127. Le choléra, la banane et la médaille

Auteur(s) : Sassine, Williams

Les folios

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Sassine, Williams, 127. Le choléra, la banane et la médaille, 1994/08/22

Claire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

Consulté le 13/08/2025 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/francophone/items/show/3469

Texte de l'article

Transcription

N° 127, 22 août 1994 : Le choléra, la banane et la médaille

Il paraît que le choléra à son tour est malade. Ça lui apprendra à s’attaquer à des gens plus malades que lui. Qui n’ont rien à foutre des maladies, puisqu’ils meurent jeunes. Mais notre choléra a eu quelque chose de bon. Grâce à lui, même nos brigands se méfient des honnêtes. Il paraît qu’il faut se laver les mains tout le temps. Les marchands de savon se frottent les mains. A quelque chose, malheur est bon. Il faut espérer que notre prési exportera notre choléra à Paris. On a besoin d’argent pour nous créer des besoins d’argent. A fakoudou ! Le président était invité à Paris. J’imagine la conversation entre Fory Coco et le Mite-aux-rangs :

- Heu, Heu, Fory Coco. Je vous ai invité comme ancien combattant. Je suis fier de vous

- Moi z’aussi

- Fory Coco, heu, heu ! Comment va votre opposition ?

- Quand ils ont dit que j’ai triché, je leur ai répondu, « n’fatara ! »

- Heu, heu, « n’fatara » est-ce que ce mot est dans le dictionnaire ?

- C’est dans mon vocabulaire en tout cas ! Celui qui n’est pas content, je lui botte les fesses ! A fakoudou

- Heu, heu, Fory Coco, je comprends un peu. A fakoudou ! Et la presse au pays ?

- Elle est libre. Sans problèmes. Comme moi. De toutes les façons, je ne lis pas. Je m’en balance et contre-balance. Mais gare aux impolis ! Nous on n’est pas blancs. Vous les blancs, c’est pas bon. Dès qu’on vous frappe, la peau devient comme tomates rouges. Le noir, tu peux frapper, frapper, il reste noir. Vous pouvez demander à un de mes gardes.

- Heu ! J’ai confiance, comme Dieu a confiance en moi.

- Moi je n’ai pas peur, c’est Dieu qui m’a mis à ma place

- Heu, heu, Fory Coco, ma femme me dit que c’est moi Dieu, elle me connaît !

- Chat ne fait rien ! Si c’est vous Dieu, donnez moi de l’argent. Beaucoup même ! J’ai apporté des sacs vides de 100 kgs. Sinon, on va raconter partout au pays que je ne pense pas aux travailleurs, ni aux chômeurs, ni aux animaux

- Dans ce cas, heu, heu, Fory Coco je vais vous faire un chèque.

- A fakoudou, je ne veux pas de Cheick ! Ils sont partout dans les mosquées. Les Arabes nous proposent des Cheick et toutes sortes de marabouts. Nous voulons du liquide.

- Heu, heu, Fory Coco, je suis d’accord. On m’a appris que vous manquez souvent d’eau chez vous.

- C’est faux ! Chez moi il y a de l’eau. Au Palais des nations, ce n’est pas l’eau qui manque. Je vous ai dit que nous voulons du liquide. Du vrai ! Vous êtes président comme moi, et vous ne savez pas c’est quoi le mot « liquide ». C’est quoi chat ? Vous croyez que je suis venu pour défiler à Paris ? Je ne suis pas Bokassa.

- Heu, heu, j’ai un peu de trou de mémoire en ce moment. C’est quoi Bokassa ?

- Hé kéla ! C’est celui qui donnait des diamants à Giscard et qui mangeait des enfants.

- Heu, heu, ça commence à être intéressant. Est-ce que votre Bokassa a encore des diamants ?

- Bon, monsieur Mite-aux-rangs je vais essayer de vous parler dans ma langue.

