Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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464. Paris, dimanche le 25 octobre 1840

Je vous écris à tout hasard ; je ne voulais plus le faire, mais votre lettre de vendredi 4 heures où vous ignoriez tout me fait croire qu’il est impossible que vous arriviez aujourd’hui peut-être passerez-vous à Beauvais demain, après l’entrée de la poste. Je n’ai cependant rien du tout à vous dire sinon que les journaux sont les échos fidèles des paroles que prodigue M. de Broglie, et selon lesquelles il est persuadé que vous n’accepterez pas ! Tout le monde me rapporte cela. On vous attend et on ne fait pas autre chose. J’ai pleuré vraiment pleuré en apprenant la mort de lord Holland je vois d’après votre lettre que j’ai fait plus que la plupart de ses intimes. C’est vrai les Anglais sont froids.
J’ai été hier aux Italiens. La Somnambula ravissante musique. Encore une scène d’amour, mais un scène abominable J’ai détourné la tête. Ce matin, il me semblait que vous pouviez arriver à tout instant. J’ai tout hâté, me voilà, mais " le bien aimé ne viendra pas."

2 heures. Montrond sort d’ici. Il dit que Thiers dit beaucoup et Mignet aussi pour lui qu’il vous soutiendra cordialement. Le Roi le croit, pour quelques jours. Le Roi n’est pas inquiet Thiers est gai. Le dire de Montrond est qu’il n’y a encore rien de fait - il m’a même dit que le Maréchal avait envie des Affaires étrangères. Adieu vraiment je n’ai rien à vous dire de plus et puis je ne sais pourquoi votre dernière lettre ne m’inspire pas. Il y a quelque chose de froid, je cherche, j’ai trouvé, et c’est tout bonnement que vous n’avez pas compris quelque chose. Je suis sûre que j’ai raison. Adieu cependant. Adieu, comme si vous m’avez dit adieu bien tendrement.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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463. Paris, samedi 1 heure le 24 octobre 1840

Je n’ai encore vu personne, je ne sais rien, je n’ai rien à vous dire. J’ai été prendre l’air pendant 10 minutes. Montrond est venu dans cet intervalle, je regrette beaucoup de l’avoir manqué. Je suis très frappée que le ministère n’annonce pas qu’il a donné sa démission J’ai vu le faire toujours jusqu’ici. Si vous trouvez que la proposition que je vous ai faite de venir me voir de suite en arrivant peut donner lieu à des clabaudages, ne le faites pas. Au fond, le motif pour lequel je vous le demande vous sera suffisamment expliqué de vive voix et par ma lettre, et ce n’est vraiment que cela qui me fait désirer la priorité.
Je vous conjure donc de faire autrement pour que que vous voyez de l’inconvénient à ce que je vous demande. Il ne faut rien risquer, rien gâter ; car vous êtes bien en scène et le moment est bien grave ainsi ne faites que ce qui est bien, et prudent, et le plus prudent je crois est de ne pas faire ce que je vous vous me trouvez ai dit. Vous me trouverez bien raisonnable sur toute chose, et bien pénétrée que c’est un grand moment pour vous. J’ai eu votre lettre de vendredi assez prophétique, sentant que l’air était chargé. 20 heures après l’avoir écrite vous aurez, reçu le télégraphe.

2 heures. Werther sort d’ici, il me rapporte que M. de Broglie a dit à plusieurs personnes que vous n’accepteriez pas. Les journaux répètent de lui le même propos. Le Roi a dit hier soir à un diplomate qu’il était très sûr de son fait, qu’il avait toute confiance que le ministère Soult allait se former, qu’il aurait la majorité. Il a ajouté qu’il y aurait bien quelques petites émeutes peut être, mais que cela n’inquiétait nullement. Adieu. Adieu. Le temps me presse. Adieu probablement et j’y compte pour la dernière fois jusqu’à un meilleur adieu, un adieu charmant.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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460. Paris, Vendredi 23 octobre 1840
9 heures

Je vous adresse ceci à Calais. Quel plaisir ! à Calais ! Je vous écris encore ce soir par le fidèle qui ira vous attendre à Beauvais. Et puis plus d’adieu de si loin. Est-il possible que je sois à la veille de tant de bonheur ! Tous ce que j’ai vu hier est profondément troublé de la démission de Thiers. Toute la diplomatie était chez moi hier au soir. C’est unanime ; ils voient ressortir de ce fait la révolution et la ;guerre ; ils ne conçoivent pas que le Roi n’ait pas patienté, fléchi même jusqu’à l’ouverture de la Chambre. La démission donnée après l’ouverture avait une bien autre importance ; elle ne présentait par les même dangers. Aujourd’hui ils sont consternés. D’un autre côté les amis de Thiers, Mad. de Flahaut le prince Paul jettent feu et flamme contre le Roi. Des invectives, des cris ; en vérité c’est furibond. Montrond est venu chez moi, il avait vu le Roi, qui lui a dit que c’était irrévocable, que les Ministres étaient sortis, récemment sortis ; à la mention. de Molé le Roi lui a montré par signe si ce n’est par parole, qu’il n’en pouvait pas être question. Voilà le dire de Montrond. Je calcule quand la dépêche télégraphique a pu vous arriver. Ce que vous allez faire. Il me semble que vous aurez eu la nouvelle cette nuit, qu’à l’heure qu’il est vous demandez à Lord Palmerston une dernière entrevue, que cela et vos autres arrangements vous prendront la journée et que vous partez ce soir.
Demain vous passez de bonne heure, et vous trouverez ma lettre à 10 heures à Calais. Vous pouvez être ici dimanche dans la matinée. Dimanche vous dînerez chez moi c’est convenu, mais voici de quoi je veux convenir par dessus le marché, c’est que vous ne verrez personne avant de m’avoir vu quand ce ne serait que dix minutes ceci n’est pas. pour le plaisir de vous voir une minute plutôt, c’est plus sérieux. Je ne veux pas que vous preniez un parti ou que vous le laissiez seule ment soupçonner avant que je n’aie causé avec vous. Je resterai chez moi tout dimanche ; si je sors ce sera pour marcher au jardin un quart d’heure pour prendre l’air. Vous ne pouvez donc pas me manquer. Quittez votre voiture dans quelque rue et venez-vous en ici en fiacre. Voilà mon prospectus. Je vous supplie de faire comme cela.
1 heure
Votre lettre m’apprend que la dépêche télégraphique vous aura trouvé à Windsor. Comme je pense que lord Palmerston s’y trouve, cela ne peut pas faire une grande différence pour vos mouvements. cependant, il ne vous sera guère possible de partir ce soir. Je n’en serais pas fâchée/ Je n’aime pas ce qu’on entreprend un vendredi. Je suis superstitieuse à l’excès dès que mon cœur s’en mêle. Ainsi vous me ferez bien plaisir en m’apprenant que vous êtes parti après minuit.

3 heures
Voilà le petit qui m’a pris mon temps, mais il a été bien employé. Il s’obstine à partir ce soir, il a tort, il attendra plus de 24 heures. Je vous écrirai encore à Beauvais à l’adresse du fidèle. Adieu. Adieu cent mille fois ou une seule.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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460. Paris jeudi le 22 octobre 1840
9 heures

Le brave homme que Simon ! J’ai votre lettre déjà. Ce que j’ai écrit le 30 août ? J’ai vite ouvert mon livre et j’y trouve ces deux mots rien que cela grand jour (souligné) quelques jours auparavant. Il y avait une autre note (la 25) ; venez la lire, deux mots aussi Je ne veux pas les répéter.
Votre lettre hier m’est arrivée tard. Voilà donc les jours figés. Votre lettre d’hier, celle aujourdhui. Une charmante aujourd’hui si fière, si haute, si décidée. Je vous remercie d’être fier, d’être haut, d’être décidé. Je vous remercie de tout, savez -vous de quoi je ne vous remercie pas ? C’est de vous embarquer à Londres pour le Havre, à la fin d’octobre. Vous n’avez donc jamais eu quelqu’un que vous aimez sur mer ? Vous n’avez jamais su ce que c’est que l’angoisse qu’on éprouve de loin, au moindre souffle. Et bien vous me trouverez malade j’en suis sûre car pendant vingt heures je tremblerai au moindre nuage, et si le vent s’élève mon dieu dans quel état je serai! Ne pourriez-vous pas m’épargner cette angoisse. Pourquoi faut-il ce détour. Et s’il le faut absolument pourquoi ne pas prendre par la terre, aller débarquer à Calais à Boulogne, je n’aurai pas peur, mais 20 heures de mer dans cette mauvaise mer ! Mon Dieu, si vous pouviez me faire ce sacrifice, si je pouvais croire que mes paroles seront entendues ! J’ai vu l’alerte de hier matin, j’ai été bien animée, bien furieuse, le soir le petit est revenu plus rassuré et je l’ai été aussi.
J’ai été chez les Appony c’est leur jour. Lord Granville revenait de St. Cloud ; les ministres y étaient, on allait tenir un conseil important sur le discours de la Couronne, il décidera sans doute. La situation du Cabinet Tout le monde a l’air d’attendre une crise ministérielle. J’ai vu M. Molé aussi hier au soir, le visage allongé, inquiet, préoccupé ; reprenant au moindre petit mot qui pouvait avoir un air d’encouragement Je me suis très certainement divertie à ses dépends, il ne s’en est pas douté. Je lui ai fait quelques questions banales, il n’avait pas encore vu M. de Lamartine. On me dit que le Maréchal Soult était revenu radieux d’un premier entretien avec le Roi.
Je ne sais plus ce que je vous dis tant je suis heureuse, heureuse ! Et inquiète de cette longue navigation. Hier après mon dîner je suis restée trois quatre d’heures. couchée rêvant le bonheur qui m’attend, mais le rêvant si vivement, si vivement ! Non, la réalité ne peut pas être si charmante. Et plus j’y pense, plus je tremble ; je tremble de tout ce qui peut se placer encore entre ici et mercredi. Mercredi est la soirée des Appony, Je ne reçois pas, je serai donc chez moi seule. A quelle heure viendrez-vous ? Ah quelle parole ! J’en frémis de plaisir.
Je viens de recevoir une lettre du Roi de Hanôvre par Kielmansegge il craint la guerre, il donne raison à lord Palmerston, il me recommande un monsieur Stockhausen qu’il nomme son représentant ici. Les Ambassadeurs sont un peu agités et un peu curieux de ce qui va arrivé ici. Aucun d’eux cependant ne croit la retraite de Thiers possible Le Siècle l’annonce aujourd’hui comme imminente. Je vous prie de donner rendez- vous au fidèle quelque part. C’est très nécessaire. ¨Pourquoi ne venez-vous pas droit ? Comme cela eût mieux valu. Mais enfin en venant autrement ne pourriez- vous pas aller débarquer à Calais ? Ah mon Dieu que je serais plus tranquille. J’attends pour fermer ceci quelque nouvelle de la matinée. il est 1 h 1/2.

2 heures. Personne ne vient. Comment il faut finir sans plus et voici ma dernière lettre à Londres ! Quel bonheur, cependant comme le cœur me manque quand je songe à cette longue traversée. Pourquoi me donnez-vous ce chagrin ? Quelle angoisse dimanche, quelle angoisse toute la nuit et lundi encore, et quand saurai-je où vous êtes? Ecrivez-moi un mot par la poste directement à mon adresse en débarquant, je l’aurai mardi à mon réveil, mais d’ici là c’est-à-dire de dimanche à mardi quelles heures d’angoisse. Adieu. Adieu.

Je suis sûre que vous ne souffririez pas que je m’embarque pour le Havre. Pourquoi voulez- vous que je le souffre ? Et votre courage ou le mien ne peuvent rien contre la mer. Ah si j’étais là je me jetterais à vos genoux, pour vous supplier de ne pas vous livrer à cette longue navigation et vous m’écouteriez, et bien écoutez-moi prenez par Calais, de là allez au Val-Richer si vous voulez. Aimez moi même un peu moins si cela vous est possible, Mais ne vous exposez pas, ne me rendez pas malade de terreur. Ah si en réponse à ceci Lundi vous me diriez Je vais par Calais, que je vous aimerais mille fois davantage. Adieu, adieu, adieu. Quel adieu que le premier adieu à Paris !

P. S. Voilà le fidèle. Je sais tout, vous n’irez pas au Havre vous viendrez par Calais, Dieu merci, Dieu merci. Arrivez vite. Pour plus de sûreté Voici les nouvelles. Le ministère a donné sa démission on vous a envoyé chercher par télégraphe, ne perdez pas de temps. Venez, venez. Le fidèle ira demain soir à Beauvais pour vous attendre. Quel bon adieu. Je vous écrirai à Calais à l’hôtel Dessein.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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459. Paris, le 21 octobre mercredi 1840
9 heures

Il faut que je commence par vous parler de votre arrivée. j’ignore à quoi vous vous serez décidé pour le jour, mais quel que soit celui-que vous choisir, il me parait impossible que vous ne veniez pas droit à Paris. Votre absence de votre poste dans ce moment pour 24 h. seulement doit avoir un motif impérieux. Ce motif c’est la Chambre. Lors donc que vous quitterez Londres ce doit être pour vous rendre à Paris en droiture. Soyez sûr que j’ai raison la dedans.
Prévenez le fidèle et ordonnez lui d’aller vous trouver à Calais ou plus près sur la route. Donnez lui un rendez-vous précis. Il lui faut quelques heures de conversation avec vous avant que vous tombiez dans cette Babylone. C’est absolument nécessaire. Vous viendrez dîner chez moi le jour de votre arrivée n’est-ce pas ? Concevez-vous le plaisir que j’ai à tracer ces simples mots !
On dit que Thiers a accueilli comme ci, comme ça le communication que Lord Granville lui a faite hier de la réponse anglaise à la note du 8. Il a dit : " On reste toujours dans le même. cercle de difficultés puisque l’Angleterre met pour condition la soumission immédiate du Pacha." Le dire de Thiers aux ambassadeurs est que si la négociation traîne en longueur, on aura la guerre au printemps ; voilà cependant une modification car auparavant on l’avait tout de suite. Il s’était d’abord fâché beaucoup de la défense prussienne pour la sortir des chevaux ; hier il a été plus doux sur cela, et a dit : " Ce n’est pas poli, ce n’est pas amical, mais nous en trouverons ailleurs. "
J’ai vu hier les Granville le matin, Werther ; le soir Appony & mon ambassadeur. Je me couche toujours à 10 heures, je vais prendre de meilleures habitudes. Mad. de Castellane est venue hier s’établir à Paris. On arrive, et vous trouverez Paris plus gai que Londres. Envoyez je vous prie cette lettre. Midi. La vôtre ne vient pas encore. Toujours si tard le mercredi ! Je suis charmée des articles de journaux anglais sur le coup de Carabine, il n’y a pas eu un journal français qui ait parlé avec autant de vérité et de convenance. Ici on ne s’entretient plus du tout de cet événement. Le lendemain on n’en parlait plus.
La saisie d’écrits de M. de Lamenais me fait grand plaisir. Je pense que cela étonnera en bien. C’est un bien grave événement pour vous que l’abdication de Christine. Est-il vrai que votre ambassadeur n’ait été accrédité qu’auprès d’elle ?

2 heures. Pas de lettre et personne, pas même le fidèle. Qu’est-ce que cela veut dire. Et il faut fermer ceci, je suis bien impatiente ; au reste je ne suis plus impatiente que d’émotion ; le jour, le four où je vous reverrai ! Si c’est avant, vous serez surement ici mercredi, si après, ce ne sera qu’en novembre. Je vous ai déjà dit que je trouverai bien choisi ce que vous choisirez. Ce n’est pas moi qui vous appelle un jour plutôt. Il ne faut pas penser à moi du tout. Il faut faire ce qui est bien, ce qui est convenable. Il y a peut-être bien de l’habileté aujourd’hui, et bien de la difficulté à rester dans ces conditions là. Encore une fois je ne sais pas décider, ou si j’y pense c’est presque pour opiner pour le retard. Qu’est-ce qui fait donc que je retombe plus naturelle ment sur ce qui me contrarie la plus ? Serait-ce là le vrai. Je ne sais pas, je suis très combattu. Sans doute vous êtes déjà décidé. Ah que je me résignerai avec transport à avoir tort.
Adieu. Adieu. Je n’aime jamais vous envoyer deux opinions si incohérentes. Aussi n’est-ce pas une opinion. Seulement je bavarde, je bavarde, sur ce qui est toujours dans ma tête. Le fidèle serait bien mécontent de moi s’il savait ce que je vous écris. Il est très brave le fidèle, et il a vraiment beaucoup d’esprit. En définitive pour ces choses là je suis convaincue que son avis vaut mieux que le mien. Adieu. Adieu L’aiguille avance, rien n’arrive. Il faut finir mais par un adieu charmant.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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458. Paris mardi 20 octobre 1840,
9 heures

Puisque vous êtes inquiet de ma lettre à mon frère, je vous en envoie copie, et je vous préviens qu’elle ne part que samedi ou dimanche, par conséquent votre réponse à ceci m’arriverez avant. Lisez, je la trouve bien, la trouve absolument nécessaire. Ma belle-sœur m’appuie, l’occasion est bonne, Dites-moi votre avis. J’ai dîné hier chez mon Ambassadeur. Je n’ai pas pu le lui refuser c’était un dîner de famille Appony, & Benckendorff. J’y ai revu Zuglen, il repart et revient bientôt pour résider ici en place de Fagel. C’était très différent de Fagel ! De chez M. de Pahlen, j’ai été chez Lady Granville. M. de Broglie en sortait, il avait dit à Granville que vous serez ici le 26, qu’il regrettait que vous n’eussiez pas remis cela de quelques jours, qu’il aurait mieux valu attendre que l’élection du président fut passée ! J’ai vu le matin Mad. de Flahaut. Elle trouve que le ministère de Thiers est bien orageux, que tous les guignons sont venus l’accabler, elle dit beaucoup cela. Et puis elle s’inquiéte, elle dit que la gauche est impatiente il n’y a pour elle aucune faveur, elle sont toutes aux doctrinaires. Elle parle plutôt avec tristesse qu’avec passion.

Mais elle est venue sur l’Angleterre c’est-à-dire sur la portion du ministère qui a amené la rupture avec la France. J’ai donc lu la note du 8 octobre. Je suis ravie de la trouver si pacifique, mais je ne puis pas ajouter que je la trouve brillante. ni pour la forme, ni pour le fond Je ne le des pas mais je le pense.
Je suis trop heureuse de tout ce qui ajoute aux chances de paix. et généralement ceci est regardé comme rendant la guerre impossible. J’irai peut-être jusqu’à trouver ou jusqu’à dire que la note est très belle ! Savez-vous que je crois que je rêve quand je pense que je suis à si peu de jours de tant de bonheur ! Je ris de plaisir et puis je joins les mains, je remercie Dieu, et je le prie. Vous faites comme moi, j’en suis sûre. M. le conte de Paris est très mal on ne croit pas qu’il en revienne. Je ne vous dirai jamais assez combien j’ai trouvé votre lettre à 62 admirable donnez m’en une copie je vous en prie. Je n’ose pas la demander au fidèle sans votre permission. Permettez-lui. Il y en a deux autres aussi belles, si elles ne le sont pas plus encore, à ce qu’il me dit, que je n’ai point lues. Permettez. La Diplomatie dit beaucoup qu’il y a danger imminent, terrible, si Thiers sort du Ministère. Ils sont effrayés à mort ces pauvres gens. Thiers rentre en ville aujourd’hui. Le Roi pas avant le 26, à ce qu’on dit.

2 heures. Voici le petit auquel je donne ma lettre. Je n’ai rien à ajouter. Certainement la crise y est. Dans la semaine il peut y avoir quelque chose. Etes-vous bien décidé ? Quel jour ? Quel que soit ce jour, il sera beau, il sera ravissant. Adieu. Adieu. Mille fois adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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457. Paris, dimanche 6 heures Le 18 octobre 1840

J’ai reçu votre lettre après le départ de la mienne. Vous voulez que je vous dise plus, que je vous dise ce que je pense sur le moment de votre arrivée. Mais vraiment je crois vous l’avoir bien dit. Si vous n’êtes pas ici pour l’ouverture, et l’élection du président. Il faut être à Londres, cela est bien sûr. Ce point-là est l’essentiel, mais c’est à vous à juger si vous devez être absent ou présent pour cette élection. Je n’entends rien à cela peut-être ayant une si bonne raison pour vous tenir éloigné dans ce moment là vaut-il mieux ne pas aggraver les embarras ; votre absence remplit ce but ; mais il n’y a que vous qui puissiez juger s’il vous convient de faire à vos rapports avec le ministère le sacrifice des exigences de vos amis. Je retourne souvent cela dans ma tête et je pense toujours sauf meilleur avis que vous pouvez vous dispenser de prendre part. à l’élection. Quant à la discussion de l’adresse vous devez y être, c’est clair à moins de l’impossible, c’est-à-dire que dans ce moment-là vous concluiez vraiment quelque chose de bon, d’avantageux à Londres. Il n’y a que cela pour excuser votre absence. Mais aussi cette excuse serait un triomphe.
Vous êtes tenu autant que possible au courant de tout, voilà ce que m’assure la très fidèle, d’après cela vous pensez conclure. Je fais tous les vœux du monde pour que Dieu vous inspire et vous mène bien. Je sens toute l’importance, toute la difficulté du moment. Il ne faut pas faire de faute. Il ne faut pas vous mettre dans votre tort. Et après avoir dit cela, je sais bien cependant que vous y serez toujours aux yeux des uns ou des autres. C’est inévitable et c’est là ce qui me désole. Voyez-vous voilà quatre pages qui n’ont pas le sens commun, et qui ne vous éclairent pas même sur mon opinion ! Cela valait bien la peine de commencer. Toute ma journée a été prise, et le reste va l’être encore. J’ai eu deux-heures le Duc de Noailles, venu pour la journée, seulement. Je l’ai mené au Bois de Boulogne ce qui ne l’a pas trop diverti mais il voulait causer. M. de Werther longtemps. Ma belle sœur très longtemps. Elle est fort contente de ma lettre et elle l’appuiera. Plus tard mon Ambassadeur content de moi aussi, et est parfaitement d’avis de la lettre M. Molé m’a écrit pour demander à me voire, je lui ai fait dire de venir ce soir je l’attends car voici 8 h 1/2.

Le fidèle sort d’ici, il m’a dit tout ce qu’il vous a mandé ce matin. Je n’ai pas de réplique, et dès que vous avez confiance dans l’avis de M. Bertin de Vaux il faut le suivre. D’ailleurs il m’a rapporté des paroles frappantes, des antécédents que j’avais oubliés, et qui vous obligent de faire aujourd’hui ce que vous avez fait après la coalition, c’est évident : d’ailleurs si, comme le pense M. de Vaux, votre opposition à la présidence de M. Barrot doit au moins se manifester par lettre à vos amis, autant vaut, & mieux vaut venir vous-même. Vous voyez bien que dans tout ce que je vous dis je m’efface tout à fait. Je cherche ce qui est bien, ce qui est honorable pour vous, mon plaisir vient après.

