*** Présentation de la collection :
Charles-Émile Callande de Champmartin
, Lizinska de Mirbel (Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon)
A la mort de Madame de Mirbel, Guizot fait un portrait de son amie à Dorothée de Lieven, en rappelant son courage et sa fidélité. Il mentionne ses longues lettres à partir de son exil en Angleterre. Sont conservées et rassemblées dans une pochette, les 276 pages des 33 lettres de Madame de Mirbel à François Guizot, écrites pour la majorité de Paris, au cours de 17 mois, du 13 mars 1848 au 21 août 1849, huit jours avant sa mort.
Un sous-dossier associé à ce corpus de correspondance contient les lettres relatives à des pièces retrouvées dans le bureau de Guizot au ministère des Affaires étrangères en 1848, au sujet du fils diplomate de l’amie de Madame de Mirbel, Madame de Damrémont.
Cela est un indice pour saisir comment les journées de février 1848, vont conduire Madame de Mirbel, peintre reconnu, à se saisir de ses réseaux pour servir les préoccupations politiques de Guizot, alors en exil en Angleterre. Cela permet encore d’apprécier la valeur et la fonction des correspondances dans l’existence de François Guizot.
Une victime du choléra à Paris en 1849
Le jeudi 30 août Guizot annonce la mort de Madame de Mirbel à Dorothée :
La poste m'a apporté un chagrin. Cette pauvre Mad. de Mirbel vient de mourir à Paris, du choléra. Elle a été atteinte dans la journée de dimanche ; elle est morte dans la nuit de mardi à mercredi.
Le 21 août, Madame de Mirbel lui donnait encore des nouvelles, en racontant comment le père de deux femmes à son service, qui logeait chez elle, a été touché par le choléra :
J’ai à mon service les deux sœurs, Laure et Anna. Leur vieux père qui était venu passer quelque temps chez moi, où il a été pris du Choléra après une indisposition qu’il ne voulut pas soigner et que ses filles ne me déclarèrent pas assez tôt. On le transporta dans une maison de santé où d’abord il se trouva mieux, mais à cette heure je suis fort inquiète.
Guizot poursuit :
Vous voyez qu’il y a de nouveau du choléra à Paris. Il n'y a pas moyen de le méconnaître. Deux personnes de ma connaissance en quatre jours Mad. de Mirbel et M. Victor Grandin membre de l'Assemblée, chez Mad. Lutteroth, place Vendôme une mère et son enfant sont morts en quelques heures. Combien durera cette recrudescence ?
Guizot apprend la mort de son amie par Marienheau (il n’a pas pu être identifié précisément), un proche ami de la disparue. La lettre qu’il écrit à Guizot le 29 août 1849 clôture ce corpus épistolaire.
Je suis du nombre des personnes le mieux informées de son attachement et de sa haute estime pour vous, comme du plaisir qu’elle se faisait d’aller passer un mois au Val-Richer. Je crois donc remplir un devoir envers sa mémoire en vous apprenant une perte presqu’aussi cruelle pour vous que pour moi.
L’ami de madame de Mirbel continue par le récit des derniers moments de la peintre miniaturiste. Au cours de ses derniers jours, elle est suivie par un brillant pharmacien et médecin du Val-de-Grâce, Antoine Baudouin Poggiale (1808-1879) :
A une heure et demie de l’après-midi, M. le Dr Poggiale, que j’avais été cherché, m’avait laissé plein d’espoir, car il m’annonçait son retour que pour le lendemain, à sept heures et demie du soir, je le trouvais revenu depuis plus de quatre heures au chevet de notre amie. J’y trouvais une sœur qui, me dit-on, l’avait abordée avec des avertissements sinistres qu’on s'était empressé de contredire. Dès qu’elle sut par Mme de Damrémont (Clémentine Baraguey d’Hilliers (1800-1892), mère de Denys de Damrémont, Auguste (1819-1887))
que j’étais près d’elle, elle s’écria : quel bonheur et ajouta deux ou trois phrases pleines de raison et de sensibilité. Craignant pour elle les émotions, je l’engageai alors à être calme ; les choses que je viens de vous dire, me répondit-elle, ont dû vous prouver que je le suis. A huit heures nous parvînmes à la transporter de sa beaucoup trop petite chambre dans le salon où elle se montre heureuse de respirer plus à l’aise. A onze heures je me félicitais de trois heures passées sans évacuation ; mais je vis s’assombrir les physionomies des deux médecins ; le mal venait de changer de siège et de s’attaquer aux organes de la respiration. Les ventouses et les potions existantes restèrent sans effet ; le progrès des ravages se lisait sur la face en signes désolants ; enfin où une heure un quart elle s’était éteinte sans douleurs. [...]
