Espace Afrique-Caraïbe

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Williams Sassine, Chroniques assassines


Présentation de la collection

Raconter  Williams  Sassine,  sa vie, son œuvre,  passait nécessairement par Le Lynx et la célèbre Chronique assassine publiée à Conakry. Souleymane Diallo, le Directeur et fondateur, m’a reçue un dimanche dans son bureau, au calme, il a raconté la création du journal, l’arrivée de Williams Sassine et m’a invitée à consulter les archives.
 
Le Lynx, hebdomadaire satirique, est créé par une équipe de journalistes formés en Côte  d’Ivoire, Souleymane Diallo 1, Lamine  Bah  et  Alassane Diomandé,  qui saisissent l’opportunité  de la toute nouvelle  loi sur la liberté  de la presse,  pour  fonder leur  propre journal. Le premier numéro paraît le 7 février 1992, il est tiré à 3000 exemplaires, 500 sont vendus, la diffuion va très vite évoluer. Jusque là, seul le journal historique « Horoya », était autorisé à informer et cette liberté toute nouvelle va être l’occasion de l’éclosion d’un grand nombre  de  publications.  Pour renforcer  le  Comité  de  Rédaction,  Williams  Sassine est contacté au Musée par Alassane Diomandé. Il accepte et intègre immédiatement celui-ci. Sa collaboration débute avec le numéro 4 du 16 mars 1992 et ne cessera qu’à sa mort, le 9 février 1997, soit 5 ans de bons et loyaux services et près de 250 chroniques, assorties de « billets » et quelques « recettes » quand le cœur lui en dit. Il a créé la Chronique Assassine, reprise ensuite par d’autres collaborateurs, une rubrique toujours présente à l’heure actuelle en page deux du journal.
 
Mon intérêt lors de cette rencontre avec Souleymane Diallo est focalisé sur le retour de Sassine à Conakry, intérêt comblé par la lecture des chroniques, riches en informations sur ses activités, ses déplacements ici ou là, la vie en Guinée et la gouvernance du pays. Loin  de moi cependant  l’intention  de  plonger  dans  cette  masse d’informations  pour  les étudier, les décortiquer, les analyser.
 
Ces visites au Lynx me permettent de côtoyer l’équipe, forte encore de compagnons de l’origine du journal, et de consulter les registres archivés, amputés malheureusement des premiers numéros gâtés par une inondation.
 
Je vais continuer mes recherches vers les Archives Nationales de Guinée, fermées alors  au  public.  L’appui du  Directeur  de  la  Bibliothèque  Nationale  et  le contact  avec l’archiviste  chargé  des  périodiques  m’ont ouvert  l’accès  aux  collections.  Enfin,  je  peux consulter les numéros stockés dans les réserves. L’archiviste me suggère de photocopier les articles qui m’intéressent, excellente idée dont je profite pour compiler tous ces textes. Nous avons copié dans une boutique de rue toutes la série de Chronique assassine disponible, en réduisant  le format  pour  les rendre aisément  transportables.  Un travail  à la chaîne  pour dupliquer « la page deux » en un temps record. La lecture en sera laborieuse !
 
De retour  en France,  ces  feuillets  sont  classés, inventoriés,  scannés  sur un petit appareil  domestique 2. D’autres  voyages  à  Conakry  seront  nécessaires pour  trouver  les numéros  manquants,  reconstituer  les textes  mal  imprimés,  vérifier  la  numérotation  des revues, contrôler des dates d’édition fautives et autres anomalies.

La lecture de cette Chronique assassine a largement contribué à ma documentation sur  Sassine.  Percevant l’intérêt  de  ces  textes  dans  l’œuvre  de  Sassine,  j’ai voulu  les partager. Dès l’achèvement de la biographie de Sassine 3, j’ai entrepris la saisie de ce corpus pour le sortir de l’oubli, non des mémoires des Guinéens qui se précipitaient alors pour les lire, mais des lecteurs de ses romans à l’étranger qui en ignoraient l’existence. Ces textes ont été lus à Conakry et sont célèbres. Certains aficionados  ont conservé  précieusement leurs exemplaires et contribué à la reconstitution de la collection 4. Qu’ils en soient remerciés.
 
