Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 7 Septembre 1852

J'ai lu tout Mad. d’Arbouville tout Georgia Fullarton. Vos autres recommandations ne me promettent pas grand chose. Trouvez mieux je vous prie ; du vieux historique, mémoires. Ne prenez pas la peine de me les expliquer. Dites les titres et à côté, " bien, passable, curieux. " selon qu'ils le méritent.
Molé a vu Thiers longtemps et l'a trouvé résigné pour longtemps au Président, et puis disant qu'on reviendra à la monarchie mais qu'il faut pour cela que les deux monarchies se réunissent et ensuite l'abdication ou l’adoption, ce qui veut et donc bonjour. Moi je crois que Cowley a raison, et Dieu sait ce que verra la France. Dumon est rentré en ville. Molé part ce matin pour le Marais, mais il reviendra dans 15 jours avant le départ de Kalergi.
Hubner a été étonné de lire qu'on a lancé ma nouvelle frégate portant le nom d'Austerlitz. Toujours ces souvenirs affichés, cela finira par provoquer. Qu'il laisse dormir en paix les masses et les triomphes de son oncle. Je le trouve trop modeste, il a assez fait lui-même et peut se passer désormais de ces souvenirs.
Kalerdgi m’amuse. Elle a beaucoup recueilli, et elle bavarde. Son oncle trouve les Bourbons immensément bêtes. Le général Haynau est parti fort content de son séjour ici. Adieu, adieu. Kolb a décidé les Delmas à rester, cela m’arrange.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Voici Lord Sidmouth et un volume de Louis XVI publié par M. de Falloux, et qui doit vous intéresser. Je vous demande un peu de soin pour ce volume-là que je ne voudrais pas perdre. Mais vous êtes très soigneuse.
Je vous ai quittée vite, triste de vous quitter et de vous laisser triste, ne dites pas, ne pensez pas que nous ne nous reverrons pas. Nous nous reverrons. Nous retrouverons nos conversations intimes. Vous êtes très souffrante, mais très vivante dans votre faiblesse. Je ne vous dis pas tout ce que je pense et sens à votre sujet. Je crains de vous émouvoir. Je crains vos impressions. Au revoir dearest, ever dearest. Adieu, Adieu. Au revoir. G.
Vendredi 17 sept. 1852 6 heures

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 24 Juillet 1851
8 heures

Je viens d'écrire une longue lettre à Croker. Il faut payer ses dettes, surtout à ses vieux amis. Je serais bien triste si je parvenais à être réellement inquiet sur l’Angleterre. Je persiste à ne pas l'être. Il y a là une digue de bon sens et de vertu assez forte pour résister même à un gros torrent qui viendrait l'assaillir, et je ne vois pas encore le torrent.
J’ai eu hier des visites qui m’ont assez frappé ; deux des hommes les plus intelligents, et les plus froids du pays ; sans passion et sans parti pris sur rien. Ils m’ont parlé du débat sur la révision comme ayant été très favorable à la monarchie, et pas très favorable au Président. Ils trouvent que République et Président ont fait là assez pauvre figure. Ils examinent ce qu’ils ne faisaient pas du tout, il y a un mois, comment la monarchie pourrait revenir, l'an prochain, ou quel autre président pourrait être élu. Cependant ils concluent que la République et le président. actuel sont encore ce qui a le plus de chances.
J'envie à Marion et à Duchâtel leur course à Stolzenfels. Je pense à Ems avec plaisir, et regret. A cause de vous d'abord, ce qui va sans dire, mais un peu aussi à cause d'Ems même. Le pays est plus pittoresque que celui-ci, et au milieu de ce pays pittoresque il y a des restes du passé un peu de vieille histoire, Stolzenfels restauré et les ruines de Nassau. Il n'y a point du tout de passé autour de moi, à dix lieues à la ronde, point du tout. On prend de plus en plus le goût du passé en vieillissant, comme les ombres s'allongent le soir. Pardon de l'incohérence.
Que dites-vous du souffle que l'assemblée vient de donner à ce pauvre Léon Faucher ? C’est la seconde fois que cela lui arrive. Il y a des gens qui auront voulu se dédommager de l'effort qu'ils avaient fait en votant pour la révision. Cela amènera-t-il une crise de cabinet ? M. Od. Barrot est là, prêt à recevoir l'héritage et à servir de couverture pour la réélection du Président. Je soupçonne que quelques uns des collègues de M. Léon Faucher auront été, sous main, pour quelque chose dans son échec. C'est aussi ce qui lui arriva, à sa première chute. Il est déplaisant, et embarrassant.

