Jean Baudoin (1584?-1650)
Frontispice de l'édition de 1627
© Gallica - BnF
Jean Baudoin est loin d’avoir livré tous ses secrets, il reste encore quelques zones d’ombre. Né à Pradelles en Vivarais, sans doute en 1584, il est décédé à Paris en 1650.
Baudoin a dû être présenté à la reine Marguerite de Valois – alors en exil à Usson – au plus tard en 1605, après avoir effectué des voyages de formation en Italie, en Espagne et en Allemagne afin de parfaire son éducation et sa culture. Il est alors attaché à la reine en tant que lecteur et plusieurs documents d’archives indiquent qu’il lui enseigne l’espagnol. Il reste au service de Marguerite jusqu’au décès de cette dernière, en 1615, où il commence à se forger une solide réputation de traducteur. C’est ainsi qu’il est envoyé sur ordre de Marie de Médicis en Angleterre au début des années 1620, afin de traduire l’Arcadie de la comtesse de Pembroke[1] de Philip Sydney, et y demeure deux ans. C’est probablement cette traduction qui lui permet d’obtenir le titre d’interprète du roi en langues étrangères.
À partir de 1627, Baudoin commence à pénétrer l’entourage de Richelieu en s’approchant de ses fidèles. C’est ainsi qu’il dédie La Mythologie de Conti à Charles de Créquy, maréchal de France, qui prit part à toutes les batailles entreprises par Louis XIII et Richelieu. Il devient l’un des protégés du cardinal dès 1631, puisqu’on le trouve mentionné comme valet de chambre. Il intègre alors son cercle de plumes et est nommé historiographe en 1633. Parallèlement à son service dans la Maison de Richelieu, Baudoin est également attaché au chancelier Séguier. Les comptes de la Chancellerie de l’année 1635 font état de six cent livres versées « au sieur Baudoin historiographe pour avoir leu les livres desquels on demande privileges[2] », il participe ainsi au vaste chantier de réorganisation de la censure royale entrepris par Séguier dès 1633. C’est également à cette époque que Baudoin est élu à l’Académie dès sa fondation et qu’il participe à la rédaction de ses statuts. Il bénéficie donc de la protection des deux personnages les plus puissants du royaume de France jusqu’à la mort de Richelieu, puis de celle de Séguier jusqu’à la fin de ses jours, ce qui contredit les poncifs qui le présentent comme un traducteur qui travaillait fami, non famæ[3], ce qui amena certains historiens à conclure qu’il était mort dans le plus grand dénuement. En réalité, Baudoin est assurément l’un des premiers auteurs français dépourvu de fortune familiale et de revenus ecclésiastiques qui ait pu vivre de sa plume.
86 ouvrages peuvent être attribués à Baudoin, parmi lesquels 60 traductions et 19 œuvres personnelles. Ses traductions sont issues de cinq langues : le grec ancien, l’anglais, l’espagnol, l’italien et le latin. Au début de sa carrière, il publie essentiellement des traductions d’ouvrages religieux diffusant la nouvelle doctrine tridentine. C’est également à cette époque qu’il donne sa première traduction de Juste Lipse, avant d’y revenir dans une anthologie - Le Prince Parfait et ses qualitez les plus éminentes. Avec des conseils et des exemples moraux et politiques tirez des œuvres de Juste Lipse et des plus célèbres autheurs anciens et modernes[4] -qui fut vraisemblablement sa dernière publication. Les ouvrages politiques et historiques sont les plus nombreux, ce sont essentiellement des traductions tirées de l’histoire de l’Antiquité ou consacrées à l’histoire contemporaine. On y trouve Suétone, Sénèque, Tacite, Davila… On lui a souvent reproché ses traductions peu respectueuses de l’original, ses emprunts à des traductions antérieures et de ne pas avoir compris les subtilités de la philosophie des auteurs qu’il traduisait. Baudoin lui-même avoue avec une grande honnêteté intellectuelle, dans ses pièces liminaires, s’être servi de textes précédents. Plus qu’un traducteur, il se veut en effet un interprète : ses traductions ne sont pas fidèles aux textes originaux car il les accorde au goût français, comme c’était alors l’usage. Il n’hésite pas à adapter les livres qu’il traduit, inscrivant ainsi sa démarche intellectuelle dans la continuité de l’esprit humaniste de la fin du XVIe siècle. Il souhaite aussi mettre à la portée du plus grand nombre les textes fondamentaux de la littérature européenne contemporaine comme la Jérusalem délivrée du Tasse, les œuvres du chancelier Bacon – pour l’œuvre duquel il a obtenu un privilège global – les Guerres civiles des Espagnols dans les Indes de Garcilaso de le Vega. C’est encore lui qui fit pénétrer en France le genre iconologique avec son adaptation de L’Iconologia de Cesare Ripa en 1636, puis en 1644.
