118. La distribution des prix

Auteur(s) : Sassine, Williams

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Sassine, Williams, 118. La distribution des prix, 1994/06/20

Claire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

Consulté le 29/08/2025 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/francophone/items/show/3460

Texte de l'article

Transcription

N° 118, 20 juin 1994 : « la distribution des prix »

Je venais de l’IPN. Le patron, Diallo, continuait à encourager les jeunes. Une distribution de prix est souvent émouvante. Un peu comme quand une fourmi monte à un arbre. Probablement qu’elle ne connaît pas le ciel, mais elle veut monter, traverser un pont entre la terre et des fruits. Vivre, c’est ça.

«Si la politique est l’art de gouverner les hommes, c’est à dire d’orienter, d’utiliser, d’éduquer leurs passions, leurs enthousiasmes, leurs intérêts pour des buts d’ordre général ; si telle est la politique, aucun doute que cet art, n’ait pour base fondamentale que l’homme ». Ainsi écrivait Mussolini dans sa préface pour le « Prince » de Machiavel.

Mais l’antithèse entre « Prince » et peuple, entre Etats et individus, est pour ainsi dire fatale. Le mot « Prince » veut dire Etat. L’illustration la plus récente, après Sékou, est Fory Coco. Il est l’Etat, sans état d’âme. Mais, on chen fout ! L’Etat doit représenter une organisation et une limitation. Car le citoyen tend continuellement à s’évader, il n’aime pas obéir aux lois, payer ses impôts, faire la guerre. A part les héros et les saints, personne ne veut mourir pour le « Prince ». A cette liste, il faut ajouter quelques faibles d’esprit ou de volonté, les surdoués de la défaite, comme on l’a vu au Libéria ou à « Tunis 94 ».

Pendant ce temps, quelqu’un racontait :

Morlaye s’est fait payer. Il a rencontré Abou, son créancier dans une mosquée. Quand il se baissait, il disait à Abou : « Fakoudou, tu me paieras aujourd’hui ». Quand il se levait il disait toujours : « Il n’y a pas de bon dieu ici, tu me payeras ». Dès après la prière, ils en vinrent aux mains. Des boubous déchirés, des chapelets cassés…les fidèles se cotisèrent et Morlaye fut remboursé. Avec cet argent, Morlaye prit une cinquième épouse.

Le pouvoir de notre prince est là. On paye sans être payé en retour. On nous dit que le pouvoir est l’émanation d’une libre volonté du peuple. C’est une illusion et une friction de plus. D’abord le mot « peuple » n’a jamais été clairement défini. En tant qu’entité politique, c’est une entité abstraite. Le qualificatif de souverain, appliqué au peuple, est une amère plaisanterie. Nous l’avons vu lors des dernières élections. Le « peuple » ne porte qu’une couronne en carton.

Au peuple, on ne laisse qu’une monosyllabe pour confirmer et obéir. Le reste du vocabulaire appartient au prince. La souveraineté n’est accordée au peuple que quand elle est inoffensive. C’est à dire dans les moments d’une administration ordinaire, par exemple pour choisir l’emplacement du puits du village. Mais pour aller en guerre, on ne demande pas son avis. On ne demande pas à un mouton s’il aime la tabaski. Quand le prince rit, très souvent autour de lui, on pleure. Le couteau fait la différence.

L’Etat doit être raciste, un racisme basé sur la jeunesse. Nous sommes, nous, prêts à rendre honneur au passé. C’est une bonne chose, puisque tout le monde est appelé à être âgé. Je ne dis pas vieillir. Parce que l’essentiel est d’avoir la conscience de notre humanité, donc d’avoir connaissance de nos obligations. Jamais n’a été plus intense, ni plus légitime le sentiment de vivre une mutation sans précédent. Parce que pour la première fois, elle concerne tous les hommes. Un nouvel âge géologique soulève l’écorce après avoir bouleversé les plus profondes couches de la planète mentale. Désormais, il est le temps où chacun de nous ne peut rentrer dans ce monde qu’en se mourant en lui-même. C’est une vieille expérience dont parlent tous les vieux mythes. Peut-être que notre président veut vivre cette expérience comme un Mobutu Sésé c’est quoi ? Ou un Eyadémon. On vérifie la même expérience au Rwanda. Elle peut servir encore. L’ONU inutile est là pour la démontrer. L’OUA elle, ne cherche même plus à aboyer. Aujourd’hui, personne ne peut éviter d’ouvrir les yeux, comme je l’ai écrit ailleurs. Mais nous avons tout fait pour les ouvrir le plus tard possible. L’opposition est congelée grâce à ses groupes « électrogènes » particuliers. Il nous arrive de vivre encore, de sentir, de penser, comme si nous n’avions pas rencontré de nouvelles évidences, celles qui font que le temps de l’invention n’est pas celui de la culture, que l’enseignement suit toujours d’assez loin les découvertes. Ici, on chen fout ! Puisqu’en haut lieu on encourage autant que possible un certain bouillon de culture. Si Pasteur était vivant, il se serait pendu ici. A l’E.C.A. on se préparait pour une distribution de prix. Bonne chance Famany Condé. En attendant, les prix au marché ne sont pas du cadeau. Quant à Famany Touré et Siba Fassou, merci pour la pièce « La rigolade » primée à Ouaga !

Williams Sassine

Billet

« Un chat m’a conté »

Un général m’a dit : « un jour on verra »

Un autre général m’a dit : « un jour peut-être »

Un futur général m’a dit : « il faut revoir tout ça »

On ne savait pas de quoi on parlait

Un enfant qui passait m’a dit : « on verra, on verra. Mais c’est déjà vu »

La connerie a quelque chose de bon

Elle est sans limites

Regardez la troisième République

Heureusement que c’est un fœtus

Sassine

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 118

Présentation

Date1994/06/20

GenreDocumentation - Presse

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Fiche : Elisabeh Degon, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes, CNRS-ENS ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

Éditeur de la ficheClaire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

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Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

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