Il aurait fallu disposer de décodeur OCR, outil professionnel  de numérisation,  pour saisir ces copies, c’est un appareil coûteux qui requiert du personnel pour la saisie, les corrections, et qui nécessite une structure professionnelle prête à s’engager dans cette conversion. Ce n’était dans les priorités d’aucun organisme de recherche.
L’expérience  d’un  logiciel  de  reconnaissance  vocale n’a  pas  donné  de  résultat satisfaisant,  le  travail  de correction de  la  langue  de  Sassine  étant  plus important  que l’avantage de l’écriture automatique.
J’ai donc procédé  de façon très artisanale,  copiant mot à mot, pour décrypter  les expressions et inventions verbales de Williams Sassine, avec le risque de fautes de frappe ou d’inattention, corrigées lors de plusieurs relectures.
 
Cette méthode artisanale a des inconvénients :
- Abandon de la présentation en colonnes de l’édition initiale saisie en ligne. La mise en page passe de 6 colonnes, à 5, puis 4 et enfin 3 en février 1996.
- Perte des illustrations des caricaturistes qui ont illustré les chroniques, Oscar, Slim, Charlie et d’autres encore. Ils ont planché avec leur talent graphique, leur humour, leur style pour mettre en valeur les textes. La proposition d’intégration de la photographie de la page originelle  sur  la  base  Item  a  heureusement  permis  de  conserver  la  présentation  et  les illustrations d’origine.
- Décontextualisation de l’actualité traitée par Le Lynx du jour. Les chroniques sont rédigées dans un contexte sociopolitique abordé en comité de rédaction. Avec la chronique isolée  de  son  contexte,  cette  ligne éditoriale  se  perd.  Un  travail  de  recherche  sera nécessaire pour le restituer.
 
Lavantage de cette méthode, s’il en est un, est l’aboutissement de la restitution du corpus. Ces textes restés confidentiels sont désormais à la disposition du public en ligne, en consultation  libre.  Le  Lynx  a archivé  sa  collection,  quelques  intellectuels  Guinéens ont conservé leurs journaux, les Archives Nationales dépositaires du dépôt légal et dépôt administratif  de  la presse  conservent  des  collections.  Chacune  de  ces sources  était incomplète à l’époque de mes premières recherches et difficile d’accès, ce n’est plus le cas.
L’intérêt majeur est désormais de pouvoir effectuer des recherches lexicales dans le texte numérisé, c’est une ouverture précieuse pour décrypter le témoignage de Williams Sassine, dans son pays, dans le contexte du régime Lansana Conté bien installé des années 1992 à 1997, peu après la disparition de Sékou Touré.
 
Voilà rendue à la lecture cette « Chronique  Assassine » qui n’a rien perdu de son actualité. Qu’on en fasse bon usage !

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Quelques observations sur les chroniques
 
Sassine écrivait sur des bouts de papiers, paquet de cigarette ou autre feuillet qu’il apportait au  journal,  la secrétaire  devait  déchiffrer  un  texte  écrit rapidement, trop  tard  pour  passer  à  la moulinette  du vigilant Assan Abraham Keita 5, responsable  de la relecture.  Je me suis abstenue  de corriger les graphies fautives dont le sens pourrait m’échapper, même si la tentation est grande quand les fautes sont évidentes.
 