Lundi 8 heures. Ma soirée n’a pas été comme je le pensais. Nous ne nous sommes pas dit un mot M. Molé et moi, nous n’avons pas été seuls un moment. M. de Werther mon ambassadeur, Lord Granville, Brignoles, Tschann, le duc de Noaillles. le Duc de Noailles, Lord Granville n’avait pas l’air aussi content que je l’espérais et que me le faisait croire les lettres de Lady Palmerston reçues hier. M. Molé est encore maigri, il est comme moi maintenant il est très triste et très aigre. Il a vu le roi pendant deux heures samedi. A propos il a dit à 55 qu’on vous avait envoyé votre congé, que vous allez venir. Et que Thiers a dit qu’il serait très bien pour vous si vous êtes d’accord dans le langage à tenir ; mais que s’il y avait la plus petite nuance, il avait dans sa poche de quoi vous accabler. Qu’est-ce que cela veut dire ? L’abdication de Christine racontée hier au soir n’a étonné personne, et puis rien ne fait de l’effet que le Canon en Syrie, et celui là retentit rarement. On est étonné de ne rien apprendre. Lady Palmerston me parait bien couronnée de la publication de la dépêche de M. Thiers immédiatement après la communication que vous en avez faits à son mari. Elle dit que vous vous en défendez, que vous défendez Thiers mais elle accuse nécessairement un Français. Du reste sa lettre est dans un ton très pacifique quoiqu’il y perce de la rancune contre Thiers. Quelle déplorable chose que ces personnalités !

1 heure. Je n’ai encore ni lettre, ni fidèle. Savez-vous qu’on me dit que le muguet est un peu inquiet pour son compte de la menace de 6 ? 2 heures. Voilà votre lettre, et voilà le petit qui m’a tout lu. C’est admirable, admirable, je ne trouve que ce mot, et que ce moment. Je sais que 62 n’adopte pas votre point de vue et vous écrit aujourd’hui comme cela. Je crois l’avis des autres amis plus sincères, comme je le trouve au fond plus logique, il me parait. Mon Dieu je ne sais pas ce qu’il me parait. Choisissez. Je suis une femme. Je ne suis pas brave. Vous le serez. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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456. Paris, dimanche 18 octobre 1840
9 heures

Vraiment la musique ajoute bien à... ( Trouvez le mot ) et je crois moi qu’en Italie on doit savoir mieux amer qu’autre part. Hier aux Italiens j’étais comme vous à votre fenêtre, c’était si doux ; si charmant, si enchanteur, mes pensées étaient si tendres. Venez, venez dans ma loge. Serait-il possible que dans quelques jours vous y soyez ? Quel bonheur.
J’ai vu fort peu de monde. hier. Les Granville, ignorants ; Mad. de Flahaut inquiète de la situation du ministère. Disant qu’il faut qu’il se renforcé à droite pour avoir la droite, ou plus sincèrement une portion de la droite. à gauche pour s’affectionner davantage ce parti, et c’est ce qu’elle conseille, car après tout c’est les doctrinaires qui ont les bonnes places, les grandes places et les vrais amis n’ont rien ! Voilà ; et puis les Doctrinaires ne sont pas ralliés. Il pérorent dans les salons, ils frondent & &
Aux Italiens il n’y avaient personne. Toute la diplomatie était à Auteuil. les bruits de retraite de M. Thiers circulent, mais on dit assez généralement dans le monde qu’on les fait circuler, et qu’il n’y a rien de vrai. On dit aussi, c’est 18 qui me le dit que le Roi n’accorderait pas à M. Thiers de se retirer, qu’il le sait positivement ; car il y aurait dans ce fait trop de danger pour le Roi. On dit beaucoup aussi que l’ouverture des Chambres sera retardée. Je crois, que cela ferait un mauvais effet, c’est ce qui me fait en douter.

Midi, à ma toilette, je vous regarde toujours comme vous avez le droit d’attendre que je vous regarde. Voici du nouveau aujourd’hui. Je me suis surprise à rire en vous regardant. Connaissez-vous ce rire, du plaisir, le rire du bonheur ? C’était celui-là ce matin puisque je vous dis des bêtises il est clair que je n’ai rien à vous dire. Je n’ai pas de lettres encore.

Adieu, vous trouverez ceci trop court, je le trouve aussi, mais savez-vous que je suis accouchée d’une grande et d’une petite lettre ce matin à mon frère. Toutes deux le même sujet. Je vous les enverrai. J’attends ma belle sœur pour les lui lire. Adieu. Adieu, le plus charmant adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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455. Paris, Samedi 11 octobre 1840,

Oui je suis d’accord avec vous sur tout ce que vous me dites. Prenez ce oui aussi largement que vous voudrez pour le moment, je vous parle de quelque chose de sérieux. Londres vaut mieux que Paris dans les derniers jours du mois, à moins comme vous dites qu’il ne vous vienne de nouvelles lumières.
J’approuve complètement votre résolution de rester étranger à toute intrigue ; et votre absence en sera la preuve la plus forte. Mais il ne me parait pas possible de ne pas être ni pour la discussion de l’adresse ? N’est- ce pas ? C’est dans l’intérêt de votre situation politique que je parle. Et puis, si vous ne venez pas alors où serait le prétexte de venir après ? Ce ne serait plus possible. Que vous devez être troublé, agité! Mon Dieu comme je le comprends ! Comme je le suis moi même ! Quelle bagarre où se trouve tout le monde, toute chose !
Thiers a confié à quelques diplomates son envie de se retirer retirer M. Urguhart qui devait être reçu par le roi ne l’a point été. Lord Granville fait ce qu’il peut pour empêcher Thiers de recevoir ; la députation de Birmingham, Attwood & &. Il a dit à Thiers que cela équivaudrait à Palmerston recevant M. de Lamenais avec une députation de républicains. Je ne sais encore ce que fera Thiers sur cela. J’ai vu chez moi hier matin les Appony. Après cela les Granville. Le soir j’ai été chez eux. Je ne suis pas d’avis comme vous de laisser M. de Brünnow tranquille j’écris à mon frère je vous enverrai ma lettre.

11 heures mille bons adieux pour votre lettre. Je l’aime bien. Je suis comme vous quand j’entends de la musique. Et une fois la semaine j’en entends de la bonne. Je choisis votre place, je jouis d’avance. Que de charmants moments. Je ne pense qu’à cela quand je ne pense pas au plus grave ; et le plus grave je n’y pense qu’en ce qu’il a des rapports à vous. C’est bien vrai. ce que je vous dis ! Et vous le croyez bien. Et moi je crois bien tout ce que vous me dites. Ce que j’appelle grave, est votre superficiel, comme vous l’appelez superficiel relativement à ce qu’il y a dans le fond de votre cœur et qui est votre vie, comme la mienne. Et bien êtes-vous content de ma foi ?

J’aime votre résolution pour votre arrivée, j’aime la manière dont vous le dites. Après cela il ne faut rien d’absolu, car les événements peuvent vous mettre dans la nécessité de modifier votre résolution. Jusqu’ici je n’en vois pas l’occasion, mais si elle venait je saurais tout comprendre. En attendant vous avez mille fois raisons de vous poser ainsi, ferme, décidé et droit.
Savez-vous que la situation de Thiers est la plus difficile, la plus critique qu’il soit possible de se figurer ?Je ne comprends pas comment tout celle se débrouillera. on croit beaucoup qu’il nous donnera un coup de théâtre avant l’ouverture des Chambres. On dit ou autre chose.
En attendant le bruit se répand qu’Ibrahim marche sur Constantinople, en ce cas là nous occupons Constantinople et ce cas là est-il pour vous la guerre ? Mon Dieu, la guerre, jugez ce qu’est pour moi, pour nous la guerre !

1 heure. Voici mon visiteur du matin qui me quitte. Je suis fort aise de tout ce qu’il m’a dit et qu’il ne vous mander. Cela se pose bien. Le 62 de Samedi ressemble bien peu au 20 de jeudi. Rien ne me ferait plus de plaisir que de voir 1 revenir à ses bons sentiments. C’est utile. Il me semble que je puis commencer à me réjouir. Et pendant, tout est si mobile ici.
J’ai vu hier des personnes qui dînaient au Club jeudi. Lorsqu’on est venu raconter le coup de carabine. Je ne suis pas contente de la manière dont cela y a été pris : de l’indifférence, la légèreté. Des jeux de mots. c’est le tirant et non le tyran qui a été blessé. Et des éclats de rire. Les journaux sont très bien, et à tout prendre je crois ceci une bonne fortune. Adieu, car j’ai peur d’être interrompue cela m’arrive si souvent. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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454. Paris, Vendredi 16 octobre 1840

Le temps hier était charmant. Je suis même restée assise au bois de Boulogne. J’avais vu le matin Bulwer, toujours inquiet comme tout le monde. J’ai vu plus tard Granville qui avait trouvé M. Thiers assez soucieux et de mauvaise humeur. J’ai été porter mes félicitations à Mad. Appony dont c’était la fête. A 6 heures j’étais couchée sur un canapé me reposant de ma promenade lorsque j’ai entendu une grosse explosion. J’ai cru le canon et que la duchesse d’Orléans accouchait quinze jours trop tôt. Comme le coup n’avait pas de camarade, je n’y ai plus pensé et le soir j’apprends qu’on a encore tiré sur le roi. Mon ambassadeur, M. de Bignole et l’internonce sont venus me voir. J’avais enfin ouvert ma porte, mais comme je n’en avais prévenu personne. Je n’ai eu que cela. Nous sommes curieux du parti. que le gouvernement va tirer de ce nouvel attentat.

Midi
Les journaux s’expriment très bien, et si le gouvernement a du courage cet événement peut tourner à bien.

1 1/2
J’ai été interrompue par le petit. J’espère qu’il vous écrit beaucoup, beaucoup. 3 heures. Voici seulement à présent votre lettre. J’en suis très très contente ainsi que d’une autre que j’ai lu aussi. Je n’ai que le temps de vous dire ceci. A demain et comme toujours toujours adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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453. Paris Jeudi 15 octobre 1840

J’ai reçu hier après 3 heures les deux lettres de dimanche et lundi votre bonne intention de dimanche n’a été remplie que tard comme vous voyez. Mais mon cœur la compte, je vous en remercie beaucoup beaucoup. Eh bien je vois qu’on a été content de la note, et je vois cependant que cela va encore traîner. Toujours traîner. Ah mon Dieu ! Il est évident qu’on attend vos réponses.
J’ai beaucoup causé avec ma belle sœur, elle est bien peu de chose, mais enfin elle sait et elle se souvient elle se souvient donc qu’il n’y a pas quelque jours aujourd’hui, on ne rêvait pas à la guerre on ne la voulait pas ; elle est très surprise de tout ce qu’elle entend ici. Le mémorandum de Thiers est fait avec un grand talent. Cela se lit et se comprend parfaitement, et je conçois qu’ici il fasse un excellent effet pour le gouvernement et qu’au delà de la manche il a porte également la conviction dans beaucoup d’esprits. Mais nous autres ses visiteurs d’hier matin nous n’en sommes pas contents. Appony dit que tout ce qu’il dit de l’Autriche est faux. M. de Pahlen dit qu’on est bien près de se battre quand on parle ainsi de la Russie. Et il s’attend a quelque contre coup fâcheux de chez nous. En effet voilà des aveux difficiles. Il y a une forte différence entre penser les choses, et les dire ! Nous savons bien que tout le monde pense cela de nous mais aucun gouvernement n’a encore proclamé cette pensée. La France le fait.
Pensez un peu à cela, ne trouvez-vous pas que M. de Pahlen a raison. J’ai eu un long entretien hier avec ma belle sœur. Elle est d’avis d’une forte démarche de ma part contre M. de Brünnow. Elle est d’avis que je raconte tout en détail ma lettre est faite, j’attends votre conseil. J’insisterai sur une réparation. Elle m’a dit de drôles de chose.
L’empereur a toujours de la colère quand il est obligé de reconnaître que j’ai un peu d’esprit. Cela le dépite. J’ai été à une soirée chez Mad. Appony hier. La diplomatie est triste et inquiète. A propos Appony n’a plus été chez M. Thiers depuis 10 jours, et ne compte y aller que lorsqu’il aura eu un Courrier de Vienne. Mon ambassadeur n’y a pas été non plus depuis tout ce temps. Si bientôt les choses ne prennent pas une bonne tournure, elles ne prendront une bien mauvaise. Appony trouve que la question a fait un progrès sensible en ce qu’elle est très simplifiée mais aussi c’est bien plus grave, et la guerre ou la paix est à la porte, il n’y a plus de faux fuyants possibles. il y a des gens qui disent que s’il faut la guerre au bout de tout cela, il vaut mieux l’accepter tout de suite. Quand la France sera bien en mesure de la faire les alliés pourraient bien n’être plus aussi unis. Aujourd’hui ils tiennent ensemble et la France n’est pas suffisamment préparée.
Cependant il me parait clair aussi que nous (alliés) nous ne la commencerons pas, et que ni d’une part, ni de l’autre il n’y a de véritable bonne raison pour la commencer. Quelle mauvaise bagarre que tout ceci ! Que le ciel nous en tire, car les hommes ne paraissent pas devoir nous en tirer. Quand viendrez-vous quand me pourrez-vous venir ? On dit que tous vos amis sont d’opinion que vos devoirs à Londres sont un prétexte et même une raison suffisante pour vous dispenser de vous trouver ici à l’élection du président.
J’attends avec impatience ce que vous déciderez. Je n’ai point d’opinion là dessus. Je désire que rien n’aggrave l’embarras de la situation que rien ne gâte la vôtre. Je fais des vœux pour l’ensemble, je fais de bons vœux pour vous. Voilà où j’en suis. bien incertaine sur les moyens de concilier tout.

1 heure
Le petit sort d’ici ; tout ce qu’il me dit est bien grand pour le Cèdre. Le cœur me bat bien fort. Qu’est-ce qui ressortira de tout ceci ? L’heure de la décision à prendre va sonner. Ah mon Dieu. Adieu. Adieu. Mon cœur est aussi inquiet qu’il est tendre, qu’il est fidèle, qu’il est passionné. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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452. Paris, Mercredi 14 octobre 1840
10 heures

Je n’ai vu hier que l’Angleterre. L’Angleterre agitée, curieuse, mais assez en espérance. Lord Granville à vu M. Thiers hier au soir à Auteuil. Je l’ai vu à son retour, il ne m’a dit que des généralités, mais l’impression que j’en ai est bonne. J’attends votre lettre avec des battements de cœur. Je préparé une réponse à mon frère, mais je ne ferai rien sans votre avis. On est agité extrêmement dans le public. M. de Lamenais est épouvantable dans les provinces il y a beaucoup d’exaltation. Le gouvernement aura une rude besogne, car j’espère bien qu’il s’appliquera à apaiser. Je suis inquiète. Les Anglais désertent, ils ont parfaitement peur.

Midi
Point de lettres ? C’est toujours le Mercredi qu’elles m’arrivent le plus tard et c’est précisément. Le jour où elles sont le plus ardemment désirées. Il faudra attendre la soirée. C’est bien long ! 2 heures. Le petit est venu aussi impatient, aussi pauvre que moi. Que faire ? Et par dessus le marché je n’ai rien à vous dire. je m’en vais un mettre à lire ce long memorandum. Je n’ai pas vu mon ambassadeur depuis deux jours, il écrit je crois.

2 1/2
Tous les alliés chez moi grand bavardage dont je n’ai plus le temps de vous dire un mot. Adieu. Adieu. On dit seulement que jamais on ne s’est trouvé plus près du dénouement absolu. Paix ou guerre. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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451. Paris, mardi 13 octobre 1840
9 heures

J’ai à peine dormi trois heures cette nuit, je ne sais pas pourquoi, si ce n’est que je n’ai pas été au bois de Boulogne hier. Ma belle sœur m’a retenue chez moi et puis des visites à faire. J’ai vu le soir les Appony et les Granville, chez eux respectivement lord Granville avait vu M. Thiers le matin, il avait de ses nouvelles après votre entretien avec lord Palmerston samedi, mais il lui a dit que vous ne lui mandez rien d’ici pourtant ; de sorte que Granville n’osait rien. Les fonds ont monté beaucoup hier, il faut que ce soit sur des nouvelles. de Londres, mais la diplomatie les ignore tout-à-fait. Le roi a reçu Brignoles dimanche au soir et lui a fait subir le même accueil qu’à Fleishmann c’est-à-dire des tirades violentes contre le traité, violentes de paroles et violentent de gestes de façon à épouvanter l’Italien comme l’avait été l’Allemand.
J’ai vu Brignoles hier qui n’en revenait pas. Le roi lui avait semblé très belliqueux, très irrité, très inquiet et il relevait de son discours que c’était une guerre agressive qu’il se voyait à la veille. d’entreprendre. Montrond est venu chez moi le matin, un peu le contraire, ton à la paix, disant que le roi la croyait sûre. Qu’il était très contente de Thiers. Thiers est très peu accessible depuis une huitaine de jours toujours à Auteuil, il cherche à s’effacer pour le moment.
Mes ambassadeurs n’y ont pas été et par conséquent ils l’ont point vu depuis plus de huit jours. Montrond me disait : " Voilà M. Guizot collé à Londres et collé à Thiers n’est-ce pas ? Je n’ai pas répondu à n’est-ce pas, je ne réponds jamais que de moi-même.

1 heure.
Le journal des Débats est très inquiétant ce matin, et le National très épouvantable. Tout le monde dit : s’il y a guerre, il y a par dessus le marché trouble à l’intérieur. S’il n’y a pas guerre, il y a surement trouble à l’intérieur. Quand ce serait vrai, il vaut mieux le mal simple par le mal double. Mais est-il possible qu’on soit condamné à voir cela ? Je suis mal disposée ce matin, j’ai peur, c’est sans doute parce que Mardi je n’ai rien pour me soutenir. J’attends demain avec grande impatience une grande curiosité. Mon fils est parti pour Londres, ce matin, je ne lui ai pas nommé son frère.
Adieu. Adieu que verrons-nous arriver dans le monde ? Je vois bien noir. On laisse trop aller le mal, pourra-t-on le maîtriser ?
Adieu, toujours le même adieu, à travers la guerre les émeutes. Ah mon Dieu ! Marion est animée, elle est venu me voir ce matin, bien gentille et bonne comme de coutume. Mon fils la trouve charmante mais voilà tout. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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449. Paris, samedi 6 heure le 10 octobre 1840

Voici la copie d’une lettre que ma belle sœur vient de me remettre. Dites-m’en votre avis, je la trouve très mauvaise ; pour bête cela va sans dire, mais dites-moi ce que j’ai à répondre. Je suis fâchée de me fâcher ; ces gens-là n’en valent pas la peine. Je ne puis pas me résigner à me taire, et je ne sais sur quel ton le prendre, ni comment me faire comprendre par des sots. Éclairez-moi et décidez-moi.
D’un autre côté voici depuis cinq ans et demi le premier message de l’Empereur. Il a chargé expressément ma belle sœur de me dire " qu’il espère que je ne l’oublie pas lui non plus ancien ami. " Arrangez cela.
Ma belle-sœur est arrivée de Pétersbourg avec M. Mauguin, recommandée par mon frère aux soins de M. Mauguin depuis le Havre, elle a voyagé dans le coupé de la malle-poste avec M. Mauguin. M. Mauguin d’un signe à écarté les embarras de la douane, « il a fait comprendre qu’il fallait. des égards à Mad. de Benckendorff. M. Mauguin a promis sa protection à ma belle-sœur en car d’émeute ou de révolution, et M. Mauguin a assuré ma belle-sœur qu’il s’opposerait de toutes ses forces à la guerre et qu’il n’y aurait pas de guerre. Mon frère a eu de longs entretiens avec M. Mauguin, et lui a fait comprendre toute la politique de l’Empereur dont M. Mauguin est émerveillé et M. Mauguin est converti !
Je viens de vous raconter une demi-heure de ma matinée, après cela le bois de Boulogne, et puis lord Granville chez moi. Appony avant le promenade rien de nouveau une partie du Cabinet très disposée à la guerre. Je vous écris aux bougies c’est mauvais pour mes yeux, je vous quitte.

Dimanche 11 octobre. 9 heures
Je me suis levée avec quelques nouvelles idées. Si je ne prenais acte que du message de l’Empereur et que je traitasse mon frère de sot, qu’en pensez-vous ? Ce qui est bien certain, c’est que l’à propos de ce message n’est pas insignifiant. Dans ma réponse à mon frère je l’exalterai fort, et je rapetisserai, le valet de tout ce que je grandirai le maître. Approuvez-vous. ? Dans tous les cas mon frère aura le détail des vilainies de M. de Brünnow. Mais dois-je insister sur une satisfaction ? Voilà ce que je vous demande.
Je vous demande une autre chose ; dois-je écrire comme ci-devant Savez-vous que je le ferais avec infiniment de plaisir si j’écrivais droit à l’Empereur. C’est mon frère contre qui j’ai de la rancune. Enfin dites-moi, ce que j’ai à faire. Rien du tout, n’est pas possible.
J’ai dîné seule et puis j’ai été aux Italiens. J’avais dans ma loge Mad. de Flahaut, les Pahlen et Hennage. M. de Werther y est venu. Tout le monde hier était à l’espérance tout le monde croyait que dans les deux pays, on désire et on travaille sincèrement à un arrangement. Voilà le vent d’hier ne sera-t-il demain, aujourd’hui ? Certainement la situation de Thiers est pleine de difficultés, moins de périls ; on le pousse, pourra-t-il résister ?

Onze heures.
Voici votre lettre. Vous venez d’apprendre la convocation. Cela vous a écris comme moi. Que des choses réunies dans cette convocation ! Quel moment pour nous ! Vous avez raison, on ne peut pas parler. Il y a trop trop dans ce fait. Il est immense pour nous. Serez-vous content de ce que vous a porté M. de Lavalette ? le public ici est bien curieux de le connaître. Le petit fidèle croit savoir que c’est une platitude. vous prêteriez-vous a une platitude ? Je suis dans une grande anxiété.

Midi.
Je viens de voir le petit. Je l’engage à vous écrire sans cesse la nuit et le jour, il fait que vous soyez informé de tout car tout à de l’importance.
Adieu. Adieu, bientôt quel adieu !