La pensée figurée est également omniprésente dans l’œuvre de Baudoin. Sa première tentative iconographique a même été relativement précoce, puisqu’il s’essaya à l’analyse symbolique dans Les feux de joye pour la resjouissance publique, par la Declaration de la Majorité du Roy[5] en 1614. Dans cet opuscule consacré à la célébration de la majorité du jeune Louis XIII, Baudoin s’attacha à donner une interprétation symbolique des feux de joie donnés dans la capitale. Afin de dévoiler le sens caché des feux d’artifices, Baudoin s’appuyait sur l’interprétation « hiéroglyphique » de Pierio Valeriano[6] dont l’ouvrage constitue une source constante dans son œuvre. L’approche de la littérature symbolique par Baudoin a sans aucun doute été favorisée par sa longue pratique de la traduction, par l’expérience du déplacement d’une langue à l’autre. Il s’agit ici de passer de la traduction littéraire à la langue des images. Un autre attrait de la littérature symbolique pour Baudoin est le fait qu’elle recèle un héritage humaniste considérable pour lequel il témoigne un très vif intérêt comme cela se voit dans ses traductions de Juste Lipse. Il est avant tout un herméneute et en ce sens l’interprétation visuelle est comparable au passage d’une langue à une autre : il s’agit bien pour lui d’une translation des mots vers l’image.
Tout au long de sa carrière, Jean Baudoin n’a jamais cessé d’émailler les annotations de ses traductions de références à la Fable et ses traductions de Francis Bacon et notamment de La Sagesse mystérieuse des Anciens[7] lui font franchir un pas de plus et le conduisent un peu plus vers la littérature allégorique. En 1627, il publie chez Pierre Chevalier et Samuel Thiboust une nouvelle édition de la traduction de Montlyard de la Mythologia de Natale Conti révisée par ses soins sous le titre de Mythologie ou Explication des Fables, Œuvre d’éminente Doctrine, et d’agreable Lecture. Cy-devant traduitte du Latin de Noël le comte par J. de Montlyard. Exactement reveuë en cette dernière Edition, et augmentée d’un Traitté des Muses ; De plusieurs remarques fort curieuses ; De diverses Moralitez touchant les principaux Dieux ; Et d’un Abbrégé de leurs Images[8]. Cette publication s’explique notamment par l’intérêt manifeste de Baudoin pour la mythologie comme genre littéraire dévoilant la sagesse des Anciens et lui permettant de délivrer un enseignement, des règles de vies morales à ses lecteurs. Il adjoint à sa traduction des Recherches touchant à la Mythologie, Divisées en IIII. Traictez, Recueillis des Anciens Autheurs. Contrairement à Conti qui avait réalisé une véritable œuvre personnelle en compilant les différentes sources antiques afin de dresser une présentation la plus exhaustive possible de chaque divinité, Baudoin juxtapose plusieurs textes ou extraits de textes d’auteurs classiques ou de mythographes. Il complète ainsi le compendium de Natale Conti par les écrits d’autres mythographes antiques ou contemporains. Il ajoute un traité consacré aux Muses et à leur généalogie traduit de Lilio Giraldi ; des Observations curieuses sur divers sujets de la Mythologie, Recueillies du I. Livre de C. Jul. Hygin ; l’Explication Physique et Morale, des Principalles allegories des Poetes, Prise de Phornutus, Autheur Grec ; et un Abbregé des Images des Dieux, Tiré du Philosophe Albricus. Tous ces textes sont issus d’une traduction partielle d’un recueil consacré à la mythologie publié pour la première fois à Paris en 1578 regroupant des livres d’Hygin, d’Albricus, d’Apollodore, d’Aratus, de Fulgence ou encore de Cornutus[9].
