CORREZ

CORREZ - Édition des lettres internationales adressées à Émile Zola


Lettre d'Angelina Vidal à Émile Zola, du 26 février 1898

Correspondance

Auteur(s) : Vidal, Angelina

Transcription

Texte de la lettreMaitre
Lisbonne 26-2-98
Je pense à vous.
On vous a condamné… C’est logique. Je l’attendais… Supposer autrement serait trop honorer la bête civilisée. Non ! Jamais elle ne méprise l’opportunité de épancher sa scélératesse native. Qui sait ? Peut-être ce besoin de retour ne sera-t-il qu’un phenomène d’ [illisible] atavique ?
Nous aurons beau eclairé l’ignorance, detruit les chaines, descendu les mythes, exhaussé le niveau intelectuel des multitudes. Il y aura toujours dans un peuple civilisé quelque chose de l’inconscience de la brute et de la sauvagerie des ancêtres.
Et nos efforts sont bien semblables à la toile de Pénelope.
Nonobstant c’est à cet amas de paradoxes que tous deux, vous si illustre, moi si obscure, nous vous avons donné le plus saint, le plus tendre dévouement… maintes fois blessé ou renié par ces déplorables avilis, avec lesquels nous voudrions partager notre âme loyale. – N’est-ce pas, Maitre, qu’il y a toujours le mauvais larron sur le Calvaire de chaque Messias?
Mais oui, vous le sentez, vous, que les coers (sic) français devaient aimer, comme une des plus rayonnantes gloires de la France, et contre qui la corruption catholique, melée d’une stupide lacheté, declara guerre farouche au cri de : Fiat tenebrae, fiat tenebrae !
Quelle grandeur, quelle noblesse la votre ! Apôtre de la Justice souveraine, avocat de l’Humanité souffrante, je vous reconnais sublime dans votre abnegation, calme dans votre sublimité, et mon âme de femme, mon âme de mère, mon âme de poetesse, mon âme de revolutionnaire vous adore !
Et lorsque de votre image chérie, ensoleillée par le Génie, mes yeux se détournent vers l’ile du Diable, je rougis de la societé contemporaine, et ma raison se révolte contre les mensonges de la liberté bourgeoise. Autrefois, au moins, les supplices du Saint Office etaient appliqués par les mains de misérables fanatisés par la terreur, sous la conduite de la puissance clericale qui gouvernait le cerveau et la volonté des nations. Au derniers jours de notre siècle, enfanté aux proclamations des Droits de l’homme - , la Democratie heretière de 1789 force la nature même à devenir cachot maudit et la rend complice et bourreau.
Point de doute ! Ces bons chretiens, precheurs du pardon, déclamateurs de la charité, et de plusieurs mots abstraits, s’acharneraient volontièrement dans une Saint-Barthélémy anti-sémitique et anti libertaire, en se prévaloyant (sic) d’un civisme que n’étant inventé - ad hoc – accuserait la plus redoutable pathologie sociale.
Dreyffus, l’infortuné Dreyfus est-il criminel ? Ne l’est-il pas ? Plutôt je le crois victime d’un infame complôt. Cependant, quand même il fut le plus grand coupable, que le crime de l’homme envers la societé s’amoindrit, si l’on compare au crime de la societé envers l’homme !
Et encore, qu’est-ce que c’est crime ? Au dedans du cercle vicieux des temps on voit partout des malheureux, des affamés, des martyrs, montant à l’échafaud parce qu’ils ont tué quelque privilegié, ou volerent quelque marchand de son sang, et des héros conquerants, couronnés de lauriers, et suivis des hosannas du succés, parcequ’ils ont massacré quelques milliers de prolétaires. Ceux-là organisaient au nom de la faim, de la misère, de la révolte. Ceux-ci organisaient au nom de Dieu, de l’ordre, de la Patrie !
Ah. Maître, Maître ! Si l’on pouvait voir nettement dans la conscience des legislateurs de tous les âges on réculerait d’épouvante et de dégout pour cet animal, fait à l’image d’un Dieu que, à son tour, il façonne à l’image de ses vices.
Souvent je me méfie que le coer humain n’est rien de plus qu’une déplorable suppuration de la matière maladive, une sorte de infirmité incurable de l’évolution universelle.
Zola condamné… Zola en prison ! Les pauvres fous ! Comme si l’on pouvait emprisonner l’aile du Génie. Pour vous, Maître, la prison se change en Capitole. Le monde intellectuel vous regarde avec orgueil, et s’il y a parmi le sacerdoce de la Presse des caniches que vous aboyent, laissez faire… ça ne gène absolument… les disgraciés non pas des dents…
Et puis, il faut être raisonnable, jamais l’imbécilité ne pourra comprendre le glorieux et immortel romancier que posa et developpa brillamment la thèse scientifique de –Rougon Macquart – et la thèse sociale et philosophique de – Germinal - [illisible] le royaume du ciel… le bon Dieu les réclame.
Maitre vous êtes superieur à votre temp ; vous appartenez au Futur. Votre procédé à l’égard Dreyfus ne peut être compris que par les intellectuels déclasés dans ce milieu de sophismes [?] et de égoismes enragés.
Je veux bien croire que l’équilibre social viendra racheter les aspirations de libre pensée, puisque le – E ppure si muove - constituera la loi eternelle… Mais quand sonnera l’heure ?
L’état social présent touche ses derniers jours. Il crève empoisonné de soi-même ; et son honneur et se codes, et ses autels et sa politique me donnent l’idée des guenilles ulcereuses, des humeurs puantes de la piscine de Lourdes. Lourdes, Maître ! C’est le vrai dans l’Art, c’est l’Art dans le Vrai, c’est la demolition combatant la psychopathie réligieuse et les névroses de la foi !
Oh Les cléricaux, fouéttés dans son métier de hypocrite croyance, se vautrent aujourd’hui dans l’ivrognerie de la vengeance, oubliant que à toute action correspond une reaction.
Demain… voila le mot.
Adorable condamné je vous salue ; et en vous offrant toute la fraternité de mon âme, la plus loyale solidarité de conscience, je reste pensant à vous, Maître.
Agreez mes vœux et mes respects, et accordez-moi l’honneur de me croire
Votre très humble amie
Angelina Vidal

Angelina Vidal
Escriptora e professora
Et ses petits enfants Béatrice et Hugo saluent le Glorieux Zola

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Notice créée par Richard Walter Notice créée le 15/10/2018 Dernière modification le 21/08/2020