De la place où je vous écris, je vois les restes inanimés de celle que tout le monde admirait pour ses talents et pour sa haute raison, et qu’une foule de gens bénissant pour ses bienfaits, et pourtant je comprends plutôt une douleur que je la sens, tant cette mort foudroyante m’a surpris et paralysé.
Dans sa lettre à Dorothée du 30 août, Guizot se dit aussi “frappé” par la mort de Madame de Mirbel, dont chacun appréciait la vivacité et l’énergie. Il s’écrit :
Pauvre femme ! Butenval me dit : " Elle a senti la mort et l’a acceptée avec sérénité."
Voir la lettre
Madame de Mirbel, n’est pas morte dans son lit, mais dans son salon, un peu comme elle y a vécu : avec du monde qui se remue autour et quelques derniers fragments de conversation.
Les preuves d’amitié et de courage en février 1848
Guizot ne manque pas de rappeler son courage et sa loyauté lors des journées de février de 1848, en éclairant ses qualités humaines :
Excellente personne, très capable d’amitié, de dévouement, et de courage et qui me l’a bien prouvé. Elle devait venir ici au mois d'Octobre, et s’en faisait une fête. Je la regrette par amitié, par reconnaissance. Je la regrette pour elle-même. Elle aimait la vie et en jouissait avec vivacité.
Lors de la journée du 24 février, après la proclamation de la République, Madame de Mirbel vient chercher Guizot qui se cachait dans une chambre d'une pension de famille rue Vaneau. C’est un des moments souvent cités dans les études consacrées au sort de Guizot lors de la révolution de février 1848. Certainement, cela est dû à la pointe de fantasque ajoutée par l’intervention de Madame de Mirbel. Pour sortir dans la nuit de Paris, elle habille Guizot en femme, et le conduit jusqu’à son appartement de la rue Saint-Dominique, pour enfin « l’installer dans un cabinet isolé dont elle avait seule la clé. » (Fleury, S. (1927), p. 150) Il reste chez son amie jusqu'au 1er mars. Pauline, la plus jeune fille de Guizot, ne manque pas d’en donner des détails dans son récit de la fuite de la famille Guizot en 1848.
Son voyage avait été, grâce à Dieu, très facile. Après être sorti le jeudi 24 du ministère de l’Intérieur vers une heure, il avait été caché par Mme Duchâtel chez une portière de la rue Vanneau. Le soir, Mme de Mirbel était venue le chercher et l’avait habillé en femme pour l’emmener chez elle. Là, elle l’a caché et soigné avec une amitié infatigable jusqu’au mercredi 1er mars, où il est parti avec un ami qui l’a mené jusqu’à Bruxelles par le chemin de fer du Nord comme son valet de chambre.
Un salon et un monde : un écosystème de vie politique
G. de Broglie souligne que Madame de Mirbel a été l'une des premières et des plus fidèles correspondantes de Guizot après les événements de février 1848. (de Broglie (1990), p. 366). Dorothée de Lieven ne peut plus renseigner Guizot. Elle a fermé son salon et a quitté son appartement de la rue Florentin dès le 23 février. Elle est conduite en Angleterre par le peintre Roberts qui la fait passer pour son épouse, pour s'installer finalement à Richmond. (de Broglie (1990), p. 366)
Madame de Mirbel maintient son salon ouvert à Paris. Son monde est notamment constitué par le monde politique de la seconde république, et animé par le retour des Bonaparte. Guizot écrit à Dorothée le 30 août 1849 :
J’ai reçu d'elle, il y a cinq ou six jours une de ces longues lettres que vous savez, pleine encore de son intimité avec les Bonaparte. Elle en attendait un nouveau, Antoine, frère de Pierre, qui venait passer quelques semaines à Paris, et qui devait loger chez elle. Le Président venait de lui accorder la grâce d’un pauvre homme auquel elle s’intéressait. Pierre lui demandait souvent de mes nouvelles. Elle avait reçu, la veille, la visite de Lucien Murat. Elle me racontait tout cela avec ce mélange de bonté et de vanité qui ne la quittait pas.