Les diplomates disaient hier que la France veut quelque chose. de plus que le traité, quelque chose de plus grand comme la tête d’une épingle. Mais enfin quelque chose. Cela va peu avec ce que dit le petit mais on vit ici dans un cercle de confusion et de contradictions. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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448. Paris, samedi 10 octobre 1840,
9 heures

J’ai déjà votre lettre, c’est qu’elle me vient par le vieux et le moins élégant . Elle est assez bonne votre lettre. Vous avez l’air d’espérer quelque chose. Si l’on veut faire, il est temps de faire ! J’aime votre lettre, j’aimais bien celle d’hier. Je les aime toutes. Vous ne savez pas comme j’aime, comme je pense, comme je rêve, comme j’attends !
Hier mon ambassadeur et Bulwer, tous les Appony. Dîner aves mon fils. Le soir chez les Granville, Granville était un peu blessé d’avoir vu reproduit et perverti comme dit Bulwer, un entretien qu’il a eu avec Thiers. C’est le Courrier français qui répétait et avec des expressions ironiques pour l’Angleterre. Granville continue à être très inquiet, tout le monde le devient beaucoup. Thiers demande souvent à mon ambassadeur des nouvelles de notre flotte. Il lui répond invariablement qu’il saura par Copenhagen quand elle passera, et que lui n’en sait rien.
On parle de convention nationale polonaise qui s’organiserait à Paris. On élira un roi, et l’on ajoute que si la France à besoin de prendre la Belgique elle priera Léopold d’aller trôner à Varsovie. Je vous redis tous les commérages diplomatiques. Je vous assure que l’attitude de Pahlen est parfait, un vrai gentleman au reste ils le sont tous ici dans cette occasion. Que pense Dedel de son nouveau roi ? Moi j’en pense très petitement. De très jolies formes couvrent un très pauvre fond. L’air d’un vieux chevalier et les actions d’un chevalier d’industrie. La mine ouverte, et une grande fausseté. Enfin c’est non seulement peu de chose, mais une mauvaise chose. Voilà mon opinion. Il faut absolument que vous permettiez ou que vous ordonniez au très fidèle d’aller vous trouver à Calais ou sur la route, quand vous reviendrez. Il sera bon que vous causiez à fond avec lui avant de voir personne ici.
Certainement j’ai pris 20 en grande dé plaisance. 29 qui est son reflet parle trop légèrement du Fresnes et puis on dirait qu’il est inutile de compter avec le chêne.Tout cela est traité étrangement. J’ai de la colère intérieure, j’aimerais bien à la montrer.
La petite duchesse de Dino est accouchée bien péniblement et tristement d’un enfant mort. Elle a eu des couches affreuses. Le duc de Mortemart vient de perdre son fils unique à 24 ans, tué par un cheval. Le duc de Wellington a écrit ici une lettre que j’ai lu à me M. Raylkes bien petit personnage. Un ivrogne, et un grand Tory, dans laquelle il lui dit après avoir déplore les circonstances que pourraient mener à une rupture avec la France : " Mais si la guerre a lieu, soyez sûr que nous étonnerons le monde par les efforts gigantesques que nous ferons pour la soutenir. Ils seront tels qu’on n’en a pas vu encore de semblable. " Je vous avoue que toute cette lettre me parait du Stuff. C’est décousu et trivial à l’excès.
Le 28 est proche, le cœur me bat de joie. Vous viendrez, vous viendrez n’est-ce pas ? Si vous pouviez venir avec quelque chose, quelque grande chose ! Il y a dans mon cœur une confusion de politique est d’amour qui est tout à fait risible. La nuit, le jour, je ne pense qu’à cela ; avec passion, avec inquiétude. Ah mon Dieu !
Adieu. Adieu. Comme vous voulez. Adieu. Je vous ai demandé avant hier je crois de nouvelles de Brunow. Vous m’en donnez aujourd’hui, on dirait que nous nous parlons par télégraphe. Je n’attends pas une grande importance à ce que vous me dites des manières nouvelles de nos diplomates. Cependant, je ne sais pas.
Adieu. Adieu. Le leading article du journal des Débats ce matin est admirable. C’est vrai tout cela est bien étrangement même ! Voilà ma belle-sœur arrivée. Adieu. Adieu. Il y m’a beaucoup dans cette lettre. Jamais assez Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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446. Paris, Jeudi le 8 octobre 1840
9 heures

J’ai vu hier Montrond, mon ambassadeur, et le reste de la diplomatie le soir chez Appony. La journée toute guerrière, Appony avait été frappé cependant de trouver Thiers la veille plus découragé que vaillant ; l’esprit très préoccupé. Un homme fatigué, abattu. Vraiment on ne sait pas comment tout ceci peut tourner. Le parti de la paix se renforce cependant, mais le parti contraire est bien bruyant, bien pressé. Le roi est toujours très vif avec Appony, infiniment plus doux avec mon ambassadeur.
Il a fait l’éloge de M. Titoff qui s’est refusé à prendre part à Constantinople, à la dépossession du Pacha. J’ai reçu le petit ami dans la journée. Je suis très frappée de voir que dans le récit de ses longs entretiens avec 1, il soit si peu ou point du tout question du chêne.
Décidément S. n’est pas un ami sincère. Il y a quelque ancienne rancune qui perce. Dites au frênes de ne pas s’y fier tout-à-fait.
Les ambassadeurs sont fort disposés à désirer la convocation des chambres, moi aussi. On dirait cependant que hier rien n’était décidé. J’ai eu hier une lettre de M. de Capellan dans laquelle Il me rend compte des événements de La Haye, et où il me dit qu’il part demain pour Londres pour annoncer à la reine l’avènement de son nouveau roi. Je suis désolées que nous perdions Fagel, son successeur Zeeylen est un désagréable homme. Dites toujours je vous prie mes tendresses à Dedel que j’aime beaucoup, est-il confirmé à Londres ? Pourquoi n’est-ce pas lui qu’on nomme à Paris ?
L’arrivée de ma belle-sœur m’ennuie beaucoup. Sa fille me plait davantage tous les jours. Mais elle a peu d’esprit et elle n’a que deux préoccupation sa toilette, et son mari. Et comme cela, dans cet ordre-là.

11 heures
Je suis enchantée voilà la convocation, et plus prochaine que je ne croyais. Moins de trois semaines. Dites- moi bien, répétez-moi bien que vous viendrez. Ah quel beau jour ! Vous ne sauriez imaginer comme mon cœur est joyeux. Si fait vous le savez, et vous répondez à ce transport. Mon fils va lundi à Londres pour revenir la veille de l’ouverture des chambres. Je ne lui ai pas nommé son frère. On a parlé à Baden de M. de Brünnow et moi ; les Russes en ont parlé, car la petit Hesselrode venu de Londres savait tout. Il n’y a eu qu’une opinion, on l’a blâmée de la vilenie, et encore un peu plus de la bêtise. Cependant, cependant, vous voyez qu’on ne me répond pas. Que c’est bête encore !
Vous ne voyez donc pas du tout M. de Brünnow ? Voici ce que je réponds à lady Palmerston. " Il est assez naturel que M. Guizot aime à parler de préférence avec les gens qui sont de son avis ; mais je le crois assez bien orienté en Angleterre pour savoir qu’il n’y a pas d’autre bénéfice pour lui à cela que le plaisir de la conversation. Il sait fort bien que les gens qui parlent la plus ne sont pas ceux qui mènent."

2 heures
Le petit avec ami me quitte ; nous bavardons, nous bavardons ! Voilà donc que M. Barrot sera porté à la présidence. Vous ne jugerez pas possible sans doute de rester neutre ! Je vous fais la question. J’ai donné au petit les noms français Voilà du monde il n’y a pas moyen de continuer. Je n’ai pas eu de lettres encore aujourd’hui. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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445. Paris, Mercredi 7 octobre 1840,
10 heures

J’ai trouvé les Granville fort inquiets hier. Cela me parait un mauvais signe. J’ai fait une très longue promenade au bois de Boulogne, une visite en Autriche, et en rentrant chez moi j’y trouve mon fils Alexandre. Il avait lu les journaux de Paris, à Bruxelles. Ils lui ont paru si menaçants qu’au lieu d’aller à Londres il a tourné de ce côté-ci pour voir ce qui se passait. Il restera ici huit jours et puis il va à Londres pour revenir ensuite. J’ai dîné avec lui et comme mon ambassadeur allait à St Cloud et que je n’attends ce soir de visite que la sienne j’ai été passer ma soirée chez Lady Granville.
Je l’ai trouvée seule avec lord et lady Seaford, mariés depuis 6 jours à Londres. Un vieil amour, entre de veilles gens, réchauffé par un mariage fort raisonnable mais pas intéressant lord Seaford était l’une des amies de M. Canning. Il les choisissait tous un peu bêtes. On disait que le conseil hier à St Cloud devait être très important. La bourse s’est encore agitée énormément et les fonds ont éprouvés une hausse de 4 %. On annonçait pour ce matin une espèce de protestation dans le ministère au sujet de la déchéance du pacha.
Appony a couru hier soir à St Cloud pour dire au roi qu’il savait de source certaine sans être encore directe, qui sa cour blâmait hautement la Porte (et infiniment plus haut encore son internonce pour la part ostensible qu’il y a prise) au sujet de cet acte de déchéance. On espère que ce blâme arrêtera votre cour ! Mais tout arrive si tard. En vérité, je crains beaucoup plus que je n’espère, quoique mon refrain, comme celui de tout le monde, soit toujours. " Mais ce serait fou. "

1 heure
Je n’ai vu encore que le petit ami. Son intelligence et la mienne vous sont bien dévoués. J’allais dire son cœur &. Mais là je ne veux pas de cocarde. Et bien nous trouvons, je trouve surtout et mon Dieu je ne sais que dire, on peut si peu dire par lettre. j’espère que si les chambres sont convoquées, vous vous arrangiez de façon à aller avant passer quelques jours dans votre famille, faites y venir le petit ami, ce sera bien utile. Au fond votre situation est bonne. Vous êtes en dehors de toute intrigue. Vous remplissez avec dévouement, fermeté, habileté vos devoirs là où vous êtes, le jour ou il faudra en rendre compte vous saurez le faire à votre plus grande gloire. Jusque là vous êtes tranquille. Si vous écrivez au frêne recommandez lui bien de ne pas dire un mot, pas écrire une ligne qui l’engage à quoi que ce soit Sa couleur on la connait ; il ne peut pas en avoir, on ne doit pas, on ne peut pas lui en prêter un autre. Je reçois votre lettre dans cet instant, que je voudrais être occupée de vous, pour vous.

2 heures
J’ai été interrompue par tant de monde que je n’ai plus qu’un instant. La crise est plus fort que jamais dans ce moment un conseil chez le Roi, très important. On décide la convocation et la protestation. On dit presque l’existence ministérielle. Montrond sort d’ici. Il croit que la chambre sera convoquée pour le 7. Le maréchal Gérard va faire paraître un ordre du jour défendant toute manifestation publique d’origine politique de la garde nationale. Granville a une audience du Roi ce matin. Je suis très très pressée. Vous aurez des lettres aujourd’hui.
Adieu. Adieu mille fois eh tendrement adieu. Quel moment ! Adieu le roi très pacifique.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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444. Paris, Mardi 6 octobre 1840
9 heures

Les trois 4 font une drôle de mine et ne font pas honneur à notre intelligence, pour des gens qui ont pas mal de goût à se trouver ensemble. C’est bien bête. J’ai vu hier matin chez moi à la fois l’Autriche, la Prusse, l’Angleterre. Une petite conférence en ressemblant pas du tout à celle de Londres quant aux opinions et aux vœux. Il parait que l’insurrection se ranime en Syrie. Il paraît aussi que les Anglais allaient à St Jean d’Acre. Voilà qui fera une bien autre émotion encore qui Beyrouth !
On dit donc qu’on travaille ici à une sorte de protestation dans laquelle on établirait le casus belli. Mais tout cela n’est-il pas un peu tard ? On est très révolté ici de voir que l’internonce a assisté à la dépossession du Pacha à Constantinople.
Quant à nous je n’ai rien vu de plus modeste, même de plus effacé. C’est très drôle. Tous les acteurs en scène, le premier amoureux seul, dans les coulisses. Je ne crois pas qu’il perd rien à attendre. Mais la comédie est complète. Le soir je voulais aller chez Lady Granville lorsque est venu encore M. Molé et puis mon ambassadeur et Bulwer. Nous sommes restés à quatre jasant toujours de la même chose, et riant même un peu. C’est toujours encore dans ma chambre à coucher que je reste ; et ma porte fermée à tout ce qui ne m’amuse pas tout-à-fait. M. Molé et très curieux de tout, mais au fond il me parait être au courant de tout.
Il disait et Bulwer disait aussi que M. Barrot entrerait au ministère, si les affaires tournent à la guerre. Mad. de Boigne est toujours à Chatenay. M. Molé me l’a répété. Il ne l’a point vu du tout. Molé repart aujourd’hui ou demain pour la campagne. Personne ne parle du procès de Louis Bonaparte. Jamais il n’y eut quelque chose de plus plat. Le petit Bulwer est d’une activité extraordinaire et une relation avec toute sorte de monde, très lié avec Barrot. Il faut que je vous dise que 10 jours après mon arrivée ici j’ai écrit à Paul une lettre assez indifférente lui parlant de ma santé, un peu des nouvelles du jour, rien du tout. J’ai fait cela pour renouer la correspondance sur le même pied qu’a été notre rencontre. Il ne m’a pas répondu. C’est bien fort je ne crois pas que j’aie à me repentir de cette avancée, c’était un procédé naturel mais son silence me semble prouver qu’il ne veut avec moi que les relations de plus strict décorum rien que ce qu’il faut pour pouvoir décemment habiter la même ville que sa mère. Qu’en pensez-vous ? Est-ce comme cela ? Il écrit à Pogenpohl qu’il viendra passer l’hiver ici, cela ne me promet pas le moindre. agrément. Je le recevrai un peu plus froidement qu’à Londres. Son frère est auprès de lui dans ce moment, je l’attends sous peu de jours. 1 heure. Le petit ami est venu me voir, il est presque convenu que ce sera quotidien. Nous devrions beaucoup sur un même sujet une seule personne. Quelle situation difficile et grave, en tout, en tout.
Le chêne n’écrit-il pas trop à 21 ? Il faut qu’il sache bien que ce 21 est plus l’ami des autres que le sien, et qu’au besoin il livrerait telle phrase imprudente on intime de ses lettres. On parle de la présidence de M. Barrot, s’il n’entre pas dans le ministère. Que pensez-vous de cela ? Dans mon opinion qui sera celle de tout le monde, au premier instant les personnalités doivent s’effacer devant une grande circonstance. En y pensant davantage je ne sais que dire. Je suis très perplexe ; et c’est cela qui me fait dire, que tout, tout sera difficile. Cependant les événements viendront au secours des embarras peut-être. Je finis par crainte d’interruptions.
Adieu. Adieu mille fois adieu, que je voudrais vous parler. Ah mon Dieu que je le voudrais ! Ce ne serait ni de l’Orient, ni de la Chambre, ni du ministère. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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443. Paris, Lundi 5 octobre 1840
9 heures

Hier a été une journée bien active et bien bavarde. D’heure en heure quelque rapportage, et à 5 heures à Tortoni la nouvelle que Thiers avait donné sa démission. On disait qu’il avait résolu de convoquer les chambres, d’y apporter la guerre et d’ordonner en attendant la marche de 200 000 hommes vers le Rhin et l’envoi de votre flotte à Alexandrie pour l’apposer aux alliés. On disait que le roi n’avait point voulu accorder tout cela, ni rien de cela, et que par suite Thiers donnait sa démission. nous verrons aujourd’hui. Berryer est venu chez moi à deux heures. Il ne savait rien de ces bruits, ils n’ont circulé que plus tard mais il me dit qu’une crise ministérielle était arrivée : que Thiers ne pouvait point reculer, qu’évidemment il lui fallait la guerre et que la chambre accueillerait avec transport la guerre, parce que telle était la disposition des esprits maintenant qu’il fallait commencer cependant que Thiers avait fait bien des fautes, qu’il n’avait fait que des fautes mais que pour le moment il ne s’agissait pas de les examiner, qu’il fallait satisfaction à l’amour propre national, et que comme cette satisfaction ne se présentait pas pacifiquement, il fallait la prendre de l’autre manière que ces derniers deux ans avaient fait une grande révolution dans les esprits, qu’il ne pouvait plus y avoir dévouement ou confiance, que les existences avaient été troublées, tout remis en question, et que dès lors, tout pouvait ressortir de cette situation. Que l’Angleterre avait été bien habile, que lord Palmerston était le plus grand homme qui eut paru depuis M. Pitt. Paralyser à la fois la Russie, (je n’ai pas accepté la paralysie) remettre à la tête des grandes puissances, s’emparer de la direction des affaires en Espagne, et rendre ainsi la situation de la France périlleuse de tous les côtés, c’était là un chef d’oeuvre d’habilité, enlevé galamment avec une prestesse admirable. Enfin il grossirait cela de toutes ses forces pour enfler les comparaisons. Il parlait pitoyablement des notes diplomatiques. Il demandait la réponse au factum accablant de Lord Palmerston ? Et puis il a brodé sur les crédits extraordinaires, sur les fortifications de Paris surtout, et de quel droit, sans avoir consulté la Chambre ? Et le bois de Boulogne à qui appartient-il ? Il dit après : le roi a tiré de ce ministère tout ce qu’il lui fallait pour sa propre force. Ce que Thiers préparait pour dehors, le roi se promettait bien de l’employer au dedans et le jour où arrivera la la nécessité d’une révolution extrême, le roi ayant profité habilement de tout ce que la popularité de Thiers a pu lui fournir jusqu’à sa dernière limite, le Roi se passera de lui. Placé entre deux dangers une lutte extérieure, et une lutte intérieure, le roi choisira toujours cette dernière chance. Voilà le dire de Berryer sur la situation en gros ; il n’a point nommé les personnes. Il a seulement dit en passant que vous et Thiers étiez mal ensemble, j’ai dit que ce devait être nouveau parce qu’il me semblait tout le contraire lorsque j’étais à Londres.
Après Berryer, j’ai vu tout mon monde diplomatique les quatre puissances alliées agités, mais point inquiets. Ils ne croient pas sérieusement à la guerre. Sébastiani a dit hier encore à 4 heures de l’un de ces diplomates. Tenez pour certain que le roi n’y consentira pas. Le petit ami est revenu hier une seconde fois très animé, très troublé de tout ce qu’on dit, et de tout ce qu’on lui demande. Je lui ai dit de vous tout dire dans le plus grand détail. Hier soir à 10 heures, M. de Broglie était chez Granville, qui lui a appris tout le tripotage de la journée. M. de Broglie n’en savait pas un mot, et ne voulait pas y croire. Il ne voulait pas croire que le ministère eût pu arriver à ds résolutions aussi excessives. Mais M. de Broglie, me parait être quelque fois un enfant. moi, je suis très très préoccupé de tout ceci pour vous !
Lady Palmerston m’écrit. avec amitié. Sur les affaires elle me dit : " Lord Palmerston désire plus que personne la paix, et je ne puis croire qu’avec ce désir général il y ait crainte de guerre. La conduite de M. Thiers rend toute négociation à présent fort difficile, mais il est clair que l’on serait fort aise de s’accommoder avec la France autant qu’on peut le faire sans déshonneur, et sans abandonner ses alliés. Mon mari est fort raisonnable dans cette affaire et saisirait volontiers tout moyen d’accommodement qui ne porterait point atteinte à l’honneur de son pays, ainsi ne dites pas que c’est de lui que dépend la paix ou la guerre, parce que le résultat est bien plus entre les mains de M. Thiers. Si la France se comporte comme une écervelée ce ne serait point une excuse pour nous d’être lâches ou d’abandonner nos alliés." Elle me dit encore que le duc de Wellington et Peel sont bien plus déterminés encore que son mari, et que Peel a dit : " Si l’on fait des concessions à la France, il n’y aura pas de paix dans trois mois. "

Onze heures
Je reçois votre lettre c’est charmant d’être à Lundi, c’est charmant Mercredi. Mais que faire de l’intermédiaire ? Votre gravure est devant moi dès que je quitte mon lit, tous les jours je trouve la ressemblance admirable. Mais pourquoi ne me regardez-vous pas ? Est-ce le peintre ou vous qui avez voulu cela ? Je ne suis pas sûre que vous ayez eu raison ; c’est parfait comme cela, mais votre regard fixé sur moi, c’eût été mieux encore. Je me repens d’une petite querelle que je vous ai faite hier pour abstenir des nouvelles modernes plutôt que des souvenirs anciens d’Angleterre.
Je me repends de tout ce qui n’est pas des paroles douces tendres ; de loin il ne faut jamais un moment d’impatience même sur ce qu’il y a de plus puéril. compte sur vous. Vous me connaissez un peu pétillante, vive et puis c’est des bêtises.
Mad. 79 se plaint de ce que le bouleau a trop d’intimité avec les personnes qui ne sont pas de l’avis de R. Les journaux ce matin sont bien plats à côté du commérage de la journée d’hier. Le constitutionnel est en bride. L’incertitude ne peut pas durer.
Je ne me porte pas mal, mais je ne suis pas encore assez bien pour voir du monde. Le soir cela me fatiguerait. M. Molé est revenu hier mais je n’y étais pas. Je passe le dimanche à l’ambassade d’Angleterre. Je trouve lord Granville très soucieux. Sa femme est allée avant hier à St Cloud. Elle n’y avait pas été depuis plus de 3 mois. Jamais, elle n’a vu la reine dans l’état d’accablement et de tristesse où elle l’a trouvée.

Samedi 1 heure.
Je n’ai vu personne encore, je viens de marcher sur la place, je rentre pour fermer ni avant les interruptions. Je vous écris des volumes il me semble, mais il me semble aussi que vous les voudriez encore plus gros. Je vous crois insatiable comme moi. Je vous crois comme moi en toute chose, en tout ce qui nous regarde, un peu aussi en ce qui ne nous regarde pas. Enfin je trouve que nous nous sommes tellement eingelebt (Connaissez-vous la nature de ce mot ? ) que nous n’avons plus besoin de nous rien demande,r nous nous devinons. Devinons-nous ce que deviendra ce mois-ci ? Ah pour cela, non !!

Adieu. Adieu. La crise ne peut pas se prolonger. Il faut que la convocation des chambres ressorte de ceci. Adieu. Adieu toujours adieu quoique vous commenciez un peu à le mépriser, et moi peut être aussi. Mais nous sommes trop pauvres pour ne ps accepter les plus petites aumônes. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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442. Paris, dimanche 4 octobre 1840
9 heures

Il y a quatre semaines, je vous attendais encore, nous avons encore marché dans le jardin, vous vous souvenez ce que nous nous y sommes dit ! Je le redis, je me le redis mille fois le jour, je le redirai toute ma vie. Hier j’ai été aux Italiens, Lucia de Lamermoor au premier acte un duo ravissant entre Rubini et Mad. Persiani, une succès d’amour. Ils échangent des anneaux, ils baisent l’anneau qu’ils mettent à leur doigt, un mariage devant le ciel, enfin une telle ressemblance que j’en suis restée troublée toute la soirée.
J’avais dans ma loge Mad. Appony et sa fille. Mon ambassadeur y est venu. J’ai dit un mot à Berryer, il viendra me voir aujourd’hui. Dans la matinée je n’avais vu Appony et manqué beaucoup d’autres : Il ne croit toujours pas à la guerre. Mais il croyait savoir que le roi avait de l’humeur contre ses ministres, ils ont eu trois conseils dans 24 heures sans informer le maître du motif. Ils le contrarient pour se bâton de maréchal à Sébastiani. Le roi très pacifique. On pense que les ministres débattent tant la question de la convocation des Chambres. Il y a toujours bien de l’agitation dans les esprits. On aimerait bien à croire à la nouvelle qu’Ibrahim a forcé les alliés à rentrer dans leurs vaisseaux, mais cette donnée est vague.

