43. Pas de cadeau pour papa noël

Auteur(s) : Sassine, Williams

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Sassine, Williams, 43. Pas de cadeau pour papa noël, 1992/12/21

Claire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

Consulté le 29/08/2025 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/francophone/items/show/3388

Texte de l'article

TranscriptionN°43, 21 DECEMBRE 1992 :
PAS DE CADEAU POUR PAPA NOËL

Mon frère, les papayers c’est pas bon. Le diable vient dormir dedans. C’est lui qui fait Kiiii ! la nuit. Après il mange les personnes. Wallahi ! C’est vrai, il y a un petit papayer derrière la maison. Je vais le tuer. Si mon patron n’est pas d’accord, je vais lui dire : je m’en fous et « Nfatara ! »
- Est-ce que tu aimes la papaye ?
C’est pas la même chose mon frère. La papaye c’est bon, c’est le papayer qu’il faut couper pour chasser le diable.
- Mais si tu coupes tous les papayers…
- Mon frère s’il le faut je mangerais de la banane.
- Ce qu’il te faudrait peut-être, c’est un bananier qui produit des papayes.
Ces propos échangés avec le « géant de la forêt », un ami qui déplié, mesure à peine un mètre, pesant 40 kgs quand il est mouillé, me rappelant singulièrement notre république Alakabon.
Nous aimons bien la sémocratie-papaye (sic : démocratie) mais sans le multipartisme-papayer.
« Le géant de la forêt » s’est levé pour paraître plus grand qu’assis et son regard s’et perdu sur le papayer du voisin, le même regard incrédule que celui de Fory Coco quand il lorgne sur les démocraties voisines et bruyantes.
- Mon frère, si j’étais le président, je reste jusqu’ààà. Après je fais comme Houphouët, je refuse de mourir. Et même si je suis mort, je refuse encore.
Je venais de la morgue d’Ignace Deen. Parmi les corps exposés, enroulés dans leur dernière natte, j’avais cru reconnaître celui d’un frère. Le gardien me demanda de la prendre. Heureusement qu’il était trop lourd pour moi, sinon, j’aurais enterré un inconnu. Pendant qu’on distribue aux vivants de toutes nationalités, des cartes d’identité, pourquoi ne pas en délivrer à ceux dont le certificat de résidence définitif est le cimetière de Donka ? Là-bas au moins, la démocratie n’est pas une papaye sans papayers. Mme Maes, catholique, repose auprès de Mamady Sangaré musulman, six pieds sous terre. Que la paix leur soit accordée.
Tant pis pour les vivants. Taylor est toujours debout, avec des partisans en Sierra Leone, les « Como » s’accrochent à Monrovia, l’anglophonie s’installe à Conakry. Le père Noël ne nous fera aucun cadeau, les élections offertes étant devenues un jouet très vite cassé…
Pauvre petit jouet fragile entre de grosses mains adultes et malhabiles. Parce que la jeunesse est dévaluée.
En cette veille de Noël, nous pensons à elle. Pour elle, la barre des 40 ans est de plus en plus difficile à sauter. Elle n’est plus qu’un chiffre, une démographie, un recensement, une monnaie glissante. Avoir 20 ans aujourd’hui, c’est n’avoir rien, être un papayer à couper, porter un regard vide et sans visas vers un horizon reculant. Avoir 20 ans c’est faire partie de la démographie, devenir le tronc d’une statistique, l’objet d’une « courte maladie ».

- Mon frère, repris « le géant de la forêt », les jeunes et les enfants, tout ça c’est comme les papayes. Moi je veux des enfants mais il faut passer par les femmes pour produire. Or les femmes-là, aujourd’hui, c’est comme père Noël. Maintenant quand il vient c’est pour te réclamer quelque chose. C’est comme notre démocratie. Bientôt Noël. J’aurais envie ce jour d’avoir le cœur qui danse…
Je me surpris à murmurer :
les rois mages sont venus
Ont brûlé ce qu’ils ont vu
Les rois mages, j’en ai ma claque

Je suivis ma pensée, comme on suit un regard. Camus, prophète de l’absurde se fait tuer dans un accident absurde. Logique de la vie ! Les sonnets de Shakespeare sont sans espoir. A l’époque, 7 hommes sur 10 avaient la syphilis. L’amour devenait important. Question de vie ou de mort. Aujourd’hui, l’amour a perdu de son caractère tragique, aucune trace dans la littérature moderne ou la politique, toutes atteintes du sida. La papaye sans le papayer.
- Mon frère tu penses à quoi ? Si tu avais ma taille, tu aurais vu le monde plus grand.
- C’est possible, le père Noël a grandi, son monde s’est rétréci. Il faut se méfier de tout. Tout de A à Z, et encore, il faut se méfier de l’alphabet. La tragédie de ce pays, c’est que les dirigeants ne sont pas encore assez pourris. Il faut des siècles de pourriture, c’est de l’engrais historique. Samory avait commencé, c’est Sékou qui a tout gâté. Avec sa propreté « révolutionnaire ». Mais avec l’annulation des élections, nous avons encore une chance d’atteindre le sommet de nos poubelles.
- C’est pour ça qu’il faut couper les papayers, fit « le géant de la forêt » sinon, le père Noël ne viendra pas.
Je fis semblant de comprendre, c’est comme ça que Bouddha a fait le bouddhisme.
- En tout cas, il n’y aura pas de cadeaux pour le père Noël.
- « Pour changer vraiment le monde, faut attendre que ça fond »
- Il paraît que les juifs se sentent vexés à la veille de Noël, continuai-je. Chaque année à la même date, Jésus est en train de naitre quelque part. Alors que les juifs trainent toujours et partout leurs morts. Ils choisissent la guerre pour ne pas rester juifs. La psychologie seule peut comprendre ça, mais la psychologie est une P… La jeunesse en a peur. Le père Noël également.
Papa Noël joyeuse fête l’an prochain

Williams Sassine

Billet
La recette de Robert

Si des problèmes d’indigestion vous troublent à Conakry I, vous pouvez
- Soit transformer votre pantalon en WC
- Soit prendre un « déplacement ». Sur le siège arrière, vous vous soulagerez dans le confort

Sassine

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 43

Présentation

Date1992/12/21

GenreDocumentation - Presse

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Fiche : Elisabeh Degon, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes, CNRS-ENS ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

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Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022