Chronique assassine, 1996
Auteur(s) : Sassine, Williams
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Les législatives sont passées, le gouvernement est formé, pourtant les problèmes sont toujours là, misère de l’enfance, laissée sans éducation ni instruction, contre enrichissement des hommes politiques, qui grossissent, grossissent… Sassine rappelle que ministres et députés devraient faire l’état de leur patrimoine à leur arrivée dans la fonction politique.
Le mécontentement gronde, dès les premiers jours de février, l’armée manifeste pour demander une amélioration des conditions de vie et, le 10 février, une mutinerie éclate, des obus sont tirés sur le palais présidentiel, menaçant la vie du président. Sassine en tire un essai sur l’histoire des mutineries devant les dieux contestés, dans les mythologies grecque, chrétienne, musulmane et bouddhiste, sans oublier les fanatiques qui se prennent pour les seuls enfants de la religion.
Quelques temps après, incendie de la douane, alors que le service des sapeurs pompiers ne fonctionne pas. Conséquence de tous les détournements financiers de l’aide internationale. Cela est dit à mots couverts, mais c’est dit. L’argent des projets s’écoule et s’évapore.
Sydia Touré est nommé premier ministre le 9 juillet 1996. Son expérience à des postes internationaux est un gage de bonne gestion. « Il est venu pour le courant et le courant est venu, vider les poubelles, encourager les sociétés privées, rétablir la justice, combattre la corruption, tout cela en 6 mois. Mais il est dingue Sydia. En plus il ajoute à ses fardeaux, la résolution des problèmes des jeunes. » Il impose la TVA pour alimenter les caisses de l’état, ce qui renchérit les prix. Certains contestent la nationalité de cet « étranger » qui a fait une grande partie de sa carrière en Côte d’Ivoire, encore un Guinéen de l’extérieur, or, précise Sassine : « Un exilé a une origine et une extrémité, il n’oublie jamais son origine, son extrémité peut se diversifier ». Williams Sassine et Sydia Touré ont fréquenté le même Lycée Donka dans leur jeunesse.
Sassine ajoute : « Combien de cadavres non du multipartisme, mais du multi-apartheid : qu’on ne vienne pas nous dire de divorcer pour garder une race pure…, c’est de sa race que le lièvre est peureux. » Les oppositions ethniques sont sensibles, mais surtout l’opposition entre diaspos, Guinéens de l’extérieur, et les Guinéens de l’intérieur, au point que la question se pose toujours pour ceux qui sont rentrés de l’intérêt du « retour décevant : il est rentré mais comment en sortir ? »
Le courant revient en effet, mais les factures également alors que « le travailleur guinéen se pend à la queue du diable », et qu’il pleut dans le commissariat de Taouha, témoignant de la misère des services publics.
Après son voyage en Malaisie, le Président est revenu avec des projets de développement. « Aïe nos dernières richesses » dira plus tard Sassine. Bien évidemment, toute aide est accompagnée de contreparties. Le thème du Sommet Franco-Africain à Ouagadougou du mois de décembre est la « Gouvernance ou la Romance France-Afric » selon le titre d’une chronique de la fin de l’année.
Les thèmes récurrents ponctuent les chroniques. Il s’agit de la mort à 40 ans de courte maladie, du train de Kankan à l’arrêt, du scandale des richesses naturelles, « or et diamants que personne ne voit, les cailloux oui et ceux qui s’enrichissent construisent dehors », l’action de Dieu dans le développement du pays. « On a tellement harcelé le bon Dieu depuis 40 ans avec nos misères dans ce bon pays, qu’il nous a offert, qu’il préfère aller se reposer là où on prie en travaillant », la pauvreté et la faim « il fallait voir le regard éthiopien de ces gens », la saleté de la ville, les poubelles non ramassées sinon par les pluies diluviennes de la saison hivernale, les déflatés, fonctionnaires ayant perdu leur poste de travail n’ayant plus ni emploi ni salaire (à la demande des institutions financières internationales de l’époque), l’état des routes et des véhicules. Il rappelle régulièrement que « l’homme n’est pas à sauver, mais à changer ». Il faut admettre la nouveauté, il faut la penser,… arracher l’esprit à ses trajectoires familières (corruption, paresse, détournements en tous genres, guinéophobie), à son système de gravitation.
Parmi les maux qu’il déplore, il ajoute l’excision, « une barbarie qui survit au niveau individuel », le mauvais traitement des enfants, mal nourris et mal éduqués.
Les chroniques de 1996 nous proposent de magnifiques pages de réflexions sur la vie, les sciences, la philosophie, les religions, sur l’actualité internationale et le développement de l’Afrique. Sassine montre une grande largeur de vue, intelligente, sensible et humaine, associée à un humour décapant par ses jeux de mots, expressions, points de vue innovants.
Pas de voyage à l’étranger cette année, Sassine fera le voyage en taxi à Kankan à la rencontre de sa famille dans les conditions toujours difficiles. Il nous offre une page de rire, et de plaisanteries diverses, avant son départ.Fiche descriptive de la collection
- Le Lynx
- Williams Sassine
Citation de la page
Sassine, Williams, Chronique assassine, 1996, .
Elisabeh Degon, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle).
Consulté le 21/11/2024 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/francophone/collections/show/253