Voir la lettre
Madame de Mirbel est une amie de la princesse Canino, belle-sœur de Napoléon 1er. Elle est la veuve de Lucien Bonaparte, frère de l’Empereur mort en 1840. Et lorsqu’elle reçoit Pierre Bonaparte, elle reçoit simplement le fils de son amie.
Il y a peu de ressources historiques et biographiques pour Madame de Mirbel. Ce corpus de correspondance représente une source précieuse. En 1927, paraît dans la Revue d’histoire diplomatique, un article intitulé « Madame de Mirbel et ses amis en 1848 ».
La plupart des salons [de la Monarchie de Juillet] ont eu les honneurs de la chronique : celui de Madame de Mirbel, qui attirait cependant de nombreux fidèles, est un des rares à n’avoir pas connu de panégyrique. Et pourtant, celle que, aujourd’hui les encyclopédies se bornent à saluer de quelques lignes admiratives, connut en son temps une célébrité parfaitement justifiée.
Confiée aux soins d’un vieillard tendre et charmant, son oncle, le général Bailly de Montyon, qui sut reconnaître et encourager ses aptitudes artistiques, la jeune Lizinska Rue fit preuve de bonne heure d’un goût très marqué pour la peinture. Elle n’eut pas plutôt fait ses débuts de miniaturiste sous le patronage de Louis XVIII, dont elle a laissé un portrait extrêmement vivant, et épousé peu de temps après un excellent homme, M. Brisseau de Mirbel, qu’elle acquit une situation fort appréciée. Son mari, un botaniste remarquable et un esprit fort distingué dont on a vanté avec raison les grandes qualités, n’était, du reste, pour rien dans son succès. [...] D’une nature plutôt sceptique et peut-être paresseuse, il détestait rien faire qui ressemblât à une démarche, il se montrait fort satisfait d’avoir épousé une femme charmante, pleine d’esprit et non dépourvue de talent ; il continuait ses recherches et ses travaux et ne désirait rien d’autre.
(Fleury, S. (1927),pp. 149-150)
Lorsque l’auteur dresse un parcours biographique de Madame de Mirbel, il passe rapidement sur ce qui est le plus reconnu : son talent de miniaturiste. De même, il précise que son mariage avec le comte de Mirbel n’est en rien avec sa réception dans le monde. Elle ne doit qu’à elle, le monde qu’elle sait s’attacher autour d’elle :
Madame de Mirbel se forma rapidement un groupe important d’amis [...] Il arriva plus d’une fois à Guizot de voisiner à table avec la première femme du comte Saint-Simon, la bruyante Mme de Bawr, ou Pauline Dechambre, l’âme sœur de Mme de Desbordes Valmore et l’inspiratrice d’Auber. [...] Les succès mondains, l’empressement flatteur dont elle était l’objet, ne grisaient pas Mme de Mirbel : elle se montrait tout aussi simple et naturelle le jour où elle recevait de pauvres quémandeurs- ce qui lui arrivait fréquemment- que lorsque Balzac faisait une lecture dans son salon. Ses relations, elle n’en tirait pas vanité, mais elle savait les mettre à profit lorsqu’il s’agissait de rendre service.
(Fleury, S. (1927), pp. 149-150)
Salon et correspondance
Après avoir décrit son salon, l’auteur mentionne la correspondance de Madame de Mirbel en indiquant ses caractéristiques : le vivant de ses lettres et la précision de son journal :
Lorsque ses amis quittaient momentanément Paris, elle ne voulait pas qu’ils souffrissent par trop de leur éloignement : elle les tenait alors au courant de ce qui se passait dans la capitale avec une bonne humeur en même temps qu’avec une minute qui font de son témoignage un des meilleurs que nous ayons sur la première année de la présidence de Louis-Napoléon.