Midi.
Votre lettre de vendredi ne me dit rien. Est-ce que les conseil de jeudi n’a donc rien produit du tout ? Mais c’est incroyable. Dites moi donc quelque chose. J’ai besoin d’autres correspondances que vous ! Car par vous je n’apprends rien. Je ne vous donne pas raison pour Chiswick. C’est une très exacte copie des villas près de Padoue, il n’y manque que le soleil. Ce que les hommes ont pu ils l’ont fait ; au lieu de me conter ce que Lady Holland a dit à M. Canning, et ce qu’il lui a répondu et que je sais par cœur, dites-moi ce que lady Holland pense du Cabinet Conseil. Contez-moi l’Angleterre de votre temps et non pas l’Angleterre de mon temps. Il ne vous fâchez pas de cette petite observation, moi Je me députe quand je vous voir employer mal votre papier et votre temps. Je veux de douces paroles d’abord et puis la guerre ou la paix ensuite, je veux aussi tout l’emploi de vos journées. Moi, je vous dis tout.
Hier bois de Boulogne comme de coutume, dîner seule comme de coutume, mon lit à dix heures comme de coutume. J’ai quitté les Italiens à 9 1/2. Je n’ai pas causé avec votre petit Médecin parce que vraiment cela n’aurait pas de sens à moins de me mettre entre les main. Je suis très contente de Chermside. Il me tire vite des petites indispositions qui m’arrivent. Quand vous serez ici, vous ordonnerez et j’obéirai, jusque là à moins de catastrophes j’irai mon train ordinaire. Chermise est prudent, il me traite avec beaucoup de douceur. Ma blessure est presque guérie. Les journaux deviennent incommodes pour M. Thiers. Il n’y a guère qui le journal des Débats que le soutiennes Aujourd’hui, c’est-à-dire il n’y a que le journal des Débats que soit raisonnable car la question de Beyrouth. Le duc de Noailles, m’écrit encore. Il dit qu’il n’y a qu’un gouvernement aristocratique ou un gouvernement populaire qui puisse faire la guerre. Ce gouvernement-ci non mais où est la cause de guerre ? Voilà toujours le puzzle.

1 heure.
Je viens de marcher. Je ne sais pas de nouvelle, je n’aurai vu personne avant de fermer cette lettre. Je pense à la convocation des Chambres. Il me semble qu’il n’y a de salut pour moi que là. Car vous me préparez à un grand désappointement pour octobre. Je n’ai jamais cru sincèrement à octobre, vous n’y avez pas cru non plus. Tout cela était pour acculer deux enfants. Qu’est-ce que c’est que des projets, des volontés. Qu’est- ce que sont les plus ardents désirs ? Eh mon Dieu ; ils ne font pas gagner un jour une heure. Il me semble que je suis de mauvaise humeur aujourd’hui, et je ne vois pas pourquoi. Il n’y a rien de nouveau.
Adieu. Adieu, j’ai ressenti un vrai plaisir hier en prenant possession de ma loge. Est-ce que je me tromperais ? Il me paraissait que je devais y passé de si doux moments croyez-vous que j’aurai de doux moments ?

Adieu. Adieu. Mille fois adieu. dans ce moment une petite visite qui me dit qu’on se plaint de ce que vous n’aviez pas. Cette petite visite visite me dit aussi que 62 dit qu’on a passé toute la journée d’hier à patauger sans rien décider et qu’on attendra encore quelque jours.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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439. Paris, Jeudi 1er octobre 1840
9 heures

Vous m’avez promis que le mois serait beau. J’y compte. J’ai bien dormi, les douleurs sont presque passées. Enfin n’y pensez plus, mais comptez. que je suis docile que je me soigne. Votre lettre est venue hier au moment où la mienne partait, elle ne m’a guère éclairée sur la situation, vous ne dites pas un mot qui me guide.
J’ai appris hier soir que le conseil devait être remis à Jeudi, aujourd’hui. Je meurs d’impatience et d’inquiétude. j’ai vu hier mon ambassadeur celui d’Angleterre, trois fois Bulwer, quatre fois M de Pogenpohl. Ces deux là étaient inquiets de moi. Le soir M. Molé. J’étais levé c-à-d couchée sur ma chaise longue. Les ambassadeurs anxieux.
M. Molé est fort maigri. Vous jugez ce qu’a été son langage. S’il était aux affaires, s’il y était resté, tout était autrement? Jamais l’alliance anglaise ne se fût brisé entre ses mains ; on n’a fait que des fautes ; mais il faut que je convienne qu’il attaque le maréchal Soult un peu plus encore que M. Thiers quant à la conduite. Mais de l’affaire d’Orient, il est plus préoccupé de l’intérieur encore que du dehors. La situation des partis, le manque de chef au parti conservateur, l’éparpillement des doctrinaires. L’infatuation du roi pour M. Thiers. Car le roi coule des jours tranquilles, plus d’attentats, plus d’attaque dans les journaux. Son ministre le couvre, le garantit de tout cela. Mais voici l’étrangeté du roi, après avoir passé des années à montrer Thiers aux puissances étrangères comme un révolutionnaire, ennemi de sa personne, ennemi de son trône, de tous les trônes, il s’étonne que les puissances étrangères ne veulent pas. accepter M. Thiers comme un excellent ministre. Il se fâche, il s’importe.
Molé dit comme beaucoup de monde, " Mais si on ne s’arrange pas comment fera-t-on pour avoir la guerre ? Il n’y a ni sens, ni raison à la faire pour la Syrie. Par quel bout commencer ? où, quoi ? Tout ceci est insensé, absurde. Il n’y a plus un homme en Europe. ( Il y a quelques temps déjà que je me permets cette réflexion. ) De vous il dit qu’on a beaucoup répandu que vous avez été pris au dépourvu, mais qu’il n’en croyait rien, et que d’ailleurs, il y avait des preuves.
Je sais par 29 que 62 est très content de 6. 14 parle très bien du cèdre, de ses principes, il les croit inébranlables très dédaigneusement de beaucoup de petits arbrisseaux surtout de 77. Mais il en reste de bons. Il espère beaucoup que le hêtre sera ici quand la compagnie ce ressemble, et regarde même cela comme indispensable La violette a été très réservée malgré beaucoup de tentations, car on revenait toujours sur ce qui la préoccupe le plus. Midi. Voici la lettre de mardi encore pas un mot qui me fasse jusqu’ici vous avez la moindre espérance de transaction. Vous me traitez trop mal, et il y a vraiment trop d’exagération dans votre prudence.
Votre vue s’allonge parce que vous écrivez trop, pas à moi, à d’autres. M. Molé m’a dit que Berryer avait été pitoyable, très au dessus de lui-même. Je viens de lire son discours et je trouve des passages magnifiques, sublimes. Je suis sûr que vous le trouvez aussi, et aux mêmes endroits. Et je comprends un peu que Molé ne les loue pas. M. Molé pour me homme d’esprit dit quelques fois des pauvretés, et compte trop qu’il parle des sots. Hier encore cette réflexion m’a frappée. Il est désintéressé dans son jugement. Il serait très malheureux d’être appelé aux affaires. Il ne sait pas ce qui se passe, il ne cause avec personne." J’avais envie de lui dire : " mais employons donc mieux notre temps car je ne crois pas un mot de ce que vous me dites.
La partie du discours de Berryer que j’admire parfaitement est ce qui commence à : " Le pouvoir en France est aujourd’hui confié, à un ministère dont l’origine est récente" & & & et qui finit à " et quiconque devant dieu devant le pays me dira : "S’il eût réussi je l’aurais nié ce droit. " Celui-là, je l’accepte pour juge. " J’ai été fort contente du leading article des Débats hier. C’est Le langage d’un cabinet bien plutôt que d’un journaliste. Vous savez que j’attends toujours l’explication du bis. On dit dans le monde que vous allez faire partir l’amiral Duperré avec mission d’empêcher la jonction de la flotte russe avec la flotte anglaise. Mais vient elle cette flotte russe ? On dit aussi que vous embarquez des troupes sur vos vaisseaux.

2 heures
Je ne reviens à vous que pour vous dire adieu. Adieu mille fois adieu. Le meilleur, le plus tendre. Voici les Appony. Adieu.

3 h. Sébastiani aura le bâton de Maréchal. Il y a eu quelqu’embarras mais que le roi a surmonté. Montrond sort d’ici.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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437. Paris Mardi 29 septembre 1840
9 heures

Cet abominable mardi ; il revient tous les jours ! Pourvu que demain j’aie ma lettre de bonne heure. Je ne vis plus que pour vos lettres. J’ai fait hier ma promenade avec Mad. Durrazo. Vous ne savez pas qu’elle a de l’esprit, beaucoup de finesse, de drôlerie, et qu’elle est le meilleur mime possible. Avant de rentrer, j’ai passé chez Mad. Appony. Hemmelauer qui a passé ici raconte que l’opinion en Angleterre est très vive contre la France et qu’il y a bien peu de vraisemblance à ce que l’affaire puisse s’arranger. Nos pauvres diplomates sont fort tristes et fort tourmentés. Ce sont de très braves gens et qui animent beaucoup Paris !
En traversant la place Louis XV pour rentrer je rencontre Thiers en voiture, qui fait arrêter la voiture et la mienne tout simplement et qui d’un bond s’est trouvé dans ma calèche. Nous sommes restés dix minutes exposés au public. Il m’a dit courtement : " Si le traité s’exécute vous avez la guerre c’est certain." Je lui ai dit que personne de nous en songeait à la lui faire, et que je ne voyais pas comment elle pourrait commencer. " Ah cela, c’est mon affaire. Vous verrez. " Et puis il m’a dit que le roi était furieux, la reine extrêmement, toute la famille. Qu’il était occupé du matin au soir, que tous les jours il veut venir me voir, qu’il viendra, et des tendresses ; personne n’a été nommé. Il m’a demandé ce qu’on me mandait d’Angleterre. Je lui ai dit que les esprits étaient très montés contre la France depuis peu de jours. Il me dit que les rapports sur ce sujet étaient contradictoires. Et nous verrons. Voilà la conversation.
J’ai dîné comme de coutume. Il me semble que je mange ma perdrix mais à me regarder, je croirais plutôt que c’est elle qui me mange. Après le dîner la calèche encore. Je me fais traîner le long du boulevard. C’est si animé, si gai. Je pense à Londres. Je me fâche de regarder quelque chose de gai lorsque vous n’avez que du morne et du triste. Vraiment, je ne conçois pas qu’un français puisse habiter Londres et puis pour tout étranger j’ai toujours pensé qu’on ne peut vivre à Londres que lorsqu’on a un intérieur, des enfants, du bonheur autour de soi, dans sa maison ; alors, et une grande situation pas dessus le marché cela va, surtout. Quand on n’a pas habité Paris. Mais vous, vous ! Vous ne sauriez vous figurer. A quel point je vous plains et je m’en veux de vous avoir quitté. Ah si j’avais pu rester ! Il faut bien que je me répète que c’était impossible. Votre promenade au Regent’s park seul. Cela me fend le cœur, et cet air de Londres si lourd, si gris !
N’est-ce pas que vous comprenez qu’un pauvre diable aille se pendre au mois de novembre ? Mon ambassadeur est venu à 10 heures, il me quitte parce que c’est toujours encore l’heure où je me couche, ma porte est encore fermée à tout le monde. Nous ne parlons que d’une seule et même chose nous ne parlons fort tristement tous les deux. Il admet aujourd’hui la guerre sans la comprendre. Mais enfin la voilà, partant de là il la veut bien forte et bien courte. Encore une fois toute l’Europe, et quelque chose de pire que l’année 15 ? En vérité, c’est très possible. Il y aura bien quelques mauvaises têtes, mais elles sont bien plus rares aujourd’hui qu’elles n’étaient il y a 10 ans 
L’exemple de la France n’est par dangereux. Quel degré de plus de liberté y a-t-il que sous les anciens Bourbons. Qu’est-ce que les pays gagnent à se mettre en révolution? Et l’Espagne ! On regarde tout cela, on a réfléchi à tout cela, et vous trouvez peu de sympathies révolutionnaires. C’est sur cela cependant que vous devez compter. Si ce moyen vous manque, et il vous manquera, qui peut douter que l’Europe résolue comme elle l’était alors, ne fasse, comme alors succomber la France ? vraiment la carrière est plus aventureuse pour la France peu pour les autres. S’il y a des gens légers, présomptueux. Autre part, il y en a bien ici aussi. Pensez à tout cela avec votre immense raison et votre impartialité très rare. Est-on engagé assez loin pour ne pas pouvoir trouver des moyens d’éviter un grand fléau ? La situation est mauvaise. Vous faites bien de prendre des mesures à tout événement. Vous avez bien quelque motif de ressentiment quant aux procédés, aux manières, mais de là à faire la guerre, à la provoquer ! Il y a trop loin. Personne ne vous attaquera, tenez cela pour certain ; on vous laissera. à vous tout le tort de la provocation, et il soulèvera contre vous, sincèrement, toute l’Europe. Je pense et repense sans cesse à tout cela.

10 h 1/2
Quelle surprise charmante ! Cher Simon ! J’ai failli l’embrasser. Vos douces paroles me font du bien en effet beaucoup de bien. Je me soigne ; je me soignerai. Je veux que vous me retrouviez mieux. Je suis joyeuse de votre lettre. J’attends avec une vive impatience l’explication du bis, c’est de l’émotion, un intérêt constant pour toute la journée, car vous n’avez pas un confident aussi pressé que Simon. Tout ce qui s’appelle légitimiste s’est abstenu de paraître hier à la Chambre des pairs. C’est une mesure générale convenue avec Berryer. Ceux des légitimistes qui étaient revenus aux idées et au langage le plus raisonnable ont un peu changé de ton depuis les dernières six semaines. Ils prévoient de la confusion, et par conséquent de l’Espérance.
On dit que Molé dit du roi que son esprit a beaucoup baissé. Le roi a été très vif il y a deux jours dans un entretien avec Appony. Après tout ce que j’ai fait, personne n’a pour moi la moindre considération ! Le mot n’est pas heureux. Il a frappé du poing sur le genou d’Appony de façon que le pied d’Appony a rebondi. Je vous raconte tout le bavardage.
Après le beau temps d’hier ; voici la pluie, ma promenade gâtée. Et il me faut de la promenade pour reprendre des forces. Votre lettre toute seule ne m’en donnera pas. Cependant, elle y fait quelque chose. Une de nos plus grandes dames de Russie, la fameuse comteuse Orloff si riche et dernière de son nom (car Orloff est batard) va épouser un jeune officier de 26 ans sans nom et sans renom. Cela fait un immense scandale. Elle est demoiselle et elle a 54 ans. Elle vivait depuis 20 ans dans un couvent avec des moines dont elle balayait la chambre. Elle venait à la cour pendant la semaine, chaque année et y paraissait toujours couverte de diamants, et dans la plus grande pompe. Elle fait maigre toute l’année depuis 20 ans elle n’a mangé que du poisson à la cour comme au couvent. Elle est grande, grasse, un port de reine et des yeux superbes. La colonie russe ici ne parle que de ce mariage. On en est bien plus préoccupé à Pétersbourg que des affaires d’Orient.
Pahlen nie toujours que nous envoyons notre flotte, mais toujours, toujours il est sans la moindre nouvelle.

2h 1/2
Fleischmann revenu depuis 3 jours de Stuttgard a été faire sa cour hier à St Cloud. Il sort de chez moi, le roi l’a étonné, un peu effrayé, des mouvements d’une vivacité inconcevable. Un langage très exagéré. Il se frappait la poitrine. Il poussait Fleischmann contre la muraille. Il le prenait au collet, le secouait. Enfin c’est drôle. Le duc d’Orléans plus calme de gestes, mais aussi vif de paroles à demain car je suis pressée. Adieu. adieu. Mille milles fois adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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434. Paris Samedi 26 septembre 1840
9 heures

J’ai vu hier matin M. de Werther, Montrond, Bulwer. Celui-ci avait de mauvais avis de Londres. Lord Palmerston écrit : " Le traité doit être exécuté. " On dit que mon Empereur est de cet avis aussi et bien plus fortement ; et ravi de l’idée d’une guerre, qui le mènerait à Paris ! Je vous dis les renseignements venus par des étrangers, car Pahlen n’a pas un mot, absolument pas un. Après mon dîner, j’ai été un moment chez les Appony. Il m’a reçue avec des éclats de joie. On répandait le nouvelle que le pacha avait tout accepté. Est-ce vrai ? Nous verrons dans la journée. Ce serait un effet une bien grande nouvelle. Pas beaucoup de gloire pour le gouvernement français. Grand triomphe pour lord Palmerston, mais enfin, la paix, la paix, à moins que vous ne veuillez la guerre pour rien du tout, et pour le seul plaisir de la faire. Je raisonne et déraisonne, car encore une fois il faut confirmation.
Montrond croit que Flahaut va faire du barbouillage à Londres, que certainement il en ressortira des commérages entre vous et Thiers. Il est fâchée de ce départ. Du reste Montrond est bien à la pais. Il dit qu’il voit Thiers rarement et que quand il le voit il le trouve tellement entouré de journalistes qu’il n’y a pas moyen de causer avec lui. Savez-vous que Bulow a en effet mécontenté sa cour ? Il avait le double ordre de faire comme ses collègues d’Autriche et de Russie, et de ne pas laisser la France en dehors. Il n’y avait pas moyen de concilier cela. Il a fallu choisir, et il a choisi ce qu’il croyait qui flattait le plus les opinions de son nouveau maître. Il s’est trompé, on lui en veut. Cette donnée que je regarde comme très exacte, vous expliquez bien des choses. Lord Palmerston en veut un peu à Bulwer pour avoir tenu un langage trop mou ici. Mon ambassadeur est venu chez moi de 9 à 10 heures. Je lui ai donné la nouvelle d’Appony. Nous avons devisé sur cela. Il doute et écrit tour à tour. Nous verrons votre lettre hier ne m’a été remise qu’à 3 heures, par le petit copiste. C’est vraiement trop tard. Et puis, c’était un pur hasard qu’il m’ait trouvée chez moi.

2 heures
Voici votre lettre tard encore ; les jolis garçons. car Dieu merci j’en ai vu trois maintenant, ne me plaisent pas autant que les vieux et les veilles femmes. Je prie qu’on vienne avant midi mais cela ne fait pas beaucoup d’effet. M. Molé sera ici pourl e procès. Il n’y est pas maintenant ; je suppose qu’il viendra me voir. J’irai demander aujourd’hui où se trouve D. Je ne vous ai pas parlé de votre portrait, je l’ai bien regardé cependant. Il est excellent mais j’aime tant ma gravure, je la regarde tant dans mon cabinet de toilette, j’y suis si habituée, que dans ma préocupation de la gravure et de l’original, je n’ai pas apprécié le portrait autant qu’il le mérite. C’est un intermédiaire dont je n’ai pas besoin les deux autres ont leur place. Je bavarde et je radote. Je rêve de bons temps, bons temps passés, bons temps à venir. Venez. La nouvelle d’Appony est- elle vraie est-elle fausse ? Si elle est fausse, le conseil de Lundi sera-t-il bon, sera-t-il mauvais ? voilà où tournent mes idées. Adieu. Adieu autant de fois et comme il vous plait. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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433. Paris vendredi 25 septembre 1840
9 heures

J’ai vu hier Montrond et les Appony. J’ai fait ma promenade En rentrant, j’ai vu M. de Pahlen. Après mon dîner, j’ai éte un moment chez Mad. de Flahaut avant sa réception et puis chez lady Granville, que je trouve toujours au coin du feu avec son mari. Appony a eu un long entretien, hier matin avec Thiers. M. de Metternich s’emploie à arranger Thiers le trouve long et métaphysique Il voudrait que cela allât plus vite. Il a été un peu menaçant, un peu doux, et toujours un peu drôle. Appony au fond était moins inquiet hier que ces jours derniers. Tout le monde se demande " Mais comment dès qu’on va faire la guerre ! pourquoi ? " Je crois que vraiment quand le moment surprise arrivera, le ridicule pourrait bien tuer le danger. Que Dieu m’entende.
Les petits états envoient des Déclarations de Neutralité, je veux dire Sardaigne, et Suède. Les pauvres allemands n’oseront pas l’être. La Confédération en décidera autrement.
Si je vous écrivais dans mes moments de faiblesse et de tristesse, mes paroles vous feraient de la peine. De la peine et du plaisir. Le matin j’ai un peu de force, vers le milieu du jour elle m’abandonne, le soir je suis tout à fait triste, découragée. Je regarde le fauteuil vert vide, je trouve ma vie si mal arrangée ! Et puis je la crois si courte. Et ce court moment, je le passe seule ! Je ne devrais pas vous dire tout cela. Vous avez assez de votre propre tristesse et puis vendredi, un mauvais jour.
Lady Holland a bien raison de le trouver un très mauvais jour. Je suis fort bien avec Madame de Flahaut. Après la grosse explosion, elle est redevenue charmante. A propos on dit qu’elle ne parle plus dans le monde, qu’elle est d’une réserve, d’une prudence presque outrées.
Je vous envoie une lettre du duc de Noailles, car je n’ai rien à vous dire, et le dimanche vous n’avez rien à lire à Londres. Cette pauvre princesse Augusta je la regrette, car elle était la meilleure personne du monde. Elle louchait cependant , elle ne vous aurait pas plu. J’espère qu’il n’est arrivée a personne de devenir louche après cinquante ans, car après votre déclaration. tout serait donc fini ? Ma nièce plait à tout le monde. On ne peut rien voir de plus gracieux, de plus naturel et de plus élégant. Sa mère sa arriver dans quelques jours what a bore ?

1 heure
Comment se fait-il que je n’ai pas de lettres ? Je vous en prie n’envoyez qu’au gens qui attendent la poste chez eux. Adieu, adieu. Adieu à demain. Je serai bien fâchée contre vous si vous m’envoyez autre chose qu’un tendre adieu après mon explication d’hier. Je sais suffisamment me gronder moi- même et je suis trop malade pour pouvoir supporter d’être grondée. Vous verrez qu’à force de douceur je deviendrai sage tout-à-fait. Adieu. Adieu. Il y aura un Cabinet council lundi. Il sera important. C’est de Londres que je parle.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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431. Paris, Mercredi 23 septembre 1840
9 heures

J’ai vu hier matin, Bulwer, Appony, Granville chez moi. J’ai fait une courte visite à Lady Granville, une plus courte promenade encore en voiture. Il pleuvait à verse après mon dîner j’ai vu les deux Pahlen jusqu’à 10 heures.
Il y avait une soirée chez Lady Granville. Granville a vu longtemps Thiers à Auteuil lundi matin. Ils sont venus ensemble en ville. Granville est retourné dîner à Auteuil. Le soir il a été à St Cloud. Partout reçu et traité avec amitié et un grand empressement. Je crois. que Thiers a perdu tout le goût, qu’il avait pour Bulwer. Thiers est monté sur son cheval de bataille. Il aura neuf cent mille combattants ; il ne craint pas l’Europe réunie. Le protocole de jeudi est à ses yeux une mystification. Le Roi est soucieux depuis deux ou trois jours. Il se loue beaucoup de M. de Pahlen, (c’est de sa personne qu’il s’agit).
Je relève une erreur dans une de vos lettres. Ce n’est pas la grande duchesse Marie seule qui se trouve être maintenant cousine de M. Demidoff. La mère de Mad. Demidoff était sœurs du Roi de Wurtemberg, cousine germaine de l’Empereur Nicolas, par conséquent M. Demidoff devient neveu de l’Empereur à la mode de Bretagne. Voilà mon indiquation. Après cela, savez-vous qui était le le père de M. Demidoff celui que vous avez vu à Paris riche et perclus ? Il était sorti de je ne sais quel gentilhomme russe et potier, C’était son métier. Il a fait cette fortune par son industrie. Vous voilà bien résigné sur mon indication. Il y a beaucoup de symptômes ici qui indiquent que les préparatifs de guerre s’ils ne sont pas employés bientôt le seront plus tard. La France ne voudra pas avoir tant fait, pour ne faire rien ; et M. Thiers surtout voudra faire beaucoup ou au moins quelque chose.
Voilà ce qu’on se dit, et ce qui a beaucoup de vraisemblance. Alors il y a des personnes qui disent qu’il vaudrait mieux lui. adresser dès aujourd’hui, tout de suite, des questions sur ses armements sont-ils défensifs ? Mais personne ne songe à l’attaquer. Sont-ils offensifs, ou enfin destinés à soutenir les prétentions du Pacha ? On dit que plus douce aujourd’hui qu’elle ne le serait peut-être dans quelques mois. Et qu’en tout état de cause on ne peut pas rester longtemps dans cet état actuel de crise et d’incertitude. Je vous dis le bavardage. Les Anglais en déclament beaucoup contre la reine Christine, probablement aussi contre votre influence sur elle. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’elle est dans une pauvre situation.
Le petit F. m’a dit tenir de bonne source que 48 parle fort mal du Frêne, à ses confidents il ajoute qu’il ne fait plus de confidences véritables au peuplier. En savez-vous quelque chose ? On dit qu’au fond Thiers est mécontent de ce que Walesky est allé à Constantinople. Je crois moi que le choix de ce négociateur sera particulièrement désagréable à la Russie et ajoutera par là à l’aigreur à Constantinople.
Il faut que j’aie une lettre aujourd’hui, il m’en faut une et bonne et longue absolument. mon fils m’écrit de Bade qu’il va encore en Angleterre. Il ne sera donc ici que dans le mois d’octobre. Vous faites bien d’avoir vos soirées. Mais je vois d’ici que lady Palmerston sous forcera à recevoir des dames. J’ai trouvé le speech du roi de Prusse de son balcon à Konisberg passablement ridicule, bien Schärmevitch. La dernière phrase inintelligible.

