134. Je sais ou j'essaie

Auteur(s) : Sassine, Williams

Les folios

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N° 134, 10 octobre 1994 « Je sais ou j'essaie »

Je suis comme la 3è Roue publique. C’est à dire quand je connais pas, je dis « je sais ! Et quand je sais, je dis « j’essaie ». Question de « i »grec, un voyou devenu une voyelle. Tout est possible, surtout le pire. Pourquoi le mot Riz se termine par Z, la dernière lettre ? C’est que le riz est devenu le terminus. Ce n’est pas seulement un symbole. Il est à remarquer que tous les mots en trois lettres, le X et le Z, composent une grande partie de notre culture. Par exemple Riz et Sex. Mais nous n’avons ni minus-tre du ventre, ni minus-tre du sexe. Cette fois je mets un E. Disons que j’essaie. Je me grattais la tête pour essayer de savoir. Mon chat dormait. Je l’ai plongé dans la marmite et je suis sorti. A mon retour, mon chat avait le même poids que le poisson que j’avais laissé. Qui avait mangé l’autre, Fory Coco ? J’ai repris le chat et je l’ai replongé dans la marmite. La vie est chair, surtout quand tout est trop cher.

Ma chérie le sait et m’essaie quand je ne tombe pas dans une flaque.

A Fakoudou ! On chen fout !

John le Chauve, qui était aux Affaires Étranges avec châteaux et belles guerres dans le pays de Charles-Terreur, venait d’être nommé aux transports, poussière et boues. Il racontait qu’il avait pris un car. Pour une première fois. La voiture climatisée du gouvernement, à quoi ça sert ? Il voulait vérifier. Vérifier quoi ? Il paraît que les ateliers sont propres. Presqu’aucun car ne roule. Mais les « ateliers » sont propres. Et les ¾ du personnel sont dans la rue, pour cause de « Choléra mécanique ».

John le Chauve après son baratin, n’est probablement pas revenu par le même car. Qu’il aille à Kankan par la route ! Le fantôme du train, aussi l’attend. On boit bien là-bas, à la gare reconvertie en maquis. On chen fout ! A Fakoudou ! Il faut voir pour essayer. A Fakoudou ! Moi, je dis ce que je pense. Des gens sont venus l’autre jour, chez moi, avec un bout de papier, qu’il fallait payer quelque chose. J’ai voulus réveiller ma première femme, c’est elle qui sait lire. Mais son lit était vide. Je suis parti chercher ma deuxième épouse. Elle, elle ne sait pas lire, mais elle a une grande gueule. Son lit était vide. Hé kéla ! La vie-là, c’est pour essayer ou savoir…J’ai pris mon lance-pierre, et ces bandits sont partis avec leur petit papier en courant. Oh putain de journée ! J’avais un petit sac de riz, lui aussi a disparu. Heureusement, les enfants sont encore en Forêt pour les vacances. Ils m’ont envoyé un peu d’escargots. Je ne sais pas faire la cuisine, mais je vais essayer.

Le géant se leva. J’osai lui poser une question.

- Alpha, qu’est-ce que tu penses des prochaines élections ?
- Lynx, laisse chat ! Chaque fois que je vote, on dirait que je choisis le maudit candidat. J’ai voté « Non » en 58, après j’ai été obligé de quitter le pays. J’ai voté « Oui » ensuite pour une femme, elle m’a laissé dans les bras, 2 bâtards. Je ne me suis pas découragé. J’ai trouvé un peu d’argent et j’ai voté pour une camionnette pour faire du transport. Une semaine après, j’ai retrouvé la salope dans un ravin, complètement écrasée. Je n’ai même pas regardé le reste. Et j’ai fui ! Si la gendarmerie m’avait pris ! Je suis revenu au pays à pieds. Mais depuis des années, j’essaie de voir. Comme tout le monde. Les gens qui veulent encore des élections, nous fatiguent vraiment ! Hé kéla ! On va se tuer pour des gens qui roulent en voiture de luxe, avec garde de corps, alors que toi tu n’as rien dans le ventre. En tout cas, moi je ne fais pas de politique. Celui qui me donne un sac de riz, je vote une fois pour lui. Si son adversaire me donne deux sacs de riz, je vote deux fois pour lui -A Fakoudou ! S’il y avait un parti appelé Riz…Je n’essaie plus de savoir.