- Heu, heu, est-ce que vous avez mal à la langue ? Je n’entends pas très bien. Mais j’ai de bons médecins…Si vous avez le temps, on se reverra un jour, Fory Coco.

- Vous les blancs, toujours, on se verra, on se reverra. Vous ne pensez même pas à la mort. Et si vous cassez la pipe, hein ? Vous vous en foutez ! Vous ne fumez même pas. Mais au Rwanda et au Libéria, ça fume. Et chez nous, c’est le choléra.

- Heu, heu, choléra, choléra…C’est quelqu’un qui veut prendre votre place ? Fory Coco, on a signé des accords. Et Sékou, vous avez des nouvelles ? J’ai des trous de mémoire.

- Heu, heu, mais ce n’est pas grave. La prochaine fois, rendez moi visite en privé avec votre monsieur choléra.

- Je vous en ferai cadeau. A fakoudou !

- Fory Coco vous avez un peu de bananes ? Heu, heu, en échange je vous donnerai une médaille. C’est ça la coopération Nord-Sud.

J’arrête là mes élucubrations, parce que probablement je suis en deçà de la vérité. De toutes façons, je devais me lever pour prendre mon seau troué. Il pleuvait comme d’habitude au mois d’août, depuis que la Guinée s’appelle Guinée. Mais notre météo avait tout simplement oublié de prévenir les amnésiques. De toutes façons, on chen fout ! Le fonctionnaire oublie tout, sauf sa faim du mois. Pour rembourser les dettes et recommencer. On peut appeler ça SIDA. Comprenez le salaire immuno-déficitaire des affamés. Pourvu que le président retourne la nuit ou sous la pluie. Pour ne pas nous bloquer la circulation. En attendant je pouvais écouter la voix douloureuse de Ibro « Allah nana ». Trop jeune pour chanter la tristesse. En même temps je pensais à Aliou Vé, nommé par décret présidentiel, dégommé par arrêté de Tonneau, l’ogre de Poly. Re-confirmé par le président comme secrétaire général de Poly. Tonneau, mes condoléances pour le décès de ta sœur. Je suis sûr qu’elle était plus humaine que toi. Toutes mes condoléances également à monsieur Soumah traducteur à la présidence, dont l’épouse a « changé de pays » la nuit du vendredi 12 août à cause d’une crise cardiaque. Comme le chantait Jacques Brel à propos des vieux couples : « c’est le dernier qui ira en enfer ».

Un jour on terminera son puzzle. Pour essayer d’oublier ton « amputation ». Juste pour essayer, on verra. La solitude est unijambiste sur une corde de funambuliste. Oui, la solitude est un sport.

- Patron, j’ai de la viande pour chiens. C’est très bon ! Moi je m’appelle « Pressé Man ». Je balançais mon seau percé à la gueule du provocateur. J’avais faim.

Williams Sassine

Billet

« Un chat m’a conté »

A Conakry, on n’a pas besoin d’eau. Il pleut à mourir noyés.

A Conakry on n’a pas besoin de courant. La foudre et ses éclairs illuminent.

A Conakry on n’a pas besoin de voitures. Les pirogues rigolent partout.

A Conakry on n’a pas besoin de plumes. Les canards offrent les leurs.

A Conakry on n’a pas besoin de chanteurs. Les crapauds donnent leurs mégashows.

A Conakry on n’a pas besoin de Gouverneur. Les poubelles peuvent faire son boulot.

A Conakry on n’a pas besoin de radios. Les chômeurs informent très bien.

A Conakry on n’a pas besoin de pain. Le four crématoire de l’hôpital a disparu.

A Conakry on n’a pas besoin du koléra. Tant pis pour ceux qui ne boivent que de l’eau.

A Conakry on n’a pas besoin du SIDA. Les p…ont peur et sont fatiguées.

Sassine

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 127

Présentation

Date1994/08/22

GenreDocumentation - Presse

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Fiche : Elisabeh Degon, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes, CNRS-ENS ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

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Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

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