(Fleury, S. (1927), p. 150.)
Cet article constitue une sorte d’édition croisée de fragments des lettres de madame de Mirbel de cette période. La correspondance a été confiée à l’auteur, le comte Serge Fleury, par la famille Guizot, et tout spécialement par Madame Schlumberger. Dans le fonds Guizot sont conservées des lettres à la famille Guizot au sujet du prêt de cette correspondance. Elles n’ont pas été microfilmées ni numérisées. Quelques lettres de Guizot sont mentionnées, mais elles n’ont pas encore été localisées.
L’auteur n’utilise pas seulement les lettres à Guizot, mais aussi celles à la princesse Canino. Il indique que lorsque la princesse retourne en Italie, elle fait promettre à son amie de lui envoyer un journal détaillé de ce qui se passe. De même, il souligne combien dans ses lettres, Madame de Mirbel fournit à Guizot « une très abondante moisson d’informations » et « lui trace un tableau fort animé de la physionomie de la capitale, de février 1848 à août 1849 ».
(Fleury, S. (1927), p. 151.)
Tous les éléments sont réunis pour que Madame de Mirbel soit une amie « politique » de Guizot. Elle anime un salon, cet espace poreux entre privé et politique, où le monde échange des informations et des tendances, où se préparent et se refont les débats de la Chambre et les ministères des régimes successifs. Il faut souligner comment Madame de Mirbel parvient à être aussi intime et loyale envers les Bonaparte comme avec Guizot. Elle fait preuve de diplomatie et de finesse politique, elle a tout pour servir d’émissaire. Elle doit encore, au-delà du journal exhaustif et volumineux, apprendre à sélectionner les éléments, mais elle sait déjà peindre les acteurs et retranscrire les conversations. Ainsi, en 1848, elle investit les deux pratiques d’action publique et politique dont les femmes se saisissent au XIXe siècle : la conversation et la correspondance.
Une alliée politique de Guizot dans le monde de la seconde république
Dans les lettres à son amie la princesse Canino, Madame de Mirbel décrit sa vie « emportée par un tourbillon ». Par contre, à Guizot, elle « adresse de véritables mémoires où elle conte jour par jour, ce qui se passe à Paris ». (Fleury, S. (1927), p. 151.)
Madame de Mirbel semblait peu exercée à la pratique politique et diplomatique de la correspondance, avant l’établissement de cette relation épistolaire avec Guizot. Lorsqu’il semble satisfait de leur correspondance, elle décrit les conditions dans lesquelles elle rédige ses lettres en soulignant les caractéristiques de son discours épistolaire, en cherchant à aller au-delà du divertissement. Elle écrit de Paris, le 7 janvier 1849 à Guizot :
Monsieur, je reçois vos encouragements ainsi que je le dois et toute fière qu'ils me rendent, ma modestie ne périra pas. Je suis bien aise de vous distraire un peu, mes nouvelles ne sont les redites d'aucun journal. Je n'en lis point. J'observe, j'écoute. Si depuis février j'avais écrit jour par jour, je vous aurais transmis de curieuses choses ! Tandis qu'on me venait dire dans une heure donnez-moi une lettre je la ferai partir.
Il faut le temps de rassembler ses idées. Mon mari qui est souvent assis prés de moi fredonne de vieilles chansons, me parle ce qui détourne mon attention et pressée par l'heure, dérangée par les visites, je ne vous écris que le gros, sans compter cher Monsieur, que je suis toujours intimidée en vous écrivant et vrai, je fais moins mal pour d'autres. Cependant vos encouragements m'enhardissent et si votre exil eut duré, j'aurais avec le secours de votre bonté, fini par paraître au complet, bien entendu mon complet à moi. Veuillez dire à ceux qui ont des occasions de m'en prévenir car la poste ne me va pas. Je préparerai des lettres comme un journal et n'aurai que la dernière page à couvrir. Les événements sont si multiples que chaque jour amène une nouveauté.