- Toi du Lynx est-ce que c’est vrai qu’à l’Institut Pasteuria de Kindia, les serpents et les singes ont fui ? Qu’il ne reste plus qu’un lion fatigué et un caïman borgne ? Est-ce qu’il y a un minus-tre pour ça ? Le gouvernement a changé encore. Je vais me renseigner. J’ai faim. Le lion-là et le caïman, ils vont mourir pour rien. Rien pour nous ?

- Moi, je n’ai rien contre la 3è Roue publique, mais à fakoudou, j’ai un gros trou dans mon ventre. Tout le monde peut me laisser tomber, mais mon ventre me restera fidèle. Malheureusement, il sait que j’essaie. Je cherche un bon marabout. Il paraît que dans le quartier, il y en a un. On raconte qu’il peut faire 40 jours sans boire ni manger. Ce qui m’embête, on ne m’a pas dit ce qu’il fait pendant les 40 nuits. Bon, je vais essayer de voir ce que mon ventre désire au marché.

Il s’en alla. Les autres amis étaient penchés sur leur verre vide. Silencieux. Il n’y avait que la pluie qui faisait du bruit. Je me levai à mon tour. Je n’avais pas réglé le problème du chat et du poisson. Et puis, la fin du mois refusait de s’approcher. En attendant, un nouveau minus-tre disait que le PNUD s’était trompé. On n’était pas dernier ? Peut-être avant-dernier ? Une position encore plus ridicule. Moi, je préfère être dernier en classe, qu’avant-dernier. Ce sont les derniers qui arrivent un jour aux premiers rangs. Jamais les avant-derniers, à plus forte raison, les premiers. Regardons autour de nous, ou en haut ! Ceux qui savent n’essaient pas, ceux qui essaient ne savent pas. Ce sont des grimpions ou des call-girls du savoir. Je parle de la 2è catégorie. Le premier groupe est celui des tortues boiteuses. Il doit exister une troisième fourmilière. Celle des anciens minustres et autres anciens « digni-à-taire ».

Quand j’avais ma radio, un autre irresponsable nous expliquait que les Japonais étaient à la base de la hausse du prix du riz. Pour une fois, on n’accusait pas la diaspo. Et on se dit indépendant. Pour nous mettre à genoux, il suffit qu’un autre pays commande aux Etats-Unis, ou à la Thaïlande, une grande quantité de riz. Les pauvres Japonais ! Pour faire baisser le prix, envoyez-leur une autre bombe atomique ! Ils sont habitués à ce genre de catastrophe.

Les dits responsables, croient que tout le monde est bête. Ils insultent la population. Fory Coco, il faut bâillonner certains minustres. Car si nos parents nous ont appris à parler, le monde doit nous apprendre à nous taire.

Pour savoir il faut essayer. Mais essayer n’est pas savoir.

Williams Sassine

Billet

« Un chat m’a conté »

Rentrée scolaire

Rentrée de colère ?

Rentrée politique

Rentrée de la musique ?

Rentrée du riz

Rentrée des prix ?

Rentrée d’un gouvernement

Rentrée d’un autre qui ment ?

Rentrée de la cour suprême

Rentrée des extrêmes ?

Rentrée des législatives ?

Rentrée des danses lascives ?

Rentrée des brigands

Rentrée des antigangs ?

Rentrée de la saison sèche

Rentrée de la dèche ?

Sassine

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 134

Présentation

Date1994/10/10

GenreDocumentation - Presse

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Fiche : Elisabeh Degon, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes, CNRS-ENS ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

Éditeur de la ficheClaire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

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Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

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