2 heures
Pas de lettre ! C’est abominable après deux jours d’abstinence. Il faudra fermer ceci sans vous rendre un adieu, mais je le donne comme vous pouvez le désirer tout-à-fait ? Adieu. Avez-vous lu le National de ce matin ?

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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427. Paris, Vendredi 18 septembre 1840
4 heures

J’ai été retenue chez moi d’abord par mon médecin et puis par le duc de Noailles, qui est venu en ville pour deux heures pour me voir. Vous concevez qu’il a questionné et comme il a questionné. Et puis il a parlé. Il dit que la France au fond veut la paix, que c’est le vœu général, si général, si profond, que même on avalerait une petite humiliation encore plutôt que de se livrer aux hasards de la guerre, que cela est certain ; mais qu’on n’avalerait pas tout. Décidément pas et qu’alors on ferait la guerre très franchement et avec une grande unanimité. C’est aussi l’opinion et le dire de Berryer que le duc de Noailles venait de voir. Berryer croit savoir que Thiers est moins pacifique qu’on ne semble le croire. Il veut bien se montrer pacifique encore parce qu’il n’est pas prêt. Mais le jour où il sera prêt il voudra employer ses moyens, et le moment dangereux sera celui-là. Le duc de Noailles se creuse la tête pour trouver ce que les alliés peuvent vouloir tenter ou plutôt ce qu’ils sont convenus de faire pour le cas où l’insurrection de Syrie ne couronnerait pas leurs espérances. Il croit que les Anglais prendraient Caudie par cette position ils tiendraient les Russes aussi en échec, car ils n’en sortiraient que le jour où les Russes sortiraient de Constantinople ; ce serait européennement parlant une bonne affaire, et une bonne affaire pour les anglais dans tous les cas.
Moi - Mais la France avalerait- elle cela ?
Le duc - Je le crois, presque. Voilà à peu près l’Orient expédié ! Venons à Louis Bonaparte. Il paye très cher à Berryer pour le défendre. Et Berryer accepte parce qu’il est bien payé, et puis parce que cette défense tourne pour lui un moyen d’attaque contre le gouvernement ainsi il justifiera Bonaparte sur ce que la France n’est plus qu’un pays de désordres. Un pays où l’on proclame des légitimités à la demi-douzaine. La branche d’Orléans légitime, Bonaparte légitime, le ministère le dit. On ne sait plus auquel entendre. Voyez la confusion, de là une tentative toute naturelle. Il brodera sur cela. Il brodera sur la situation que le gouvernement a faite à la France, répudiée, isolée; ses deux grandes bases d’alliance détruites l’Espagne, l’Angleterre. Belle situation en Europe ! Enfin, enfin Louis Bonaparte a profité de tout cela, il en avait le droit.
Vienne ensuite la Chambre. Oh à la Chambre ! Qu’un orateur habile se lève et toute pacifique que soit cette chambre, cet orateur peut lui faire voter la guerre dans une demi-heure. Si la situation n’est pas. éclaircie d’ici aux chambres. Il sera très difficile d’éviter un éclat. Le duc de Noailles ne sait pas s’il viendra on ne viendra pas au procès. Je l’ai fort engagé à venir. Il m’a dit que Berryer déciderait un peu cela.

Samedi 19 septembre. 9 heures
J’ai été vraiment malade hier très affaibli, très misérable. Je n’ai pas bougé de ma chaise longue. J’ai vu Appony avant dîner, mon ambassadeur le soir. Appony avait vu Thiers. On est comme de raison très très préoccupé de savoir ce que va devenir la proposition de Méhémet Ali. Nécessairement le sultan la référera à la conférence. Voulut-il même l’accepter, Ponsomby aura soin de l’en empêcher, d’abord ce seront des délais de deux mois au moins ; pendant ce temps l’exécution du traité ira toujours. Appony trouve que le conseil donné à Méhémet ali a été bon, très adroit de la part de la France ; il croit que la conférence pourrait accepter, mais si elle n’accepte pas, si on veut à toute outrance le traite ; alors la situation devient bien plus grave qu’avant cette proposition de l’Egypte, parce que la France est compromise, et qu’elle ne peut pas laisser passer cela. Il me semble que pourvu qu’on entre en voie de négociation cela doit s’arranger. Mais les amours propres anglais se soumettront-ils à cela ? Vous me le direz.
Sur le traité, Thiers a dit à Appony : " Vraiment il est pitoyable votre traité ; il est risible, je suis sûr que le prince Metternich doit en rire aussi. " Appony lui a promis de venir l’informer de suite que le prince Metternich en rit, s’il le lui mande. au reste Appony est très frondeur, excessivement frondeur. Il trouve l’oeuvre insensée ; il fait comme moi. Il cherche le prince Métternich. Savez-vous ce que disait Pozzo au mois de juin de l’année dernière, lorsqu’il était encore vivant, et avant la bataille de Nézib ? Il disait " La Russie doit changer sa politique en Orient, c’est avec Méhémet ali qu’elle doit s’allier. " Pozzo vivant, et Metternich pas mort, et tout aurait été autrement. Il n’y a pas un homme aujourd’hui qui sache juger et conduire une affaire. Aussi. voyez le décousu, l’incroyable confusion !
M. de Pahlen était assez noir hier aussi. Il ne fronde pas aussi haut qu’Appony. Mais il n’est pas content. Il ne comprend pas, et tout qu’on ne l’informe pas, il est décidé à ne pas comprendre. Il était inquiet hier de l’information qu’il a eu que votre gouvernement permet à Levewel de revenir à Paris. Il en parlera ce soir à Thier . Si cela était, il craint un gros orage à Pétersbourg Moi je ne crois pas trop à l’orage cependant, je ne sais pas.

Midi. Voici votre lettre. Je suis touchée de ce que vous me demandez 24 heures. Faites ce qui est convenable, mais pouvez-vous vous absenter ? Encore, une fois je suis touchée, et puis je sais bien aujourd’hui que toutes les plus belles tulipes ne valent pas pour vous la plus modeste fleur des champs. Je suis triste, je suis malade Je maigris encore. On ne sait jamais tout ce qu’on a à perdre je m’étonne tous les jours. Adieu. Adieu. Pourquoi suis-je si triste ?

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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425. Paris Jeudi le 17 septembre 1840
9 heures

Avant toute chose, la question de la correspondance. Ce n’est qu’à huit heures hier au soir que j’ai eu votre lettre de lundi, encore j’ai été la chercher. C’est-à-dire que mourant d’ inquiétude de n’avoir pas eu de lettres j’ai pris le parti d’aller chez Génie pour savoir s’il avait quelque nouvelle, si vous étiez malade. Enfin j’étais moi dans une véritable agonie, et je vous préviens que j’y serai chaque fois qu’il n’arrivera pareille aventure. Mettez y bon ordre, car ces choses me rendent malade et vous savez que je n’ai pas besoin d’agitation ! La preuve que ceci m’avait fait du mal et que j’ai été obligée de faire chercher mon médecin le soir, toute inquiétude se porte sur les entrailles. Et j’avais repris des douleurs. Ensuite on peut me voir toujours de 9 à 10. Et puis, j’écrirai Mercredi et Lundi au N°1. Mardi et Samedi au N°2. Jeudi et Dimanche au 3.
J’ai été à Kenwood bien souvent quand je vous proposai une promenade à Hamstead, c’était là que je voulais vous mener. Pourquoi n’y avons-nous pas été ensemble ? J’ai vu hier matin chez moi Appony, Mad. Durazzo, et Mad. de Flahaut hélas ! Appony venait de prendre lecture rapide du traité dans le journal anglais. Il pensait qu’il n’y avait rien là qui dût irriter la France ou l’inquiéter. Il trouve que la lettre de Königsberg insérée dans le Constitutionnel a un grand fond de vérité ! Mad. Durazzo bonne, douce et pas bête. Brignoles revient dans un mois je crois.
Mad. de Flahaut est venu me faire une scène, une scène. M. de Flahaut et elle sont très offensés de ce que je ne veux pas parler politique en leur présence. Il est évident que je me méfie d’eux, que je ne crois pas un mot de leurs explications sur la lettre. Cela n’est pas tolérable. Et sur ce point là, je ne puis plus être qu’une connaissance et non plus une amie. Voilà littéralement la déclaration. Vraiment c’est trop drôle. J’ai répété que je ne voulais plus entendre parler de la lettre, et qu’assurément je ne parlerais pas politique qu’ils s’arrangent. La colère est grande, il y a eu des insinuations et des paroles, fort étranges, je ne les ai pas relancés. Je veux simplifier les querelles. Vraiment j’ai bien à faire avec mes amies !
C’était bien autre chose encore que lady Palmerston on dirait qu’on s’est donné le mot. Revenez au milieu de la scène, Mad. de Flahaut pleure, moi je n’ai pas eu l’air tendre. Le temps hier était épouvantable. Un vrai hurricane. Le chaos. J’ai eu peur. Plus tard, j’ai été pour une demi-heure au bois de Boulogne.
Après mon dîner, comme je l’ai dit plus haut, chez Génie avec des battements de cœur si forts si forts, il est venu à la portière me remettre la lettre reçue disait-il après 5 heures Mon ambassadeur est venu de 8 1/2 à 9 1/2 et puis mon médecin. Il reviendra ce matin. Et bien le traité ! Vous ne m’en parliez pas Lundi. Il était dans les journaux anglais cependant. Est-ce que par hasard il ne vous aurait pas été communiqué ? Je l’ai lu, je ne trouve pas que nous y jouions un grand rôle. Après cela je ne le trouve en vérité pas incommode pour la France. Et puis l’acte de Napier reste toujours incroyable car l’article qui prescrit les mesures avant la ratification dit nommément que c’est parce que l’insurrection était en train. Or elle se trouvait étouffée.
Le 14, et le 14 était toujours deux jours avant le 1. Effacez vendredi au N°1 car ce jour là j’écris tout droit. Je l’avais oublié et donnez au n°1 Lundi en place de Vendredi. Et ôtez alors le lundi au n°2. Je viens de faire cela à la seconde page. C’est compris maintenant ? 1 heure Pas de lettres, mais la tempête d’hier explique cela, je ne veux donc pas m’inquiéter. Les journaux ministériels ne font pas d’observation sur le traité. J’attends les vôtres. Je me trompais peut-être sur Napier, alors cet article du Protocole réservé est bien étrange. Dites-moi donc ce que vous en pensez.
Voici le 412. Grey a bien du bon sens. J’aime les Holland parce qu’ils vous aiment et parce qu’ils sont aimables. Je ne pourrai rien dire pour la vaisselle de Lady Durham ; vous voyez bien que je ne vois pas Thiers pourquoi ? Je ne le comprends pas et bien vous ne me dites pas un mot du traité. Why ? Chermside sort d’ici, il trouve qu’on m’a fait prendre du quinine trop tôt. J’ai des vertiges, et l’estomac bien affaibli.

2 heures
Il me semble que je vous écris de pauvres lettres, si j’allais dans le monde elles vaudraient mieux mais je n’ai pas la force et vous voulez n’est-ce pas que je me repose. Je pense que Molé ne vient pas parce que je ne lui ai pas envoyé dire que je suis ici. Il est parmi les susceptibles. Mais je vous avoue que je trouve très bon qu’on n’aie pas à citer mes paroles, et le plus sûr alors est de ne pas voir les gens, ou quand on les voit (Flahaut par exemple) de mériter des scènes pour mon silence. C’est une prudence d’enfant, mais je vis au milieu de menteurs.
Adieu. Adieu, beaucoup de fois ou une seule bonne according to your texte. Adieu. Vous avez raison, il faut obtenir la vaisselle pour lady Durham. Lord Grey plus que qui que ce soit arrange ses opinions politiques sur ces petites choses. Et ce qu’il vous mande a de l’importance et beaucoup, il faut l’entretenir dans cette disposition. Je ne puis pas finir sur cela il faut encore adieu. Dites aux Holland mille bons souvenirs de moi, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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419. Paris, vendredi 9 h. du matin
Le 11 septembre 1840

Je ne suis arrivée qu’à 8 heures, Génie était dans la cour, il avait vu venir le postillon qui me devançait il m’attendait. Il est entré avec moi, il m’a remis. La première impression à Paris a donc été du bonheur. Je vous écris pour être lue un dimanche, j’aimerais mieux un autre jour. Je me suis couchée hier à 9. heures. Je verrai Pogenpolh à midi. Mon ambassadeur plus tard. Je voudrais bien rester ignorée de tous les autres. Mad. de Flahaut, avait déjà passé deux fois ici. M. Thiers y est venu dès mardi, me croyant arrivée.
Il faut que je me repose. Mon appartement me plait. J’espère qu’il me plaira, encore davantage. Paris me plait aussi. N’est-ce pas il me plait davantage ? Je pense à tout ! à tout !
Voici votre 407. C’est presque Londres. Vous, moi, pas autre chose. Je n’ai pas encore. eu une impression, une nouvelle pas un visage étranger. Je suis seule avec deux lettres. C’est une bonne compagnie et douce et tranquille. C’est cela qu’il me faut surtout.

3 heures.
Longtemps Pogenpolh. longtemps mon ambassadeur qui me quitte à l’instant. Bon, excellent homme. Toujours le même : " Madame, je ne sais rien, on ne m’écrit rien de Pétersbourg ! On ne me parle pas ici, je n’ai rien à leur dire ; ich lebe aufoncinem eigenen funde, recht ruhig und recht glücklich. " Et il a l’air de cela. Demain je vous écrirai longuement j’espère.
Adieu. Adieu. Il faut que ma lettre parte si cela peut s’appeler une lettre. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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416. Boulogne Mardi 8 septembre 1840
à 6 heures après-midi.

Je suis arrivée ici morte de fatigue. Je puis à peine tenir la plume. Mais il vous faut un mot. Je vais me coucher. On me dit des nouvelles, très effrayantes de Paris ! On débite ici qu’on se bat, qu’il y a des barricades, que Thiers a donné sa démission, que le roi ne l’a pas acceptée. Que les fonds ont fléchi de 6 %. Enfin, c’est à perte de vu. Je n’ai pas fort peur. Je crois que je partirai demain mais vous saurez ce que je fais ou ne fais pas. Pour le moment Je n’en sais rien moi même. Je suis ivre de fatigue. Rien que cela, à ce que me dit mon médecin. Adieu. Adieu.
Je viens de voir George d’Harcourt. Il est parti pour Paris. Il se plaint d ne vous avoir point vu. Je m’en plains aussi. j’aurai aimé à lui entendre. parler de vous. Pardon de cette feuille pitoyable. Je ne sais sur quoi j’écris. Je tombe. Bonsoir. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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409. Stafford house, Vendredi 7 août 1840,
midi
Je choisis tout juste cette heure-ci pour vous écrire, aujourd’hui d’ailleurs je n’aurais pas pu le faire plus tôt. J’ai passé une mauvaise nuit, je ne me suis endormi vraiment que vers huit heures ce matin, ainsi je me lève. J’ai trouvé votre petit billet hier en rentrant. Je suis fort aise que vous ayez même M. Herbet. Ces nouvelles de Boulogne me troublent, je n’avais pas besoin de cela de plus. Hier j’ai fait une tournée en calèche seule avant le dîner. A 8 1/2, j’ai été prendre lady Clauricarde je l’ai menée au clair de lune (un tout autre clair de lune) dans les environs de Londres. Je suis descendue un moment chez Lady Willoughby qui était venue le matin me prier de passer chez elle. J’y ai trouvé de l’élégance, et Neumann et Gersdorff, rien de plus important que cela. Neumann tenait sur M. Thiers de fort mauvais propos. J’ai eu toujours l’habitude de regarder un peu les ministres comme les rois et je trouve assez mauvais qu’on parle avec inconvenance des uns comme des autres. Mais je n’ai pas à faire l’éducation de Neumann et de personne. Je ne suis resté là qu’un quart d’heure. J’étais dans mon lit avant onze heures. Lady Clauricarde était comme ce matin très montée, enchantée de l’affaire de Boulogne ! Je lui ai observé qu’elle était trop officielle pour pouvoir montrer sa joie. Voici qui donne démenti à ce que je viens de dire mais nous étions tête-à-tête au clair de lune. Et on est toujours franche en face du ciel. Le ciel, je l’ai bien regardé hier, bien invoqué toutes les puissances de ce Ciel !
J’ai reçu plusieurs lettres ce matin, d’abord une du duc de Poix que je vous envoie. Une de la petite Princesse au moment de quitter le Havre pour retourner en Allemagne. une de mon banquier de Pétersbourg m’envoyant un compte de pensions, de dettes, & & pour lesquelles je suis taxée au quart, tandis que mes droits de succession l’ont été à la 7ème partie : si c’est la loi je n’ai rien à dire, mais je m’informerai ; si c’est contre la loi, je ne vois pas pourquoi je dois subir cette disposition arbitraire de mon fils aîné. L’affaire de la vaisselle n’est pas terminée et ne le sera que dans 6 mois. Je fais venir Benckausen pour lui parler.
Vous êtes en France. Qu’aurez-vous trouvé là ? Les récits du matin dans les journaux ne sont pas assez clairs. Je ne vois pas assez que cette sotte affaire soit terminée. Où est Louis Bonaparte ? Serait-il possible que lord Palmerston lui eût fait visite ces jours-ci comme le disaient les journaux ? Si vous prenez ce fou, j’espère bien que vous saurez mieux faire que la première fois. N’avez-vous donc pas de conseil de guerre pour un cas pareil ? Et justice immédiate. Cela va bien ajouter encore au clabaudage entre les deux pays ! Je dînerai aujourd’hui chez Lady Clauricarde. Adieu. Adieu, mille fois. J’attendrai vos lettres avec une extrême impatience. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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404. Paris, dimanche le 18 juin 1840
9 heures

J’écris de bonne heure et j’enverrai ma lettre de bonne heure à la poste ! Car voici une grande revue et tout Paris sur pied, car on attend l’Empereur Nicolas ! Imaginez que les Parisiens le croient. J’ai vu hier Montrond, Molé les Appony et Granville le soir. On parle beaucoup de l’Angleterre. Montrond et Molé enchantés que ce soient des sociétés secrètes. Ce sera d’un bon effet ici. Molé dit c’est notre belle révolution qui porte ses fruits. " Je suppose que vous ne prendriez pas la chose ainsi. En attendant c’est vraiment un spectacle fort alarmant.
J’ai vu mon compagnon de voyage; je l’ai bien examiné. Il est tout juste de taille à ne pas encombrer ma voiture. Il a l’air doux et tranquille, et gai, et il est comblé d’être mené aussi commodément.
J’ai eu une longue lettre de William Russell avec des détails intéressants. Nous sommes détestés à Berlin, on a tout fait pour empêcher l’empereur d’arriver. Le Roi de Hanôvre venait aussi. Ces deux ensemble paraissent de mauvais conseiller pour un nouveau roi. On ne sait comment il marchera, on ne connait pas ses idées politiques. On dit maintenant ici que la Redorte pourrait aller à Berlin, ce qui est sûr c’est que sa nomination n’est pas encore au Moniteur.
Je suis bien fatiguée d’hier. Des paquets, des arrangements, des visites, et au matin on va m’envahir pour voir de chez moi la revue. Mon ambassadeur est bien grognon de mon départ. Mad. de Flahaut m’écrit pour s’annoncer pour le 25. Elle a toujours quelque petite tirade contre les doctrinaires. Adieu. Adieu. Encore demain Adieu, et puis, quel plaisir !
On fait à M. de Lamericière des réceptions superbes au château. Molé critique cela et critique tout. Il est de l’opposition la plus violente.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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403 Paris, samedi le 13 juin 1840

Les Granville sont très bouleversés du coups de pistolet. Moi, je crains qu’on ne prononce en Angleterre le nom du roi de Hanovre. Quand il arrive une atrocité on pense à lui tout de suite. Je n’ai jamais vu d’homme soupçonné de tant de mal. Espagne occupe aussi ici. On ne comprend pas le voyage de la reine. Granville a l’air de croire à un mariage Cobourg. Le prince est parti d’ici il y a trois semaines sans qu’on sache pour où. M. Molé croit savoir que la Reine veut sortir du royaume et que cela est concerté avec l’Angleterre. Moi je ne sais rien.
Zéa est venue deux fois sans me trouver. Si j’ai le temps je la ferai encore venir avant mon départ.
Thiers a été chez Armin. Il lui a dit que Bresson quitterait Berlin sans lui dire qui serait le successeur mais on pense que ce sera M. Pontois et qu’ils changent de poste. Le duc d’Orléans est allé chez Armin aussi, très sévèrement affligé de la mort du roi. J’ai vu Armin. Il a l’air de craindre pour son compte. Le duc de Nemours est allé chez Granville hier au sujet du coup de pistolet. Granville a pris cela pour une visite de parenté Cobourg, et non de politesse française. Voilà le châpitre fashionable moves. Je n’ai rien fait hier que visites et préparatifs.
M. de Broglie va faire un voyage avec son fils, et puis ils passeront quelques mois en Suisse, il ne retournera à Paris que pour la session prochaine. C’est de Grainville que je tiens cela. Demain revue de la garde nationale. Il me semble que nous aurons beaucoup de choses à nous dire. Quel plaisir ! Votre lettre ce matin m’a donné deux plaisirs. Je ne puis vous les dire qu’à Londres. Mais soyez sûr que je suis heureuse, heureuse, et joyeuse. Je vous écrirai encore deux fois. J’ai vu Génie hier, je le recevrai Lundi. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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402. Paris, vendredi le 12 juin 1840

