y renoncent.
Voici le plan qu’on m'envoie de Paris quant à l'Empire. Le Président abrège son voyage de trois jours. Il sera à Paris, le 18. La Sénat ne sera pas convoqué officiellement, mais il sera là. Il se réunira spontanément et portera au Président. Le sénatus consulte déjà rédigé par M. le Premier président. Trop long. Aussitôt après le Sénatus consulte, on fera l’appel au peuple pour battre le fer pendant qu’il est chaud.
Mardi soir, chez vous, M. Fould promettait 10 millions de vous. Est-ce bien cela ?

Onze heures
Je n’ai rien à vous dire qu'adieu. Je vois que vous croyez toujours que le Président ne reviendra que le 16. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Samedi 25 sept. 1852

L'article du Moniteur est certainement ce qu’il y a eu jusqu'ici de plus positif. C'est une vraie déclaration d'Empire. Le Président fait jusqu'au bout ce qu’il a dit ; pour ceci, il ne veut venir qu’à la suite et obéir, sinon à la force, du moins à la volonté publique. Tout le monde le poussera, depuis le peuple jusqu'au Moniteur. Alors il acceptera. Je ne sais pas si le jeu était indispensable ; mais il est bien joué, et il le sera jusqu'au bout. Je ne crois pas que le bout soit bien loin.
Autre grande personne qui ne veut pas prendre d'initiative ; la Reine Victoria pour les obsèques du Duc de Wellington. Je ne comprends guère cette hésitation. Pourquoi ne pas faire soi-même, et tout de suite, tout ce qui se peut faire pour honorer un grand serviteur de la couronne ? Il me paraît que j’avais raison de croire que Lord Hardinge serait commandant en chef. Je le vois dans mes journaux. Est-ce sûr ?
Si Chomel voit aller voir la Duchesse d'Orléans, je suis bien aise qu’il ne vous quitte que lorsque vous commencez à être mieux. La Duchesse d'Orléans ferait bien, je crois, de ne retourner à Eisenach que lorsqu'elle sera tout-à-fait rétablie ; elle est là bien seule et bien loin.
J’ai reçu hier des nouvelles de Mad. de Staël qui me dit que les Broglie la quittent tous dans les premiers jours d'octobre pour revenir à Broglie. Mad. d’Haussonville est allée rejoindre son mari à Gurcy. Il y est fort tranquille, et ne songe plus qu’à chasser.
J’ai peine à croire que le Roi Léopold joue dans la question commerciale avec la France. Ses ministres actuels ne se refusent à ce que la France demande que parce qu'ils n'osent pas ; ils craignent les Chambres et l'opinion Belges. Les ministres que Léopold aurait, s'il renvoyait ceux-ci, oseraient encore moins ; ils auraient tout le cri libéral contre eux. Je n’entrevois pas comment on sortira de cette impasse. Ni à Paris, ni à Bruxelles on n'osera céder. Voilà votre petite lettre. Il ne dépend ni de vous, ni de moi de faire des nouvelles, et la correspondance ne vaut pas la conversation. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 24 sept 1852

J’aurais voulu être là quand Montalembert s’est trouvé entre Fould, et Hackeren ; j’aurais tâché de le faire rester, un quart d’heure du moins, et nous nous serions amusés. Soignez-le un peu. Je me reproche, dans le passé, de n'avoir pas tenu assez de compte de lui, même comme adversaire. Par ses bon côtés, comme par ses faiblesses, il est de ceux sur qui on peut toujours agir. Du reste je suppose qu’il ne fait, en ce moment, que traverser Paris.
Avez-vous lu, dans les Débats d’hier, l'article de John Lemoinne sur le Duc de Wellington ? Il n’y a pas le good sens, mais il y a l’intelligence du good sense et de la grande folie. Tout comprendre sans bien juger, c’est une qualité française ; John Lemoine la possède à un degré peu commun et il écrit avec un certain éclat familier qui plaît au moment où on lit. Je ne crois pas du tout que les Princes aient acheté le Times. Ce serait beaucoup trop cher pour leur bourse et pour leur goût.
Dit-on qui ira dans l’Inde à la place de Lord Dalhousie ? Je vois dans les journaux anglais qu’il reviendra au terme de son temps, malgré son envie de doubler le relai. J’avais toujours cru que Lord Palmerston finirait par là, pour arranger ses affaires ; mais Lady Palmerston n'ira pas dans la patrie du choléra. Et lord Derby, sera-t-il chancelier de l’université d'Oxford ? Ce serait très convenable. Qu'y a-t-il de vrai dans l’entrevue de Bulwer avec le cardinal Antonelli et dans sa demande de la communication des pièces du procès Murray ?
En fait d'impertinences, il ne faut faire que celles qui sont de bon goût, et qui réussissent. Rome a fait d'énormes fautes, depuis quelque temps, dans ses rapports avec l’Angleterre ; il ne faudrait pas que l’Angleterre en fit beaucoup de son côté pour lui rendre ses avantages. Un italien n’a que son esprit pour se défendre contre un Anglais ; mais il en a toujours assez pour cela, même quand l’Anglais en a.