Onze heures
On m'écrit de Paris : " Les ministres restent. Ce n'est pas qu'à l’Elysée, on n'ait un grand désir de profiter de l'occasion pour renvoyer Faucher qui est odieux à ses Collègues et au Président ; mais ce serait donner une victoire à l'Assemblée, et on se décide à laisser les choses comme elles sont. Il faudrait d'ailleurs prendre Barrot qui n’est pas plus aimé que Faucher. " " Berryer, a reçu une longue lettre du duc de Noailles, dont il est très content. Le Duc aussi est content." Ce pauvre Maréchal Sebastiani aurait mieux fait de mourir il y a quatre ans. Il en avait une admirable occasion. C'était un esprit politique remarquablement sûr, fin sans subtilité, et presque grand avec une pesanteur et une lenteur assommantes, et une extrême stérilité. Propre à l'action, quoique sans invention. Je ne l'ai pas revu depuis la révolution de Février.
Je suis bien aise que Mad d'Hulot vous plaise. C’est une honorable personne, et je l’ai toujours trouvée aimable. Adieu, Adieu. Nous sommes depuis hier, sous le déluge d’un orage continu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Lundi 24 octobre 1853

Quand Xérès fit dire à Léonidas " rends-moi tes armes " c’est, je pense, qu’il était un peu embarrassé de passer les Thermopyles ; et Léonidas fit acte de bon sens comme d’héroïsme en lui répondant " Viens les prendre."Il me paraît qu’Omer Pacha, est dans le même embarras que Paris, et qu’il somme le Prince Gortschakoff de passer le Danube et de venir l'attaquer, le menaçant de le passer lui-même et d'aller l’attaquer, en cas de refus. Je ne sais si c’est sérieusement qu’on écrit cela de Bucarest ; il n’y a pas eu beaucoup de situations plus ridicules que celle de ces deux armées qui vont passer l'hiver à se montrer le poing d’un bord du Danube à l'autre. Entendez-vous parler de l’Asie et la guerre peut-elle vraiment commencer là, à défaut de l'Europe ?
Je n'ai pas eu hier de nouvelles de la Reine Marie Amélie. Quand même elle continuerait d'aller mieux, elle serait hors d'état de faire son voyage d’Espagne. Les Princes ont écrit à leur frère Montpensier de venir sur le champ à Genève. On préparait, à Lisbonne, une très belle et très affectueuse réception pour la Reine. La Reine de Portugal mettait du prix à la traiter avec éclat. Le Duc de Nemours est accouru en hâte, laissant sa femme à Vienne où il retournera probablement. Je dis comme vous, je n'ai rien à dire. Je vous quitte pour aller profiter, dans mon jardin d’un temps admirable. Nous avons eu hier le plus beau jour de l’année, chaud et clair. comme dans un bel été. Aujourd’hui sera aussi beau.
Un journal dit que sir Edmund Lyons reprend du service comme marin, et va rejoindre comme contre amiral, la flotte de l’amiral Dundas. Lord Palmerston ne peut pas renvoyer en Orient un agent plus dévoué, plus remuant, plus impérieux, et plus anti-russe.