J’ai un grand plaisir. Enfin quelque chose me réussit. Je serai accompagnée, par M.Heneage l’un des secrétaires de l’ambassade d’Angleterre, et je dormirai tranquille. Lady Granville m’a arrangé cela. Il n’est pas ici, mais il arrive demain de Fontainebleau. La question du logement ne sera pas aussi favorable. Vraiment je serai parfaitement mal. J’ai bien plaint souvent les pauvre voyageurs que je visitais à Londres. Mais que faire ! Il faut tacher d’arranger en campagne au plutôt ; pour cela faites finir le parlement.
J’ai vu hier au soir Berryer il y avait bien deux mois qu’il n’était venu. Il a causé avec esprit mais son humeur est grogneuse. Il avait espère quelque éclat, ceci prend une mine trop solide, qui le deroute. Il me dit : " Thiers pouvait le taire plus fort, il a préféré faire la chambre plus faible. Il doute de l’entrée de Barrot dans le Cabinet ; et il ne compte plus du tout sur la dissolution. La gauche est divisée. Et les conservateurs ne sont pas gouvernés. Voilà à peu près l’essence de ce qu’il m’a dit. Montrond est venu hier soir aussi. Ils ont causé. Mon ambassadeur, les Durazzo d’autres.
J’avais chaud. J’aurais préféré le bois de Boulogne d’où je n’étais revenue qu’à 9 heures. Il y faisait charmant. Je jouis de cet air bien pur ; d’un air qu’on n’a jamais en Angleterre. Je reviens un moment à Berryer. Il est frappé du despotisme complet de Thiers et m’a cité à ce sujet des traits assez curieux. Jaubert est un des plus soumis
A propos mon ambassadeur est maintenant en bonne connaissance avec tous les Ministres. Cela est venu à la suite d’un commérage de ma part. Vous savez mon estime pour les commérages. Adieu Monsieur, je n’aurai plus de réponse à cette lettre Adieu.
2 heures
Je réponds encore à votre lettre. Je suis charmée de Windsor. Votre dîner des 15 chez Lady Lovelace en est dérangé, cela ne me déplait pas trop, elle a un trop joli nom. Je vous dis de loin des bétises. Je suis sûre de n’en point dire de près. Mon départ reste fixé au 16 à moins que Heneage ne me prie de le retarder. Ce ne serait que d’un jour il me ferait arriver le 19. Comme vous le dites. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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401. Paris jeudi le 11 juin 1840
9 heures

Simon est charmant, il vient toujours de bonne heure. C’est un si doux réveil ! La mort du Roi de Prusse fait beaucoup de sensation. Lady Granville a été hier soir à Neuilly, elle dit qu’on est accablé. On dit : " C’était le seul souverain benveillant pour nous. " Et cela est vrai, j’ai éte chez elle en revenant de Boulogne où j’ai fait ma visite de députion. Il y avait tout le dîner de l’autre jour moins Thiers. (Rothschild est furieux contre Thiers pour cette affaire des juifs de Damas.) Les ambassadeurs en masse. A propos M. Molé et moi nous les trouvons bien bêtes tous. Vous verrez que le nouveau règne en Prusse sera en effet bien du nouveau et cela seul est un mal, car tout était bien sous me vieux roi. Pauvre esprit mais droit et juste. Celui-ci beaucoup d’esprit, l’esprit charmant, mais sans règle.
Je suis sûre que les Berry ont envie de vous faire épouser Miss Trotter, mais cela ne m’enquiète pas du tout. J’irai regarder ce qui m’inquiète, ou plutôt je n’y penserai pas du tout, n’est-ce pas ? Comment faire pour arriver sans partir ? J’ai horreur d’un départ, et quand cela est accompagné de mille tracas et désagréments qui sont pour moi seule je suis sûre, il y a de quoi se fâcher beaucoup contre... Voyons ? Contre celui-qui me fait partir, croyez-vous ? La Stafford house me fâche. Il est très vrai qu’ils ont écrit il y a trois semaines à Lady Granville qu’aussi tôt partis ils mettaient Stafford house à Westhill, leur villa à ma disposition. Mais il fallait me le dire à moi, ce qu’ils n’ont pas fait, et ce qui fait que cela ne veut rien dire du tout. En attendant on me dit que je suis très mal campée, il y a beaucoup d’étrangers arrivés ou arrivant cela me sera odieux. Et à Londres je trouverai cela très inconvenant pour moi.
Voilà pourquoi la fin du season m’eut bien mieux convenu à la veille des campagnes. Il me semble que je suis un peu cross, c’est vrai mais c’est par moment ; le fond est de la joie bien grande, bien intime, bien profonde ; de la joie comme la vôtre tout au moins. Le temps est charmant, j’espère qu’il se soutiendra. On continue à parler beaucoup des mutations prochaines dans la diplomatie. Bresson, Pontois, Latour Maubourg, Rumigny tout cela doit faire la seconde edition des préfets. Adieu. Adieu. Il y en aura encore quatre de Paris? Adieu.
Lady Palmerston m’annonce qu’Esterhazy arrive incessamment à Londres, et lors Beauvale. aussi et qu’on va faire les affaires à Londres. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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400. Paris Mercredi 10 juin 1840

Voici vraiment, un gros chiffre, et qui ne prouve pas que nous soyons des gens d’esprit. Trois ans font environ 1100 jours. Plus du tiers de ce temps nous l’avons passé séparés !
J’ai vu hier soir beaucoup de monde ; les ambassadeurs, M. Molé, M. de Poix, M. de Noailles et les diplomates d’été comme il les appelle, c’est-à-dire les petites puissances. M. Molé seul d’abord car il vient de bonne heure. Il n’a pas vu le Roi depuis 6 semaines ; il ne voit pas pourquoi il y irait. Il blâme fort la conduite du Roi, il la trouve très malhabile. Il se préoccupe de l’entrée de Barrot dans le ministère il croit qu’on le nomme à la justice. M. Vivien au commerce, et M. Gouin dehors. Si l’entrée de Barrot faisait sortir les doctrinaires, ah, cela serait un gros événement. Alors le ministère ne peut pas tenir, les conservateurs se retrouvent compactes, forts. Cela lui plait beaucoup. Le maréchal Valée aura pour successeur au commandement de l’armée, le général Bugeaud. Dufaure serait nommé gouverneur civil de l’Algérie. Voilà le dire de M. Molé.
Les ambassadeurs étaient occupés de Berlin. Le Roi était à l’agonie. Ils commencent à trouver que ce sera une immense perte. Les derniers 6 mois de l’année 40 peuvent développer beaucoup de mauvais germes. Il y a longtemps qu’on se sent menacé de tous côtés, ne croyez vous pas que le moment est prochain où l’orage doit éclaté ? On dit que Don Carlos est dans la misère. Les légitimistes se cotisent pour le faire vivre.

2 heures
Votre n°390 me laisse un grand remord de ne pas partir Samedi. J’ai tort de dire remord, c’est regret qu’il faut dire, parce qu’il n’y a pas de ma faute à ce retard. Ma seule faute c’est d’avoir du malheur dans les petites choses comme dans les grandes. Je n’en connais qu’une grande qui ne soit pas entachée de cela. Elle couvre tout.
Vous m’apprenez que les Sutherland me donnent Stafford house, et vous concevez que ce n’est pas comme cela que je dois l’apprendre. Assurément ce serait un grand tracas et un bien mauvais gîte d’épargné. Mais encore une fois, ils ne me l’ont pas dit. J’écrirai à Benckhausen. La veille de mon départ pour qu’il me trouve un appartement convenable. dans l’une des auberges de Londres. Je ne partirai pas sans avoir vu Génie. Je serai à Londres jeudi le 18 au soir ou vendredi dans la journée. Cela dépendra du passage. Je vous écrirai de Douvres si je m’y arrête ; si non, comme je devancerai la poste, vous saurez mon arrivée quand je serai arrivée.
N’ayez pas peur que je perde une minute jusqu’à mon départ vous aurez tous les jours une lettre, et une de la route, pour que vous me sachiez vraiment en route. Adieu. Adieu. Je ne pense qu’au bonheur qui m’attend. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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399. Paris, mardi le 9 juin 1840

Décidément,je ne pourrai pas partir samedi, ce ne sera que mardi le 16. Je vous jure que c’est indispensable que je remette à ce jour-là. Les raisons sont longues et trop multiples pour vous les dire mais elles sont bonnes. Je vous supplie de ne pas vous fâcher, n’est -ce pas vous ne vous fâcherez pas et j’aurai des lettres jusqu’à lundi inclusivement.
J’ai dîné hier chez Granville ; personne, et rien que Pahlen après le dîner, et pas de nouvelles. Si fait, et probablement ce que vous savez, que M. de la Redorte va à Madrid, et que l’ambassade est pour M. de Rumigny. Cet arrangement a coûté à Thiers beaucoup d’efforts auprès du Roi. Mais enfin cela s’est fait selon la volonté du ministre; Il est très vraisemblable que M. Barrot entre dans le cabinet sous très peu de temps. Il veut l’intérieur, il est clair que les doctrinaires sortiront dans ce cas. Tout ceci est exactement ce que m’a dit Lord Granville, et je crois qu’il ne dit pas les choses légèrement. Et bien, si cela arrive, qu’arrivera-t-il à Londres ? That is the question !
J’ai été au bois de Boulogne après dix heures du soir, et comme j’avais, peur j’ai pris Fullarton, qui était ravi de la lune, et de l’invention d’une promenade à cette heure-là.
Midi. Un peu de promenade et ma toilette, maintenant les great and little bores d’un départ ; vous ne sauriez croire comme je suis helpless ! Pogenpohl m’aide beaucoup, et puis un homme que m’a donné Génie. Je cherche toujours un compagnon de voyage. Je suis sur la trace. Il faut que je réussisse. Je ne me vanterai que quand il sera vraiment pris. Je vais et viens, je vais à mes paquets, je reviens à vous.
Je suis curieuse de vous revoir. Ne trouvez-vous pas l’expression ridicule ? Mais c’est cela, il me parait que je trouverai du nouveau ; et si même ce nouveau était mieux, voyons.... Si je vous trouvais 25 ans au lien de 50 ! Et bien cela me déplairait beaucoup. Je veux retrouvez ce que j’ai perdu le 25 février, le retrouver tel qu’il était ce jour-là. Je l’aimais tant comme cela !
Adieu. Je vous en dirai encore quelques uns, et puis nous n’aurons plus à les dire. C’est charmant, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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398. Paris, lundi le 8 juin 1840 9 heures

J’ai reçu une bonne lettre ce matin, nous nous renvoyons notre plaisir. C’est une charmante marchandise. Il fait beau, j’ai le cœur léger. J’ai fait beaucoup de bois de Boulogne hier, j’ai dîné seule. Seule ! Cela m’a paru de nouveau bien triste !
Le soir j’ai été un moment voir Lady Granville, et puis Mad. de Castellane. M. Molé, M. Salvaudy voilà ce que j’y ai trouvé. Dans la commission de la chambre des Pairs, M. Molé a été tout-à-fait contre les Invalides, il voulait absolument St. Denis. Il me l’a répété lui-même. Je m’étais laissé dire auparavant que le Roi a été très piqué de cela, et qu’il la regardé comme personnel. Tout le monde s’accorde à regarder la session comme fini. M. de la Redorte sera nommé ambassadeur à Bruxelles. On fait de cela une ambassade de famille. aves Mad. Lehon ambassadrice. Cela vient je crois de ce que le Roi n’a pas voulu qu’on touchât aux autres, et que Thiers avait promis à la Redorte. Rien pour M. de Flahaut ! Ils arrivent dans le courant du mois.
Mad. de Talleyrand écrit de Berlin qu’elle est comblée. Toute la famille royale est pleine de politesse pour elle. On fait là comme si le Roi n’était pas malade, il le veut ainsi, les dîners et les réceptions vont donc comme de coutume. Elle parait charmée de mon grand Duc. A moi, elle n’a pas écrit encore. C’est de Mad. de Castellane que je sais tout ceci.
2 heures je suis sortie ; j’ai vu des gens d’affaires, j’ai fait beaucoup de petites affaires, tout cela chez moi au reste, mais on me mange mon temps, mandez-moi encore des nouvelles. J’ai le temps de les recevoir. Je reste fixé à samedi mais j’ai un tracas intérieur qui pourrait cependant me faire remettre mon départ de 2 jours. Imaginez : changer femme de chambre, me livrer à une inconnue, faire sa connaissance.en route, c’est bien désagréable. Je crois que j’en ai le courage, mais je ne suis pas sûre. Tout ceci vous venge bien des querelles que je vous ai faites jadis, aussi ne manquez-vous jamais de me le rappeler. Mais ne me dites pas encore de gros mots, car Samedi est toujours dans ma tête. Ce qu’il y a dans mon cœur je n’ai pas besoin de vous le dire ! Comme le cœur galope quand on approche du moment ! Adieu. Adieu. Les diplomates ici affirment qu’on ne fait et ne fera rien sur l’Orient. J’ai reçu une lettre charmante de Matonchewitz vous l’aurez, car vous les aimez. God bless you. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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396. Paris, Samedi le 6 juin 1840

J’avais bien raison de détester vos courses. Je n’ai eu que de pauvres petites lettres. Je suis charmée que vous ayez trouvé peu de plaisir à Epsom, aussi charmée que vous l’ayez été sans doute lorsque je vous ai donné l’assurance que je n’irais jamais voir Melle Dejazet. C’est Ellice aussi qui voulait m’y entraîner, lui Lady Granville, la loge était prise, tout leur petit plan fait pour m’enlever par surprise, mais moi, je sais dire non tout de suite. Enfin Epsom c’est fini je n’y veux plus penser.
Je veux penser au mois de juin. Je pense à tous les détails. Décidément vous aurez vos heures où je serai out pour tous les autres. Nous déciderons cela tout de suite, et nos heures seront réglées selon vos convenances. Mais que Londres va me paraître étouffé, étouffant. Certainement, je ne tiendrai pas longtemps à Londres même quand j’y pense bien, assurément, si ce n’était vous je ne ferais pas ce voyage. J’y vois un peu plus de tracas que de plaisir.
J’ai dîné hier chez les Granville Ils étaient seuls. Le soir, j’ai vu chez moi M. Molé, les ambassadeurs, Armin,& & Les nouvelles de Berlin, sont meilleures vous le savez sans doute/ Ainsi mon programme est faux. M. Molé me dit que la gauche est furieuse contre Barrot. 40 des siens le quittent. Il n’apporte dans le camp ministériel tout au plus que 20 adhérents. Il faudra que Thiers le poste à la présidence et les Conservateurs joints aux extrémités le refuseront. Il nie qu’il puisse y avoir de meilleures relations entre Thiers et Le Roi. On me dit qu’il n’est pas vrai que M. de la Redorte aille à Madrid ; cela s’était établi dans le monde. Je ne sais ce qu’on pense ici du discours de Lord Palmerston. Mais la croyance générale est qu’on est assez près de la guerre. M. Molé a été frappé des paroles dites par Thiers à la chambre des Pairs sur la question de la banque. Il a fait entrevoir la guerre comme probable.
Je suis fatiguée, mais je ne suis pas si malade que je l’étais après que vous m’aviez annoncé Epsom. Adieu. Je ne songe plus qu’à Londres, j’écarte les idées de tracas, je m’attends au bonheur. Oui, un grand bonheur. Ah, que de causeries charmantes, quel débordement, Adieu. Adieu, mille fois.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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394. Paris Mercredi 3 de juin 1840
4h 1/2

Que votre parole est puissante ! Et quand je pense qu’outre cette parole puissante, Il y aura bientôt cette voix, ce regard, qui agissent sur moi si fortement, je me sens bien petite de me laisser aller jamais à des moments de tristesse, de doute, où vous me voyez si souvent. Je rentre et l’on me remet votre 384. Il y a vos inquiétudes. Ah ne les regrettez pas, ne regrettez pas de me les avoir exprimées. Elles m’ont fait tant de plaisir. Je me sens le cœur plus large, plus libre. Le retard de ma lettre vous avait donnée du chagrin, presque l’angoisse. Je suis si contente ! Voyez cet atroce égoïsme. Haïssez-moi bien, car je jouis vivement de vos peines quand c’est à moi qu’elles s’adressent. Nous nous sommes souvent dit que nous ne savions pas rendre tout ce qu’il y a dans notre âme. Jamais je n’ai tant senti l’insuffisance de mes paroles. Mais vous verrez quand vous m’entendrez ! De près, il me semble que je serai bien éloquente Jeudi le 4 de juin.
Voici le 385, et des volumes que j’aurais à répondre, que de choses à vous dire, bien tendres, des reproches, de la reconnaissance. Vous deviez me dire un mot sur le gros Monsieur tout de suite. vous me les dites à présent. Mon cœur allait au devant des paroles de 385. si je les avais trouvées plutôt vous m’auriez épargné quelques jours de peine. Vous avez raison. Il y a bien de la susceptibilité dans l’absence. On remarque tout, cela veut bien dire que nous nous aimons, mais pour cela même il faut que nous nous épargnions mutuellement tous les petites images, car il n’y a rien de petit quand on ne peut que se dire adieu tout de suite après. N’est-ce pas ? Ne faites rien pour Génie si vous y voyiez le moindre inconvénient. Gardez-moi une place à dîner le 26. Cela vous plait, et à moi aussi.
Mes matinées sont très coupées par mon fils et mille bêtises. J’ai à peine le temps d’écrire trois lignes de suite. J’ai dîné hier chez Rothschild à Boulogne. Nous avons beaucoup causé Thiers et moi. Il m’a dit beaucoup de choses qui méritent que je m’en souvienne. Il est très sage, très contenu. La guerre à la toute dernière extrémité, il la reculera plus que ne la reculerait tout autre ! Mais si un jour elle éclate s’il la faut absolument oh alors, par tous les moyens et ravoir ce que la nature indique. Il y a deux forts arguments. L’un pour l’autre contre la guerre. Contre, parce que personne ne la veut. Pour, parce qu’il y a 25 ans qu’on ne l’a faite. Sur l’Orient, sait-on bien, sait-on assez en Europe, que la France sur ce point est in-fle-xible ? Prononçant comme cela et répétant. En Angleterre, il n’y a que Lord Palmerston qui soit de l’avis contraire à tout le monde. La session finit, dans 10 jours tout sera terminé. Odillon Barrot s’est conduit parfaitement. Sa lettre est excellente. On s’est tiré habilement du mauvais pas de la souscription. Les funérailles, qui sait ! Il est vrai que l’épreuve sera forte, car l’émotion sera dans tous les cœurs. Le million de Joseph ? Il na pas voulu me répondre du tout sur cela, il m’a dit simplement : " C’est un vieux fou. C’était une veille créance." Cela confirme sans expliquer ce qu’il veut faire. Je suppose que cela l’embarrasse.
La Prusse. La mort du Roi c’est là révolution. Je suis parfaitement de son avis et vous verrez. Au bout d’une bien longue conversation il me dit que si je ne vais pas en Angleterre, il me jure qu’il viendra deux fois par semaine causer avec moi.
There is a bribe ! I go to England.
Je vois que l’affaire Rémilly est noyée par conséquent rien de grave ou d’immédiat. Il me semble que les rapports de Thiers avec le roi doivent être meilleurs, presque vous. Cela perce dans le paroles respectives. Il me semble que je vous ai tout rapporté. Ah encore, tous les deux lui et moi nous sommes pour une République aristocratique, franchement de tout notre cœur. Je vous assure que nous avons fort bien parlé sur cela, et je crois que vous aurez fait le troisième. Nous nous sommes bien promis de nous garder le secret. Ainsi gardez-le.
Je fais mes préparatifs, et j’ai mille embarras petits et grands, parce que vous savez que je n’ai personne pour me les épargner. Simon m’a dit ce matin qu’il a vu partir toute votre famille en très bonne santé. Il se plaint que la poste lui apporte maintenant les lettres plus tard que de coutume. Je vous en préviens, moi je me plains bien plus que lui. Je suis charmée de ce que vous me dites sur meeting du Slave trade. Vous faites bien de me dire toutes les petites vanités. Cela cela devient bien grand pour moi. de tous côtés j’entends parler de vous, parfaitement J’irez voir. Adieu Adieu, et jamais assez.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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391. Paris lundi le 1er juin 1840

Voici notre mois, qui redeviendra. nôtre. J’ai vu Granville hier. Vous ne lui avez pas écrit sur M. Rey. Mais il ne s’y attendait nullement il n’y avait pas lieu à une réponse et il sait l’essentiel c’est que vous avez fait bon accueil à son recom mandé. J’ai oublié de vous dire que souvent M. Molé me demande vos opinions sur ce qui se passe ici, les mesures qu’on prend ou qu’on projette. Je réponds invariablement que je n’en sais rien du tout. J’ai été hier au soir chez Mad. de Brignoles. On parle beaucoup du Roi de Prusse. La nouvelle n’était pas confirmée, mais elle est imminente le matin j’ai vu chez moi les Appony et Paulini, qui est très divertissant vrai italien.

1 heure. Je n’ai pas encore votre lettre. J’en ai écrite une longue à mon frère ce matin. Je ne sais où il sera maintenant On ne voudra pas à Berlin que l’Emperatrice y vienne. Elle sera bien accablée de la mort de son père. Qu’en dit Bulow ? Voilà donc la souscription nationale par terre. Quelle inconséquence que toute la marche de cette affaire ! Je crois savoir de bonne source que la session sera terminée avant la fin du mois, qu’on se hâte d’arriver au budget pour noyer ou ajourner toute autre question, Rémilly du nombre. Il fait bien chaud, j’ai mille petites affaires désagréables, et Vous savez que je ne vaux rien pour les petites tracasseries. Elles me font presque l’effet d’un malheur.
Adieu. vous une très pauvre lettre. Mais votre journée mercredi sera bien remplie, et puis vraiment je n’ai rien absolument rien à vous mander. Je trouve qu’Appony a l’air défait et triste, mais il ne dit pas de quoi. On dit que le Roi est de très belle humeur.
Adieu. Adieu. Le comte Woronzoff qui est à Londres, est un grand Seigneur chez nous. Un bon enfant. il était à notre ambassade à Londres et y est resté pendant nos deux premières années. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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390. Paris, dimanche le 31 mai 1840

J’ai reçu 381 hier à 10 heures du soir, et 382 ce matin à 8 1½. Le premier en présence de M. Molé, le second dans mon lit. J’étais impatiente de ce second. C’était une réponse au gros Monsieur. Il y a eu un peu de désapointement. Et j’ai eu un peu de dépit et de regret de quelques unes de mes paroles qui évidemment se sont perdues dans les brouillards de l’Angleterre. Je vous dis ceci en passant, par la simple raison que je dis tout. Vous jugez la semaine dernière autrement que moi et que beau coup de monde. Mais vous pourriez avoir raison. Votre avis sur ce qui s’est passé est conforme à l’opinion de la plupart de un habitué et d’un autre gros Monsieur qu’ils vont voir quelques fois. La suite décidera.
La nouvelle s’est répandue hier que le Roi de Prusse était mort. Le télégraphes de Strasbourg l’a mandé sur un avis de votre ministre à Francfort. Cela me parait un peu sujt à caution, mais en tout cas cet événement ne peut pas tarder à arrivé. C’est une grosse affaire. Il ne résultera que Paris et Pétersbourg seront plus près l’un de l’autre. Deux pièces de porcelaine où on a enlevé le coton.
Vous allez donc voir Epson ! Quand j’étais jeune. J’y ai été une fois, une seule fois mon mari n’a pas voulu y aller, c’est la dernière élégance. Vous y trouverez touta la plus brillante jeunesse de l’Angleterre. C’est un beau coup d’oeil, mais j’en suis revenu plus fatiguée qu’enchantée. Même jeune, le bruit seulement, le bruit ne me plaisait pas. Ensuite, j’ai subi tous les ans les courses d’Ascot à côté de George IV et je puis dire que c’est les moments les plus ennuyeux de ma vie. Il faut êtres fou de chevaux, ou bien oisif pour y aller ; mais je le répète c’est curieux pour une fois, et pour voir tout ce qu’il y a de fous et d’oisif dans le monde ! Vous serez frappé des équipages et des femmes. Je suis charmée que vous voyez Eaton ; je ne l’ai pas vu moi, mais cela a un côté sérieux et important, un peu grotesque aussi.
M. Molé affirme contrairement à mon opinion, que les funérailles de Napoléon ne puissent être faites avec sécurité que par un autre que Thiers. Il est très noir sur tout ce sujet. Son opinion est nécessairement exagérée, cependant aujourd’hui je vous assure que tout le monde est d’accord pour trouver toute l’affaire bien étourdie. Moi, je ne la trouve pas étourdie !! mon fils est vraiment bien. Après Baden, il reviendra à Paris, et compte rester deux ou trois mois auprès de moi. Le nom de son frère n’a pas été prononcé entre nous. Adieu. Je ne trouve pas qu’il y ait une seconde erreur dans nos N°. Je vous ai écrit Mardi 386 selon son tour. J’ai vu hier Montrond fort tranquille aussi, et content : " Tout cela ne sera rien. Il n’y a plus de Bonapartistes en France. " Le Roi a dit aux ambassadeurs : " tout ceci ne me regarde en rien, je ne m en mêle pas."