Onze heures
Vous voyez que j’avais remarqué Bulwer et Antonelli. Je suis bien aise que vous ayez vu le duc de Noailles. Vous aurez causé avec lui comme nous avons causé dans notre dernière promenade au bois de Boulogne. Adieu, adieu. Moins vous me parlerez de votre santé, plus je croirai que cela va bien. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Vendredi 10 sept. 1852

Le dire de Fould est curieux. Certainement il est bon qu’il ait crédit et qu’il reste à Paris. Il conseillera et se conduira mieux que tout autre. Il a l’esprit juste, fin, point d'humeur, et point d'impatience. Le président aura raison de le croire et de le garder.
J’ai des nouvelles du Conseil général du Puy de Dôme. On m’écrit que Morny s’y est conduit habilement et avec beaucoup de mesure. L'adresse a été combattue, surtout à cause des décrets du 22 Janvier, et par les gens qui ont dit que, puisque ces décrets avaient fait quitter à Morny le ministère, ce pouvait bien être, pour eux, une raison suffisante de ne pas voter une adresse. Morny a soutenu l'adresse sans se brouiller avec les opposants.
Vous ne lisez jamais les affaires d’Amérique, elles m'amusent depuis quelques jours ; l’ambition brutale, insatiable, insolemment unprincipled, des Etats-Unis qui veulent absolument Cuba pour son sucre et les îles, Lobos pour leur fumier et les remontrances inquiètes, instantes, aigre douces, de l’Angleterre qui ne voudrait, ni leur laisser prendre tout cela, ni s'y opposer. Il pourrait y avoir là un gros avenir. Mais dans l'état où est aujourd’hui l'Europe, les Etats lui feront ce qu’ils voudront.
Je vois que le legs de M. Neild à la Reine d'Angleterre est de 300 000 liv. str. au lieu d’un million. C'est encore quelque chose.
Je ne croyais pas que Mad. Kalerdgis tînt tant de place dans le cœur de Molé. Je me méfie un peu des dires en ce genre, et en tout genre de Mad. de la Redorte ; elle a de l’esprit, mais ni bon jugement, ni bonne foi. Elle parle selon son humeur, ou pour satisfaire sa fantaisie du moment, sans se soucier le moins du monde de la vérité de ce qu’elle dit. Si elle dit vrai, Molé est bien en faute et Mad. Kalergis doit rire.

Onze heures
Je partirai d’ici lundi soir ; je serai à Paris mardi matin, et j'en repartirai vendredi soir. J’ai besoin d'être ici samedi. Soyez tranquille ; mieux je vous trouverai, plus j'aurai de plaisir à vous voir. Si vous étiez rose au lieu de jaune, ce serait parfait. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer. Lundi 6 sept 1852

Vous me demandez des lectures. Vous intéressez-vous d’autant plus à un temps que vous vous en êtes plus, et plus récemment occupé ? Si c’est là votre disposition, quand vous aurez fini l’histoire de la Restauration de Lamartine, prenez l’histoire des deux restaurations de M. Vaulabelle, un moment ministre de l’instruction publique sous le gouvernement provisoire, après Carnot, je crois. Six volumes non terminés ; cela va jusqu'en 1827 et à la chute de M. de Villèle. C'est l’histoire révolutionnaire de la Restauration ; parfaitement révolutionnaire ; tout est bon pour défendre ou répandre la révolution ; tout est légitime contre la légitimité ; l’auteur accepte et accepterait tout y compris la ruine de la France, plutôt que de transiger une minute avec les adversaires quelconque de la Révolution. Cela dit, c’est un livre curieux, sérieux, fait avec soin, avec un certain talent lourd, mais passionné, avec conscience quant à la vérité des faits et même avec une certaine intention d'impartialité quant aux personnes. C’est un mauvais livre qui mérite d'être lu.
Il y a quatre ouvrages à lire sur l’histoire de la Restauration ; Lamartine et Vaulabell, plus Lubis, celui- ci est la droite Villèle et gazette de France ; plus Capefigue, recueil d'anecdotes, de documents, écrit avec une fatuité pédante et intelligente. Tous livres faux, et dont aucun ne restera parce que, ni pour le fond, ni pour la forme, aucun n'est l’histoire ; Lamartine seul offre çà et là pour la forme, des traces d’un esprit et d’un talent supérieurs ; mais tous amusants aujourd’hui et nécessaires à consulter plus tard, pour qui voudra connaître notre temps. Si vous aimez mieux quelque chose encore plus près de nous, lisez l’Europe depuis l'avènement du Roi Louis-Philippe, jusqu’en 1842, par Capefigue, dix volumes. C'est bien long et bien médiocre, mais animé, plein de détails sur les faits, sur les personnes, et plutôt vrai que faux, un long bavardage écrit par un coureur de conversations et de nouvelles qui ne vit pas habituellement dans le salon, mais qui y entre quelque fois.
Si vous voulez les romans, demandez les trois ou quatre nouvelles de Mad. d'Arbouville, la femme, laide et morte, du Général d’Arbouville. Vous l’avez rencontrée, je crois, chez Mad. de Boigne. Vraiment une femme d’esprit, dans le genre roman, du cœur elle-même, et l’intelligence du cœur des autres. Je crois qu’il y en a quatre, Marie, Le médecin de village, je ne me rappelle pas le nom des deux autres. Ils ne portent pas le nom de l'auteur, mais tout le monde sait de qui ils sont. Voilà ma bibliographie à votre usage.
Je m'attendais à votre réponse sur Lady Palmerston. Il y a beaucoup de sa faute, un peu de la vôtre. Elle a mérité que vous vous détachiez (je ne veux pas dire détachassiez) d'elle ; mais vous vous détachez aisément quand vous n'aimez plus beaucoup. Vous ne tenez pas assez de compte du passé, même du vôtre.
Deux romans qui me reviennent en tête vraiment spirituels et intéressants, Ellen Middleton et Grantley manor, de Lady Georgia Fullarton. Moi qui n’en lis point, j’ai lu Grantley Manor qui m'a plu, et surtout attaché. C’est un peu tendu.
Comme je ne lis jamais les journaux Allemands, je ne savais pas qu’ils fussent violents contre le Président. Mais je vois que faute de répression à Berlin, Tallenay vient d'adresser à ce sujet une note à la diète de Francfort. C'est faire une bien grosse affaire. Je ne doute pas que la diète me réponde, très convenablement ; mais après ? Gouvernements, ou amants les plaintes inefficaces ont mauvaise grâce.
On annonce l’arrivée à Paris du Marquis de Villamarina, comme ministre de Sardaigne en remplacement de M. de Collegno. S'il vient, vous ferez bien de l’attirer chez-vous. C’était autre fois un homme d’esprit. Il y a longtemps à la vérité.
Pauvre Anisson qui est venu mourir subitement à Dieppe. C’était un bon et honnête homme, aussi honnête que laid. Ce sera un chagrin pour Barante.
Quel volume ! Presque comme si nous causions. C'est bien différent pourtant. Adieu. en attendant la poste, je vais faire ma toilette.

