143. Une vie en ressort

Auteur(s) : Sassine, Williams

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Sassine, Williams, 143. Une vie en ressort, 1994/12/12.
Claire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle).
Consulté le 05/05/2024 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/francophone/items/show/3485

Texte de l'article

Transcription

N° 143, 12 décembre 1994 « Une vie en ressort»

L’artiste continuait à ronfler. Elle ramassa un marteau plus gros que le mari et le brandit au-dessus de sa tête.

- C’est pour le réveiller ?

- Je me sens inspirée. Elle assena un violent coup sur le rocher.

- Ce premier trou est le premier œil, commenta t-elle. L’œil de l’Africaine qui se réveille.

Avec le doigt je grattai un peu le caillou. Je l’attirai contre moi. L’artiste dormait toujours. Quelqu’un frappait à la porte. J’en profitai pour la repousser. Son collier de canines commençait à me mordre. Dès qu’elle ouvrit, une espèce de nabot me sauta au cou avec des jappements de chiot. Il n’était pas seulement petit mais très prés du sol. Au moins, s’il tombait, il ne se ferait pas mal.

- Tu ne me reconnais pas Camara ? C’est moi de Gaulle ! On jouait ensemble au basket à l’école. Il descendit de mon cou. Je le regardai. Non, je ne voyais pas. Si ce qu’il disait était vrai, le panier devait être posé par terre. « La consolatrice » secouait son mari.

- Qu’est-ce que tu deviens de Gaulle ?

- Allons prendre un pot mon frère. Je te raconterai. Madame Féchier avait disparu avec ses trois Mamadou Diallo. Pitère était sur le balcon, face à la mer, une main sur la poitrine. Du Lamartine tropicalisé. De Gaulle me tournait autour. Il avait été quelqu’un d’important sous l’ancien régime. Dans les Affaires Étrangères et puis dans le Domaine extérieur. Quelque chose entre le protocole et le proto qui colle. C’est lui qui surveillait l’ambassade de la Scandinavie après sa fermeture à la suite de l’affaire Diomandé, « l’espion de Houphouët-Boigny ». Les militaires l’avaient mis à la disposition de l’éducation. Lui, moniteur ? Comme il y a plus de vingt ans ; on le prenait pour un petit. D’ailleurs, qu’est-ce que je pensais de ces gens-là ? Lui, en tout cas, il savait que tout cela devait finir dans un bain de sang, une mer. Non, un océan de sang.

Il le faut Camara, c’est nécessaire n’est-ce pas mon frère ? Personne ne les a appelés. Dans tout ça où est le peuple, hein ? Toi qui as fait l’extérieur on règle les comptes tout de suite !

Il commençait à me casser les oreilles, le nabot.

- Tu t’es reconverti dans l’apocalypse ? Réussis-je à placer un moment.

Il ne comprit pas tout de suite. Il est encore dans ses globules rouges, le couteau entre les dents.

- En tout cas, c’est la solution, gronda-t-il, finalement. Il m’arrivait aux épaules. J’avais envie de poser mon verre sur le sommet de son crâne qu’il avait chauve et aplati. Mais probablement qu’il se serait fâché et je n’avais pas l’intention de devenir la première victime de l’holocauste annoncé. De toute façon les gens courts ont leur esprit dit-on dans le derrière.

Pitère me faisait signe. J’abandonnai de Gaulle à sa solution.

- Tu vois là-bas Massakoye ? Son bras indiquait la mer. Je ne voyais rien, mais je fis semblant.

- A deux cent mètres repose mon navire. Depuis douze ans. Dans ses caves il y a plein à boire. C’est con, il suffirait d’une bonne marée basse.
- C’est pas le type qui ne se lavait pas tous les jours ?

A première vue Pitère ne s’était pas frotté la peau depuis six mois. Mais le bossu ne voit pas sa bosse.

- C’est à cause de son principe que j’ai perdu mon navi-re. Je n’aime pas les trouveurs

Ce n’était pas le moment de lui reparler de ma maigritude. Un ex-ministre se fit annoncer. Il me reconnut, me rejoignit.

- Bravo Massakoye Lynx ! Il faut dénoncer, dénoncer ! C’est ça le vraijournalisme ! Tout dire ! A Fakoudou ! Moi quand j’étais ministre, ça marchait. On ne volait pas dans mon département.

Je faisais semblant d’écouter. Je connaissais le mec. Avant qu’on ne l’enlève, on ne trouvait rien dans son minus-taire. Pas de papier. Une seule machine à écrire trop lourde pour être volée. Des tables à deux ou trois pieds, une secrétaire qui ne savait où aller, des injures, « des N’Fatara » de la part des conseillers, « où est mon salaire ? » de la part des fonctionnaires, les Wécé débordaient à croire que tout le quartier se vidangeait-là. Les capotes n’étaient pas encore à la mode sinon on en aurait vu flotter sur les balcons.

- En tout cas, moi j’ai la conscience pour moi. Le prési nous avait dit de tout reprendre à zéro. J’ai fait de mon mieux pour tout mettre à zéro. J’ai fait du bon boulot. Pour me remercier, sans un merci, on m’a mis à la porte. Hé kéla ! Il n’était pas le seul. Avant lui, on a vu Bana Casse Casse à l’œuvre. Quand il a fini de casser les maisons, on l’a renvoyé. Oncle Tolno a été pris pour esquinter peut-être l’enseignement supérieur. Il n’y est pas allé de main morte. Renvoyé après. Ensuite John le Chauve, l’ex-ministre des Affaires Étranges, il nous a laissé dans un joli bourbier au Liberia et en Sierra Leone. On l’envoie pour achever peut-être aussi le Transport qui fait semblant de marcher. On maintien à son poste La Gomme pour continuer à casser de la sécurité. La Mine, le « considérant des considérés » est là pour faire du karaté à la justice. On nomme des femmes pour faire pousser des arbres, ou comme responsables des « Kabinets ». A fakoudou !

Fory Coco pratique sans le savoir ma Mai-gritude. Enfin …comme il est lui aussi officier.

Pour se remplir le ventre, il faut le vider. Minustres casse-casse, du courage ! On vous applaudit d’avance. Après la casse, une vie en ressortira.

D’un coup le courant s’éteignit. Après Saint-Enelgui, le courant qui passe en courant, Sogel le courant mercenaire, venait de prendre la relève. Avec leurs ridicules compteurs électriques, on peut en faire des tire-lires. Sogel, bonne chance ! Vous êtes en ce moment dans le quartier de Fory Coco. A Fakoudou ! Essayez de le faire payer, il va vous botter, comme il l’a fait avec les opposants. Nous, en chen fout !

Williams Sassine

Billet

« Un chat m’a conté »

« Un chat m’a conté »

Je veux réussir,

Mais en quoi ?

Je veux voyager

Mais où aller ?

Je veux manger

Mais manger quoi ?

Je veux lire.

Mais lire, ça ne veut rien dire !

Je veux mourir

Mais les cimetières sont pleins !

Je veux voter

Mais voter pour qui ?

Je peux dormir,

Mais les moustiques veillent !

Alors je fais semblant

Semblant de tout faire

W.S.

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 143

Présentation

Date1994/12/12

GenreDocumentation - Presse

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Fiche : Elisabeh Degon, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes, CNRS-ENS ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

Éditeur de la ficheClaire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

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Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

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