Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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2 Bruxelles le 3 juin 1852

Je n’ai pas bougé de chez moi hier. J’ai vu deux fois Van Praet. Le roi avait voulu venir, il a pris un accès de bile. Il sera dans huit jours à Wiesbade.
J'ai causé un peu avec Collaredo, bien content de retrouver Londres, & de ne plus trouver Palmerston. J'ai bien parlé à Van Praet sur la nécessité de réprimer la presse. On ne peut pas vivre avec un voisin comme celui-ci. Ce sera une grande faute si un motif pareil poussait la France à sortir de chez elle, mais en définitive et malgré toutes ses protections, la Belgique serait abîmée. Elle deviendrait le théâtre de la guerre. [Van] Praet dit qu'on fera aussitôt les élections passées dans huit jours. Il faut modifier la législation, on le fera.
On est ici très fusionniste seulement on voulait attendre, et on croyait que tel était le conseil de Paris. Moi je n’y comprends rien. Si non que ce qui est fait et fait, & que ce qui se fera peut ne pas se faire. Voilà un raisonnement de [portier] ce qui veut dire good sense.
Trubert a vu hier Changarnier. Il fait son plan pour quand il sera dictateur. Comme Broglie fait sa Constitution ! Du reste tranquille & convenable & très solitaire dans son trou de [Malines]. Adieu. Adieu.

Je pars dans une heure. L'[Impératrice], est arrivée hier soir à Schlangenbad moi, je n’y suis annoncée pour Samedi. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°3 Paris, Jeudi 3 Juin 1852
9 heures

Vous serez arrivée quand ceci vous arrivera, chère Princesse. Je regrette de ne pas connaître Schlangenbad. Pour ma satisfaction pendant votre absence, je vous aimerais mieux à Ems que je connais. Il faut voir ses amis en pensant à eux et on ne les voit qu’en voyant les lieux où ils vivent.
J’ai passé hier ma soirée chez Mad. de Stael. Rien de plus politique que Rumpff et Viel-Castel. Celui-ci triste quand il a donné sa démission, il ne croyait pas la donner pour si longtemps. Dieu a bien raison de cacher aux hommes l'avenir ; ils ne feraient pas la quart des bonnes actions qu’ils font s'ils savaient ce qu'elles leur coûteront. Il est vrai qu’ils feraient aussi moins de sottises. Conversation donc toute littéraire.
Vous n'avez probablement pas lu dans le Constitutionnel, M. de Ste Beuve racontant la passion rétrospective de M. Cousin pour Mad. de Longueville, et sa haine pour M. de La Rochefoucauld, son rival heureux, il y a 200 ans. M. Cousin est très irrité de cet article et en parle comme d’une publication malveillante qui lui aurait fait manquer une bonne fortune à laquelle il touchait. M. de Ste Beuve a proposé, pour son tombeau cette épitaphe : " Ci gît M. Cousin ; il voulait fonder une grande école de philosophie, et il aima Mad. de Longueville. " Vous voyez que les nouvelles manquent tout- à-fait.
On dit que le Président ira en Algérie. Ce serait hardi. J’ai vu hier deux personnes qui arrivent d’Algérie, émerveillés des progrès.
Voilà votre lettre de Bruxelles. Merci d'avoir écrit et dormi. J’espérais bien que le voyage vous reposerait.
On est très préoccupé ici de l’attitude des partis monarchiques. Je coupe pour vous, le petit leading article des feuilles d'Havas d’hier soir. Cela n’est pas écrit pour le public de Paris et la presse de Paris n'en dit rien, mais les journaux des départements le reproduisent et le répandent partout. C'est là le langage qu’on veut parler au public intérieur sur lequel on compte.

4 heures
Jules de Mornay est mort hier soir d’une congestion cérébrale. C'était une bien pauvre tête, et un assez noble coeur. Il m’a fait de l'opposition jusqu’au 24 février, mais depuis, nous étions bien ensemble. Trés fusionniste, et le disant très haut à Madame la Duchesse d'Orléans. C’est une famille bien frappée. En six mois Mad. de Mornay a perdu son père, sa mère, son mari et la fille aînée qui s’est faite religieuse malgré elle. Je vous quitte pour l'Académie. On ne remplit jamais mieux ses devoirs qu’au dernier moment. Adieu.
J’ai bien peur d'être un ou d'être un ou deux jours sans nouvelles de vous. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Bruxelles Mercredi 2 juin 1852

Ma dernière nuit à Paris a été assez bonne. Je suis arrivée ici à 5 heures mon fils arrivait de Londres en même temps. Il reste avec moi aujourd’hui.
Trubert est très bien. Kalerdgi est arrivée cette nuit, je ne l'ai pas vue encore. Collaredo est dans le même hôtel que moi depuis hier aussi. Van Praet est venue me voir. Le tête-à-tête n’a pas réussi. [Kontornoff] & notre consul l’ont empêché. Je le reverrai ce matin. J'ai redormi cette nuit, et je suis moins fatiguée que vous ne m’avez laissée. Voilà tout ce que j’ai à vous dire et Adieu. Adieu.
Voici votre lettre merci, une aussi d’Aberdeen, très rude pour Lord Derby, & peu obligeant pour Paris. Adieu encore et le M. [?] raconte mon dîner. Evidemment il y avait un gentleman of the press dans mon salon vendredi soir. Je suis très vexée.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°2 Paris Mercredi 2 juin 1852
9 heures

En revenant hier de l'Académie j’ai vu vos fenêtres fermées et j’ai passé devant votre porte sans entrer. Cela m'a souverainement déplu, j'en ai été attristé le reste du jour. L'affection et l'habitude, ce sont deux puissants Dieux.
L'Académie elle-même se dépeuple. Hier M. Molé, M. Cousin, M. de Montalembert, le Chancelier n’y étaient pas. Barante part demain. Je partirai probablement le 12. Je suis pressé d'aller m'établir dans mon nid de campagne. A défaut des douceurs de la société au moins faut-il avoir celles de la solitude, le grand air et la liberté.
Montebello est revenu hier de sa Champagne. Il l'a trouvée froide, l'humeur renaissant un peu dans les villes et l'indifférence dans les campagnes, mais un grand parti pris de tranquillité. Tant que le gouvernement fera passablement son métier de gendarme et d'homme d'affaires, il n’a rien à craindre, on ne lui demande, et on n'en attend rien de plus. On ne sent nul besoin de l’aimer, ni de l'estimer. Je ne me résigne pas à cet abaissement et du pouvoir et du public.
J’ai rencontré hier M. de St Priest. Toujours le même modéré inintelligent, fait pour être l'esclave des fous de son parti et la Dupe des intrigants du parti contraire. Il avait, m'a t-il dit de bonnes nouvelles de Claremont. Le capitaine, Brayer envoyé à Frohsdorf avec de très bonnes paroles ; il aurait l’air d'en douter, par décence de légitimiste, mais au fond, il y croyait. Il était sûr aussi que le petit article des Débats, sur Changarnier, était faux et avait été inséré, sans l'autorisation du Général.
Je n'ai moi, aucune nouvelle de Claremont. J'en attends ces jours-ci. Je vois que la Reine, les Princes et M. Isturitz sont allés recevoir à Douvres le Duc et la Duchesse de Montpensier. L'entrevue sera assez curieuse entre les nouveau débarqués et la Reine Victoria ; ils avaient bien de l'humeur quand ils ont été obligés de quitter précipitamment l'Angleterre dans les premiers jours de mars 1848. Mais le temps, la chute de Palmerston et l’amitié de la Reine Victoria pas à cet abaissement et du pouvoir et du pour la famille effaceront tout.
Le Constitutionnel publie ce matin, sauf quelques phrases, la lettre de Fernand de la Ferronnays et la commente avec convenance et perfidie. C’est tout simple. Je persiste dans mon opinion. Le comte de Chambord a eu raison, au fond ; sa lettre l’a grandi, lui, et contribuera beaucoup à isoler de plus en plus le président en France, comme votre Empereur l'isole en Europe ; mais il fallait un autre langage ; il fallait se montrer plus touché des sacrifices et des tristesses qu’on imposait à son propre parti, et en mieux présenter les motifs.
Vous m'avez peut-être entendu dire qu’on disait que M. Duvergier de Hauranne allait fonder à Gênes un journal, dans l’intérêt de son opinion. Il paraît que ce n’est pas, M. Duvergier, mais le Roi de Naples qui veut fonder ce journal, intitulé Il mediterraneo, et écrit en Italien quoique rédigé par un réfugié Français ; et ce n’est pas au profit des opinions et du parti de M. Duvergier, mais contre le gouvernement Piémontais qu’il sera rédigé. On en a beaucoup d'humeur à Turin et on y parle aigrement de l’ambition et des intrigues du Roi de Naples.

4 heures
J’ai des nouvelles de Claremont. de bonne source, et malgré votre scepticisme et le mien elles me paraissent bonnes. On se dit décidé à ne pas attendre l'Empire et à saisir l'occasion du retour du Duc de Montpensier à travers l'Allemagne pour faire une démarche décisive. Nous verrons. Le porteur, si vous avez le temps de l'écouter, vous donnera des détails.
Dumon, qui sort de chez moi est très frappé de ce qu’on nous dit. Il paraît que la situation de Flahaut à Londres est bien désagréable. On dit que le 5 mai, la Reine l’avait invité à Buckingham Palace, et qu’il n’y est pas allé, à cause de la date. On a trouvé que, pour Walewski, c'était bien, mais que pour Flahaut c'était trop. On ne l’invite plus dit-on.
Vous ririez bien si je vous disais les inquiétudes que cause à quelques personnes, à quelques uns de vos amis, votre voyage. Ils craignent votre action auprès de l'Empereur en faveur du Président ; ils disent que l’Elysée compte tout-à-fait sur vous. Si l'Empire se fait en votre absence, c’est vous qui l'aurez fait. Adieu.
Ceci vous sera remis demain matin. Je vous écrirai demain à Schlangenbad. Je serai bien content quand je vous saurai arrivée, et sinon reposée, du moins calmée. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 4 nov. 1851