11 heures
Je n'ai plus de place que pour adieu. Adieu. G. On m'écrit que le Sénat sera convoqué pour le 20 novembre.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer. Vendredi 3 Sept. 1852

Le temps est magnifique ; un air vif et un soleil chaud. Je viens de passer une heure me promenant à petits pas dans mon jardin. Il ne me manquait qu’une bonne conversation.
La police a raison de protéger efficace ment le général Haynau, et je suis bien aise qu’il soit plus en sûreté à Paris qu'ailleurs. Je trouve dans les Feuilles d'Havas le récit d’une conversation de lui où il a expliqué la femme fouettée, et les exécutions. Cela a l’air vrai, et quoique la dureté reste, au moins la férocité n’y est plus.
Je trouve les Conseils généraux à la fois très unanimes et très tièdes sur l'Empire. Point d'impulsion naturelle et vive une leçon apprise, ou bien un acquis de conscience. Je ne m'embarquerais pas sur cette planche-là pour une navigation semblable.
Ce qui me paraît le plus significatif, en faveur d’une intention arrêtée, c’est le vote du conseil général du Puy de Dôme présidé par Morny ; vote très explicite et très positif.
Chagrin à part, la mort de Lady [Palmerston] eut été, pour son mari une grande perte politique ; il lui doit l’agrément de sa maison, et l’agrément de sa maison est pour plus de moitié dans sa popularité. Vous reste-t-il encore assez de votre ancienne amitié pour que cela vous eût été aussi un vrai chagrin ?
Les petits jeux, les loteries, et les bijoux de St Cloud ont passé dans la presse ; plusieurs journaux en ont parlé, avec quelque détail. Cela ne réussit pas en province. On dit que c’est de la prodigalité, et on y suppose de mauvais motifs. Ce pays-ci est le plus singulier mélange de sévérité et de condescendance, de pénétration et de badauderie.
Qui aura la jarretière vacante ! Je ne puis croire que Lord Derby la donne à Lord Londonderry. Je voterais pour le duc de Northumberland ; mais il est déjà ministre par conséquent tout acquis. On la donnera peut-être à Londonderry parce qu'il ne l’est pas.
Dans votre disette actuelle, je regrette que vous ne connaissiez pas le Ministre des Etats Unis, M. Rives, qui doit retourner ces jours-ci à Paris. Il est un gentleman, il a de l’esprit et il aime la conversation. Il est vrai que vous n'avez pas grand goût pour les diplomates républicains, et lointains. Vous aviez pourtant Bush, et celui-ci vaut beaucoup mieux que Bush. Point démocrate.

Onze heures
Je n’ai rien à ajouter à l'amusement que M. Molé, Mad Kalerdgi, et Lord Granville vous ont donné hier, ou vous donneront aujourd’hui. Je suis bien aise que Chomel soit content de votre docilité. Si vous avez patience, j'espère bien qu’il guérira votre foie. Adieu, Adieu. G

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 1er Sept. 1852

Ce que vous me dites de Hübner ne m'étonne pas ; il a de l’esprit, mais son esprit est placé trop bas pour se répandre aisément ; il n’y a que les esprits hauts qui soient communicatifs et libres.
Vous avez en effet bien peu de ressources à Paris en ce moment ; mais vous en auriez encore moins ailleurs. La campagne est bonne à ceux qui ne craignent pas la solitude.
A mon avis, vous avez tort de ne vouloir absolument. d’aucun château ; vous n’y seriez pas, il est vrai, aussi parfaitement, sans gêne que chez vous ; mais vous y auriez un peu de bonne conversation et beaucoup de bon air. Il faut bien choisir entre ses goûts et sacrifier quelque chose des uns à la satisfaction des autres. Je vous fais de la très bonne morale, sans compter sur son succès.
Pour moi, je ne parie plus ni pour contre l'Empire ; il viendra, ou ne viendra pas, comme on voudra ; je n’y pense même plus. Je puis oublier beaucoup le présent.
La guerre devient bien vive, entre le Times et le Moniteur. Je ne crois pas que cela serve le Président en Angleterre où tout le monde lit le Times et personne le Moniteur. Et en France, où personne ne lit le Times, et tout le monde à présent le Monteur, cela n’a d'autre effet que d’apprendre au public, que le Times attaque violemment le Président. Ce sont des polémiques où l’on s’engage pour la satisfaction de son humeur, non pour le service de son intérêt. Je les comprends de l'Empereur Napoléon, il faisait la guerre à l'Angleterre ; il la lui faisait dans le Moniteur comme partout ; ses articles étaient soutenus par ses canons, et expliquaient ses canons. Mais le Président, est et veut, être en paix avec l’Angleterre ; le Moniteur ainsi employé lui rend la paix plus aigre voilà, tout. C’est un mauvais calcul un anachronisme.
Je suppose que vous ne lisez pas le Bernardin de St Pierre de M. Ste Beuve. aussi soigneusement que ses Regrets. Quatre Bernardin de St Pierre à la fois, celui qui a eu le prix à l'Académie, celui de M. Villemain dans son Rapport, celui de M. de Salvandy dans les Débats, et celui de M. Ste Beuve dans le Constitutionnel, c’est beaucoup.
Vous êtes vous fait lire le Rapport de M. Villemain ? Aggy lit-elle bien tout haut ?