Les lettres de Madame de Mirbel sont longues, mais vives des conversations transcrites au style direct. Elle sait mêler divertissement et information et envisage la correspondance comme un moyen de maintenir les fonctions du salon : divertissement, information et communication. Guizot utilise dans sa correspondance avec Dorothée des éléments des lettres qu’il reçoit de Paris. Et il reprend une anecdote de Madame de Mirbel sur la réception de Louis-Bonaparte. Et il sait en tirer profit et conclusion. Il écrit à Dorothée, de Brompton le 9 novembre 1848 :
J’ai oublié de vous dire que de bonne source, on attribue au Général Lamoricière ce propos : " Si on nous envoie Louis Napoléon pour Président. nous le recevrons à coups de fusil ; je mettrais le feu à Paris de mes propres mains plutôt que de le subir. " C’est bien violent. Pourtant cela indique le dessein de ne rien faire avant l'élection.
Voir la lettre
Madame de Mirbel, à Paris, constitue un informateur de confiance pour Guizot. Si la lettre du 13 mars 1848 montre que l'amie de Guizot prend en charge des questions domestiques, leur correspondance devient politique et la peintre s'applique à répondre aux besoins de nouvelles de Guizot pour son analyse comme pour établir la nouvelle posture à adopter. Un des thèmes de la correspondance de Guizot en 1848, est la question de sa réception dans le monde politique français.
Une porte-parole : la lettre dans le salon
C’est bien par l’Assemblée que le retour de Guizot est un moment envisagé. Lors de la préparation des élections législatives de 1849, de décembre à mars 1849 le rythme des lettres de Madame de Mirbel s’accélère. La moitié du corpus est écrite durant les trois mois de cette période. Pour elle, la voie législative est la plus sûre non seulement pour que Guizot réinvestisse l’action publique, mais surtout pour qu'il puisse rentrer en France en bénéficiant de l'immunité parlementaire. À Paris, Madame de Mirbel cherche à servir Guizot. La question de l'élection de Guizot, député du Calvados, apparaît dans leur correspondance comme la meilleure raison pour reprendre la parole. Le 2 mars 1849, elle lui écrit :
Nous avons beaucoup parlé de vous à un certain moment, j’ai tiré de ma poche votre petite lettre et ai lu haut le dernier paragraphe, au sujet de l’attitude que vous prendriez à la Chambre. Ce que vous dîtes ou écrivez exerce une réelle puissance sur les organisations distinguées. M. Rivet fut visiblement ému ! Vos lettres entre mes mains ne peuvent que vous servir, ne me les épargnez pas trop. Je veux créer pour vous des sympathies nouvelles et neuves.
On se demanderait ce que peut être sur les masses l’influence de quelques voix, si on ignorait que c’est la Minorité qui dirige. L’intelligence est la seule véritable souveraine du monde et sa puissance est exercée par une bien petite minorité. [...] Je verrai peut-être aujourd’hui qui vous savez et dans ce cas je vous apprendrais ses idées sur le présent.
Elle exprime fermement la volonté de réinscrire Guizot dans un réseau social et politique du nouveau monde républicain et napoléonien au travers de nouvelles amitiés. Il faut souligner la conscience stratégique de l’usage de la conversation.
Sa pratique politique ne réduit pas la correspondance à un moyen d'informer et de retranscrire des échanges et des positions d'un réseau politique et social. La lettre devient un objet d'animation du salon, et un moyen d'action à distance. La pratique de la lecture à haute voix, permet à Guizot de se faire encore entendre et de faire usage de son talent pour convaincre et frapper les esprits. Le 7 janvier 1849, elle lui écrit :
Je ne puis méconnaître que l'amitié dévouée qu'on me sait pour vous a touché une des cordes sensibles auquel votre grand esprit est sympathique. Quoiqu'il soit arrivé, la haine n'est jamais longue entre hommes qui ont commune quelque qualité éminente. La médiocrité seule est réconciliable avec la supériorité. Ce que vous désirez sera donc fait et m'a été promis. Si l'accomplissement vous satisfait, apprenez-le moi par un paragraphe que je puisse lire haut.
Le 2 mars 1849, Madame de Mirbel ne ménage pas Guizot. Elle se montre franche et fiable, plus informatrice qu’amie.