Midi
Je ne m'étonne pas de toutes ces mollesses. Il n’y a vraiment pas un motif sérieux de guerre, à moins qu’on ne s'échauffe par taquinerie, et ce n'est pas la peine. Adieu. Adieu. Ma fille vous remercie de vos bons souhaits. Elle part ce soir, en assez bonne disposition. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mardi 15 oct. 1850

Voici une question que je ne trouve pas, dans ma bibliothèque d’ici, les moyens de résoudre et sur laquelle mon petit visiteur ira peut-être vous consulter. mon libraire veut mettre sur le titre de Washington, les armes des Etats-Unis d’Amérique, et sur le titre de Monk, les armes d'Angleterre. Mais ce sont les armes d’Angleterre sous les Stuart qu’il faut là et non pas les armes d'Angleterre sous la maison de Hanovre. Je ne me rappelle pas bien et je ne puis indiquer d’ici les différences. On fera la vérification, à la Bibliothèque du Roi, (nationale aujourd’hui) et je pense qu’on trouvera là tout ce qu’il faut pour la faire. Mais si quelque renseignement manquait aurait-on, à l'Ambassade d'Angleterre, et votre ami Edwards pourrait-il procurer de là un modèle des armes de Charles 2 en 1660 ? J'espère qu’il ne sera pas du tout nécessaire que vous preniez cette peine, mais je veux vous prévenir qu’il est possible qu’on vienne vous en parler.
Ce que vous a dit de Cazes ne m'étonne pas. Bien des gens le pensent. C'est peut-être le plus grand danger qu’il y ait à courir. J’ai très mauvaise idée de ce que serait le résultat. Probablement encore un abaissement de plus. Mais la tentation serait forte. Je dois dire que les dernières paroles qui m’ont été dites à ce sujet ont été très bonnes et très formelles.
Avez-vous revu Morny ? Je suis assez curieux de savoir, s'il vous dira quelque chose de mes quelques lignes, et de l’usage qu’il en a fait.
La corde est en effet bien tendue en Allemagne. Pourtant il me semble que Radowitz prend déjà son tournant pour la détendre un peu. Que vaut ce que disent les journaux de son travail pour amener l'union restreinte à n'être qu'une union militaire comme il y a une union douanière ? Ce serait encore un grand pas pour la Prusse et je ne comprendrais pas que les petits États se laissassent ainsi absorber par la Prusse sans avoir au moins le voile et le profit de la grande unité germanique. Mais il y aurait là un commencement de reculade. Je persiste en tout cas à ne point croire à la guerre. Personne n'en veut, excepté la révolution qui a peu prospéré en Allemagne. L'indécision même de votre Empereur entre Berlin et Vienne est un gage de paix. Y eût-il guerre, le Président ne serait pas en état, le voulût-il de faire prendre parti pour la Prusse. On ne prendrait point de parti de Paris comme de Pétersbourg et de Londres on remuerait ciel et terre pour empêcher la guerre, qui serait de nouveau la révolution. Je ne viens pas à bout d'être inquiet de ce côté, malgré le duo de bravoure de Radowitz et de Hübner.

10 heures
Je vois beaucoup de bruit dans les journaux et rien de plus. Pas plus de coup d’Etat en France que de guerre en Allemagne. Je n'ai qu'une raison de me méfier de mon impression ; c’est qu’il ne faut pas aujourd’hui trop croire au bon sens. Notre temps a trouvé le moyen d'être à la fois faible et fou. Adieu, adieu.

Je reçois de mauvaises nouvelles du midi de la France. On m’écrit que les rouges y redeviennent très actifs. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 23 Juillet 1850