Onze heures
Je reçois quatre lignes de Piscatory qui me dit qu’il est malade, et qu’on le croit dangereusement malade, d’une esquinancie. Lui, il se croit mieux ; mais il finit en me disant. " Je pourrai me vanter d'avoir été pendu. " J’en suis très fâché, car j’ai vraiment de l’amitié pour lui. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 19 Août 1852

Olliffe m’a amené hier M. Rivaz ministre des Etats-Unis, et M. Sheridan, M. frère de Lady Dufferin. M. River est un Américain Européen, spirituel, poli, Whig, c’est-à-dire conservateur dans son pays. Il s'attend à être révoqué de son poste après l'élection du nouveau Président qui appartiendra très probablement au parti démocratique. Il est fort occupé de la querelle entre les Etats-Unis et l'Angleterre sur leurs pêcheries, mais convaincu qu’elle s’arrangera. Lord Malmesbury et M. Webster, ont chacun de son côté cherché là un peu de popularité ; mais le bon sens public les arrêtera, et les a déjà arrêtés.
De nouvelles instructions viennent de partir de Londres. On ne croit pas que l'envoi de M. Baring à Washington soit nécessaire. M. Sheridan a la belle figure de toute sa famille, et pas l’esprit de ses deux soeurs.
J’espère que votre coquetterie de prendre un parapluie, pour une canne ne durera pas longtemps ; un parapluie est plus lourd qu'une canne et vous fatigue probablement autant qu’il vous soutient.
Le Président fait les choses, magnifiquement. Son bal des halles retardé doit lui coûter cher. Je présume du reste que ce n’est pas sa liste civile qui paye cela. Le corps législatif ne regardera pas de si près au budget du ministre de l’Intérieur.
Avez-vous remarqué avec quelle largesse, les journalistes et les imprimeurs ont été traités, en fait de croix d’honneur et d’autres récompenses ? C’est très démocratique ; mais je ne l’en blâme pas. Il use de son droit à son profit.
M. Sheridan m’a dit que les espérances de Lord Derby portaient sur deux points, la brigade Irlandaise et l’adjonction au Cabinet de Gladstone, et de Sidney Herbert. Il parait qu'à l’ouverture du Parlement, l’une des premières mesures proposées aura pour but de se concilier les Irlandais. Des avances aux Free traders, et aux catholiques. Voilà le cabinet Tory. Il n’y a plus de partis.

11 heures
Je ne puis que répéter. Pauvre Tolstoy ! Dites-lui, je vous prie, que je suis profondément touché de son chagrin, et que je le suis tout entier.
Je suis fort aise que vous ayez enfin un maître d'hôtel s’il n’est pas très bon, vous le formerez ou vous en changerez. Je suis de votre avis sur le dire de Molé ! Pourquoi le Président n’est il pas allé au bal des dames de la halle ? Je ne sais s’il fallait donner ce bal-là, mais le donnant, il fallait y aller. On ne peut pas à la fois rechercher la popularité et avoir l’air de n'en pas faire cas. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 18 Août 1852

Je reconnais bien M. de Varenne dans l’idée de faire chanter un Te deum en l'honneur de Napoléon dans l'Eglise catholique publique de Berlin. Il manque tout à fait d’esprit et de tact. Berlin est probablement de toutes les capitales de l'Europe celle où un pareil service devait le moins réussir. Dans la Chapelle de la Légation et entre français à la bonne heure, si le Président avait de grandes affaires, il verrait combien de tels agents sont impraticables.
Je remarque, assez de conseils d’arrondissement qui poussent à l'Empire. Nous verrons ce que feront les conseils généraux. A peu près partout, ils sont tels que l'administration, les a voulus, et elle en aura ce qu’elle voudra. C'est commode, mais pas toujours utile.
Les informations de Lord Aberdeen s'accordent avec celles de mes visiteurs anglais. Pour le moment, je crois plutôt à la durée de Derby, plus ou moins modifié, qu'à l'avènement de Lansdowne. Celui-ci serait obligé de dissoudre presque aussitôt. C’est trop d’émotion et trop de dépense. Lord Cowley redoute-t-il toujours Lord Malmesbury ?

Onze heures
Vous avez donc encore Stockhausen ? Je le croyais parti. Aggy n'aura pas la même popularité mondaine que Marion, mais je suis bien aise qu'elle aille un peu dans le monde, et qu’on l'y traite bien. Cela convient à votre salon.
Ce dont je suis bien plus aise, c’est de vos nouvelles de votre fils Paul. Non seulement cela lui montre ce que vous êtes et ce que vous pouvez pour lui, mais j’espère que si on lui ouvre une belle porte, il rentrera avec plaisir dans sa carrière. Je ne puis souffrir de voir un homme distingué perdre sa vie comme un good for nothing. Adieu. Adieu.
Nous avons eu hier ici un immense orage. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 16 Août 1852