Je jouis encore de vos deux lignes d'hier. J’espère bien en avoir quelques unes aujourd’hui. Pourvu que votre soirée de Dimanche ne vous ait pas trop fatiguée. Entre le besoin de distraction et la crainte d’agitation, vous êtes très difficile à arranger. Pourtant, je penche, en général du côté de la distraction, l'ennui vous agite plus que la fatigue.
Je suis fort aise que Molé soit pressé de me voir ; mais la presse quant aux choses mêmes n’est pas si grande. Je ne crois pas tant à ma nécessité et à mon efficacité que quelques jours de plus ou de moins y fassent quelque chose. En fait d'envie de hâter mon départ, j'ai résisté à mieux que cela. Je serai à Paris dans huit jours, et bien à temps pour n’y rien faire. J’ai absolument besoin de cette semaine pour ma réponse à M. de Montalembert qui est en bon train.
J’ai bien envie que vous ayez pu voir Mérode avant mon arrivée, et lui dire ce que je vous ai dit du discours de son beau-frère ; discours dont on peut tirer un grand succès, et un grand effet, et qui, s'il restait tel qu’il est, serait probablement pour lui, l'occasion d’un grand échec, comme son rapport sur la loi du Dimanche.
Je suis désolé que le Duc de Montmorency ne soit pas parti. C'était très bien, comme vous l’avez senti au premier moment. Et s’il ne va pas, parce que Thiers ne l'aura pas voulu, ce sera déplorable. Déplorable comme fait, déplorable comme symptôme. Je fais ce que je puis pour me persuader qu’il y a moyen de nous tirer de nos vieilles ornières. Nous y retombons toujours. Etrange pays aussi obstiné que mobile !
Sait-on enfin positivement si c’est la Reine, ou le Duc de Nemours qui a écrit au comte de Chambord, et si réellement on a écrit ? Je ne veux pas croire qu’on se soit borné au service funèbre de Claremont et d’Eisenach.
J’ai vu hier les députés d’ici partant le soir pour l'Assemblée. Ils partent semés. Rejet de l'abrogation de la loi du 11 Mai ; ajournement de la proposition Créton ; et puis, adoption de la loi municipale et de modifications indirectes qu’elle introduit dans la loi du 11 mai. Parti pris de tout subordonner au maintien d’une majorité de 400 voix. Je m'étonne que M. Molé se laisse aller, ou paraisse se laisser aller à un sentiment trop rude envers le Président. Ce n’est pas dans ses allures. Je ne doute pas que le président ne cherche un accommodement, et ne finisse par accepter plus que l'Assemblée elle-même lui donnera, après avoir rejeté sa propositions d’abrogation. Je crois tous les jours moins au coup d'Etat. Pas plus par le général [Saint Arnaud] que par le général Magnan. Tout le monde est un peu fou ; mais les vrais fous sont très rares.

Onze heures
Tant mieux que votre soirée de Dimanche ne vous ait pas trop fatiguée. Je vois que vous avez encore assez de force pour animer la conversation. Adieu, adieu, et merci à Marion. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer 2 Novembre 1851

Je ne suis pas malade comme vous, mais j’ai eu hier et cette nuit une forte migraine ; ce qui fait que je me lève tard, et que vous n'aurez qu’une courte lettre.
J’ai beaucoup travaillé depuis quelque temps, et je veux travailler beaucoup cette dernière semaine. Je sais le peu de temps dont je dispose à Paris. Si ma réponse à M. de Montalembert n’est pas tout-à-fait finie quand je partirai, elle en sera bien près.
J’espère bien apprendre ce matin que le mieux s'est soutenu pour vous. Ce sera parfait si je l’apprends de vous-même. Vous aurez vu que j’avais fait grand attention à l'article du Constitutionnel sur M. de Persigny, et que j'en savais le sens. Si cela aboutissait à son renvoi, ce serait en effet très significatif, et une facilité pour reculer.
Je ne suis pas inquiet de la reculade, pourvu que le débats de l'Assemblée n'enveniment pas trop les plaies. Si elle le conduit aussi sensément que sa commission de permanence, si elle cherche le succès plutôt que le bruit, elle aura certainement le succés. L’ajournement de la proposition Créton et probablement aussi de la candidature de M. le Prince de Joinville me paraît être la résultat naturel et obligé de la situation actuelle. Il n'y a de majorité qu'à cette condition.
Le Duc de Montmorency est-il bien réellement parti ? J’ai des nouvelles de Duchâtel. Rien de nouveau. Mêmes observations, même impressions et mêmes conjectures que les miennes. Il ne reviendra qu'à la fin de novembre.

Onze heures
Je suis moins content aujourd’hui qu’hier. Je maudis Pétersbourg. Je sais avec qu’elle lenteur vous vous remettez de secousses pareilles. Adieu, adieu. Je ne vous ferais pas grand bien si j'étais là, mais je suis bien pressé d'y être. Adieu. Je remercie toujours Marion, vrai trèsor. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris lundi le 27 octobre 1851
Midi

Voilà le ministère. Vous saurez mieux que moi en décider la couleur. Je n’ai vu personne encore, rien que le Moniteur. A tout hasard je vous envoie les noms, car je ne sais pas si vous recevez les journaux du soir. Chasseloup était ici hier, ne sachant rien. La Redorte très curieux à entendre. Très mécontent. Le pays d'où il vient, ardent comme lui-même l’était, pas le Président ; aujourd’hui en blâme comme lui et très vivement. Faute énorme dont le Président [?] ne pourra pas se relever. L'Assemblée qui était très bas, est redevenue très respectée. Sa conduite tranquille a beaucoup plu. L'espoir et le conseil de La Redorte sont qu’elle continue comme cela mais qu’elle tienne bon et ferme. Jamais accorder l'abrogation. Selon ce qu'il avait recueilli dans 24 heures, grande consternation à l’Elysée du jugement si unanime de toutes les classes élevées. Heckern me disait hier que Morny & Persigny se disputent l'influence. Morny pour qu'on recule. Persigny pour qu'on avance. Je suppose que le ministère est dans l’opinion Morny.
J’ai rencontré hier le Président il avait l’air fort triste. Les diplomates curieux, inquiets de l’inquiétude de leurs gouvernements. Mad. de la Redorte a pris le deuil de la Dauphine. Mad. Roger aussi chez moi hier soir. Celle-ci blame & noir. L’autre tout noir. Les dames russes sont venues chez moi hier en deuil. Je les en ai louées. Est-ce loué ? ou louées ? La Redorte dit que ce qui cause le blâme universel c'est que la politique personnelle marche à front découvert. Adieu. Adieu.
Rien encore de Pétersbourg. Peut-être aurai-je pour toute réponse le silence. Est-il possible ! Je suis toujours misérable. Un artichaut & deux quenelles de volaille, les forces s'en vont. Adieu. Adieu.
Corbin Justice
Turgot. Aff. étrangères
Charles Giraud Instruction
Thorigny Intérieur
Casabianca agriculture
Lacrosse travaux publics
Saint-Arnaud la guerre
Fortoul marine
Blondel Finances
Maupas La police.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 13 Oct. 1851

La conversation de mon petit homme, vous aura intéressée. Le résultat de son voyage sera bon. Il importe beaucoup que le Journal des Débats se tienne en dehors de toute cette intrigue, et le langage du Duc de Broglie à cet égard a été aussi net ; aussi positif que le mien. L’ébranlement me paraît grand sur la loi du 31 mai. Si le Président se sépare dans cette question, du parti de l’ordre et fait un pacte quelconque avec la gauche, ou une portion quelconque de la gauche, il se tire d’un embarras du moment pour se perdre infailliblement un peu plus tard. Si au contraire il manoeuvre bien un peu en dehors du, et un peu de concert avec le parti de l'ordre, il peut amener, à la loi du 31 mai, certaines modifications qui mettront fin à cette question entre les honnêtes gens, et dont il aura, lui président, le profit comme l’honneur, en restant séparé de la Montagne, comme il l’est à présent ce qui est pour lui selon moi, la condition du Salut. Le Président a entre les mains, dans cette question de la loi du 31 mai, un moyen de négociation avec les diverses fractions du parti de l’ordre, qui peut l'aider beaucoup, s'il sait s'en servir à résoudre les autres questions embarrassantes et périlleuses pour lui. Créton, révision, élections & & &.
On me mandait la note de Palmerston à Francfort au moment où vous m'en parliez. Ce serait un acte inconcevable si ce n’était pas un système. Il est décidé à se porter partout, le patron des littéraux, sans s’inquiéter de savoir s’ils sont ou non des révolutionnaires chez lui, il ne craint pas la contagion ; et au dehors, le patronage lui sert. Je suis convaincu que c'est une détestable politique, pour l'Angleterre comme pour le continent ; mais c’est la politique bien arrêtée de Palmerston, non seulement il la pratique, mais il y croit. C'est son esprit qu’il faudrait changer. On y réussirait encore moins qu'à le renverser. Kossuth l’embarrassera. Mais il n'est pas embarrassé de recaler. Surtout quand il n’y a rien à faire, et qu’il ne s’agit que de modifier un peu le ton du Globe ou du Morning-Post.
Kossuth est un grand ignorant ou un grand sot. Il a gâté, pour plaire un moment aux Jacobins de France, toute sa position en Angleterre. J'attendrai avec impatience, le résultat. de votre lettre à l'Empereur. Votre fils Alexandre me préoccupe. Pauvre garçon, accoutumé à Naples, à Castellamare, à se promener dans toute l’Europe, pour s'amuser ou pour se guérir. Échanger cela contre Pétersbourg ou le Caucase.
J'ai reçu hier une lettre de Saint-Aignan qui me frappe assez par sa vivacité contre la candidature du Prince de Joinville. C’est fort simple de sa part car il est, lui, très fusionniste. Mais son langage m'indique qu’il y a là tout un coin de l'ancien orléanisme à qui cette candidature déplaît mortellement. 1 heures Ce n'est pas la brièveté de votre lettre, ni l'absence de nouvelles. qui me déplaît ; ce sont vos nerfs et votre insomnie. Guérissez de cela ; je me consolerai du reste. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris samedi le 11 octobre 1851