Si je me guérissait de mes passions, les Assemblées, ne seraient pas la seule dont j’aurais à me guérir. J’aime mieux rester comme je suis. A tout prendre en France du moins, et depuis 1814, les Assemblées ont empêché plus de mal qu'elles n’en ont fait. Sans elles en 1830, et en 1848, le démon révolutionnaire aurait triomphé. Elles l'avaient bien un peu encouragé ; mais elles le lui ont fait bien payer après. Je viens de parcourir tous mes journaux. Je n’y trouve rien. La nomination de la commission permanente sera le dernier acte. Et puis nous serons trois mois sans assemblée. Je souhaite de tout mon cœur que nous soyons mieux dans trois mois qu'aujourd’hui. Je suis bien aise que l'article d’Albert de Broglie vous ait plu. Mais maintenez vos critiques. Je les trouve très justes.
L'homme aux mémoires est bien Saint-Simon. Quoiqu'il écrivit encore sous et sur la Régence, c’est le 17ème siècle qu’il raconte le plus. Louis XIV et sa cour. J'en lis tous les soirs 30 ou 40 pages, là et là à mes enfants. Cela les amuse parfaitement. Je n’ai pas lu les Sophismes en frustrade dont vous parle Marion. Si cela en valait la peine, je les ferais demander. J’ai demandé s'il y avait déjà quelque chose d'un peu complet sur Peel. On me répond qu'il y a un livre, publié, il y a deux ou trois ans par un Dr. Cooke Taylor " Sir Robert Peel and his Times." Vous n'avez surement par entendu parler de cela.
J’ai des nouvelles de Ste Aulaire. Il me dit qu’Horace Vernet, raconte que votre Empereur est toujours charmé de la République en France et surtout partisan zélé du général Cavaignac. C'est sa plus grande nouvelle. Vous voyez que je suis à peu près aussi stérile qu'Ems. Adieu. Adieu. Voilà enfin le soleil revenu. La pluie nous a accablés pendant quelques jours. Adieu. G.

Midi
Je rouvre ma lettre. Je viens d'avoir une visite qui me rend ma liberté pour le 6 août. J'irai donc vous voir à présent. Je partirai d’ici samedi prochain 27. Je serai dimanche matin, à Paris. J’en partirai le soir ou lundi matin pour Bruxelles et je serai à Ems mardi soir 30 ou mercredi Il. J’y passerai huit jours avec vous. Il faut que je sois à Paris, dans la journée du 11. Si Aberdeen vient à Ems, tant mieux. Sinon encore tant mieux. Grand plaisir que cette petite course. Adieu, adieu.
Soyez assez bonne pour m’assurer à Ems un petit logement. J’aurai avec moi un domestique, Adieu encore. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 24 sept. 1850

Je suis un peu fatigué ce matin. Un mouvement de bile. Mon repos et un peu de diète m'en débarrasseront en deux jours. Plus j’y pense, plus je suis frappé de l'énorme malhabileté de cette circulaire et de l’excellente occasion ainsi manquée. On pouvait se poser (comme on dit aujourd’hui) à merveille, et on reste très mal posé, plus mal qu’auparavant. C'est savoir bien peu profiter de sa propre sagesse. M. le comte de Chambord se tient tranquille ; il ne veut ni conspiration, ni guerre civile, ni guerre Européenne. Il attend que la France sente elle-même qu’elle ne peut se passer de la Monarchie, et qu’il n’y a pas pour elle deux Monarchies. Quand la France sentira vraiment cela, elle le reconnaitra, tout haut. Comment ? Par qui ? Personne ne le sait aujourd’hui ; mais la France saura bien le trouver quand il le faudra absolument. Et quand la France aura reconnu cela, la monarchie sera rétablie. Voilà ce que dit la conduite qu'on tient. Il n’y avait rien de si aisé que de l’écrire; rien de si aisé que de repousser ainsi l’appel au peuple de M. de La Rochejaquelein, et de maintenir le droit monarchique sans offenser le droit national, bien mieux en le respectant et en agréant au sentiment public. On pouvait faire cela, et on fait ce que vous voyez ! J’ai peur que cette maladresse particulière ne soit le symptôme de la maladresse générale de cette intelligence politique de cette ignorance de l'état et de l’esprit du pays qui depuis si longtemps caractérisent et perdent le parti. C'est fort triste. Tout ce qu'on peut espérer c’est que cette sottise se perde dans la foule avec tant d'autres. Il en vient tant de tous les côtés.
Vous voyez que je ne me gêne guère ; je vous écris tout ce que je pense. Et ce que je vous écris, je le dis aux gens que je vois et à qui il peut être de quelque utilité que je le dise. Pourquoi me gênerais-je? J’ai un avis très décidé sur la situation; je crois qu'il y a un moyen, et qu’il n’y a qu’un moyen de sauver mon pays. Et en même je suis tout-à-fait hors de la mêlée simple spectateur et juge des coups. Je dis tout haut mon jugement C'est là aujourd’hui ma seule action. Je n'en cherche point d'autre. J’ai bien acquis le droit. d'exercer celle-là.