Si vous avez eu hier soir le même temps que nous, les illuminations auront brillé librement et la fête aura été belle ; le ciel ici était sombre, mais sans pluie, et pas beaucoup de vent. Ce matin, à 5 heures et demie, un temps superbe, pas un nuage ; le brouillard est venu et couvre ma vallée.
L’Electeur de Hesse aurait tort de ne pas faire sa visite. Je comprends qu’on ne vienne pas, c'est une politique ; mais venir et ne pas donner signe de vie au chef du pays, c’est une impolitesse impertinente qui ne convient jamais à de grands seigneurs. Vous me direz ce qui sera arrivé, n'est-ce pas ? J'en suis curieux.
Les journaux de Bruxelles mettent quelque affectation à dire que la Reine Victoria est restée enfermée dans son appartement, à Lacken, depuis le matin jusqu'à 4 heures. Donc temps donné à la conversation avec le Roi Léopold et aux affaires. Je ne doute pas que le voyage, n'ait un but d’amitié et de protection affichée.
Dit-on quelque chose, du pamphlet de M. Victor Hugo ? A en juger par les extraits que je lis dans les journaux, c’est aussi fou et aussi ridicule que celui de Proudhon, avec la fureur contre le président de plus. Voilà deux socialistes qui le proclament, l’un le plus utile ami, l’autre le plus odieux ennemi de la révolution. L’un est proscrit, l'autre bien traité. C’est naturel.
M. Thiers, M. de Rémusat, et les autres sont-ils déjà revenus à Paris, ou bien annonce-t-on leur prochain retour ?
Lord Londonderry est assommant avec sa correspondance. Le Président doit en être bien ennuyé. Il ne peut pas relâcher Abdelkader ; l'Algérie serait bientôt sans dessus dessous, tout le monde le craindrait du moins. Je comprends que le Duc d’Aumale fût embarrassé de le voir retenu par le gouvernement de son père. Mais le Président n’a rien promis à Abdelkader. Pourquoi s’est-il laissé aller à promettre quelque chose à Lord Londonderry, ou à peu près. Il devrait le connaître.
Soyez assez bonne, je vous prie, pour parler un moment de moi à la Princesse Schönberg et lui exprimer tout mon regret de ne pas la voir. J’aurais été charmé de causer avec elle ; elle était, et je suis sûr qu’elle est toujours charmante. Quand on l'a été vraiment, on ne change pas. Adieu.
Vous ne me dites pas si vous avez trouvé un maître d'hôtel. Je ne sais pourquoi les embarras de ce genre, vous troublent tant ; vous vous en tirez toujours bien. Le fou en veut aux papiers et aux bijoux présidentiels. Le ministère de l’intérieur et l’Elysée, c’est trop. 10 heures Pas de lettre. Ou vous n'aurez pas eu le temps de m’écrire, ou votre lettre aura été mise trop tard à la poste qui est partie plutôt. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Au château de Lion sur Mer Jeudi 12 Août 1852

Uniquement pour que vous ne soyez pas deux jours de suite sans lettre.
Je suis arrivé hier ici à 2 heures. Mariage civil à 4. Dîner de 30 personnes. Musique et Whist. Aujourd’hui, nous partons pour Caen à 10 heures ; mariage à l’Eglise. Retour ici. Dîner de 50 personnes. Bal. Je repartirai demain après déjeuner pour le Val Richer.
Vraie corvée de bon voisin et de protestant pour tout dédommagement la vue d’un joli château du 16e siècle de beaux arbres et de la mer. La mariée jolie bon air et froide. Le marié pas joli et froid. Toutes les convenances parfaites. Adieu.

Il pleut à torrents. Vous n'aurez pas eu ce temps là lundi pour votre retour à Paris. Vous y voilà rétablie. Dieu veuille que rétablie soit le vrai mot ? Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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53 Val-Richer, Mardi 3 Août 1852

Je ne trouve pas que le Constitutionnel soit aussi aimable pour M. Fould que je m’y attendais à travers les félicitations et les compliments, on sent percer un peu de froideur, et quelques réserves. Est-ce que Fould serait rentré dans les affaires sans concert avec Morny et contre son gré ?
Autre remarque. La rentrée de Fould coïncide avec l’épuration du Conseil d'Etat en raison des votes dans le procès des biens d'Orléans trois des Conseillers d'Etat qui ont voté contre les décrets du 22 Janvier sont, l'un révoqué, l'autre mis à la retraite, le troisième placé autrement, et plus mal. Cela cadre peu avec l'avènement au pouvoir d’un opposant aux décrets. Il est vrai que M. Persil ancien garde des sceaux du Roi Louis-Philippe, est nommé Conseiller d'Etat en remplacement de M. Cornudet, révoqué. Est-ce que cela serait donné aux Orléanistes, à titre de dédommagement ? M. Persil est un homme capable, qui aurait mieux fait de rentrer aux affaires un autre jour et par une autre porte, puisqu’il y voulait rentrer.
Le Moniteur s’est empressé de démentir indirectement le bruit répandu que l’entrée à l’Ecole normale avait été interdite aux élevés protestants, à cause de leur religion. Il a bien fait. La liberté des cultes est un des droits auxquels, ce pays-ci tient le plus et que l'Empereur Napoléon, a le plus soigneusement respecté. Il paraît bien que M. Fortoul ministre de l’instruction publique avait fait ou dit quelque chose dans le sens dont on parlait. Il se sera ravisé. C’est un homme d’esprit, un peu léger.
Donnez-vous bien du mal pour être un grand homme ; votre statue, en bronze sera vendue aux enchères, au bout de deux siècles, à la porte de votre propre pays, pour 7.270 francs pas un quart de la valeur du bronze. C'est ce qui vient d’arriver à ce pauvre Gustave Adolphe dans l'île d'Héligoland. La statue avait fait naufrage l’un dernier, en venant de Rome à Gothenburg, et la municipalité de Gothenburg, qui l’avait commandé n'a pas voulu la racheter des mains des pauvres marins d'Héligoland qui l’avaient repêchée. Il est vrai que Gustave Adolphe n'en reste pas moins Gustave Adolphe. Sa statue a pu se noyer, mais non pas son nom. Du sein de leur séjour inconnu, les grands hommes doivent à la fois jouir de la longue trace qu’ils ont laissé ici bas, et prendre en pitié les accidents d’ingratitude et d’oubli qui leur arrivent. Je me figure que l'impression causée par le spectacle de ce monde, quand on est est hors, et complètement détaché, doit être celle d’un dédain bienveillant, et doux.
Adieu, en attendant votre lettre. Je vous quitte pour faire ma toilette. Je voudrais bien apprendre qu'avant hier Dimanche, vous avez posé le pied par terre sans trop de douleur.
// si vous écrivez à M. Fould, ce qui me paraît probable, seriez-vous assez bonne pour lui dire que du fond de ma retraite, je suis charmé de le voir rentrer sur la scène ? Il s'y conduira certainement en homme d’esprit, et de sens et tout le monde aura à y gagner. //
11 heures
Merci de votre petite page. C'est bien long ce que dit Velpeau. Je regrette de n'avoir pas été là quand il est venu. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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49 Val-Richer Vendredi 23 Juillet 1852