J’ai enfin dormi, et c'est là tout ce que j'ai à vous apprendre. Les journaux sont pleins du bruit d'un changement. Votre petit ami auquel j’ai confié ma lettre hier, a pu vous porter les dernières nouvelles. Moi, je les ignore, entièrement. Je n’ai vu personne qui pût m'en donner. Viel-Castel ne sait ou ne dit jamais rien, & c’est le plus capable de mes visiteurs d’hier. Lasteyrie a parlé avec humeur feinte ou réelle de la conduite des Princes qui font toujours des bêtises. Il a parlé aussi avec une colère très sincère quoique contenu de Changarnier et tout joute sincère parce qu’elle était coutume. Il croit à la réélection du Président. Me voilà au bout.
Mon fils Paul va venir. Je le crois très effrayé. S’il va en Russie, ce sera pour lui bien pire que pour son frère. Et s’il ne va pas dans 6 mois on met le séquestre sur ses biens. Ce qu'il fera probablement sera de vendre ses terres et très mal. Comme il a des capitaux cela ne le dérangera pas. Et pour ce qu'il dépense il restera toujours beaucoup trop riche. Nicolas Pahlen va venir passer l'hiver à Paris. Kossuth fait un véritable événement en Angleterre. Palmerston reculera certainement. Le Morning post l’indique. Le journal des Débats serait-il bien informé à propos de Gladstone Palmerston & la diète de Francfort ? Hubner revient aujourd’hui de Corse. Adieu. adieu
Francfort est vrai. Je viens de l’apprendre à l’instant.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 11 Oct 1851
Sept heures

Cela me déplait bien de n'avoir pas eu de lettre hier. J'espère que ce n’est pas autre chose, qu'une méprise de domestique ou de la poste quand on s'écrit tous les jours, il est difficile que cela n’arrive jamais. Si vous étiez souffrante, je compte que Marion m'écrirait. Je le lui demande formellement quoique je ne crois pas avoir besoin de le lui demander.
On me mande de source certaine, que le général Changarnier a formellement déclaré qu’il s'abstiendrait dans la proposition Créton, et qu’une fois sa candidature acceptée par les légitimistes, il la maintiendrait envers et contre tous, y compris M. le Prince de Joinville lui demandât-il lui-même de la retirer. Que le Général ait dit cela, je n'en puis guère douter. Qu'est-ce que cela veut dire ? Est-ce de sa part, un acte indépendant et vraiment personnel, ou bien est-ce arrangé avec Thiers, de l'aveu de Claremont ? Est-ce une manière de retirer, sous main, la candidature du Prince de Joinville, et d’y substituer celle de Changarnier en la faisant accepter d’abord par les légitimistes ? Ceci serait très possible, s’il était possible que Changarnier se prêtât à une telle rouerie. On me mande d'ailleurs que Thiers travaille décidément à faire sa retraite sur la candidature Joinville. On ajoute que le gâchis va croissant. Quand il n'y a pas moyen d'empêcher le gâchis, il faut au moins y voir clair.
Je vois que le manifeste de Kossuth à Marseille commence à faire en Angleterre l'effet que j'ai prévu. Les indifférents, comme le Times, comprennent et attaquent. Les bienveillants comme le Globe essayent d'excuser. Palmerston trouve sûrement que Kossuth est un maladroit, qui lui gâte son jeu. Nos journaux à nous n'exploitent pas assez cet incident. Ils devraient commenter le manifeste, et l'admiration qu’en témoignent les révolutionnaires. Cela aiderait les Anglais à comprendre.
Dans la solitude où vous laisse votre diplomatie n’entendez-vous rien dire du tout de ce qui se prépare en Autriche ? Je suis curieux de savoir comment s'arrangeront ensemble les deux idées qui sont là en présence : fortifier l’unité de la Monarchie autrichienne, et laisser à chacun des Etats qui la comptent, une existence et des institutions locales. La conciliation est difficile. C'est cependant le problème. Je présume que c’est la Hongrie qui paiera tous les frais de la Révolution.
9 heures
Génie arrive et me remet votre lettre. Je vous pardonne et je ne vous pardonne pas. Il était bien aise de me faire écrire deux lignes par Marion. Votre lettre à l'Empereur est ce qu’elle doit être pour réussir. Si elle ne réussit pas, je n'en parlerai plus. La lettre à l'Impératrice devait suffire. Je ne suppose pas qu’elle ne la lui ait pas montrée, ou qu’il ait voulu que vous lui demandassiez cette grâce à lui-même. Adieu, adieu. La conversation qui m'arrive est curieuse. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 8 Oct. 1851

Avez-vous remarqué, il y a deux jours dans les Débats un article de John Lemoinne sur Pacifico et Lord Palmerston ? La moquerie était bonne et poignante. Il est vrai qu’il y avait de quoi. Les Anglais seuls ont le talent d’être à la fois puissants et ridicules. Malgré ses éloges pour notre ami, je ne goûte pas beaucoup le discours, de Sir James Graham à Aberdeen. Vide et mou. Des promesses de concessions cachées sous un manteau de conservateur. C'est de là que viennent mes véritables craintes pour l'Angleterre.
Et le manifeste de Kossuth ? Rien ne pouvait donner plus raison à l’interdiction dont il a été l'objet. Un des trois hommes de sens qui, dans le Common Council de la cité, ont voté contre l’accueil solennel préparé pour Kossuth à Londres, devrait demander quand il y arrivera, la lecture publique de cette sotte déclaration. J’ai peine à croire que le bon sens Anglais n'en fût pas choqué.
Ma feuille jaune raconte tous les embarras de Changarnier à propos de son messager de l’Assemblée. Je les comprends. Le général approche du pied du mur. Plus j'y regarde, plus je me persuade que sa candidature n’a point de chances. Il aurait fallu, pour la préparer, une tout autre conduite que celle qu’il a tenue et qu’il tient encore.
Vous voyez que, moi aussi, je n’ai rien à vous dire. Je reçois beaucoup de visites locales. On vient me parler des élections. La préoccupation sérieuse commence. Elle ira vite quand les débats de l'assemblée auront recommencé. Je me tiens parfaitement tranquille. Je ne vais nulle part. Guillaume le conquérant seul aura le pouvoir de me faire faire une course dans mes environs. Je ne sais si j’aurai encore, dans ma vie, quelque chose de considérable à faire ; ce que je sais bien c’est qu’il faudra que la circonstance vienne me chercher chez moi.

10 heures
Voilà deux visiteurs qui m’arrivent de Caen, avant le facteur. Je vous dis adieu en hâte. Je ne fermerai pourtant ma lettre qu'après l’arrivée de la poste. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Lundi 6 Oct. 1851

Avez-vous lu Baruch ? Baruch c'est l'article de M. Vitet sur M. de Barante et la Convention, inséré dans la Revue des deux mondes et répété dans l'Assemblée nationale. C'est excellent. Je n’ai rien lu de meilleur ni qui fasse justice plus ferme et plus claire de tous les révolutionnaires, passés ou présents, acteurs ou historiens de révolutions. C'est un peu long pour vos yeux. si vous ne l’avez pas lu, priez Marion de vous le lire ; elle y prendra plaisir comme vous.
Les légitimistes ont raison dans les deux résolutions qu'ils ont prises et ils feront bien de prendre la troisième, celle de voter pour le président tant que le rétablissement de la monarchie par la fusion ne sera pas possible. Monarchiques dès que cela se pourra, et gouvernementaux au profit de l’ordre, et de la paix tant que cela ne se pourra pas, voilà leur rôle. Rôle qui non seulement convient à leur intérêt de parti, car il leur épargne l’échec définitif et empêche qu'on ne leur souffle la Monarchie ; mais qui les met en sympathie et en bons termes avec la masse de la population, ce dont ils ont grand besoin. La France est monarchique au fond, et gouvernementale en attendant ; que les légitimistes soient comme elle, c'est, pour eux, le meilleur; moyen d'amener la France à être un peu comme eux ; ce qu’il faut absolument pour que la fusion et la Monarchie deviennent possibles. Que dit-on de la reculade de Thiers dans l'ordre ? Ce n'est pas lui qui a eu la pensée de la candidature du Prince de Joinville ; il ne l'a pas conseillée ; il n'en accepte pas la responsabilité. Je le reconnais bien là ; étourdi et irrésolu, téméraire et timide, ne poursuivant jamais, dans les mauvais pas les lièvres qu’il a levés. Reste à savoir si cette reculade est une manœuvre calculée ou un mouvement de retraite par embarras.
Henriette me quitte aujourd'hui et partira le 16 de Paris pour Rome. Seriez- vous assez bonne pour demander, de ma part, à M. de Hatzfeldt, s'il pourrait donner à M. de Witt quelques mots de recommandation pour M. d'Usedom qui est toujours, je crois Ministre de Prusse à Rome, et qu’on dit homme d’esprit. Ma fille, très bonne Protestante comme vous savez, désire avoir à Rome quelques connaissances protestantes surtout dans la légation de Prusse qui a à Rome une chapelle. Je donnerai à M. de Witt une lettre pour Garibaldi qu’il ira lui porter lui-même pour en avoir quelque appui auprès de la douane de Civita Vecchia, qui est, dit-on, assez difficile. Ils comptent vivre à Rome très retirés ; mais encore faut-il faire entrer ses malles et y pratiquer sa religion sans embarras. Vous serait-il possible de savoir où sont à présent, le Duc et la Duchesse de Mignano ? S'ils étaient à Rome, la Duchesse serait pour ma fille une ressource. Mais j’en doute. Onze heures Je n’ai rien de plus à vous dire qu'adieu, en attendant mieux. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Vendredi 3 Oct. 1851

J’ai eu hier à l'occasion de votre lettre un long entretien avec mon fils. Deux bons résultats. Je crois le mal moindre qu'on ne vous l'a dit. J'espère qu’il ne se reproduira pas. Je suis sûr, autant qu'on peut l'être, qu’il m'a dit vrai. Il est naturellement vrai, et il me respecte beaucoup. Il est convenu de ce qui avait pu donner lieu à ce qu'on vous a dit. Il usera beaucoup moins l’hiver prochain du spectacle, du bal et du monde. A travers sa popularité, il croit avoir dans son collège, un camarade envieux et ennemi, qu’il a déjà rencontré parlant mal de lui et s'appliquant à lui nuire. Son caractère à lui a besoin d'être contenu. Il a de la vivacité et du laisser aller. Double danger. L’esprit est juste, le cœur très droit et très affectueux. J'y veillerai de plus près. Vous avez très bien fait de m'avertir et je vous en remercie encore. La vérité est toujours bonne à savoir, et venant par vous, elle ne peut m'être déplaisante, fût-elle amère.
Mon fils se porte très bien. Il a mené ici, depuis six semaines, une vie de mouvement physique, et de repos domestique qui lui a parfaitement réussi. Il retourne lundi à Paris, en même temps qu'Henriette, pour rentrer au Collège. Il logera chez son Professeur jusqu'à mon retour. Henriette partira de Paris le 16 ou le 17, pour s'embarquer à Marseille par le bateau du 21.
Avez-vous lu dans les Débats la note française du 19 Juillet à la Diète sur l'incorporation de tous les états autrichiens dans la confédération ? Elle est solide au fond ; quoique confuse et tronquée. Je suis curieux de savoir. Si cette question sera bientôt reprise à Francfort et si le Prince de Metternich, exprimera un avis.
Mon journal jaune dit que la candidature du Prince de Joinville, en remplacement du général Magnan est complètement abandonnée. En avez-vous entendu parler ? A en juger par l'impression que je vois se répandre et grandir autour de moi, Fould a raison. Plus on approche de la crise, plus le désir du Statu quo se prononce. Toutes les peurs et tous les doutes sont au profit du Président. Il a là une puissante armée. Si la baisse des fonds, la langueur des travaux, tout le malaise public vont croissant, cette disposition ira aussi croissant. Ce qu’il est difficile de prévoir, c’est l'effet que produiront les débats prochains, de l’Assemblée ; ils peuvent troubler beaucoup le sentiment public et le jeter momentanément hors de sa propre pente. Ce pays-ci ne sait pas de défendre; il se retrouve quand il a été perdu ; mais on peut toujours le perdre. Je me méfie du mois de novembre.

