36. Mythologie ou mites au logis

Auteur(s) : Sassine, Williams

Les folios

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Sassine, Williams, 36. Mythologie ou mites au logis, 1992/11/02.
Claire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle).
Consulté le 20/04/2024 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/francophone/items/show/3381

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N°36, 2 novembre 1992 : Mythologie ou mites au logis

Georges Bush, probablement le futur ex-président des USA a la parole facile pour parler de ce qu’il ne connaît pas. A notre nouvel ambassadeur à Washington, il a vanté les qualités de démocratie à la guinéenne, et jeté des fleurs à un président non élu depuis plus de huit ans, presque le double d’un mandat présidentiel américain. La pudeur et le principe de non ingérence dans les affaires d’un pays, auraient dû lui montrer ses excès. Il a même parlé du Liberia, monsieur Bush, oubliant qu’au plus fort de la guerre civile, il n’a eu pour souci que d’évacuer ses compatriotes. Pourtant le Liberia est une création des Américains ? Enfin, laissons ce monsieur à sa campagne « républicaine ».

Nous aussi on commence la campagne. Les montagnes sont loin et hautes, alors on s’est retrouvé en Basse-Guinée à Bonfi, l’autre dimanche. Je cherchais un ami, on m’a dit qu’il y avait un meeting au stade, va voir. Je n’aime pas beaucoup les meetings, depuis l’affaire de Alpha grimpeur, affaire qui s’est terminée à l’ambassade du Sénégal, avec une parenthèse télévisée sur des « bouteilles de vin » dudit monsieur. Les pots de vin seront pour plus tard. Nous y reviendrons.

C’était bien organisé le meeting, ou plutôt le mythe-in. Le mythe était bien là, bien assis, invisible de la majorité du public, comme tout bon mythe. Et comme de nos jours un mythe n’a pas longue vie, on vous tâtait les poches avant de vous demander « vous ne cachez rien ? » Si la question venait d’une belle hôtesse, la réponse aurait été facile. Mais je n’étais pas là pour répondre. Seulement par curiosité et d’abord pour retrouver un ami. Mais quand on est curieux, on cherche à voir. J’ai tout de suite compris l’os. Le guinéen, plus il est grand, plus il cherche un banc pour dépasser celui qui est derrière. Crainte du pickpocket ? Volonté d’assurance ? un phénomène sociologique qu’il serait intéressant d’étudier en tenant compte de la taille des « Pajeros » des nouveaux riches, des hauts talons de nos vieilles pétroleuses du PDG, et des dents longues de l’ancienne milice…

Il y avait de la sécurité. Une sécurité palpable, comme du vieux goudron réchauffé. Si la Gomme était là, il en aurait bavé de jalousie. Même le soleil était de la partie, il ne voulait pas bouger, il voulait voir et entendre, il y avait si longtemps qu’on parlait de démocratie, toutes les autres affaires avant, ça se passe la nuit, les complots, le 22 Novembre 1970, les arrestations, les pendaisons…Non, notre bon vieux soleil ne voulait pas rater le spectacle. Les muezzins n’avaient qu’à appeler, il ne bougerait pas. Moi non plus d’ailleurs. Enfin, je bougeais de temps en temps, cherchant l’ombre d’un géant, pendant qu’un chiot se collait à moi pour ma petite ombre. Question de relativité, comme dirait Einstein.

Justement question de relativité ! On a parlé en soussou, en peulh, en malinké (le toma ce sera pour la prochaine fois) du même discours un peu programme, mais les traducteurs n’avaient pas la même longueur. Les applaudissements s’étiraient souvent inutilement comme du caoutchouc malade, probablement à cause de la chaleur. J’étais là et je n’allais pas partir sans voir mon ami et sans entendre le « mythe-in ». Pour pouvoir dire à mon directeur de publication (qui attendait les «voleurs » de sa vieille moquette) et à mes autres collègues (Diomandé, Bah Lamine, Doré, Thierno, Keïta…) que je ne perds pas mes dimanches. Je ne savais pas que certains étaient déjà sur place. En qui avoir confiance au Lynx ?

Le « mythe-in » a pris la parole. J’ai demandé à un voisin : « Combien de temps ça va durer ? Le chiot gémissait, la langue au milieu de la poitrine. Alors le voisin m’a répondu : « Il a des choses importantes à dire. Et puis si vous n’êtes pas là pour écouter notre chef, on peut s’occuper de vous… ». Son dernier argument m’a convaincu. Il ne me reste pas beaucoup de dents, alors je respecte beaucoup les fidèles, les inconditionnelles de ma bouche. Elles forment mon scandale quand on me présente autre chose que de la bouillie.