Baudoin considère la Fable comme un langage lui permettant de s’adresser à ses lecteurs sous une forme détournée, plus agréable, voire plus ludique, mais capable de leur dévoiler la vérité. Cela explique qu’il ait poursuivit son incursion dans la littérature symbolique par sa traduction de la fable ésopique à partir de 1631. En 1636, il diffuse pour la première fois en France l’Iconologia[10] de Cesare Ripa. Plus qu’une traduction, cette adaptation donne une nouvelle perspective à sa carrière, puisque c’est par le biais du vocabulaire allégorique qu’il parvient à l’emblème en publiant son Recueil d’Emblemes divers.
L’intérêt de Baudoin pour la mythologie et plus encore pour l’Iconologia provient sans doute du fait que ces livres pouvaient servir de références communes qui lui permettait pratiquement de constituer à travers ses ouvrages de littérature symbolique une bibliothèque commune illustrée. Ce qui se vérifie par la fortune inattendue de l’Iconologie qui, après quatre siècles est toujours utilisée par les étudiants comme un manuel. La littérature symbolique lui a permis de proposer aux artistes un véritable vocabulaire servant le discours encomiastique. En effet, en adaptant l’Iconologia de Cesare Ripa, Jean Baudoin, a contribué à mettre le vocabulaire allégorique au service de l’art français. Cette traduction fut le point d’orgue de sa carrière en matière de littérature symbolique et un acte fondateur d’une nouvelle forme d’éloge de la monarchie. Même si l’allégorie était traditionnellement utilisée dans la valorisation du pouvoir, c’était la première fois qu’elle était ainsi codifiée et destinée explicitement à un tel discours. Baudoin par son adaptation de l’Iconologie proposait aux artistes des représentations nouvelles fondées sur le vocabulaire des Anciens, leur permettant de renouveler les codes du panégyrique tout en vérifiant leur adéquation avec la pensée moderne. Plus encore, l’allégorie lui permettait de créer un vocabulaire universel.
C’est enfin par le biais du vocabulaire allégorique que Baudoin parvient à l’emblème avec la publication du Recueil d’Emblemes divers en 1638-1639[11]. En effet, Baudoin fut l’un des restaurateurs en France et en français du genre emblématique oublié depuis Georgette de Montenay et Théodore de Bèze. Pour rédiger le Recueil d’Emblemes divers, et pour exprimer sa propre philosophie, Baudoin s’est nourri des pensées des auteurs qu’il a traduits. Ses lectures s’y assemblent en fragments juxtaposés, formant une mosaïque conforme à l’étymologie et à la définition originelle de l’emblème. Les sources littéraires des emblèmes du Recueil montre que Baudoin s’appuie sur des auctoritates pour justifier son propos et que souvent ces auteurs lui procurent le sujet central de l’emblème. Ses emprunts à des recueils d’emblèmes antérieurs, les rapprochements avec les ouvrages de Bacon et de Conti, les Fables d’Esope Phrygien ne démentant pas ce mode de fabrication. Si Baudoin a puisé à de multiples sources pour concevoir cet ouvrage – littéraires, emblématiques, antiques, modernes, latines, vernaculaires –, le recueil incarne parfaitement ses préoccupations intellectuelles, politiques et morales. Avec ses emblèmes, Baudoin créé un véritable théâtre du monde sur la scène duquel se jouent les passions humaines. Son objectif, comme il le signifie dans la préface, est encore d’édifier le lecteur, l’emblème étant « une peinture servant à instruire ».
C’est parce que Baudoin avait perçu l’universalité du langage de l’image qu’il s’est intéressé à la littérature symbolique.