Onze heures
Je reçois une foule de petites lettres, et il est tard. Adieu, Adieu. Je vais lire l'article du Constitutionnel. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 27 Sept 1851

Le pasteur de Caen est arrivé hier soir. J'accompagnerai l'enfant ce matin au cimetière du village, à une demi-lieue d’ici. La mère est bien, quoique elle ait beaucoup de peine à dormir Le temps est beau aujourd’hui. Hier, il pleuvait et grêlait à torrents.
Bien certainement, l’une des plus grandes difficultés du Gouvernement dans ce pays-ci et l'une des plus abondantes sources de nos maux, c'est l’horreur qu’ont les hommes considérables pour se dire mutuellement la vérité. Le courage de nous déplaire, les uns aux autres nous manque tout-à-fait. Que de fausses espérances et de fausses démarches on supprimerait si on supprimait la moitié seulement des réticences et des silences ! Presque tous nos embarras avec Changarnier, et une bonne partie de ses embarras à lui viennent de là. On ne les fera pas disparaître, en se traitant de grand capitaine et grand orateur. Je suppose qu’entre les légitimistes et dans le comité des douze, on n’est pas plus courageux que dans votre salon et que les embarras, les chimères et les hésitations continueront dans cet interview-là comme par le passé et comme ailleurs.
Faites-moi la grâce de demander à M. de Hatzfeldt s’il sait quel est l’auteur d’une brochure intitulée. France et Europe ; six lettres tirées du portefeuille d’un homme politique, imprimée à Berlin en 1849, et qui m’est venue de là. Brochure très monarchique et très Prussienne, assez spirituelle quoique très confuse. Quatre des lettres sont adressées à moi, à M. Thiers, à M. de Nesselrode et au Ministère Manteuffel ; elles finissent par demander un congrés de souverains.

10 heures
Je n'ai que le temps de vous dire adieu. On se réunit dans mon Cabinet pour la prière commune. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 25 Sept. 1851
4 heures

Ma petite fille est morte ce matin, deux heures après que je vous avais écrit. Sans souffrance ; elle s'est éteinte, plutôt par impossibilité de vivre que par maladie, à force de soins, on lui a donné quelques mois de vie ; mais les soins n'ont pas pu davantage. Sa mère est résignée, par soumission à Dieu et par courage naturel, mais très triste ; elle soignait son enfant avec une vigilance passionnée. Je ne crois pas que cela change rien à leur projet de passer l’hiver dans le midi. C’est surtout son mari qui en a besoin.
J’ai eu ce matin vos deux lettres. Certainement tout cela est de la pitoyable conduite. Les légitimistes n'avaient pas et n'ont pas autre chose à faire que de soutenir le président tant qu'ils ne peuvent pas avoir la Monarchie par la fusion, et non seulement de le faire, mais de dire tout haut pourquoi ils le font. Mais ils veulent suivre leurs fantaisies comme s'ils étaient assez forts pour les faire réussir. Tous les partis en France sont à la fois impuissants et intraitables. C’est un spectacle ridicule. Quelque grosse sottise passera à travers tout cela, et elle aura son temps même son temps de triomphe comme toutes les sottises. Puis elle tombera, en ayant aggravé le mal général.
Je suis très triste et très décidé à ne mettre la main dans aucune sottise. Je suis tombé. Si je ne puis pas me relever à ma satisfaction, je resterai à la place où je suis tombé.
Vous ne lisez pas le Messager. Celui qui m'est arrivé ce matin contient un grand article évidemment inspiré par Thiers sur les conférences de Champlâtreux. J'en suis toujours. L'article a l’air fait pour la présidence de Changarnier. Au fond, il laisse le choix entre le Prince de Joinville et Changarnier. Et ce choix restera ouvert jusqu'au dernier moment. Changarnier a son parti pris de n'en prendre aucun et d'être, soit en premier, soit en second, le restaurateur de n'importe laquelle des deux monarchies.
Le propos de M. Carlier, sur de nouvelles élections m'étonne. Ils ont, ce me semble plus à redouter la proposition Créton, et le vote des lois pénales contre la réélection que des élections nouvelles. Mais ils savent sans doute mieux que moi où ils en sont.

Vendredi 26 7 heures
Je me lève. La plus petite et la plus obscure mort est solennelle. Tant que cette pauvre enfant est là, toute la maison lui appartient, et n'est que son tombeau. J’ai écrit à Caen pour faire venir le Pasteur Prostestant qui réside là. Nous n'en avons pas de plus rapproché. Il arrivera ce soir ou demain matin. L’enterrement se fera demain. C’est un grand isolement, et quelques fois un grand embarras, que de n'être pas de la religion générale du pays qu'on habite. Je n’ai nul embarras ; tout mon village, y compris le Curé, est très bienveillant pour moi et se prête avec coeur à tout. Mais l'isolement subsiste toujours.

Onze heures
Votre lettre est intéressante. Et le trio a dû l'être. Vous avez bien raison de dire tout haut votre sentiment. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 25 sept. 1851

Ma petite fille est bien malade. J’ai cru hier qu’elle ne passerait pas la journée, et je la trouve plus mal ce matin qu'hier. Elle a passé une mauvaise nuit. Je m'étonne toujours de ce qu’il y a de force dans la créature la plus faible. Pauvre petite enfant ! Entrevoir à peine le jour de la vie ! Dieu sait ce qu’elle y trouverait, si elle y restait. Sa mère a beaucoup de piété et de courage.
Voici la lettre de Gladstone. Ne la laissez pas circuler, je vous prie et veuillez me la renvoyer de manière à ce que je l'aie lundi ou mardi. C’est d’un très bon et honnête homme et d’un esprit très peu politique, gouverné par ses impressions, sans penser aux conséquences de ses actions. Evidemment la lettre de Fortunato a redoublé sa colère et déterminé sa publication, sans plus attendre. Par fidélité à mon optimisme, je penche à croire qu’il sortira de cet incident deux leçons pas tout à fait inutiles : l'une, pour les hommes comme Gladstone et le public lui-même qui ne croiront plus si aisément ce qu'on leur dira ; l'autre, pour le gouvernement Napolitain qui regardera, un peu plus attentive ment à ses prisons et à ses procès.
Vous ne lisez ni la Presse, ni la Gazette de France, ni l’Univers. Ce dernier, M. Veuillot, fait depuis quelques jours aux deux autres, à M. Emile de Girardin et à M. Lourdoueix personnellement, une guerre excellente ; guerre de moraliste-confesseur plus que de journaliste ; et juge leur conduite et leurs idées avec une justice impartiale et rieuse, et une compassion sévère et moqueuse qui ne se rencontrent guère dans ce monde-là. Ce temps-ci pourrait bien devenir un temps de vraie justice envers les personnes et s'il se prolongeait un peu, bien peu de coquins et de fous en sortiraient sans avoir été réduits à leur juste valeur. Quand ils n'ont pas devant eux un gouvernement assez gros pour qu'ils concentrent tous leur feu sur lui, ils tirent les uns sur les autres et ils se mettent en pièces. C’est notre seul profit.
Voilà l'affaire de Cuba bien finie. Le Général La Concha s’est fait honneur. Il y a un grand fonds d’énergie et de dévouement dans cette race Espagnole, S'il lui arrivait un jour d'être bien gouvernée, elle ferait encore de bien grandes choses. Il est vrai que les bons gouvernements selon nos idées actuelles, sont des gouvernements pondérés, et réguliers, qui ne vont pas au caractère espagnol.

10 heures
Le médecin vient d'arriver. L'enfant est très mal. Il ne passera probablement pas la journée. Adieu, Adieu. Je retourne auprès de la mère. Merci de vos soins pour l'adresse de Montalembert. Si vous ne la trouvez pas, j'enverrai à l’un de ses amis. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 24 Sept 1851

J’ai trouvé, en y rentrant, ma maison assez triste. Ma petite fille est de nouveau très souffrante des entrailles et mon gendre souffre toujours d’une névralgie faciale obstinée. J’espère qu'un climat chaud et sec fera du bien à ces deux santés. Les médecins disent qu'ils en sont convaincus.
Je viens de parcourir ceux de mes journaux qu’on ne reçoit pas à Broglie, entr'autres le Pays. Certainement M. de Lamartine travaille à être le Ministre du Président forcé de se rapprocher du parti républicain. Sa réprimande à M. de la Guéronnière, n’est qu'un jeu convenu et il n'est pas, au fond hostile à la réélection du Président. M. de Lamartine aurait peut-être, dans cette visée, quelques chances de succès, si les partis monarchiques s'obstinent à défendre absolument, et sans admettre aucune transaction, la loi du 31 Mai. Mais cela n’est pas, et d'après mes conversations de Broglie, on est bien près de s’entendre pour modifier cette loi de manière à contenter les légitimistes sans contenter la Montagne. C'est là le problème si la modification proposée est vivement combattue à gauche et acceptée à droite, elle sera bonne, et facilitera beaucoup les élections prochaines. Il me paraît que c’est M. Léon Faucher, qui est encore l'opposant à cette modification. On se promet qu'il se rendra.
Je reviens sur M. de Chasseloup. Broglie croit que, politiquement, c’est lui qui a le plus d'intelligence, parmi les ministres actuels, et qui donne les meilleurs conseils. J’attends la poste sans impatience ; elle ne m’apportera rien de vous ce matin ; votre lettre aura été à Broglie. Je n’ai pas été à temps de vous avertir que je revenais ici sur le champ.