M. de Persigny a de l’esprit et de la foi, ce qui est bien plus efficace que de l’esprit. Son discours aux articles a dû agir sur eux ; la foi est communicative. Mais les commentaires ne valent pas le texte, en voici un que je trouve dans les feuilles d'havas : " L’art a désormais de beaux horizons ; dans son libre développement, il côtoiera les merveilles de la civilisation moderne sans descendre des sommités où il plane, car le prodigieux avènement du Prince Louis Napoléon a ranimé cette fibre poétique qui sommeillait chez le peuple depuis l'Empire, et qui s'accommode, si bien des inspirations de l'art. Les artistes auront désormais un protecteur plus puissant que tous les rois de la terre le peuple lui-même ressaisissant, avec sa dignité ses allures chevaleresques et artistiques. " Nous n'avons plus maintenant qu'à attendre des Michel Ange et des Raphaël démocratiques.
Je viens de me lever. Le temps, est magnifique ; le soleil, qui se lève, en même temps que moi, chasse devant lui les vapeurs de ma vallée. Je suis vraiment bien fâché de ne pas aller vous voir aujourd’hui. J’aurais aimé à arriver à Dieppe, par ce beau temps. J'espère qu’il fera aussi beau mardi.
Si le Président revient aujourd’hui à Paris, il sera mieux traité du ciel qu’il ne l'a été à Strasbourg au moment du défilé villageois. Je prends toujours en compassion les fêtes populaires dérangées par la pluie.
Il me paraît que tous les Princes Allemands se sont conduits courtoisement dans cette occasion, Prusse, Wurtemberg, Bade, Hesse, et je ne sais combien d’autres. Je serai curieux de la relation que vous donnera Fould, car j'ai enfin trouvé son nom dans les Débats.
Que faites-vous du duc de Richelieu ? Je soupçonne qu’il est de ceux qu’on rencontre volontiers une demi heure une fois par semaine, mais dont la société quotidienne et prolongée n’a pas grand intérêt. Il ne me paraît pas qu’on s'amuse beaucoup à Trouville ; le chancelier a souffert de la chaleur. On attend beaucoup de monde, dans le mois d'Août.
Vous ne me dites rien d’Aggy. Comment se trouve-t-elle et comment vous en trouvez-vous ? Comme conversation elle ne vaut pas Marion. Je présume qu'Ellice ne lui écrit pas autant qu'à sa sœur. Savez- vous ce qu’il dit de leurs élections ?
11 heures
Pas de lettre et rien de plus à vous dire. Adieu donc. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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43 Val Richer, Samedi 17 Juillet 1852

Dites-moi votre adresse Dieppe ; encore faut-il que je sache où aller vous chercher, quoique je sois sûr que je vous trouverais partout où vous seriez. Je compte aller vous voir la semaine prochaine. Je ne puis vous dire aujourd’hui précisément quel jour. J’irai par Trouville. Le Havre et Rouen.
J’ai envie qu’il fasse encore beau ce jour-là. Il pleut aujourd’hui à la grande satisfaction du tout le monde et même à la mienne pour la première fois hier, j’ai souffert du chaud. J’avais si mal dormi, dans la nuit que je me suis levé à 4 heures du matin. J’ai très bien dormi cette nuit.
Je passerai deux jours avec vous. J’attends la semaine suivante, M. Hallam, et Sir John Boileau. J’aurai du plaisir à les revoir. Ils me donneront les détails sur l’Angleterre. L'échec électoral qui Peelistes est frappant, si notre ami Aberdeen était à élire, il n'aurait peut-être pas été réélu.
Le succès du Cabinet en Irlande prouve à quel point les élections sont surtout protestantes. Cette chambre des communes sera partagée par moitié. Donc bien difficile à gouverner et bien mauvais instrument du gouvernement. mais je persiste à croire, pas de danger.
Le Président se trompe, s’il se méfie du Prince de Ligne. Le Prince de Ligne sera comme voudra son Roi. Et d'ailleurs si, aise d'être à Paris, lui et sa femme, qu’ils feront ce qu’il faudra pour y rester, et pour y être bien venus.
Vous avez toujours trouvé à Fould les mérites que vous lui trouvé aujourd’hui, et qu’il a en effet. Preuve de votre pénétration et de votre tact. Je désire qu’il reste en faveur ; il ne donnera que de bons conseils.
Mes journaux d'aujourd’hui me diront s'il va à Strasbourg. Si vous avez la Revue des deux mondes, (1er et 15 Juillet) lisez deux articles de M. de Rémusat sur Horace Walpole, et Angleterre du 18 siècle. Vous le trouverez bien parlementaire, mais spirituel, et intéressant.
Voilà donc Mad. Seebach établie à Paris Elle y sera une lionne de toilette l'hiver prochain. La Russie sera-t-elle aussi brillante que l'hiver dernier ?
On m’a raconté bien des choses de Mad. Kalergi. Il me paraît que le séjour de Mlle Rachel à Berlin a été très orageux. Vous voyez que je lis les nouvelles frivoles, faute d'autres.