Midi
Je vois, par mes journaux, qu'on est aussi occupé à Paris, de la circulaire que je le suis moi-même dans mon nid. Plutôt on l'oubliera mieux ce sera. Les Débats sont en effet bien vifs contre la République. Ils prennent leurs avantages. Je veux m’arranger pour lire l'Union. Je ne vois pas d'ailleurs la moindre nouvelle qui mérite qu'on en parle. On annonce que la cour de Vienne a pris le deuil pour douze jours, pour le Roi Louis-Philippe. On y sera sensible à Claremont. Il n’y avait point eu de notification là, quand je suis parti. Adieu. Adieu.
Je ne me promènerai pas aujourd'hui. Je resterai tranquille dans mon Cabinet. Adieu. G.
Si vous revoyez Madame de Ste Aulaire, ou lui, faites leur, je vous prie, mes plus tendres amitiés.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 3 nov. 1849

Vous savez probablement ces détails-ci. Je vous les donne comme on me les mande, avant de publier ses résolutions Louis Bonaparte en avait fait part à Changarnier, et lui avait offert de lui lire son manifeste. Le général avait répondu qu'il se rendait à la Chambre, et qu’il en entendrait là, la lecture. La lecture faite, Changarnier sortit de la séance, avec Thiers sans laisser percer au dehors aucune marque d'approbation ou de désapprobation. Voici le langage de Thiers. « Il ne faut pas que la majorité pousse le président à un coup de tête ; il faut qu'elle accepte ce Cabinet pris dans son sein et composé d'hommes honorables et dévoués à l’ordre. N'oublions pas que nous sommes en présence de la République rouge et du socialisme, et que nous ne devons, sous aucun prétexte, leur fournir les moyens de triomphe. Ne faisons pas encore un 24 Février.» D'autres sont plus susceptibles, et disent que jamais assemblée n'a été plus indignement souffletée. Ils avouent néanmoins qu'elle ne peut guères se venger sans donner des armes à la Montagne et sans préparer son triomphe. Est-ce là ce qui vous revient ? Avez-vous entendu dire que sur le Boulevard, autour d’un café où se réunissent beaucoup d’officiers quelques uns, après avoir lu le manifeste, avaient crié : Vive Henri V et qu'ils avaient été sur le champ arrêtés ? Je ne fais pas de doute que la majorité ne doive accepter le cabinet pris dans son sein, et le contenir, et l’attirer à elle en le soutenant. Je crois même qu'elle pourrait tenir cette conduite avec beaucoup de dignité pour elle-même, et de profit pour son autorité sur le Pays et l'avenir. Mais je crains qu’on ne donne à une conduite qui pourrait prouver, et produire de la force, les apparences et par conséquent, les effets de la faiblesse. Je crains que mon pauvre pays ne soit défendu, contre les étourderies des enfants, que par les tâtonnements des vieillards. Gardez-moi le secret de ma crainte. Je pense à cela, et à vous. Je pense peut-être à des choses déjà surannées. Qui sait si le nouveau cabinet n’est pas mort ? Il n’avait pas encore été baptisé au Moniteur. Mes journaux me manqueront ce matin à cause de l'Assomption. Pas tous, j'espère. D'ailleurs j'aurai des lettres. C'est, je vous assure, une singulière impression que de vivre en même temps au milieu de tout cela, et au milieu du long Parlement, de Cromwell, de Richard Cromwell des Républicains, des Stuart & & & C'est une perpétuelle confusion de ressemblances et de différences, et de curiosités et de conjectures, qui tombent pêle-mêle sur la France et sur l’Angleterre, sur le passé et sur l'avenir. Je ne dirai pas cependant que je m’y perde. Mon impression est plutôt qu’il rejaillit bien de la lumière d'un pays et d’un temps sur l'autre. Mais soyez tranquille ; j'ai assez de bon sens pour ne pas me fier à mon impression et pour savoir que je n’y vois pas aussi clair que par moments, je le crois.