11 heures
La poste m’apporte une longue lettre de Gladstone que je vous enverrai. Je l'ai à peine parcourue. D’une grande candeur et modeste, mais ne changeant rien à ce que je pense du fond. Il met avec soin Lord Aberdeen, en dehors de sa publication.
Je trouve dans le Messager de l'Assemblée, un article qui n’est pas sans importance, pour la fusion et contre la candidature de Louis Napoléon, par conséquent pour la candidature de Changarnier. S’il s’était conduit depuis 18 mois avec habileté et mesure, cela serait sérieux. L'entrevue du Roi de Naples et de l'Empereur d’Autriche serait bonne. Croit-on qu'elle ait lieu ? Adieu, adieu.
J’aimerai mieux la poste de demain que celle d'aujourd'hui ; elle m’apportera vos deux lettres à la fois. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris vendredi le 19 septembre 1851

J'ai vu hier M. Fould très longtemps. On ne songe pas à un coup d'État. Il serait sans aucune cause ni prétexte à présent. L'Assemblée se réunira. La [proposition] Creton sera rejetée. La loi pénale pour vote inconstitutionnel sera rejetée. La révision aura au moins la même majorité. Mais alors, le prétexte est trouvé. Devant tant de manifes tations du voeu public entravé par la minorité révolutionnaire, il faut faire. Qui fera ? C’est incertain. L’irrégularité sera commise de l’une ces trois manières : de concert avec l'Assemblée, sans l’Assemblée, ou par le pays. Pourquoi les légitimistes sont-ils si mal pour le Président ? Pourquoi un dédain dans leurs journaux ? Il est sensible aux bons comme aux mauvais procédés. Si on s'approche on sera accueillis. Très disposé à bien recevoir M. Molé moi, mais il faut que quelqu’un commence. (deux fois dans la conversation & sans aucune provocation de ma part) Le Président ne songe pas à se marier. Il n’a point, il n’aura point de dynastie. Il ne se fera pas empereur et l’avenir de la France y songe-t-il ? Henry V hériterait de lui. A part cela, la conversation a été bonne et sensée. Il est parfaitement sûr de son affaire. Le Président n’a qu’à attendre. On lui sait gré de sa patience. Joinville n’a pas de chances et en eut-il tant mieux car c’est cela qui rallie les hommes sensés au président. J’ai parlé de l’Assemblée prochaine, il n’a pas pris cela beaucoup au sérieux on ne peut pas recommencer ce mode de suffrages. C'est une loterie. On peut avoir une chambre rouge tout comme une bonne chambre. Le vote par arrondissement. Il faut revenir à cela. J’en conclus que le coup d’état qui doit se faire embrasserait cette question aussi. Je crois vous avoir répété l’essentiel.
Certainement toute la manière de Fould indiquerait de la tranquillité & de la confiance. Il regrette qu’il n’y ait pas de rencontres. Si on se parlait cela pourrait aller mieux. J'ai manqué hier le duc de Noailles. Je le regrette. Je suis inquiète de Montebello. Il n’est pas venu me voir, & je vois qu'il n'a pas été à la commission. Le voici qui m’a interrompue. Sa femme avait été mal. Elle va mieux j’ai dormi. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 16 septembre 1851 Mardi

Depuis minuit je n'ai pas dormi. Voilà une belle nuit ! Je suis accablée. Comment pouvez-vous penser que Metternich soit aise de l’article du [Journal] des Débats. Si quelque chose pouvait l’empêcher d’aller à Vienne ce serait cet article. C'est un bien mauvais service qu’on lui a rendu là. Il l’aura lu en route. C'est avant hier qu'il a dû quitter le Johannisberg.
Le duc de Noailles est venu hier chez moi tout éploré. Il se rendait à Mouchy de Maintenon où la nouvelle de la mort de la Vicomtesse est venue le trouver hier matin. Elle était morte subitement dans la nuit. C'est encore une perte. pour le parti, & un peu pour le monde. Montebello avait eu le matin par un voyageur des nouvelles curieuses de Claremont. Le prince de Joinville disant que si des troubles survenaient en France il répondait au Constitutionnel en allant en Bretagne planter son drapeau c.a. d. celui de Henry V. La Bretagne étant la province la plus légitimiste de France. Il dit encore qu'on se moque de lui ou qu'on l’offense quand on suppose qu'il puisse jamais accepter d'être président. Ceci vient d’excellente source. On se le redit avec précaution. Le Times effraie tout le monde. Qu’est-ce que c'est que vos Princes ? Je les tiens en grand mépris.
Je n’ai rien à vous dire. La journée s'est passée hier très bien. On avait cru à quelque chose. Le président a été très bien reçu partout. Adieu. Adieu. Voilà encore de l’Indépendance

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris lundi le 15 septembre 1851

J'ai mené hier Kisseleff à [?] nous y avons passé deux heures. Je suis revenue dîner chez moi. J’ai trouvé très occupé de ce qui doit, ou de ce qui devrait se passer. S'il voyait le président voici le conseil qu'il lui donnerait. Une présence de cette multitude de partis incohérents voulant les uns une chose, les autres une autre, devant l'impossibilité de parvenir à s’entendre, lui le représentant de 6 millions se croit le devoir et le droit d’aviser & de sauver le pays et il le proclame.
La Constitution est suspendue, la France en état de siège. Il appelle à lui un ou deux représentants de chacun des partis honnêtes du pays. Et dans ce conseil intime on délibère et décide d'une autre forme de gouvernement et puis on l'impose au pays. Tout ceci demande des mesures vives. Ainsi, l’arrestation de tous les meneurs incommodes, [?] Cavaignac & Changarnier. Si le Président ne fait rien du tout, ou s'il fait tièdement, il est perdu et la France avec lui. Il ne faut pas risquer la proposition Creton. Voilà en gros & brutalement l’opinion de [?], je vous prie de ne point me compromettre ni lui. J'ai vu assez de monde hier soir mais je ne sais rien. On s’étonne bien de l’article sur l’Autriche & le Prince Metternich dans Le Journal des Débats. [?] au corsaire ou au charivari de parler de [?] qui arrivent solennellement, mais M. Bertin a vécu dans le monde.
Il n'y a pas un mot de vrai dans tout ce qui est relatif à Metternich, il va à Vienne parce que depuis longtemps il aurait pu le faire, mais il n'a pas été invité. Je suis bien contente de ce que dit le Times sur Gladstone. Morny a vu Mallak mais cela a été sans importance. Après mes insomnies, vient mon estomac. Un grand dérangement. Je n’ai pas de Médecin. Oliffe arrive enfin demain. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 14 sept. 1851

Ce que vous me dîtes du petit orage contre les Lettres du Times ne me surprend pas du tout. On veut le but ; mais on ne veut ni prendre la peine, ni courir le risque des moyens. Et dès qu’on découvre dans les moyens quelque imperfection un côté faible, on s'y rue et on s'enfuit par là, pour échapper à toute responsabilité. Les hommes ne sont ni plus conséquents, ni plus braves que cela ; je le sais depuis longtemps. Avant d'aller à Claremont, j'ai dit tout haut à bien des gens ce que j’y voulais dire. Quand je me suis trouvé dans le salon de la Reine, j'ai dit en grande partie, tout haut ce que j’avais dit que j’y dirais. Après en être sorti, j'ai redit tout haut, à bien des gens, ce que j'y avais dit. Quoi d'étonnant que tout cela se retrouve dans les lettres du correspondant du Times ? Je ne réponds pas des erreurs des confusions et des inconvenances qui s’y trouvent mêlées, et je ne regrette pas la publicité que reçoit ainsi ce qu’il y a de vrai, car je l'ai voulue. Pour mon propre honneur et pour le succès de la bonne cause qui a besoin qu'on fasse échouer la mauvaise. Voilà mon langage. Je n'en sortirai pas.
Je m'étonne aussi que le Duc de Noailles ne soit pas venu vous voir. On a raison de faire venir M. de Falloux. Soit dans l’intérieur du parti, soit dans ses relations extérieures, on ne peut pas se passer de lui. C’est bien dommage qu’il soit d’une si mauvaise santé.
Autre étonnement, c’est le gouvernement anglais donnant raison aux Américains à propos de Cuba. Valdegamas en est-il bien sûr ? La lettre d'Isturitz au Times m’a tout l’air au contraire d'être concertée avec Lord Palmerston. Si Valdegamas a raison, c’est certainement une grande hypocrisie et une grande platitude de Palmerston envers les Américains. Il ne veut pas contrarier là, le sentiment populaire et il n'agira en faveur de l’Espagne, que sous main. Les Etats-Unis sont une bien grande Puissance
Il faut que la garçonnade soit bien inhérente aux Français, car tous les partis en France, grands ou petits ont leur Gascon, qui même est quelquefois leur héros. M. de La Rochejaquelein est certainement le premier de tous. On me dit ici que sa réélection comme député, dans son département du Morbihan, n'est pas du tout certaine. Je serais bien surpris si, pour être président, il avait dans toute la France, 50,000 voix. Je ne sais rien d'une entrevue de Morny avec Mallac. Je n’y crois pas.