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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389. Paris, Samedi 30 mai 1840

Mon fils est arrivé hier, pâle, faible, mais bien portant. Sourd d’une oreille complètement. Le bras gauche en écharpe. Il reste ici une quinzaine de jours, et c’est toujours le 13 que je compte partir. Voilà ma principale nouvelle pour aujourd’hui.
Le duc de Noailles est rencore revenu me voir hier au soir. L’affaire de la souscription préoccupe et échauffe toutes les têtes. C’est une grosse aventure. Comment sera le dénouement ? Que vous denvz ête étonné de ce qui se passe ! On dit que le Roi est très content. Je voudrais bien savoir de quoi ? Génie est venu me voir ce matin, nous avons parlé de mon voyage, d’un compagnon de voyage. Il voudrait que vous lui demandiez de l’être, et dans ce cas que vous obtinssiez pour lui un congès par Thiers. Est-ce possible ? Je n’ose pas vous dire que je le désire beaucoup, parce que alors vous seriez capable de le faire, même, en y voyant quelques petits inconvénients ; et je ne veux jamais que le moindre embarras de cette espèce vous vienne de moi. Je vais me mettre en train de me reposer avant mon départ. Je ne veux plus recevoir le soir. J’aime mieux une promenade avant de me mettre au lit et vraiment les Ambassadeurs ne m’amusent pas assez. Hier j’avais outre eux le Maréchal Paulini, gouverveur de Gènes, une vieille connaissance intime de 30 ans en arrière, plein d’esprit et d’animation italienne. Il a été 25 ans au service de Russie. Il me dit que moi à l’âge 18 aus je lui ai rendu une fois un emminent service auprès de mon mari. Voilà de vieux souvenirs !
M. de Brünnow m’a fait faire les message les plus plats et les plus insolents à la fois. C’est vraiment un sot. Cela ne vaut pas la peine de vous être redit. Les grands inconvénients qu’il avait d’abord vu à mon arrivée en Angleterre étaient ; l’embarras où il allait ce trouver vis-avis de la cour en me recevant bien, et l’embarras vis-à-vis de l’Angleterre en me recevant mal ! Mais vraiment je n’ai pas besoin qu’il me reçoive du tout, qu’ai-je besoin de M. de Brünnow ? Il est pour moi parfaitement imperceptible. Il l’a éte jusqu’ici, et plus que jamais cette espèce le demeure à mes yeux ; car je n’ai plus besoin de personne. Vraiment il y a de quoi rire de toutes les bétises qu’il a dites à ce pauvre Alexandre. Il me fait recommander d’être bien pour lui dans mon intérêt. L’Angleterre aura les yeux sur nous deux pour examiner chaque geste, chaque parole ! Non, c’est trop bête. Ce qui ne le sera pas c’est nos causeries à nous. Imaginez tout ce que nous aurons à nous dire ! Adieu. God bless you. Votre lettre ne m’est point parvenue encore. Il est 1 heure. C’est bien long! Adieu, Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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388. Paris, vendredi le 29 mai 1840

Vous êtes jaloux de mon escamotage d’un n° ! Je rétablis ; voici deux 388 pour componser le 381. Je vous prie de ne pas me traiter en abrégé, quoique notre rencontre soit prochaine. Jusqu’au dernier jour j’aimerai les longues lettres et toutes les nouvelles. Il me semble que je n’y faiblis pas de mon côté. Je n’ai rien à vous conter d’hier. J’ai passé beaucoup de temps en plein air, je n’ai vu du monde que le soir. Les Ambassadeurs, la Prusse, le Duc de Noailles. le Duc de Noailles est fort révolté de ce qui s’est passe à la Chambre des députés. Révolté pour Napoléon, honteux pour le pays. Cela, et tout ce qui peut s’en suivre encore. Ces querelles sur le lieu de la sépulture. Cette manière de marchander les frais, les désordes qui peuvent survenir à l’occasion de la Cérémonie, tout cela est à ses yeux des insultes à un grand honme. Il ne méritait pas cela. Il méritait bien tant d’honneur, mais il ne méritait pas autant d’indignité. Il ne fallait pas remuer sa cendre. Il y avait bien plus de grandeur à rester à Ste Hélène. Cette souscription ouverte va être un grand scandale. Scandale si elle réussit. Honte complète si elle avorte. Tout cela est pitoyable. J’ai entendu quelques plaintes hier sur ce que M. Thiers n’a pas le temps de s’occuper d’affaires. Mais il faut que j’ajoute que les affaires qu’on me citait à l’appui des plaintes étaint tout ce qu’il y a de plus infimes. Au fond Thiers ne peut pas s’occuper de détails, c’est trop exiger. Je m’étonne qu’il ne succombe pas sous les affaires en gros. J’attends mon fils aujourd’hui. J’en suis bien impatiente. Ne soyez pas trop impatient pour le 15. Ne me forcez pas à traverser un jour de gros temps. Ne me faites pas courir la poste comme un courier. Je partirai le 13 si mon fils n’y fait pas obstacle. C’est ma volonté et surtout mon désir. Mais je ne puis pas être absolument sûre. Ne vous lassez pas d’écrire. Je vous en prie. Je n’ai pas vu Lord Granville depuis trois jours, je n’ai donc pas pu lui faire votre message encore, mais je ne l’oublierai pas. Adieu. Adieu, mille fois, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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387. Paris, Jeudi le 28 mai 1840

En effet, j’ai sauté par dessus le 381 car je ne le retrouve pas dans mes tablettes. Ecoutez ; hier j’ai rencontré Thiers à dîner chez mon ambassadeur en entrant dans le Salon il me dit : " Je viens de recevoir mes dépêches télégraphiques de Londres ". A ce mot télégraphe ma figure s’illumina, elle disait : " Je suis bien contente." J’aime mon invention, elle est bien innocente.
Thiers a été mon voisin à table. Il est fort content des nouvelles de Londres. Il se loue beaucoup de vous, il dit qu’à vous deux vous faites des merveilles. Il ajoute :
" J’arrange les affaires de façon qu’il n’y a que M. Guizot qui puisse être mon successeur.
- Ou plutôt vous les arranger de façon à les garder toujours pour vous ?
- Oh Je vous en réponds ; mais tenez, je suis jeune, je sais bien qu’une fois je les garderai toujours, je ne sais si cette fois là est à présent ; c’est possible, cela n’est pas sûr ; nous verrons, mais si M. Guizot s’ennuyait à Londres, je l’arrangerais ici.
- Il me semble que M. Guizot s’amuse fort bien à Londres et qu’il aimera à y rester.
- Oui , mais allez-y car sans cela bientôt, il vous fera des infidélités ! " Voilà vous.
Après cela il m’a parlé du vote d’avant-hier. Il me dit : " j’ai fait une faute, je devais parler. J’ai eu grand tort de ne pas le faire. Je n’avais pas idée que le Chambre. voterait comme elle a fait. J’étais ennuyé de parler, et puis j’aurais dit des paroles peut être trop excitantes. Enfin, j’ai mal décidé et une fois le vote, je me suis mis dans un grande colère. J’ai dit des choses très dures au président. Je lui ai dit : " Monsieur, vous ne connaissez pas votre devoir, vous ne savez pas présider, ce que vous venez de faire est absurde, je répète absurde. " Je lui ai dit tout cela là à sa chaise. J’ai dit des paroles dures, à Dupin, j’en ai dit au secrétaire de la justice, à tout le monde. J’étais en grande colère." Il a causé de tout, et m’a beaucoup divertie. Il dit des choses très piquantes. A propos de la responsabilité ministérielle, il dit : " C’est l’hypocrisie du despotisme." Au fait hier il était en train ; il n’a fait que causer avec moi. Nous avions commencé par Sauzet, nous avons fini à César. Il dispute tout au duc de Wellington, et plus que jamais il glorifie Napoléon. C’était hier un dîner de 30 personnes. Mad. de Boigne a essayé des agaceries à M. Thiers, à Mad. Thiers. Rien n’a réussi. Ils viennent de louer à Auteuil cette grande maison qu’avaient les Appony. Au sortir du dîner, j’ai été en calèche me rafraîchir au bois de Boulogne. Cela m’a fait dormir.
Je vous préviens que hier je n’ai eu votre lettre que vers cinq heures. Le joli garçon sort de chez lui avant l’heure de la poste. Il y rentre quand il peut, et moi je suis longtemps à attendre. Voici midi. Je n’ai rien encore. J’aime beaucoup Simon, et je regretterai beaucoup le gros Monsieur.
Je suis un peu mieux depuis hier. Ce matin mon fils m’écrit du 26 qu’il partait ce jour là et qu’il serait ici le 29 ou le 30. Brünnow l’a chargé de m’assurer de sa joie de me revoir, et qu’il se mettrait entièrement à mon service. Cela ne ressemble pas au premier message. Je vous remercie tendrement de tous vos enquiries au N°2 Berkley square. Je suis bien heureuse que vous n’ayez plus à y envoyer.
J’ai envie de vous redire les petits mots entrecoupés entre Thiers et moi. " Vous êtes très fine, pas plus que moi, mais je crois presque autant."
(moi) " Vous avez beaucoup d’esprit mais je pense quelques fois que vous en avez trop.
- Cela voudrait dire, pas assez ? non mais vous abusez."  (Thiers) " Il n’y a de véritable ami qu’une femme. Dans les amitiés d’hommes il y a toujours un peu de jalousie."
" J’ai peu à faire avec les étrangers nous n’avons rien à nous dire ! Je suis poli, je pense qu’ils n’ont pas à se plaindre mais voilà tout. "

1 heure
Je viens de recevoir votre lettre des mains du joli garçon. Hier ce n’était par lui, c’était je ne sais qui, car on avait laissé la lettre ici et je l’avais trouvé à mon retour de ma promenade. Tout cela n’est pas en règle, et je m’en vais aller aux enquêtes par Génie. Lord Palmerston n’a pas bu la santé des souverains parce que vous n’avez pas fait à votre dîner du 1er mai ce que je vous avais dit. Je vous avez dit de répondre à la santé du roi par la santé de la Reine. Vous avez voulu faire mieux, vous avez ajouté les souverains. Cela n’est pas correct Granville l’autre jour a répondu à la santé de la reine, par la santé du roi. Barante à Pétersbourg répond par la sante de l’Empereur. Partout cela se fait comme cela, et la raison en est claire. Lord Palmerston c-est-à-dire l’Angleterre porte la santé du roi. Le représentant du roi répond par la santé de la Reine d’Angleterre, les autres souverains n’ont rien à faire la dedans. En revanche vous à la fête de la reine vous portez sa santé non parce que vous êtes la France mais parce que vous êtes doyen du corps diplomatique, c’est donc l’Europe qui parle, et alors il répond à l’Europe en portant en masse la santé des Souverains. Il ne l’a pas fait, il a voulu se venger de votre petit mistake. Voyez- vous, une autre fois lisez mes lettres et croyez. Je vous ai répété la Reine, la Reine. Je vous l’ai dit deux fois, vous deviez bien penser que j’aurais ajouté les autres s’il pouvait s’agir d’eux ; et j’ai été fâchée quand vous m’avez mandé les santés supplémentaires. Rappelez- vous de tout ceci l’année prochaine. Si. J’ai bien envie que vous n’ayez pas à vous en rappeler.
Dès que mon fils sera arrivé, je fixerai l’époque de mon départ pensez de votre côté que je ne puis pas résider longtemps à Londres. Qu’on y étouffe, qu’on y mène une vie abominable, que ce qu’il y aurait de bien, ce serait une quinzaine de jours là, et puis les campagnes. Mais pour cela il faut l’époque où l’on y va. Or cela dépend pour vous et pour les autres du parlement. Ces deuils anglais me déroutent un peu, et pour Londres et pour les châteaux. Chatsworth eût été charmant je devais y passer tout le mois d’août, vous deviez y venir. Il n’y a plus de Chatsworth. Il n’y a plus de Treutham. Je ne sais trois ce qu’il y aura en commun. Middleton chez les Jersey. Broadlands chez les Palmerston. Je cherche, je ne vois pas trop. Bowood est pour vous seul, je ne suis pal assez liée avec eux. Howick, est je le crains trop loin pour vous ; et puis vous ne faites guères connaissance avec Grey. Les Londonbery vous ne es voyez pas du tout. Il faut abandonner au hasard à nous arranger peut-être. J’aimerais bien quelque chose près de Londres. Mais il n’y a plus personne de ma connaissance intime près de Londres. Hatfield, Woburn, Stoke, Pamzhänger, tout cela est mort. Allons à Tumbridge voilà qui est charmant. Je dirais Richmond ! Mais il n’y a plus de Richmond possible pour moi ! Mad. de Boigne va s’établir à Chatenay aujourd’hui, Votre dîner Tory est très bien.
Adieu. Adieu. Le temps est redevenu charmant. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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386. Paris le 27 mai 1840

Voici une lettre presque aussi sûre que la parole et malgré cela je n’ose pas me livrer. Il me serait si doux de le faire cependant ! Mon bien aimé, J’ai si besoin de te redire et d’entendre des paroles d’amour. Cela est écrit, je ne veux pas l’effacer. Mais je veux me contenir et raconter.
J’ai été hier à la Chambre - curieux et pitoyable spectacle. M. de Lamartine a fait un beau discours voilà tout ce qu’il y a eu de beau. Thiers n’a pris la parole que pour dire qu’il épousait le projet de la commission, et la commission et Thiers ont été battus, ou leur a rogué un million. Votre président de la chambre s’est conduit comme un enfant, un enfant sot et fâché. La chambre a fait un tapage épouvantable ; comme des écoliers. C’était vraiment misérable. On n’est pas Bonapartiste, et hier on n’était pas Thieriste. On dit qu’il est resté accablé de cette triste séance, et qu’à sa soirée il était d’une humeur très hargneuse. Il accusais beaucoup M. Sauzet. je crois en effet que la première confusion était dû au Président. Mais pourquoi Thiers n’a-t-il pas parlé ? Cela me reste incompréhensible. La foule était grande dans la Chambre, dans les tribunes comme aux fonds secrets. Sébastiani est sorti sans voter, il m’a dit : "pauvre séance."
Le soir les ambassadeurs sont venus chez moi, beaucoup d’autres personnes tout cela assez amusé. Je crois que le Roi a pu l’être aussi. Il me semble que le grand effet théâtral commence bêtement. Au fond c’est honteux. Tout le monde trouve Thiers bien changé, vieilli, harassé. La faction Boigne dit qu’il donne des signes de folie. Je n’ai cependant entendu cela que là. On dit aussi qu’au Conseil le Roi ne parle plus. Il laisse faire. Au reste son langage sur Thiers avec les ambassadeurs n’a plus rien d’inconvenant. Ils sont assez contents de lui. Il est poli. On va faire les grands changements dans les préfectures quelques révocations, et beaucoup de mutations. Je crois savoir cela de bonne source.
Le roi de Prusse est très mal. Il n’en reviendra pas. Bresson mandait hier de fort mauvaises nouvelles, ce sera un gros événement. Le Roi de Prusse futur a beaucoup d’esprit, mais pas de tête. Il y a quelques années il détestait ceci encore plus que ne le déteste l’Empereur Nicolas, et il le disait beaucoup plus haut que lui. Il peut s’être amendé. En tout cas, on n’aura pas pour lui le respect qu’on a pour son père. Les libéraux espéreront tout de lui beaucoup. Les ultras aussi. Cela a l’air de non sens, et c’est comme cela cependant. Je m’imagine que mon Empereur va courir à Berlin pour voir encore. son beau père. Ce pauvre mourant sera très incommodé de cette visite.
J’ai été hier voir votre mère, elle est parfaitement bien, les enfants aussi, ils étaient au jardin, je suis allée les y trouver. Votre mère veut se mêler de moi, elle veut que je prenne de la camomille. ne crois et n’écoute aucun médecin. Je me sens si malade. Je vois, qu’au fond, je n’ai politiquement rien de bien intime à vous dire. C’est vous qui pourriez m’apprendre bien des choses, si vous aviez un gros Monsieur. Vos opinions sur l’Angleterre et les Anglais, je les devine. Mais sur ce qui se passe ici ; sur la politique européenne vous savez beaucoup, vous savez tout ce que j’ignore ! Je suis curieuse un peu de tout.
Quelques fois je m’imagine qu’un changement ici peut être très prochain, et alors je me dis qu’il pourrait bien arriver tout juste pour mon voyage d’Angleterre, c’est-à-dire aussi gauchement que possible. L’effet de la séance d’hier peut être quelque chose. Le pays sera un peu étonné, et les partisans de la dissolution en feront un argument assez puissant Qu’en pensez-vous ? Eh mon Dieu, je voudrais vous faire cette question sur toute chose ! Vous verrez que l’affaire de Ste Hélène sera une bien grosse. affaire. Elle a tant de faces vraiment c’est de la déraison ou de la trahison de l’avoir commencée. Et le Roi qui se vante d’en être l’inventeur !
Je vous écris tous les jours, et je m’étonne de ne pas vous écrire aujourd’hui un volume. Je suis honteuse de profiter si peu de cette bonne occasion. Je voulais remplir ma lettre d’Adieux sous toutes les formes. Imaginez-vous cela, prenez tout cela comme dans nos meilleurs temps. Dans les temps qui reviendront n’est-ce pas ?
Il me semble toujours que je commencerai pas arrivé auprès de Londres, quand ce ne serait que pour choisir de là l’Auberge où je veux aller à Londres. Mais je n’ai rien arrêté encore. Je crois que Brünnow en désespoir de cause aura écrit en cour pour empêcher ma venue. Ce sera peine perdue, on n’osera pas en dire un mot, et si on le disait je partirai seulement un peu plutôt. Non, je partirai comme j’ai dit. Je ne me fâcherai, ni ne me dérangerai pour personne Il n’y a plus que vous qui ait le droit de me fâcher ou de me déranger, n’est-ce pas ?
Adieu. Adieu, cher bien aimé. Que de choses à nous dire ! Que de doux et longs regards. Ah si nous en étions là ! Avertissez- moi bien au moins des chances politiques possibles. Un chassé croisé serait trop bête. Adieu. Adieu. Adieu, toujours toute ma vie, mon bien aimé.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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384. Paris, lundi le 25 mai 1840

J’ai passé toute la journée hier, malade et couchée. Je crains qu’aujourd’hui ne vaille pas mieux. J’ai les nerfs et la bile en mouvements. Mes jambes ne me portent pas. Tout cela ensemble me fait pleurer quoique j’aie le coeur heureux. Oui heureux, vos lettres me soutiennent, me donnent de la joie, que deviendrais- je sans elle, sans vous. Je n’ai que vous. Mais vous c’est tout, tout, c’est si beau, et si doux. Oui, je veux avoir une foi immense, je veux remercier Dieu tous les jours de ce qu’il m’a donné, ne m’abondonnez jamais.
Je n’ai vu hier qu’Appony le prince Paul, et Pogenpohl. J’ai employé celui-ci dans les derniers temps à mettre en ordre mes papiers ; il a beaucoup d’intelligence pour cela. C’est Matonchewitz qui lui donne le plus de travail, pas de dates c’est horrible. Alors, il faut lui rappeler l’histoire, et c’est laborieux. Je l’emploie aussi à mes affaires, il faut de nouveau pleins pouvoirs, des tracasseries de détail. Cela ne finira jamais. Je ne vous en ai pas parlé, c’est trop ennuyeux.
Appony me portait la relation de la noce. L’Impératrice a habillé ma nièce. L’Empereur l’a conduite à l’autel. Toute la famille impériale était à la chapelle. De là, dans les appartements de l’Impératrice, les accolades et les santés. Et puis l’Empereur les a menés à l’église Catholique. Il les a ensuite reçus dans l’autichabre de leur appartement ment, avec toutes les, j’allais dire boufforneries des usages russes. L’Empereur avait mis ce jour là l’uniforme autrichien et l’ordre d’Autriche, enfin il n’aurait pu mieux faire pour un archiduc. Il a fait cadeau ma nièce d’une superbe parure en diamants. Les voilà comblés, et j’espère heureux.
Politiquement Appony avait peu à me dire. Il se loue beaucoup des manières polies de Thiers. Le prince Paul n’avait point de nouvelles. Il me dit seulement qu’il s’agit de quelqu’affaire semblable à celle de Fabricius qu’il croit qui se rattache aux prisonniers de Bourges, car prisoniers est le mot aujourd’hui. Thiers les a nommés comme cela en causant avec le prince. Je n’en ai plus entendu parler de longtemps. Mais je vois Brignoles d’assez mauvaise humeur en général. Mad. de Castellane est très malade, M. Molé en est même inquiet.
Mon fils sera ici jeudi j’espère. Il ne fera pas de retard pour moi, je compte toujours partir Samedi le 13. Le cœur me bat quand j’y pense. Ah qu’il me bat souvent. Je trouve le ciel gris. J’ai dans l’âme du bonheur et de l’angoisse. Ma santé est si misérable ! Il me semble quelque fois que je vais finir. J’ai tort de vous dire cela, mais vous traitez cela de bétises. Si je restais calme, tranquille, heureuse, pendant quelques jours, cela me ferait du bien. Mais je n’ai jamais ce calme. Quinze jours ne s’écoulent jamais sans une secousse. Et chaque secousse me trouve plus faible. Ah, il n’y a que vous pour me soutenir ! Votre puissante voix, votre regard, quand retrouverai-je cela ?
J’aime les Américains. Je vous remercie de ce que vous me redites. Le Roi de Hanôvre me mande vos succès à Londres, Il me dit que c’est un suffrage général. Vous ne savez pas comme cela me donne de l’orgueil ! Je crois que vous pouvez accepter Lady Kerrison, c’est la mère de Lady Mahon, du moins je le crois, demandez. Elle est soeur d’Ellice. Je me suis levée très tard, ayant très mal dormi. Il est midi, je n’ai pas encore songé à ma toilette.
Adieu. Adieu. Quel plaisir quand nous ne l’écrirons plus. Adieu.
L’auteur des biographies est un nommé Loménie, très jeune et qui ne connait l’original d’aucun des portraits qu’il trace. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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383. Paris, dimanche 24 mai 1840

Les angoisses de la semaine passée ont fait explosion, j’ai été très malade cette nuit. J’ai fait venir Chermside. Je suis très faible, il me dit que ce ne sera rien, je l’espère. J’ai le corps malade, mais le cœur bien portant, c’est l’essentiel. Je viens de recevoir votre lettre. En lisant vos perplexités pour vos dames de Paris je m’impatientais, je voulais vous dire de commencer par les inviter pour Samedi ; vous adoptez mon idée à la fin de votre lettre c’est bien. Je crois qu’après ce grand dîner, si vous les invitez une fois, avec Mesdames Dédel et Björstjerna, quelques diplomates, le petit Leveson, Charles Fox, lord Elliot, que sais-je ? quelques autres Anglais, ce sera suffisant. Il n’y a pas de présentation à un birth day! Je doute donc qu’elles aillent à la cour demain, mais lady Palmerston vous dira tout cela. Chez vous hier elles auront rencontré suffisamment de dames pour être lancées à quelques raouts si elles en avaient envie. Voilà il me semble leur Londres expédié. Vous avez eu du plaisir à retrouver du parlage français.
Il ne me parait pas que le vote pour lord Stanley fasse grand événement à Londres. Vous ne m’en parlez plus. Le rapport du Maréchal Clausel hier, mène tout droit selon moi à la restauration de l’effigie de Napoléon sur la légion d’honneur. Et cela je le trouverais très conséquent. Vraiment Henri IV au milieu des drapeaux tricolores, c’est trop ridicule.
Je n’ai vu hier personne d’important que M. Molé pendant une heure de tête-à-tête chez moi. Il trouve que Thiers a été très abondant, très. habile, qu’il soutient merveilleusement toutes les discussions, qu’il a été très conservateur sur la question de la réforme, aussi beaucoup des soldats de M. Molé sont- ils allés dans le salon de M. Thiers. Il affirme cependant qu’il faudra bien qu’il fasse avant le mois de février ou la dissolution ou un esprit de réforme ; ou quelque chose pour les incompatibilités enfin un peu la volonté de la gauche. Il dit que le Roi ne peut pas songer à le renverser s’il n’a pas un ministère tout prêt, que se ministère cependant pourrait se trouver. Le Maréchal, vous Affaires Etrangères, Passy, Dufaure Duchâtel & & que pour lui même il ne se prêterait pas à remplacer Thiers, si Thiers ne tombe pas par le fait de la chambre. Enfin, il dit, et reprend et retourne tout cela vingt fois, et conclut cependant par le permanence de Thiers jusqu’à la session prochaine. Je trouve en lui peu d’aigreur, et peu d’espérance.
J’ai vu Granville, après cela nous avons parlé de Molé ; Ah, il ne l’aime pas ; et d’après quelques scènes qu’il m’a contées il a raison comme anglais de ne pas l’aimer. Mes vertiges me reviennent, j’ai peine à continuer. Il faut que je vous laisse. Adieu, Adieu. Je n’ai de force aujourd’hui que pour adieu.