11 heures Enfin vous avez Aggy. J’en suis bien content. Vous vous soignerez l’une l’autre. Adieu, Adieu. Je suis à ma toilette. Votre adresse. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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41 Val Richer, Jeudi 15 Juillet 1852

Je n'ai point eu de lettre de vous hier, et je ne vous ai pas écrit. Point par représailles, mais je n'avais vraiment rien à vous dire. J’espère que ce matin, je vous saurai arrivée à Dieppe. Pourvu que les lettres à Dieppe ne soient pas obligées de passer par Paris pour venir ici. J'en ai peur. Avez vous idée du temps que vous passerez là ? Je serais bien fâché si le monde finissait aujourd’hui, comme on dit que le dit M. Arage ; j’ai envie que nous nous revoyons encore dans celui-ci avant de nous rejoindre vous l'autre.
Vous me parlez beaucoup des tendresses de l'Impératrice, et c'est à merveille ; mais vous ne me dites rien des résultats. Est-ce qu'elle ne vous a rien promis pour les passeports de vos fils ? Elle n’a peut être pas osé. Pardonnez-moi ; j'oublie toujours le pouvoir absolu.
J’attends avec quelque curiosité le remplacement des ministres belges. Je me méfie beaucoup du bon sens et du savoir faire du parti catholique. Je lui connais quelques hommes très distingués ; mais ils sont eux-mêmes sous le jeu de prétentions ecclésiastiques impraticables. Le Roi Léopold est patient, et habile. Il trouvera des moyens termes, et il gagnera du temps. Quand donc ferez-vous tout-à-fait votre paix avec lui ?
Les journaux annoncent positivement et à jours fixe l’arrivée du comte de Chambord, à Wiesbaden. J’ai peine à y croire. En avez-vous entendu parler ? Parle-t-on aussi du voyage de Changarnier à Vienne.

11 heures
Pas de lettre. Dieppe passe sans doute par Paris. À demain donc. J’ai envie de vous savoir arrivée, sans trop de malaise par cette chaleur. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Vendredi 31 Oct. 1851

Ce que vous me dites de Claremont me fait grand plaisir. Le Duc de Montmorency serait en effet très bien ; un pas de plus qu'il n'a été fait de l'autre côté à la mort du Roi, et en même temps grande convenance de la personne. Je ne doute pas qu'il n'accepte si le hint lui a vraiment été donné, comme l'indique le simple fait de s'être adressé à lui.
La conversation de Dupin est l'écho de ce que j'entends beaucoup dire. J'ai dîné hier à Lisieux, avec 30 personnes, fort mêlées, assez de Régentistes. Ceux-ci aussi tristes, plus tristes peut-être que les autres, également atteints d’un sentiment d'impuissance, mais ne renonçant à rien pour cela, et disant toujours que leurs adversaires devraient bien renoncer. Depuis bien longtemps le mot childish erre sans cesse sur mes lèvres ; je n'ai jamais eu plus de peine à m'empêcher de le prononcer, tout haut. On a tort de maltraiter indistinctement les nouveaux ministres. Indépendamment de M. Corbin et Giraud qui sont bons, il y a là un ministre de l’intérieur de qui l’un de mes amis, qui le connaît très bien m'écrit : " Thorigny est bien supérieur à Faucher sous tous les rapports, et il a toutes nos opinions. C'est le ministre que nous aurions choisi nous- mêmes pour diriger les prochaines élections. Pourquoi, comment est-il entré dans ce cabinet ? Tout le monde l'ignore ; il ne le sait peut-être pas bien lui-même."
C'est là évidemment un homme à ménager. Je me rappelle que comme magistrat, il s'est montré capable et résolu. J’ai été encore plus frappé que d'autres de l'attaque du Constitutionnel contre Persigny. Voici pourquoi. Morny a gagné pleinement son procès contre le Dr Véron. C'est à lui Morny, qu'appartient maintenant la direction politique du Constitutionnel. Il n’a pas voulu la prendre ostensiblement, ni la changer promptement ; il lui a convenu qu’elle restât encore dans les mêmes mains et les mêmes voies, mais il est en mesure de la modifier et de s’en servir comme il voudra. L’attaque à Persigny a donc assez d'importance. C’est un reflet de l’intérieur de l'Elysée. Si vous ne saviez pas déjà ceci, gardez-le pour vous, je vous prie.
Je suis charmé que le discours de Falaise ait votre approbation. Je ne trouve pas la statue extrêmement belle, ni si mal que vous me l’aviez dit. Il y a de la force et du mouvement. Mélodrame sans doute, point de noblesse, ni de mesure dans la force. Le public est content. Je prends votre silence sur la lettre projetée du Duc de [Noailles]. comme une réponse, et je règle un [?] d'après cela mon langage avec ou sur certaines personnes. M. de Mérode est-il de retour à Paris, et l’avez-vous vu ?