11 heures
Je suis charmé que vous ayez un peu mieux dormi. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Samedi 13 sept 1851

Je désire que le Président soit dans la disposition dans laquelle Hübner croit l'avoir vu. C'est, je pense, la meilleure, pour lui comme pour nous. Malgré l'éloquence de Barante, la candidature du Prince de Joinville ne me semble pas en progrès ; elle ne supporte pas d’être longtemps sur la scène. Je persiste à ne pas comprendre pourquoi on l’y a mise sitôt. Le calcul est bien faux ou l’étourderie bien grande. La colère de ses partisans est la meilleure preuve que j’ai frappé juste et à propos.
Merci des articles de l'Indépendance belge. Tout cela, c’est toujours du Thiers. Il a à lui le [Rogier], aussi bien que le [Rogier] et presque toutes ces correspondances, sont faites sous ses yeux et par son souffle. Le leading article, je crois, aussi bien que les correspondances. C'est de la politique du Rogier de Bruxelles, ministérielle plutôt que royale. Le Roi Léopold n'est jamais, si agressif, même quand au fond, il est décidé. Et je doute qu’il soit décidé. Nous verrons. Tout cela fait une grosse affaire. J’y ai pris la seule attitude qui me convienne. Advienne que pourra. Il y a un avantage à devenir vieux ; on tient plus à avoir raison et moins à réussir quoiqu'on aie moins de temps, pour attendre le succès.
Malgre les menaces de Changarnier, je ne crois guère à des luttes violentes au mois de mai. Si le vent souffle dans les voiles du président, les résistances annoncées seront balayées, avant de commencer, si le vent ne souffle pas, il y aura embarras pour tout le monde, mais non pas lutte déclarée. Voilà mes pronostics. Nous avons le temps d'y regarder et d'y penser.
Profitez-vous de cet admirable temps pour vous promener, et comment vous en trouvez-vous ? Le soleil ne nous quitte pas depuis huit jours, et la verdure est encore très fraîche. Mais l’air aussi est frais presque déjà froid. Je crois que ma fille aînée, son mari et son enfant iront passer l'hiver dans le midi probablement à Hyères. Leur médecin, le leur recommande fort, pour la santé, et de la petite fille qui est toujours délicate, et du père qui souffre d’une névralgie dans la tête, pour laquelle on dit que la chaleur est nécessaire. Mon autre ménage se porte à merveille.
C'est en effet une perte que la Duchesse de Maillé. Elle était très fusionniste avec le cœur franc, le verbe haut et une bonne maison, ou beaucoup de gens avaient coutume d'aller. Quand je verrai Mad. de Boigne, je lui dirai que sa belle soeur Mad d'Osmond devrait prendre la place de Mad de Maillé. Elle a toutes les conditions extérieures qui conviennent pour cela. Je ne sais si personnellement, elle y est très propre. J'en doute, quoiqu’elle ait de l’esprit. Si je ne me trompe, elle est fusionniste aussi.

11 heures
Votre mosaïque est très utile. C’est un miroir. Il faut savoir tout ce qui se dit même quand on n'en doit pas tenir compte. Mais écrivez-moi donc que vos nuits sont meilleures. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 8 Sept. 1851

Quand je me décide à poursuivre un but ou à faire une démarche, je prends en même temps mon parti des inconvénients du but, ou de la démarche ; il n’y a point d’action qui n'ait son péril et point de succès qui ne se paye.
Je ne veux pas de la candidature du Prince de Joinville ; je la trouve peu honorable et fatale. J'ai voulu qu'on sût mon avis à Claremont, et qu’on sût ailleurs que j’avais dit mon avis à Claremont. D'abord pour mon propre honneur, et pour la liberté de ma conduite, mais aussi pour influer, s'il est possible sur l'événement même et pour écarter ou faire échouer d'avance cette candidature. J’ai donc parlé tout haut à Claremont et partout.
La lettre du Times est pleine de méprises, d'omissions de confusions et d'incon venances ; mais le fond est vrai, et l'effet de la publicité de cette vérité est bon. Je ne m'en plains donc pas. Quand j’ai fait ce que j’ai fait, je savais bien que si je ne le faisais pas, d'autres ne le feraient pas. Je suis de ceux qui attaquent le mal et non pas de ceux qui se contentent de le critiquer. Soyez tranquille ; je ne serai pas brouillé avec Claremont pour cela. On y a certainement beaucoup d'humeur contre moi ; mais on ne se brouille pas parce qu'on a de l'humeur. Tous les Princes sont prudents. Et puis il y en a là qui m’approuvent, quoique je les embarrasse.
L'article du Constitutionnel sur les Débats est bien inopportun. Quand on veut réussir, il faut savoir se taire et être modeste dans le succès ; mais peu importe le succès aux journalistes. Ils sacrifient tout au plaisir de la vanterie et de la taquinerie. Énorme difficulté dans les affaires.
Mad la Duchesse d'Orléans a quitté Claremont avant que M. le Duc d’Aumale y fût arrivé. La délibération de famille ne sera donc pas complète ; il y manquera une grosse pièce. On ne donne pas ses pouvoirs indéfiniment en pareil cas. Je trouve ce voyage de Mad. la Duchesse d'Orléans assez singulier dans ce moment. Du reste ils peuvent rester encore indécis et silencieux. Elle sera sûrement de retour à Claremont au mois de Novembre. Je suis curieux de savoir si Thiers restera à Paris. Son journal l'Ordre devient bien violent contre les légitimistes et les fusionnistes.

10 heures
Je n'ai que le temps de fermer ma lettre. Je viens d'en écrire une très longue à Croker qui en avait besoin pour le L. R. Merci des détails que vous me donnez. Je suis bien aise que Changarnier aille à Champlâtreux avec Montebello. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 7 sept. 1851

Aberdeen et Gladstone ont fait chacun une faute peu anglaise. Evidemment Gladstone devait attendre pour publier, la réponse du Prince de Schwartzemberg puisqu'il l’avait provoquée ; et quand Aberdeen a vu que Gladstone voulait publier sans attendre, il devait lui refuser absolument l’usage de son nom. Gladstone a eu, pour lui-même, une impatience d'enfant, et Aberdeen a eu pour Gladstone une faiblesse d’amant. C’est très fâcheux, car évidemment aussi, si Gladstone avait attendu quelques jours de plus, la lettre de Schwartzemberg lui aurait donné, un commencement de satisfaction ; il n'aurait pas publié ses lettres ; Schwartzemberg aurait fait à Naples quelque démarche et obtenu quelques adoucissements. Il y aurait eu un peu de bien et point de bruit ; il y a beaucoup de bruit et point de bien. Je leur dirai quelque chose de cela à tous les deux. J’ai là deux excellents amis dont l’un n'a pas un jugement bien sûr, ni l’autre un caractère bien fort. Du reste la lettre d'Aberdeen m’a fait plaisir en ce sens qu'elle m'a prouvé qu’il avait sérieusement agi pour empêcher la publication, et que le Prince de Schwartzenberg l'avait sérieusement écouté. C'est bien dommage que la chose ait mal tourné ; Aberdeen y perdra de son crédit à Vienne et Schwarzenberg de sa bonne disposition.
Vous avez certainement répondu à Beauvale que le récit du Times était vrai. Il y a bien des méprises et des omissions ; mais peu importe l'effet est produit. Et à en juger par l'effet produit à Paris et sur les journaux, je ne serais pas étonné qu'à Claremont, il y eût aussi quelque effet par réaction, et que nous vissions faire là un mouvement de retraite analogue à celui des Débats. Celui-ci est excellent ; je connais les personnes ; elles hésiteront et tarderont beaucoup à se rengager si même elles se rengagent, ce dont je doute. Je craignais qu’il n’y ait là plus de parti pris d'Orléaniste, et plus de pique de journaliste. Pourvu que le Constitutionnel et autres ne les taquinent pas trop sur leur retraite. Beauvale est plus puritain que je ne croyais. C'eût été, de la part du Roi Louis Philippe, une vertue sublime de ne pas se tenir en mesure de profiter des fautes prévoyables de la branche aînée, et d'en accepter au contraire la solidarité, ainsi que celle de ses destinées. Car il n’y avait pas de milieu pour lui ; il fallait ou se distinguer nettement afin de pouvoir rester en France après les ordonnances de Juillet, ou se confondre absolument avec Charles X et émigrer de nouveau avec lui. L’alternative était dure ; et des Anglais qui trouvent très bon que Guillaume 3 se soit tenu si à part du Roi Jacques son beau-père et ait fini par le chasser lui-même n'ont pas le droit d'être si exigeants envers le roi Louis-Philippe. Ceci soit dit sans rien retrancher de ce que je pense et viens de dire à Claremont sur la conduite actuelle.
Je remercie Marion, après vous des deux copies. J'ai aussi de loin mes petits profits dans son séjour auprès de vous. Le langage de Changarnier à la Commission de permanence sur les réfugiés de Londres et le gouvernement anglais m'a frappé. Ce n'était pas à lui à mettre des bâtons, dans ces roues là, que les bâtons soient légitimes au non. [...]

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Vendredi le 5 Septembre 1851

Voici Aberdeen. Vous me dites très vrai sur les Débats. Aujourd’hui ce journal est en retraite. Je vous enverrai copie de ce que me dit Beauvale sur Claremont. Le voici ; Marion est expéditive. Comme vous avez bien fait de parler à Claremont. Je suis charmée que les Débats aussi répètent la conversation. Les arrestations font assez d’effet. Il me semble avoir compris que la commission incitait le [gouvernement] à faire des démarches auprès du [gouvernement] anglais.
J’ai vu hier soir des Napolitains. Le [Prince] San Giacomo entre autres ami de mon fils Alexandre. Il arrive de Vienne. Schwarzenberg lui a dit : " Il nous restait une espérance. Un ministre conservateur en Angleterre. C’est fini, L. Aberdeen même fraie avec la Révolution. " Il est impossible de se conduire plus pitoyablement. que ne l'a fait notre ami. Dites-moi que vous lui avez écrit et dit des vérités, de mon côté ce n’est pas fini. Je lui en dirai de bonnes sur sa lettre. What en apology ! Je ne sais vraiment rien. J'ai vu hier Montebello, le soir des diplomates, ils ne savent pas grand chose. J'ai mal dormi, je ne retrouve pas mon équilibre. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 4 sept 1851