Midi
Merci, merci. Cela ne me paraît pas, à tout prendre, inquiétant pour le moment. Mes tendres amitiés à Ste. Aulaire quand vous le reverrez. Je crois plus que personne qu’il n’y a que les sots d'infaillibles, mais je suis très décidé à ne pas me laisser affubler du moindre tort prétendu pour épargner à d'autres la honte de leurs gros péchés. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 8 sept 1852

Dites-moi précisément quel jour Aggy part pour son petit voyage. J’irai passer avec vous trois jours pendant son absence. Je veux voir par moi-même comment vous êtes et me donner, nous donner ce rafraîchissement dans le cours d’une si longue séparation. Je puis faire cela la semaine prochaine. J’attendrai après demain vendredi votre réponse pour fixer le jour de mon départ. Ce sera un charmant plaisir.
Je m'étonne que le Président ne soigne pas Cowley autant que Hubner. Il compte sans doute davantage sur la complaisance, de l’Autriche pour sa grande affaire ; mais il a besoin aussi de celle de l'Angleterre, et je ne la crois pas inabordable.
Ce que vous me dites de Lord Cowley quant aux chances de l'avenir n’est probablement pas son sentiment à lui seul dans son gouvernement. La politique anglaise est peut-être, de toutes celle qui vit le plus dans le présent. Le Cabinet actuel d'ailleurs n'est guère en état, ni en disposition d’aller au devant d’aucune difficulté, il les éludera tant qu’il pourra et n'en créera à personne pour ne pas s'en créer à lui-même.
Le journal des Débats répond à ma question ; il annonce le rappel du ministre de France à La Haye, le petit d’André, si je ne me trompe. Je doute que cela fasse revenir les Chambres hollandaises, au traité sur la contrefaçon. Ce seront de mauvais rapports inutiles.
Mad. Kalerdgi manquera à l'Elysée et à M. Molé. Il a le goût des comédiennes Mad. de Castellane valait mieux que celle-ci. Elle était capable de dévouement. Je doute qu’il en soit de même de Mad. Kalerdgi. Passe pour le dévouement d’un jour ; mais la dévouement long exclusif, non. Mad. de Castellane, il est vrai n’avait pas commencé par ce dévouement-là ; mais elle y était venue. C'est quelque chose.
A propos de Mad. Kalerdgi, Piscatory me revient à l’esprit. J’ai eu de ses nouvelles il va mieux. Il a eu une forte esquinancie mais il a une de ses filles assez gravement malade, ce qui le tourmente beaucoup. Il a du cœur. Il se tient parfaitement tranquille entre ses enfants et les champs.

Onze heures
Je vous chercherai de vieux Mémoires. Ce pauvre Piscatory a perdu sa fille, une enfant de douze ans. Je reçois trois lignes de lui. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mardi 19 oct. 1852

J’ai bien peine à croire qu’on attende six semaines, et je ne trouverais pas cela habile. L'opinion du ministère des affaires étrangères est que l'affaire Belge s’arrangera. On n'y met pas beaucoup d'empressement à Bruxelles où l'on n'est ni bienveillant, ni vraiment inquiet ; mais personne, parmi les gens du métier à Paris ne craint que cela devienne politiquement grave. C’est trop tôt. Tout le monde est et croit à la paix.
Je ne puis pas juger si le Président a eu raison de mettre Abdel Kader en liberté. Cela dépend de l'état de l'Algérie. Il se peut que cinq ans d’absence, aient fait perdre là, à Abdel Kader, presque toute sa force. En ce cas, le président a bien fait.
Le voilà délivré du marquis de Londonderry. Il (le président) vient de faire un très bon acte en nommant Cardinal l’archevêque de Tours. C’est un des homme les plus sensés et les plus justement honorés du clergé.
Qu'est-ce que cet ouvrage que je vois annoncé dans le Journal des Débats, avec une certaine solennité : Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la Russie sous Pierre le grand et Catherine 1ère ? En avez-vous entendu parler ? C’est bien vieux pour vous intéresser, quoique ce soit Russe.
Voici, ma seule question sur votre santé. Vous me dites Chomel, Andral. Les avez-vous vus ensemble ? Chomel est-il revenu ? Se sont-ils mis d'accord sur votre régime ?
J’ai des nouvelles de Suisse. La Duchesse d'Orléans porte toujours et portera encore quelque temps le bras en écharpe. Mais elle va bien. Elle retourne décidément à Claremont avec la Reine.
Le Duc de Broglie est resté à Coppet. Il ne revient à Broglie que du 20 au 25. Il me paraît que la rencontre du Président et de Morny a été très affectueuse. Entendez-vous dire quelque chose de Flahaut ? Viendra-t-il à Paris dans cette circonstance ! Je me figure que Mad. de Flahaut a beaucoup d'humeur de n’y pas être.