Signature de Jean Baudoin
@ archives nationales
[1] L’Arcadie de la comtesse de Pembrok, mise en nostre langue de l’anglois de messire Philippes Sidney par Jean Baudoin, Paris, T. du Bray, 1624-1625.
[2] Ms. Fr. 18625, 1635.
[3] J.-P. Nicéron, op. cit., p. 200.
[4] J. Baudoin, Le Prince Parfait et ses qualitez les plus eminentes. Avec des conseils et des exemples moraux et politiques tirez des œuvres de Juste Lipse et des plus célèbres autheurs anciens et modernes, Paris, C. Besongne, 1650.
[5] Les feux de joye pour la resjouissance publique, par la Declaration de la Majorité du Roy, en sa Cour du Parlement de Paris, le jeudy deuxiesme de ce mois d’Octobre 1614, Ensemble les Merveilles du Ciel, envoyées le mesme jour à sa Majesté, Paris, A. du Breuil, 1614.
[6] Une nouvelle traduction des Hieroglyphica fut donnée l’année suivante par Jean de Montlyart (Lyon, Paul Frellon, 1615) ; l’ouvrage, une somme monumentale, ordonnée par thèmes de façon très ingénieuse, était de plus en plus considéré comme un manuel et n’avait aucunement perdu de son actualité.
[7] La sagesse Mystérieuse des Anciens, Ombragée du voile des Fables, appliquées moralement aux secrets de l’Estat et de la Nature, par messire François Bacon, de la traduction de J. Baudoin, Paris, F. Julliot, 1619.
[8] Mythologie ou Explication des Fables, Œuvre d’éminente Doctrine, et d’agreable Lecture. Cy-devant trduitte du Latin de Noël le comte par J. de Montlyard. Exactement reveuë en cette dernière Edition, et augmentée d’un Traitté des Muses ; De plusieurs remarques fort curieuses ; De diverses Moralitez touchant les principaux Dieux ; Et d’un Abbrégé de leurs Images, Paris, P. Chevalier et S. Thiboust, 1627.
[9] Fabularum liber... nunc denuo excusus, ejusdem poeticon astronomicon libri quatuor, quibus accesserunt similis argumenti : Palaephati De fabulosis narrationibus liber I.F. Fulgentii Placiadis... Mythologiarum libri III, Ejusdem De vocum antiquarum interpretatione liber I. Phornuti De natura deorum... speculatio. Albrici... De deorum imaginibus liber. Arati... Fragmentum, Germanico Caesare interprete. Ejusdem phaenomena graece... Procli De sphaera libellus, graece et latine. Apollodori Bibliotheces sive de deorum origine. Lilii G. Gyraldi De Musis syntagma, Paris, Jean Parant, 1578.
[10] Iconologie, ou, Explication nouvelle de plusieurs images, emblemes et autres figures Hyerogliphiques des Vertus, des Vices, des Arts, des Sciences, des Causes naturelles, des Humeurs differentes, et des Passions humaines. Œuvre necessaire à toute sorte d’esprits, et particulierement à ceus qui aspirent à estre, ou qui sont Orateurs, Poetes, Sculpteurs, Peintres, Ingenieurs, Autheurs de Medailles, de Devises, de Ballets, et de Poëmes Drammatiques. Tirée des Recherches et des Figures de Cesar Ripa, Desseignées et gravées par Jacques de Brie, et moralisées par J. Baudoin, Paris, J. De Bie, 1636.
[11] J. Baudoin, Recueil d’emblèmes divers, Avec des discours moraux, philosophiques et politiques. Tirez de divers Autheurs Anciens et Modernes, Paris : Jacques Villery, 1638-1639.
Marie Chaufour
Comment citer cette page
Équipe Mythologia, "Jean Baudoin (1584?-1650)"Site "Natale Conti, Mythologia, 1567-1627 : un laboratoire éditorial"
Consulté le 22/11/2024 sur la plateforme EMAN
https://eman-archives.org/Mythologia/jean-baudoin