Vous êtes incomparable pour faire succéder, presque sans intervalle, la plus complète impartialité à la plus vive passion. Vous ne savez que dire à l'article des Débats sur la candidature du Prince de Joinville. Je vous assure qu’il ne détruit rien de ce que vous avez jusqu'ici pensé et dit contre cette candidature. Les Débats ne se sont pas le moins du monde inquiétés de la discuter, d'examiner si elle était bonne ou mauvaise ; ils ont saisi une occasion de faire un hymne, en l’honneur du Prince de Joinville pour couvrir leur embarras sur la question même. Ils repoussent une injure pour se dispenser d'avoir un avis. Que l'effet de leur article puisse être mauvais, je ne le conteste pas, et j’aimerais infiniment mieux qu’ils n'eussent rien dit ; mais je l'ai relu attentivement j’y avais à peine regardé hier matin, en fermant ma lettre ; c'est de la politique purement personnelle dans une situation équivoque, et pour se réserver la faculté de dire plus tard oui ou non selon le besoin de cette situation. Il y a des attaques contre les patrons de la candidature du président et des insinuations contre les patrons de celle du Prince de Joinville. On prépare et on élude. Et on finit par donner au Prince de Joinville des conseils pour son bonheur. Je ne sais ce que fera le Journal plus tard ; mais ceci n’est pas sérieux. Je n'ai encore vu que bien peu de personnes de ce pays-ci ; mais personne ne s'attend à un coup d'Etat ; et s’il arrive sans quelque fait nouveau qui le motive. On n'y comprendra rien.
La disposition des esprits est vraiment singulière et leur fait bien peu d’honneur comme esprit ; on n'a pas du tout le sentiment du danger de la situation ; on est sans confiance, mais aussi presque sans inquiétude. On semble se dire : " Nous nous en tirerons toujours ; après tout, cela ira toujours bien aussi bien que cela va à présent, et cela nous suffit. " Il n'y a point de milieu entre le désespoir de Jérémie et ce stupide aveuglement. Je suis fort triste et encore plus humilié.
Montebello m'écrit, fort triste aussi, mais je vais entrevoir de plus, dans sa tristesse un peu de perplexité. Je n'ai point de perplexité du tout ; nous avons bien plus raison que nous ne croyons. Et il faut nous établir chaque jour plus nettement dans notre avis. Je répondrai bientôt à Montebello. Je voudrais bien qu’il fût tranquille sur sa femme.
Je regarde, et je regarderai attentivement à ce qui se passe en Autriche. Ce sera curieux. Il n’arrivera, à la révolution et aux révolutionnaires, rien qu’ils n'aient mérité ; mais je voudrais bien que la réaction fût conduite habilement, et qu’il en résultât une vraie réorganisation. Je suis un peu pour les gouvernements, comme vous pour les diplomates ; je m’y intéresse, quelque soit leur nom comme à mon métier, et il me semble toujours que je suis pour quelque chose dans leurs revers ou dans ceurs succès.

10 heures
Votre lettre confirme, un peu mes conjectures instinctives. Je croirai au coup d'Etat quand je l’aurai vu. Mais ce qui me plaît le plus de votre lettre, c’est que vous vous sentez mieux. Paris vous reposera et le bon effet des eaux viendra peut-être. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 4 septembre 1851

Vous recevez j’espère le Constitutionnel. Qu'il est curieux celui d’aujourd’hui ! Quel excellent leading article. Et le récit de Claremont d'où vient-il ? Dumon est venu me voir hier matin, il arrivait. Je l'ai mis au courant, il n' avait encore vu personne. La Redorte & Montebello avant le dîner. Parfaitement d’accord qu'il faudrait se rapprocher. La Redorte indique Molé comme la personne la plus propre à cela, lui, Falloux Montebello peut-être. On devrait comprendre cela.
Je n’ai vu le soir que Mercier & Antonini. Je ne sais où étaient mes grandes puissances. Je commence à dormir, mais mes nerfs ne vont pas bien toujours les pieds froids. La Duchesse de Maillé est au plus mal. Il est fort douteux qu'on la sauve. Je ne verrai personne d'ici à la poste, je n’ai donc rien à vous mander aujourd’hui. Le temps se relève, je me fais traîner de 3 à 5. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 3 sept. 1351
Sept heures et demie

Moi aussi j’avais besoin de dormir. J’y ai réussi. J’étais dans mon lit hier à 10 heures. Je viens de me lever, ne m'étant réveillé qu’une fois dans la nuit. Il fait très beau ce matin, ce qui achèvera de me reposer. Pendant neuf jours de voyage, j’ai passé quatre nuits sur la mer ou en chemin de fer. C’est assez.
On ne sait bien ce qu'on pense que dans la solitude. Plus, j'y pense, plus j’ai peine à croire qu’on tente quelque grand coup. J'ai beau chercher les moyens d'action ; je ne les trouve pas. Et pas beaucoup plus les chances de succès. Je vois bien des gens qui en ont envie, mais, parmi ceux qui en ont envie, presque pas un qui veuille y mettre la main et s'y confier, M. Véron, c’est la France. La conduite expectante, concertée, plus ou moins complètement, plus ou moins visiblement avec le gros des conservateurs de toute sorte me paraît plus probable. S’il n’y avait pas Boulogne et Strasbourg, je n’aurais pas de doute. Mais je le reconnais. Boulogne et Strasbourg sont des raisons de croire à un coup. Voici pourtant la différence. Quand le Président a fait Strasbourg et Boulogne, il n’avait pas de choix ; c'était cela, ou rien du tout. Certainement, s’il était réduit à la même extrémité, il tiendrait la même conduite ; il ferait un coup, n'importe lequel, plutôt que de se laisser tomber à plat. Mais se croit-il réduit à cette extrémité, sans choix aucun à faire ? Je ne trouve pas que jusqu'ici il ait paru bien pressé de le croire, et je ne vois pas pourquoi, il le croirait. A mon avis, il lui est plus aisé de rallier le gros des conservateurs à la perspective de sa réélection que de trouver des instruments et des chances pour un coup d'Etat. Nous verrons, en attendant, je vous envoie mes raisonnements n'ayant pas autre chose à vous envoyer.

10 heures
J'espérais en effet un peu mieux que l'article des Débats qui comme vous dites est très bien fait. J'espérais un long silence. On espère toujours trop. Ils n'ont pas résisté au besoin de faire de la polémique. Je l'avais bien un peu craint en lisant les vives attaques du Constitutionnel.
Moi aussi, je m'attriste de n'être pas avec vous. Mais ce n'est ni pour le coup d'Etat, ni pour aucune candidature. Politiquement nous n'avons, quant à présent, rien à faire, et pas grand chose à dire. Mauvaise condition pour être au milieu du feu. Nous n'avons ni à l'allumer, ni à l'éteindre.
Vous ne me dites pas si vous avez dormi et comment vous êtes. N'y manquez jamais, je vous prie. C'est ma première question à votre lettre quand elle arrive. Adieu. Adieu. Tout est triste. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 2 septembre 1851 Mardi

Quelle tristesse de ne plus vous avoir ici ! Vous nous laissez la pluie et le journal des Débats pour aujourd’hui. L’article me fâche beaucoup parce qu'il est très bien fait. Je ne sais que dire. J’ai vu Montebello hier au soir. Il a causé longtemps avec le prince de Joinville. Rien de nouveau, ni de plus que le langage que vous avez entendu vous même. Le Prince de Joinville compte entièrement sur Changarnier et Lamoricière. Ils attendent à Claremont le retour du duc d’Aumale pour tenir un conseil de famille et décider le langage & la conduite. J’ai vu hier matin La Redorte. Evidemment il se prépare à tout événement. Il dit que la candidature Joinville gagne tous les jours & que la proposition Créton passera infailliblement pour peu que la montagne ou seulement les républicains s’y prêtent. Je n'ai vu hier que ce que je vous dis là. Ma porte est restée fermée le soir. J'oublie, j’ai vu Hatzfeld avant dîner perplexe, curieux, assez au courant de Champlatreux, pas fort au courant d'ici. Nous avons jasé, & trouvé en définition que le coup d’état devenait nécessaire si l'on ne veut pas mourir. Mais sera-t-on soutenu ? That is the question. Je crois que chaque journée aura son intérêt, sa nouvelle. La commission de permanence se réunit après-demain. Adieu. Adieu.
Votre entrevue hier à 2 heures ne me paraît pas avoir été heureuse. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Bruxelles Mardi 26 août 1851

Je suis bien fatiguée & je me repose ici aujourd’hui dans la plus mauvaise des auberges. J’ai frappé à onze portes hier. Pas un coin, tout est pris. J’ai vu un moment M. Van Praet, je vais le revoir. Il me dit que la D. d’Orléans part pour l’Allemagne tout de suite. Nous avons causé candidature Joinville. Il dit que l'abstention, le silence sont ce qu'il y a de mieux. Je dis moi que c’est-ce qu’il y a de plus honteux, et je l’ai très élogieusement soutenu & développé. Nous y reviendrons. Si le Prince de Joinville ne déclare pas qu'il n’accepterait pas le Président. Je le tiens pour déshonoré. Je n’ai lu qu’ici le N° de l'Assemblée nationale du 20 à propos de Gladstone. Quel excellent article, admirable. Faites en mon compliment à l’auteur quel est-il ?
Je serai à Paris demain. Je vous adresse encore ceci à Londres. N'est-ce pas qu'il serait par trop ridicule de l'envoyer au Val Richer Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Mercredi 20 août 1851

Vous n'aurez ce matin que quelques lignes. Je suis pris d'une violente, migraine. Je viens de me promener trois quarts d'heure dans le jardin pour voir si le grand air la dissiperait ; mais l’air, qui est pourtant charmant, n’y fait œuvre. Je crois que je vais m'étendre sur mon lit. Il n’en sera plus question ce soir. Elles étaient bien plus fréquentes autrefois. Avec beaucoup de plaisirs l’âge emporte aussi quelques ennuis.
Vous ne lisez pas l’Univers ; il conterait ces jours-ci une lettre à Gladstone, très médiocre d’esprit et de forme, mais qui lui donnait, sur quelques uns des faits qu’il a affirmés, des démentis précis et frappants ; par exemple 1800 prisonniers dans les prisons de tout le Royaume de Naples, au lieu de 20 à 30, 000. Et le nom de chaque prison, et le nombre des détenus dans chaque prison, y sont énoncés. Le Roi de Naples et les agents ont grande raison de multiplier les renseignements. Il devrait faire offrir à M. Gladstone de revenir les vérifier lui- même.
Vous vous étiez promis des merveilles de mes lettres écrites de Paris. Vous n'y aurez pas trouvé grand chose. Je n’avais trouvé moi-même à Paris que bien peu de chose. Je n’ai eu rien de mieux à vous envoyer. Je crains bien que ma course en Angleterre ne jette, pour vous comme pour moi, un peu de trouble dans notre correspondance. C’est très ennuyeux. Je ferai tout ce que je pourrai pour l’éviter. Adieu, Adieu.