Onze heures
Voilà la triste lettre de Marion. Je l’en remercie pourtant de tout mon cœur. Je lui écrirai demain quoique j'espère bien revoir demain votre écriture. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 29 oct. 1851

Le Ministère n'est pas effrayant. Tous ceux que je connais sont, ou du moins ont toujours été des conservateurs très décidés. En particulier, les Ministres de l’intérieur et de la justice ; gens capables et honnêtes, et très compromis contre les rouges. Je ne me figure pas qu'avec ces hommes-là il puisse y avoir à craindre ni alliance avec la Montagne, ni coup d'Etat. Je persiste plus que jamais dans ma première conjecture. Rejet complet, par l'assemblée de l'abrogation de la loi du 31 mai, et acceptation par le Président, des modifications à cette même loi que l'Assemblée fera elle-même un peu plus tard, à l'occasion de la loi municipale. Les ministres, qui sortent rentreront alors, M. Fould, M. Rouher, M. Baroche, d'autres peut-être, M. Léon Faucher restera dehors. Ce sera la dupe de cette journée, avec M. De Lamartine et Emile de Girardin. Voilà mon programme.
Je ne connais pas du tout M. de Maupas le Préfet de Police, ni le Ministre de la guerre, le général St Arnauld. On parle mal du premier. Le maréchal Bugeaud regardait le second comme un militaire hardi et capable. S'ils ont comme on dit de l'esprit tous les deux, ils comprendront bien vite la situation et ils ne pousseront pas aux mesures extrêmes. Quand elles ne sont pas dans l’air, personne ne peut les y mettre. Dans le conflit, je parie toujours pour Morny.
Puisque Mad. de la Redorte et Mad. Roger, et les dames Russes sont venues chez vous en deuil et puisque vous les en avez louées, tout est correct. Qui avez-vous loué ? Des femmes, plusieurs femmes. Et avant le mot louées, je trouve dans votre phrase le mot les qui désigne ces femmes. Donc, quand vous avez écrit le mot louées, vous saviez que vous parliez de femmes, et de plusieurs femmes ; donc il fallait le féminin et le pluriel, c’est-à-dire louées et non pas loué. Est-ce clair ?
Ce que la Redorte vous a dit, quant à la situation respective du Président et de l'Assemblée devant le public est vrai de mon département comme du [sign]. Quoiqu’un peu moins absolument, parce qu'on ne change pas aussi vite d'impression et d'avis en Normandie qu’en Languedoc

Onze heures
Ces accès de faiblesse nerveuse me désolent. Que je voudrais une bonne lettre le Pétersbourg. Elle vous ferait plus de bien que toute autre chose. L'écriture de Marion sur l'adresse m’a troublé. J’ai été heureux de trouver la vôtre en dedan.s Adieu, adieu.
Je partirai d’ici le 11 nov. et je serai à Paris le 14 au matin. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer 22 Oct 1851

Je crois que le Président dit vrai quand il dit qu'il ne veut pas changer sa politique. C’est certainement son intention. Il déteste le désordre. Mais le désordre vient, soit qu'on le veuille ou qu’on ne le veuille pas ; et quand une fois il sera engagé dans la bataille qui l’attend, sa politique changera sans lui et malgré lui. J'espère toujours que, de part et d'autre on se ravisera assez à temps pour s'arranger avant d’être au bout. Les amis du Président qui veulent aller à la fois au but et au bout se trompent ; le but n'est pas au bout. La loi du 31 mai modifiée de manière à rétablir comme électeurs un million ou quinze cent mille paysans en continuant de laisser en dehors un million ou quinze cent mille vagabonds et mauvais sujets des villes, voilà le juste milieu où est le but, si on finit par se rencontrer là, à la bonne heure. Sinon tout le monde ira à tous les diables. Je serais étonné que M. Billaut ne trouvât pas moyen d'accepter. Il est intelligent et ambitieux. Il ne trouvera pas une aussi bonne occasion de jouer un rôle, à la vérité je ne sais pas quelles conditions le Président lui fait. Je ne sais pas non plus s'il est lui-même hardi. Il pouvait l'être bien à son aise contre moi. Aujourd'hui, c’est plus hasardeux, et il faut l'être réellement.
Je suis charmé que le comte Bual quitte Londres dès que Kossuth y paraîtra si Brünnow et Bunsen, en faisaient autant, ce serait encore mieux, et leurs maîtres devraient le leur faire faire. C’est un moyen fort simple et sans danger de faire sentir à l’Angleterre le vice de la politique de Palmerston. Pas de guerre, pas même de rupture. On ne veut pas que les peuples souffrent de la faute du Foreign office de Londres ; la paix, et le commerce continuant ; mais les gouvernements du continent témoignant publiquement au Foreign office leur blâme et leur froideur. Cette conduite, unanime et soutenue finirait par faire effet. Pourquoi votre Empereur ne pense-t-il pas à cela ? C’est à Kossuth qu’il a fait la guerre. Le manque d’écarts s'adresse à lui presque autant qu’à l'Empereur d’Autriche, et on ne se fait faute de le dire tout haut.
J’attends impatiemment votre lettre d’aujourd’hui à cause de la consultation. C'est Chomel seul qui vient vous voir, n'est-ce pas ; et c'est Oliffe qui lui rend compte ?

Onze heure
L’avis de Chomel me prouve qu’il est tout à fait dans inquiétude, seulement, il vous trouve l'estomac fatigué et il veut le laisser reposer sans l'affadir. Les artichauts sont faciles à digérer et pourtant un peu excitants. Conformez-vous à son avis. C’est tout bonnement la diète. Vous vous apercevrez bientôt de l'effet. Adieu, Adieu. G.
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