Parmi le cercle d'individus qui se remue autour de moi, de près ou de plus loin, jusqu'à cette heure, je n'entends presque point parler de votre élection et, le peu de personnes qui n'en parlent, ne comptent pas. Celles qui comptent n'en parlent guère et si elles le font, c'est pour nier vos chances. Il est indispensable de consigner ici une vérité des plus tristes. On vit au jour le jour et jamais les regards ne se sont restreints à un horizon si borné ! Dans le public on s'occupe encore des élections. Hier au soir M. Rivet, m'a dit que dans le cas où l'on vous porterait sérieusement ; vous seriez fort combattu.
C'était la première fois que je le recevais, je causais longtemps avec lui. J’appelle cela conditionner mon monde. J’étais d'ailleurs charmée d’établir de mon mieux une relation tout à fait de mon goût, car M. Rivet est homme de mérite et de cœur.
Voir la lettre
Madame de Mirbel connaît son point fort : la conversation. Et elle se montre complice avec Guizot en éclairant ses stratégies. Elle écrit comme elle cause, longuement. Mais c’est dans ce confort du temps et de l’écoute, qu’elle établit les meilleures conditions de son action.
Il faudrait encore mentionner une autre grande thématique qui anime la relation épistolaire et l’action de Madame de Mirbel au service de François Guizot : la question de la fusion monarchique, élément décisif d’ un retour possible de Guizot dans l’action publique. C’est aussi le signe de sa capacité à intégrer des réseaux politiques différents, sans doute en sa qualité de femme d’art. Mais c’est bien par la qualité de l’amitié qu’elle sait offrir, qu’elle peut servir d’intermédiaire entre le président Louis Napoléon Bonaparte et Guizot, alors que Guizot reprend la parole avec la publication de son ouvrage : De la démocratie.
Dans une lettre de Paris, le 24 décembre 1848, Madame de Mirbel fait part à Guizot des remarques que Louis-Napoléon Bonaparte lui a détaillées directement pour exprimer sa désapprobation de la publication de La démocratie et sa traduction début 1849.
Je viens, cher Monsieur, de voir qui vous savez.
Il m’a dit : qu’une brochure de vous s’imprimait chez Crochard et qu’elle allait paraître - qu’il était contraire à cette publication - que les évènements vous donnaient suffisamment raison - que ce qu’il y avait de plus favorable pour vous, était le silence, lequel jusqu’à ce jour n'avait nullement nui au retour des esprits - que toute publication de vous, lui semblerait inopportune parce que, la pensée de chacun était occupée ailleurs - parce que, dans le moment actuel, le nouveau gouvernement jouissait du concours des esprits qui se reposaient d’une trop longue agitation dans une sérénité béate, réaction naturelle après la souffrance causée par de longues et vives perplexités, - que dans cette situation morale, le besoin de blâme que contient toujours les humaines natures, se détournant des actes du gouvernement, s’emploierait contre vous, quelque fut la pâture que vous lui donnez.
J’ai été priée de vous transmettre ces observations. Je ne sais si vous les trouverez justes, ce dont je réponds, c’est de leur sincérité.
Lorsque mon attention est éveillée, si j’écoute quelqu’un parler sans le regarder, le son de la voix est un révélateur qui n’a jamais trompé mon oreille. Il y a d’ailleurs pour moi un fait certain. Cet homme a pour vous un goût et un instinct sympathiques, il admire foncièrement votre grand esprit. Il ne fait pas sur vous de flatteuses tirades. Ce sont des mots si profonds et si justes qui lui échappent !
Après l'effet de cette publication et sa réception en France comme en Angleterre, le président change de position et d’attitude avec Guizot. (G. de Broglie (1990), p. 378) Madame de Mirbel joue ainsi un rôle décisif dans la réception de Guizot, après sa violente rupture avec la France en 1848. Elle lui permet de continuer à prendre la parole après sa fuite, tout en ménageant son retour dans un monde politique renouvelé.
Voir les collections de La correspondance croisée entre François Guizot et Dorothée de Lieven : 1836-1856
Heim, François-Joseph (1825), Mme Mirbel
©RMN
Bibliographiede Broglie, G. (1990),
Guizot, Perrin, Paris
Fleury, S. (1927), « Madame de Mirbel et ses amis en 1848 », Revue d'histoire diplomatique, pp. 148-184,
Marie Dupond Janvier 2024