Onze heures
Voici votre lettre. Je l’aime mieux que celle d’hier. Elle n’est pas abattue. Deux choses seulement ; tout de suite. Je serai charmé quand nous causerons ; mais ne comptez pas sur moi pour disputer beaucoup ; je ne dispute plus guères quand je disputerais trop. Et puis, quoique je sois vraiment désolé d'avoir brûlé la lettre d'Aggy, pardonnez moi d'avoir souri de votre légèreté française. Vous avez l’art de faire d’une pierre, mon pas deux coups, mais trente six millions de coups, pour rendre le coup plus lourd. Je n’ai pas la même goût ; je ne cherche pas en vous les défauts russes. Adieu, Adieu.
Vous ne m’avez point dit pourquoi lord Beauvale est contre le discours de Bordeaux.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 20 sept 1853
4 heures

Merci de la lettre que j’ai reçue ce matin, et que je n'attendais pas. Je suis bien aise que la dépêche adressée à M. de Meyendorff vous ait satisfaite ; c’est un bon effet qui viendra à propos ; tout le monde a envie d'être satisfait. Je vois du reste que la première motion de votre refus commence à passer. Les joueurs sont prompts à la crainte et à l'espérance.
Vous avez bien raison de vous promener trois heures ; le temps est magnifique ; j’ai marché hier deux heures de suite dans les bois. J'avais travaillé sans me lever une fois de mon fauteuil, depuis cinq heures et demie du matin jusqu'à onze heures. Vous aurez besoin de me répéter plus d’une fois la terre de M. Drouyn de Lhuys pour que j'y croie.
Si vous preniez aux détails et aux intrigues politiques du passé un peu de l’intérêt que vous prenez à celles du présent, je vous engagerais à lire, dans la Revue des deux mondes, le Ministère de Lord Bolingbroke sous la Reine Anne, par M. de Rémusat ; ce sont les premières campagnes, du régime parlementaire en Angleterre. Moi, cela m'amuse. Pour vous ; ce serait trop long et trop ancien. Barante m'écrit : " Ce pauvre, M. de Rémusat, la mort du gouvernement parlementaire lui fait tant de chagrin que, pour se consoler, il le dissèque. "
J’ai une corvée lundi prochain ; il faut que j'aille dîner chez M. Hébert, à six lieues d’ici. Il vient me voir régulièrement tous les ans. Je lui ai promis d’aller une fois chez lui. Il me demande de lui tenir ma parole. Je ferai cela lundi. L’ancien précepteur de mon fils vient de m’arriver avec sa femme pour passer ici quatre ou cinq jours. Dites-moi, si vous avez dit à la Princesse Koutschoubey ce que je vous ai dit pour les commencements de son fils. Je parlerais de lui à mon professeur. qui est un homme sensé et très au courant des bons maîtres.

Mercredi 21
En vous parlant d’une mission trop secrète, je vous ai nommé je crois la Revue des deux mondes ; il me revient à l’esprit que je me suis trompé, et que c’est dans la Revue contemporaine (numéro du 15 sept) que se trouve cette petit histoire assez amusante.
Lisez, si vous ne l’avez déjà lu, dans les Débats d’hier, l'article sur les dépenses qu'impose déjà à la ville de Paris le prix actuel du pain ; vous verrez à qu’elle somme énorme cela s'éleverait si on continuait sur ce pied.
Adieu, adieu. Je vais lire l'analyse que donnent les Débats de votre nouvelle prière. G.
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