Le plat d’entrée n’a pas tardé à venir. Un certain Lansana a tout de suite été traité de joueur de dames et d’amateur de vidéo. Je me suis dit tout de suite en regardant le chiot dont la langue descendait de plus en plus bas, que le terrain devenait miné. Parler en ce moment de jeu et de dames revient à parler de corde dans la maison d’un pendu. Depuis l’indépendance, notre vie politique et sociale (je ne parlerai pas de culture pour le moment) a été animée par des jeux et des dames, sans toujours respecter la vérité qui dit : « jeux de mains, jeux de vilains ».

Mais ça faisait plaisir d’entendre dans ce mythe-in une voix outrée, d’accuser l’outre tombe de l’avoir accusé un certain novembre 1970. Moi j’ai beaucoup aimé l’éloquence, le ton, la force des mots. Ca me changeait des discours lus péniblement de notre chef non élu. Par habitude, par vocation, par profession, j’aime les mots, leur couleur, leur ton, leur vie propre. Il ne faut pas oublier que dans notre culture, le mot est d’origine divine.

Donc j’étais charmé comme quand Sékou Touré prenait la parole, comme il avait pris le pouvoir pour le confisquer. Mais tout charme a une fin. J’avais le choix entre laisser mourir le chiot de soif, ou partir avant la fin du « mythe-in ». On a un peu montré de l’index, certains autres partis dits de l’opposition, certains préfets qui jouent aussi mal que le « Hafia club »…Moi je cherchais la sortie pour rentrer. Et puis j’ai vomi. Et c’est bizarre, j’ai pensé au chiot qui ne voulait pas me suivre, à une capote pour ne pas attraper le virus de ce multipartisme, (monopartisme en habit d’Arlequin).

Quelqu’un dans la rue parlait de l’arrivée d’un évangéliste capable de miracles, c’est pour bientôt au stade d’après le type. Le Pape était venu. Il a prié pour nous, et nous avons eu le courant et l’eau pendant deux jours. Même si son court séjour a laissé des larmes intarissables de certaines personnes ayant participé à l’organisation matérielle de sa sainteté.

Nous attendons le nouveau. Qu’il nous donne l’eau et l’électricité. Nous mêmes, nous nous occuperons de nos pauvres. Jésus Christ et Mohamed nous ont appris qu’ils sont les derniers prophètes.

En attendant, le PUP est en train de tanner la peau des autres partis, pour en faire du cuir à chaussures. L’avantage de ce parti est qu’il connaît sa pointure, et comme le dit une chanson du moment, chanson créée par Manfila Kanté et refuse (sic) par la voix mielleuse d’Aïcha Koné : « chacun doit connaître sa pointure, que ce soit pour se marier, ou s’habiller ou acheter une voiture ou… » Nous avons appris par une radio étrangère que notre chef avait été victime ou failli être victime d’un attentat. Vérité ou début de fabrication d’un mythe d’invulnérabilité ? Samuel Doe en sait quelque chose, quand il a vu le couteau de son bourreau posé sur lui. Nous entrons dans la dernière sphère ou les mites attendent les mythes, où notre mythologie des « chefs infaillibles » ne sera plus que des mites-au-logis.

La case va s’écrouler, car le temps se mêle de plus en plus à notre espace pour le rapprocher de nous, le monde n’étant plus une représentation, mais le sillage phosphorescent de notre action. Nous nous rapprochons de plus en plus de notre objet (on commence en haut lieu à parler de dépoussiérage de la justice par exemple) et dans cette vision myope qui ressemble plus à un attouchement qu’à une vision, se dissolvent les formes accusatrices et stables de notre passé. Ainsi se perd un corps aimé quand nous le regardons à le toucher. L’homme a toujours affaire au monde. Jusqu’à présent nous avons refusé cet effort de le rencontrer dans son évidence sensible et rationnelle.

Le monde a sa mémoire propre, autant que la mer d’où il y a quelques millions d’années, nous sommes sortis, maladroits et éblouis et suffocants déjà. La lumière et l’air nous étaient lourds à porter, autant que l’indépendance il y a une trentaine d’années. L’instant de cette libération aurait dû être l’instant de la genèse quand le créé coïncide avec la création. Mais depuis 1960, notre mémoire ne regarde que des armoires vides. Où sont les archives du camp Boiro par exemple ?

Merci mon général.

Williams Sassine

Billet

LA GROTTE D’ALI BABA

Dans la grotte d’Ali Baba

On trouve 40 partis Baba

Des gendres Ali

Qui ont déjà fait leur lit

Mais où est l’oreiller ?

Cherchez sous la tête du PUP

Si vous la trouvez cette tête

Le Lynx vous offre sa dernière moquette

Si vous ne la trouvez pas

Tout doucement, pas à pas

Apprenez à Conté ou compter

La faute d’orthographe est à côté.

Le sésame de la grotte d’Ali Blabla

N’est ni dans le chômage, ni dans la défaite du Hafia

Il sera peut-être en Décembre

Caché en lui en une quelconque urne ou chambre

Sassine

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 36

Présentation

Date1992/11/02

GenreDocumentation - Presse

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Éditeur de la ficheClaire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

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Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

36. Mythologie ou mites au logis

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