Le style
Williams a adopté dans ses débuts le style « petit militaire » tarabiscoté, que les lecteurs ne comprenaient pas toujours. La rédaction a eu peine à lui faire changer de ton, elle a obtenu gain de cause à partir du numéro 16. Il adopte ensuite un style concis, des phrases courtes, sujet, verbe, complément, qu’il recommandera à son stagiaire Aboubakr Diallo, futur rédacteur en chef du journal, au point de terminer parfois sa phrase là où on attendait tout simplement une virgule.
La ponctuation  a été respectée avec une abondance  de points d’exclamation,  quelques virgules placées de façon inattendue.
Il arrive qu’on trouve une majuscule en début de phrase sans le point la précédant, que j’ai alors ajouté : cela peut être lié à la qualité de l’encrage ou un problème typographique.
Les noms propres, notamment les noms de peuple ou d’ethnie ne portent jamais de majuscule, et certaines majuscules  sont aléatoires,  Président  ou président,  le Pape  en porte  généralement  une, celles des calembours sont aléatoires : roue publique, roue Publique, Roue Publique.
Les calembours
Sassine  use  et abuse  de  la  déformation  humoristique des  noms  et substantifs,  avec  des règles de construction aléatoires, c’est également le style du Lynx. On ne peut se reposer sur des constantes  et  la transcription  est  nécessairement  minutieuse.  Pas d’automatisme  possible  dans l’écriture. Il faut lire lettre par lettre : ministre, minus-tre, minustre et minus-taire. Il écrit : A Fakoudou ! a  fakoudou.  De  même :  hé kéla !  Hé  Kéla ! ;  Ertégé,  RTG,  Rétégé ;  Erre-Guinée,  R guinée  ; Conakrime, Conacrime ; Législatives, législascives ; s’en, chen.
Certaines  phrases  sont  peu  compréhensibles  et laissent  supposer  qu’il  manque  quelques mots de liaison : je menaçai les deux « Tout passe » de les dénoncer qui préparait des états généraux de la Francophonie.
Quand des lignes sont répétées, je supprime la répétition.
Dans d’autres  cas, une ligne manque,  on constate l’absence  de sens d’une ligne à l’autre, c’est un oubli d’impression.
 
Les erreurs manifestes :
Monrovia devient Morovia en cours de texte, emporté dans l’écriture, on se laisse aller à écrire Monrovia pour découvrir finalement l’erreur et corriger la copie fautive. Cette déformation est liée à la diction usitée en Guinée (N° 159)
Ramener pour ramer ? N°189 = corrigé
Antoine Brunet au lieu de brinet, N°168 = corrigé. Je ne connais pas le personnage  dont il parle, je veux en savoir plus et m’aperçois qu’il ne s’agit pas de brinet, mais de Brunet.
Les nombreuses erreurs dans les noms propres sont corrigées, tout particulièrement les références biographiques. Sydia = Sidya Touré
Inversion, volontaire ou pas, entre fin et faim dans le N° 188
Portier en lieu et place de « potier qui manipule la glaise » N° 197
Même si je ne promène j’avais avec un stylo, pour jamais : corrigé, N°208 : Erreur récurrente : Charybe en Sylla pour Charybde et  Scylla
La forme fautive a été généralement conservée, avec correction entre parenthèses (sic…)
 
Les orthographes mouvantes :
Mamy Wata, Mami Watta…toutes les variations P 171 : Alla et Allah, sur deux lignes contigües : N°194
 
La suite de l’analyse sera faite par les chercheurs qui ont désormais cet accès au texte.


Élisabeth Degon


Conservateur de Bibliothèques. Ce métier m'a permis d'exercer pour le réseau des bibliothèques publiques de Guinée à la fin des années 90, d'entrevoir le pays et sa culture. La rencontre brève de Williams Sassine m'a donné envie d'en savoir plus sur ses talents et vouloir partager ce que j'avais découvert... 

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1 Souleymane Diallo : Le Lynx en Guinée. Une aventure de neuf ans, dans l’ire et le rire. In : Les Cahiers du journalisme no 9 – automne 2001. Retour au texte
 
2 Un grand merci à Laurent Pietkiewicz qui a scanné toutes ces copies avec son flegme habituel. Il connaissait bien la Guinée, après quelques années passées au Cedust, il nous a quittés en 2017. Retour au texte
 
3 cf : Elisabeth Degon : Williams Sassine, itinéraires d’un indigné guinéen. Karthala, 2016. Retour au texte

4 Un grand merci à Kolon Diallo, fidèle lecteur et conservateur de sa collection. Retour au texte
5 Décédé en juin 2017 après une longue carrière et fidélité au Lynx. Retour au texte
Auteur de la présentationDegon, Elisabeth

Fiche descriptive de la collection

GenrePresse (Article rédigé par l’auteur)
LangueFrançais

ÉditeurElisabeh Degon, équipe francophone,​ Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)
Contributeur(s)Degon, Elisabeth

Citation de la page

, Williams Sassine, Chroniques assassines, .
Elisabeh Degon, équipe francophone,​ Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle).
Consulté le 22/12/2024 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/francophone/collections/show/252

Collection créée par Elisabeth Degon Collection créée le 29/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022