Vous pourriez donner un petit dîner à Lady Jersey et Lady Tankerville où vous inviteriez vos dames, il me semble que ce serait faisable, et cela plairait également à lady Jersey et à vos dames.
Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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381 Paris le 22 mai 1840,
Vendredi 10 heures

J’ai vu longtemps Lord Granville hier ; il est toujours couché. Nous avons un peu causé de tout. Le détail de l’entretien de Thiers avec Appony est assez piquant. Thiers a beaucoup parlé de la politique isolée que pourrait embrasser la France, et à la question d’Appony ce qu’elle ferait dans cette situation là ? Thiers l’a regardé avec étonnement et lui a dit : " Vous êtes trop curieux à propos d’Ancône, Thiers, lui a riposté par Cracovie. Enfin d’un bout à l’autre il y a eu de l’aigreur entremêlée d’un peu de flatterie. Granville est le plus pénétré du monde que la France ne fléchira jamais sur la question d’Egypte. Mais il m’a cité des paroles de l’Empereur dites à Lord Clauricarde selon les quelles l’Empereur croirait quevous êtes disposé à céder un peu. Ce serait venu à Pétersbourg par des correspondances de Londres. Cela m’etonne.
L’activité de Thiers est prodigieuse, son habileté aussi. Il gouverne la Chambre, les comissions. Il se mêle de tout, il répond de tout. Il est d’une audace et d’une satisfaction inouïes. Eh bien, à la bonne heure. Connaissez vous le " à la bonne heure " de M. de Talleyrand ?
J’ai été passer une demi-heure au déjeuner de la comtesse Appony. Ah mon Dieu, quelle foule, quelle horreur ! Un froid de loup dans le jardin, une chaleur à périr dans la maison. Dieu sait quelles gens ! Des gens décidés à faire là leur dîner. Nous avons regardé cela le duc de Noailles et moi, en nous demandant ce que nous étions venus faire là. Je m’en suis tirée avant 6 heures/ J’ai fait mon solitary meal et passé un solitary evening. Je pense que tout le monde sera resté là. Je me suis couchée ennuyée, mais plus triste.
Le gros Monsieur ma’ annoncé hier matin qu’il partait la semaine prochaine pour Londres, n’avez-vous pas quelque autre gros ou maigre monsieur qui aimerait à y être mené dans la première quinzaine de juin ?

1 heure
Je ne me suis rappelé le vendredi que lorsque j’avais écrit jusqu’ici. Je viens de vous écrire ma lettre officielle, parceque je ne veux pas que vous restiez un jour sans lettre. J’aime bien votre 374 vous prêchez sur le même texte que moi. " Pleine franchise entre nous ", et au fond c’est toujours parce que vous y manquez un peu de votre côté qu’arrivent les nuages. En y pensant un peu vous verez que les péchés viennent de vous. Point de réticence, pas la plus petite. Après le plaisir de n’avoir rien à reprocher, il n’y a pas de plaisir plus grand que le droit de gronder. C’’est si intime ! Est-ce que je dis une bétise ? Il me semble que nous voilà bien remis sur nos jambes. Pour moi au moins je me sens si leste, si confiante, si heureuse. Vous devez être comme moi, car dans ce qui nous regarde nous devons ressentir de même.
J’ai écrit ce matin à Ellice à M. de Barante ; vous allez-voir bientôt lady Clauricarde. Ah cela, je vous en félicite ; c’est tout-à-fait la prima dona en fait d’esprit. Elle en a beaucoup. Vous ai-je dit combien je trouvais votre définition de lady Jersey excellente ? Vos portraits sont toujours admirables. Je vous avais dit cela en mille mots. Vous le dites en deux " l’insignifiance la plsu envahissante."

Samedi le 23, 9 heures
Assez pauvre journée hier. D’abord toujours très froid et puis pas d’événements, pas de nouvelle. Montrond est venu le matin. il venait de chez le Roi ; il y retournait un langage nuageux, toujours drôle. Je crois qu’il vient chez moi parce qu’il me fait rire, cela lui plait, cela le flatte. Il est très frondeur sur le chapitre de St Hélène, il trouve cela absurde. Et puis il y voit mille inconvénients avant même d’abordar les dangers. Entre autres, ces quatre mois d’intimité entre le Prince de Joinville et messieurs les Bonapartistes, Bertrand & &, l’occasion de bien des propos provoquants peut- être. Au fait l’idée d’envoyer le fils du Roi est étrange. Il est cousin germain du duc d’Enghien !

Midi. Je vous remerce beaucoup du 375. Il me donne quelques lumières c’est-à-dire que je vois qu’en Orient on ne fait rien. C’est une étrange obstination de laisser sans solution, ce qui peut embarrasser le monde ! J’ai dîné seule. Le soir mon ambassadeur, Brignoles, le duc de Noailles, Carreira, d’autres insignifiants. M. de Pahlen. parle très bien sur l’affaire d’Orient vous en seriez content, mais il n’est pas poli pour l’Angleterre. Tout cela vous montre qu’il sert son maître sans l’approuver tout-à-fait Je vous enverrai les biographies que vous me demandez. Adieu. Adieu, je me réjouis de vous dire adieu par le gros Monsieur. A propos, il m’est venu une drôle d’idée ; c’est qu’en pensée vous me dites adieu au bout de la dépêche que vous envoyez par télégraphe pour que cela m’arrive vite. Vous voyez que je radotte. Adieu.

Vous vous trompez, vous ne dînez pas avec Lady Palmerston lundi. Les femmes n’en sont pas, à moins qu’on n’ait changé cela.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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380. Paris jeudi le 21 mai 1840

J’ai eu hier matin une longue visite d’Appony. Il a eu enfin une longue conférence avec Thiers, il parait qu’ils se sont dit beaucoup de choses obligeantes, et plus encore de choses aigres. Ainsi sur la question d’Ancône.
"- Si j’avais été ministre jamais la France n’aurait rendu Ancône.
- En ce cas vous aurez eu la guerre.
- La guerre ? Vous n’auriez pas où la faire.
- Comme nous ne voulons pas nous brouiller, finissons cet entretien."
Voilà un spécimen de la désobligeance. Voici pour les politesses. " Le prince Metternich est certainement le premier homme d’état en Europe. Il n’a surement pas pas besoin de mon suffrage, mais enfin je reconnais tout son mérite."
Le Roi a parlé à Appony de la translation des restes comme d’un acte de son invention. "Tôt ou tard, cela aurait été arrachée par les pétitions. J’ai mieux aimé octroyer. Il n’y a pas de danger ; la famille est sans importance. Le discours de M. de Rémusat n’a pas le sens commun je lui ai demandé ce que voulait dire sa dernière phrase, la comparaison de la gloire avec la liberté. Il m’a répondu qu’au fond il n’en savait rien, mais que cela avait fait un bel effet."
Croyez ou ne croyez pas, comme il vous plaira. Appony n’a pas inventé. Le temps est au froid. Pas de promenade au bois. J’ai dîné chez mon ambassadeur. plus de 30 personnes, toute la société blanche. Le soir il est venu chez moi, cela a été court, car je n’étais sortie de chez lui qu’après 10 heures.
J’attends ma lettre ce matin sans palpitation, avec impatience, avec joie, car elle sera bonne, elles seront toujours bonnes, n’est-ce pas ?
J’ai un chagrin de ménage. depuis l’assassinat de lord William Russell je n’ai plus foules qu’Eu génie reçût son mari chez moi. Le mari s’est fâché et me reprend sa femme, et je l’aimais beaucoup, car elle est jolie et alerte, & intelligente. Je cherche ; je veux de l’esprit, une jolie figure et pas de mari.
M. de Noailles, qui était hier mon voisin à dîner me dit que M. de Lamartine veut parler, contre la proposition du retour de Napoléon et qu’il s’arrange avec M. Garnier Pagès qui parlerait contre aussi dans ce cas, Berryer s’en mêle. Mais il est vraisemblable qu’on fera comme pour la loi de dotation en sens inverse. Vote silencieux. Logiquement et légalement on soutient que la loi contre la famille doit être reportée du moment qu’on réhabilite le chef. Quitte à faire une nouvelle loi qui les exile pour leurs méfaits. Ce qui est sûr c’est qu’on n’évitera pas du parlage sur ce point. midi Voici votre lettre bonne tendre, mais puisque vous avez continué le sujet, moi aussi je me force de revenir pour me défendre. Encore une fois voici vos paroles.
Mercredi 6 mai. " Alexandre a eu hier un accident, rien de grave & & dans deux ou trois jours il n’y paraîtra plus. "Vendredi 8 Mai. " Alexandre continue à aller mieux, c’est-à-dire qu’il va bien Samedi 9 mai. Alexandre va très bien. Je suppose qu’il ne tardera pas à partir." Voilà les nouvelles reçues de vous aux deux premières, croyance implicite. A la troisième, étonnement car Cumming disait ce que je vous ai mandé, et le silence total d’Alexandre confirmait plutôt Cumming que vous. Vous voyez bien que jusqu’à lundi 11 où je reçois votre lettre de Samedi à celle de Cumming, il n’y avait pas de quoi songer à partir je dis songer raisonnablement, car j’y avais bien songé dès la première minute et vous retrouverez surement cela dans ma première lettre après avoir appris l’accident. Et là c’était pour vous que j’allais, avec l’accident pour prétexte. Il n’y avait que votre phrase "dans deux ou trois jours il n’y paraîtra plus" qui me tenait perplexe, car je pouvais me croiser avec lui en route et le manquer. Lundi donc en recevant les deux lettres contradictoires, j’ai cru Cumming. Mon angoisse est devenue horrible, j’ai fait à la hâte mes préparatifs de voyage. J’y allais en dépit de vous, oui en dépit de vous ; et regardez-y bien, j’ai raison de dire cela. "Je suppose qu’il ne tardera pas à partir " était m’engager indirectement à rester. Vous ignoriez l’état où était mon fils et j’étais blessée de cette négligence ; ou le sachant, vous vouliez m’empêcher d’arriver en me disant "il ne tardera pas a partir". Et voici ce que j’ai cru : tout ces embarras diplomatiques vous ont amené à penser qu’en effet il serait plus commode pour vous que je ne vinsse pas. Je ne doutais pas de votre droit mais je pouvais croire à un excès de prudence, et c’est ainsi que j’avais fini par traduire votre phrase ; vous en retrouvez des traces dans la question que je crois vous avoir adressée il y a deux ou trois jours. Si je me suis expliquée clairement, il est impossible que vous ne me donniez pas raison et j’ai trouvé confirmation de mes conjectures dans l’absence totale de plaisir ou de regret lorsque vous avez su que je venais & puis que je ne venais plus. Je courrais donc vers mon fils, vers mon seul enfant, mon fils en danger ! Je songeais bien, je songeais beaucoup au bonheur de me retrouver auprès de vous, mais votre réserve, votre manière détournée de m’empêcher de venir me glaçait un peu. Dites ? Y a-t-il tant d’injustice à avoir cru entrevoir cela ? Je vous ai tout dit. Si cela n’est pas clair c’est que je n’ai pas su le rendre tel, mais j’ai compris comme cela, absolument comme cela. Voilà donc partie du 11 et tout le 12 employés à des préparatifs fatigants, odieux, car vous ne savez pas tout ce que j’avais à faire. Trouver un courrier pas un de mes gens ne pouvait aller avec moi, ils ne savent pas un mot d’Anglais ! Trouver quelqu’un pour m’accompagner dans ma voiture. Arranger ce que je laisse, ce que j’emporte. Pas un petit détail, pas un embarras m’a été épargné par personne. Je tombais de lassitude, je tremblais pour mon fils, j’avais la fièvre, ah quelles horribles journées ! Enfin mercredi 13, je reçois la première lettre de mon fils et une excellente, détaillée de Burkhausen, qui me rassurent complètement. C’est en devenant tranquille que j’ai reconnu toute ma faiblesse. L’inquiétude me soutenais. le calme de cœur m’a enlevé toutes mes forces factices et dans cet état j’aspirais à un peu de repos. J’ai remis mon départ de 4 jours, pour avoir les réponses d’Alexandre. Je subordonnais mes mouvements à ses volontés. C’était parfaitement naturel, parfaitement juste. Avant même sa réponse à ma demande, il m’a supplié de ne pas venir, de l’attendre, parce qu’il ne tarderait pas à partir. Et hier il me mande qu’il sera certainement ici le 26, pour y passer quinze jours Auprès de moi. Eh bien, dites-moi ; ai-je eu tort ? Aussi tort que vous le dites ? Vous m’expliquez votre réserve, c’est un peu trop subtil. Vous êtes trop fier avec moi ; ce qu’il faut être, c’est franc, toujours franc. Je comprends un peu votre réserve. Et bien moi, comprenez-moi, aussi. Lorsque j’ai tremblé pour mon fils je n’osais presque pas m’avouer qu’à côté de mes angoisses il y avait un plaisir, que j’allais vous revoir ! C’était dans le fond de mon cœur, mais caché ; je réprimais la joie. Elle me semblait un péché, un péché dont Dieu allait me punir. Il me semblait que dans ce moment je ne devais être que mère, n’avoir qu’une pensée, un vœux. Vous le savez bien, il y a des contradictions dans le cœur... ce n’est pas exactement ce que je veux dire. Je crois, et cela vous ne le savez pas, que j’ai l’esprit faible ; quand un malheur m’atteint ou me menace, il me semble que j’ai à expier ; qu’en me châtiant j’obtiendrai mieux grâce ; qu’en ne pensant qu’à Dieu, et à l’être cher pour qui je tremble, Dieu viendra à mon aide. J’écartais votre image, et elle était cependant toujours là, comme je vous dis dans le fond, tout-à-fait le fond de mon cœur. Je ne vous ai rien dit alors je ne sais rien vous dire de direct ; je ne vous ai parlé que de mon fils. Vous en avez été blessé, et voilà où nous nous sommes mutuellement mépris depuis le moment où je n’ai plus tremblé, n’avez-vous pas vu ce que je tenais si caché se faire jour de nouveau avec passion ? Ne m’avez- vous pas vu trembler de nouveau mais pour un bien autre intérêt ! Le doute était venue, les tulipes me dérangeaient. Que sais-je ? Sait-on tout ce qui vient à l’esprit ? Je répète avec vous. Que d’agitations insensées ; que de peines absurdes ! Allons, c’est fini. Adieu et adieu répété tant que vous voudrez. Ah si vous étiez là ! Quelle froide chose que du papier pour répéter un Adieu pareil.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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379. Paris Mercredi 20 mai 1840,
9 heures

A mon réveil dans mon lit, on me remet le 372 venu directement n’aurai-je que cela ? Me punissez- vous en éludant ? Faudra-t-il rester 24 heures encore dans un état d’angoisse abomminable ? Une réponse sur Madame ? Il est à sa place le Madame, mais vous l’aurez jugé à propos. Mais moi, aujourd’hui, j’aurais mieux aimé des coups de bâton que Madame ! Et cependant, je n’ai pas été élevée dans ce qu’on appelle des idées russes. Je vous remercie des nouvelles de mon fils, les plus fraîches et les plus sûres que j’aie.
Vous êtes bon de passer à sa porte, je vois vraiment que son état ne mérite plus cette sollicitude, et cependant jusqu’à son départ faites moi la grâce de me donner de ses nouvelles tous les deux jours.
Montrond est venu hier matin, il m’a trouvée dans une attitude et une mine d’idiote, je crois qu’il m’a dit le mot. Je regardais des allumettes, avec un air égaré. Il m’a demandé ce que j’avais. Je lui ai dit que j’avais envie, de me pendre ou de me noyer. "J’ai bien quelques fois cette envie-là aussi, mais je remets." Et puis il a bavardé, et m’a presque distrait de ma triste disposition.
Nous avons parlé de tout. Je lui ai fait cette question-ci. Entre ces deux versions opposées, celle que Thiers a inventé la translation des restes de [Napoléon], et arraché avec peine l’aveu du Roi ; et celle que c’est le Roi qui l’a imaginé et Thiers obéi.
"Laquelle dois-je croire ?
- Croyez ce qui est le plus vraisemblable. Le fait est de Thiers."
Pour vous expliquer ma question vous saurez que le Roi a dit à Appony que c’était son idée à lui et qu’Appony le croit parfaitement. Je crois que j’ai oublié de vous dire le récit de Granville. Il y a bien longtemps, c’est-à-dire bien longtemps avant le 1er de mai que Thiers est venu lui parler de cela et l’a prié de sonder lord Palmerston sur l’accueil qui serait fait à cette demande. Et puis Thiers lui a dit qu’il valait mieux ne pas sonder et il lui en a fait la demande directe de la part du gouvernement français. Je vous dis exactement, ce que m’a dit Granville. Grandement j’aime mieux qu’on vous ait ordonné de terminer une négociation déjà commencée. Je serais fâchée qu’on vous eut consulté, car c’est à mon avis une impudente affaire. De cette façon vous n’êtes responsable de rien. Je dois ajouter que Bourqueney m’a dit ceci. Le 1er mai lorsque Thiers est venu avec le Cabinet féliciter le Roi sur sa fête, le Roi lui a répondu en lui octroyant les restes de Napoléon. Bouquet pour bouquet. Vous savez maintenant tout ce que je sais sur cela. Vous trouvez que j’y pense beaucoup. C’est que vous verrez que ce sera beaucoup.
Je ne saurais vous dire la mélancolie de toute ma journée hier, Je suis si triste, si triste ! Et seule, seule ! Le soir j’ai eu lord Harrowby qui traverse pour retourner en Angleterre. C’était l’ami de Pitt. Il a été 40 ans ministre, j’étais fort lié avec sa femme. Si vous le rencontrez faites sa connaissance. Pas un Anglais ne parle français aussi bien que lui et il parle de tout. L’automne arrive, le prince de Chalais, Gabriac, beaucoup d’autres je ne sais plus qui. Mais j’étais si peu entraînée ! Je crois qu’on aura trouvé ce que Montrond m’a dit.

Midi. Rien, pas une autre mot !

2 heures
Je viens de remercier Dieu comme je l’ai fait le jour où mon fils lui-même m’a annoncé qu’il était hors de tout danger. Votre lettre a été pour moi cette lettre là, plus que cette lettre là ! Ah je vous dis bien la vérité. J’étais aujourd’hui prête à pleurer à chaque instant. Je suis sortie, non pour marcher mais pour m’appuyer sur la terrasse vis-à-vis mon appartement. Je regardais chaque passant avec envie, j’étais si sûre que chacun d’eux était plus heureux que moi. Mes larmes ont coulé ; un promeneur m’a regardée avec étonnement, c’est le seul qui s’en soit aperçu. Je suis redescendue de la terrasse, j’ai honte de vous dire tout ce qui s’est passé en moi, je ne savais si je tournerai à droite ou à gauche ; à droite pour rentrer chez moi, à gauche vers le pont. Et je me disais. Il ne saura jamais comme je l’ai aimé ! Mes jambes me manquaient ; dans ce moment je vois une jeune figure d’homme devant moi, l’air riant, ôtant son chapeau mettant la main dans son habit, & me présentant une lettre. Ce n’est qu’alors que j’ai reconnu le jeune homme. Ah s’il s’entend en physionomie comme j’espère qu’il s’entend en médecin, qu’il doit avoir fait d’étranges observations sur mon visage. Je la tenais donc cette lettre, et il me semblait que je n’aurais jamais la force d’arriver jusqu’à chez moi pour la lire. Ah que d’émotions j’ai eu ce matin, que de pensées contraires, que d’amour, que de désespoir ! Vous ne comprendrez pas tout ce que je vous dis, cela a l’air de folie, et je crois que cela y touche. Je suis rentrée, j’ai couru au dernier mot, et ce n’est qu’a sa vue que j’ai respiré. Quelle lettre ! Que je vous aime, que je vous bénis. Parlez-moi des tulipes tant que vous voulez, comment avais-je oublié les tulipes ? John Newton, quel brave homme ! Adieu. Adieu. Je suffoque mais cette fois, c’est de plaisir, et d’un tel plaisir ! Je ne serais jamais parti sans voir votre mère et vos enfants. Et j’ai dit à Génie ce que j’avais sur le cœur. parce qu’il est entré dans le moment où je venais de lire les deux lettres contradictoires, mais ne parlons plus de cela. Ne parlons plus que d’.... Je ne sais ce que je dis, mon cœur bondit de joie. Ah, qu’il est jeune mon cœur. Adieu. Adieu, toujours. Adieu
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