Je vais réellement me mettre sur mon lit. J’ai la tête lourde, et le cœur barbouillé. Adieu. Je ne fermerai pourtant ceci qu'après avoir reçu mon courrier.

10 heures
Je vous ai écrit mardi matin une longue lettre. Je ne comprends pas ce retard. Votre poste de Francfort est insupportable, et je ne mérite aucun reproche. Je ne vous ai pas écrit le dimanche 10, en arrivant à Paris, parce que ma lettre écrite au Val Richer la veille 9, partait de Paris pour Francfort précisément ce même jour Dimanche 10. C'était donc deux lettres qui vous seraient arrivées le même jour. Peu aurait importe si j’avais eu quelque chose de nouveau à vous dire. Mais je n'avais rien. Je suis très contrarié de votre ennui. Vous aurez certainement eu ma lettre du mardi 12, écrite en partie le lundi, tard en partie le mardi matin. Adieu, adieu.
Adieu, dearest. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Lundi 18 août 1851

Vous ne recevez pas une feuille jaune, autographiée et partant de Paris à 5 heures comme la correspondance d’Havas. Elle s’appelle le Courrier de Paris ; elle est fusionniste et commence à se répandre dans les départements.
J'y lis cette lettre des Pyrénées : " M. Thiers paraît vouloir quitter bientôt Cauterets où il était venu, dit-il, pour se reposer et où il est obligé de travailler constamment pour ne pas mourir d'ennui ne trouvant personne avec qui il puisse passer agréablement son temps. Il est sombre, peu communicatif, me disait hier un médecin militaire en retraite qui l’a connu autrefois à Florence et qui croyait pouvoir l’aborder facilement et rentrer en relation avec lui. Il se trompait. M. Thiers parle peu, se montre fort peu disposé à communiquer avec les baigneurs, va tous les jours à pied, et toujours seul à [Larrailère] l’air préoccupé, regardant de côté et repoussant la curiosité par la mauvaise humeur "
Est-ce qu’il n’est pas content de la campagne qu’il commence ? Je serais tenté de le croire ; il a trop d'esprit pour ne pas voir qu’il entre dans une route qui descend, au lieu de monter. C'est comme symptôme que ces détails m'ont intéressé. Je voudrais être sûr qu’ils sont vrais.
La même feuille jaune me dit que votre Empereur va faire de grands changements dans l'administration intérieure de la Pologne. Il remplacera les juges de village par des Potestas de son choix. Il prendra les biens du Clergé catholique et lui donnera des traitements à la place. Il exemptera la noblesse Polonaise du service militaire inférieur pour la mettre sur la même ligne que la noblesse Russe. Savez-vous si c’est vrai ?
Je n’ai pas eu hier de Paris, d'autres. journaux. Je reçois beaucoup de journaux de départements et je les trouve assez curieux ; souvent plus sérieux et plus pratiques que les journaux de Paris ; moins embarrassés d’intrigues, et moins engagés dans les coteries. La très grande majorité de ces journaux légitimistes s’est prononcée pour MM. Berryer, et Falloux. Les pointus sont pleins d'humeur mais en retraite. J’en suis charmé en général et surtout à cause des élections.
Votre mal à la langue provient de la fatigue de l'estomac. C'est presque toujours la cause des aphtes, car je suppose que c'est là, ce que vous avez. Peu mauger et un régime trés doux, c'est en général le remède. Vous ne méritez pas cette ressemblance avec M. Thiers, vous n'avez pas fait de votre langue un si excessif, ni si pernicieux usage.

10 h. Je suis charmé que votre langue aille mieux. Reste votre tête à guérir. Je me figure qu'il ne fait pas assez chaud sur les bords du Rhin. Les journaux de Paris sont aussi vides que ma correspondance. Le silence des Débats, sur la lettre du comte Roger est un fait important. Adieu, Adieu.
Je ne vous ai rien dit de vos lettres pour le temps de mon séjour à Londres. On me les renverra là. Je ne sais pas encore où je logerai. Probablement à Grillon. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer 17 août 1851

J'espère bien avoir une lettre ce matin. Je ne reçois pas celles de Francfort plutôt que celles d’Ems, ni celles de Schlangenbad plus tard. Je suis fâché de ne pas connaître Schlangenbad. Jamais le calme n'a été plus profond qu'en ce moment. Le mouvement de l'Assemblée est fini. Celui des conseils généraux n'est pas encore commencé. Les journaux n'excitent plus aucun mouvement. A peine dit-on quelques mots de la candidature du Prince de Joinville. La réserve du Journal des Débats déplaît évidemment beaucoup à ceux qui y poussent. Quelle leçon, si cela finissait par un coup d'épée dans l’eau ! Ce sera le point délicat de ma visite à Claremont. Mais je m'en tirerai comme Dugueselin se tira de la ville de Rennes, où il était assiégé par les Anglais. Grand stratagème du Connétable. Il met son Chroniqueur en tête de ce chapitre ; et ce stratagème fut de rassembler sa garnison, de sortir de la place bannières déployées et de se faire jour, à grands coups de lance et d’épée, à travers le camp des Anglais. Je parlerai comme Dugueslin marchait bannières déployées et en disant tout ce que je pense. Je ne connais, ni dans mon devoir, ni dans leur intérêt, aucune raison de m'en gêner.
Ce qui m'amuserait, ce serait comme je le vois dans les journaux, que Thiers, Rémusat, Lasteyrie, Piscatory & vinssent là aussi pour le 26 août. La réunion autour du cercueil du Roi serait frappante. La mort change peu de chose.
J'étais inquiet, il y a quelques jours, pour la petite fille de ma fille Henriette. L'affection vient vite en regardant une pauvre petite créature muette qui souffre et qui vous regarde avec des yeux suppliants, où il n’y a rien encore que l’instinct confiant de la faiblesse qui implore secours. L'enfant va mieux. Je ne sais si on viendra à bout de l'élever ; elle est bien chétive. Il y a aussi quelque chose qui saisit et attache dans ce problème de la vie à son début ; une flamme qui vacille ; durera-t-elle ? S'éteindra- t-elle ? C'est le mot de mort à propos du Roi, qui m'a reporté vers ma petite-fille. Qu'il y a loin de l’un à l'autre !

11 heures
Voilà ma lettre, et vous êtes rétablie à Schlangenbad. J'en suis bien aise pour votre repos. La fatigue un peu prolongée, même agréable ne vous va pas. Adieu, adieu. Point de journaux ce matin. Montalivet m'écrit. " La Reine et les Princes vont quitter l’Ecosse. Le Prince et la Princesse de Joinville, retournent directement à Claremont. La Reine et le duc de Nemours feront un détour qui leur prendra plusieurs jours. Je ne crois pas qu’ils soient à Claremont avant le 24. Mad. la Duchesse d'Orléans habitera Claremont et y arrivera de son côté le 22 ou le 24. " Mon plan, à moi, est toujours le même. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Vendredi 15 Août 1851

Je suis charmé que vous ayez eu le plaisir de revoir votre grande Duchesse. Vous y avez eu évidemment un grand plaisir. Les Princes ont bien tort quand ils ne sont pas charmants ; ils gagnent tant à l'être, et si vite, et si aisément ! J’espère que la Grande Duchesse vous aidera à faire à Pétersbourg, les affaires de votre fils Alexandre.
Je ne comprends pas bien en ce moment les motifs du dernier Ukase ; l'état de l’occident n’a rien de tentant pour ceux qui viennent y regarder. Si c'était vos paysans qui y vinssent, ou vos petits marchands, je verrais le péril, et je comprendrais la rigueur des précautions ; mais ses riches, des grands seigneurs, je ne vois pas où est pour eux, parmi nous la séduction.
Que dites-vous de l’incendie des Invalides pendant les obsèques du Maréchal Sebastiani ? Et que n'aurait-on pas dit si pareille chose fût arrivée sous la Monarchie ? La République n’a pas de bonheur ; mais elle s'en passe. Le spectacle a dû être très frappant. Ce qui m’en a le plus frappé, c’est le curé éperdu et criant avec passion " Le Maréchal, Messieurs ; sauvez le maréchal ! " La cérémonie profane par la destruction prématurée et violente de ce corps. C'était là son idée fixe. Bel empire des sentiments et des devoirs d'État !
// Vous ai-je dit que j’ai eu à Paris de nouvelles du Général Changarnier ? Il est parti brusquement avant le dernier jour sans voir personne ; il est chez lui, à Autun, inquiet et triste, très blessé du travail pour la candidature du Prince de Joinville, entrevoyant qu’il a fait fausse route, et qu’il n’arrivera pas, mais ne faisant encore qu'entrevoir. Il n’a pas assez d'esprit pour tant de passion. Son journal, le Messager de l'Assemblée, reste toujours dans la même ligne, malveillant pour Berryer, et impuissant à faire, de M. de St Priest, le chef des légitimistes mais y poussant toujours. Le Duc de Lévis et M. de St Priest ont été fort troublés de l'explosion de la guerre civile dans le parti ; mais le résultat est excellent ; les dissidents sentent la nécessité d’un mouvement de retraite et commencent à l'exécuter. Ils sont trop peu nombreux et trop peu considérables pour faire prospérer la séparation. Berryer, et M. de Falloux ont fait là un coup de partie ; ils en recueilleront le fruit, eux et leur monde, dans les élections prochaines. //
Les journaux deviennent plus curieux à lire. Ils se dessinent tous plus nettement ; pour qui sait les comprendre du moins, car ils n'ont jamais été plus artificieux, ni plus menteurs. L’Ordre en particulier, le journal Régentiste, est dans une activité et une anxiété singulière ; il a pour la candidature du Prince de Joinville ; les ardeurs, les impatiences, les méfiances, les tours et détours du Messager pour celle du général Changarnier, et du Pays pour celle de M. de Lamartine. Une vraie Steeple- chase.

10 heures
Vous ne me donnez point de nouvelle instruction, en retournant à Schlangenbad. Je continue donc à adresser mes lettres à Francfort. Je ne me rappelle pas du tout ce qu’il y avait dans les deux qui se sont perdues. Lire les lettre c’est déjà quelque chose ; mais les voler après les avoir lues. Cela ne se fait jamais en France. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, vendredi 8 août 1851

Pardonnez-moi ce petit papier ; j'ai été hier tout le jour et je suis encore aujourd’hui parfaitement stupide. Rien absolument qu’un rhume de cerveau doublé hier soir d’une migraine que m'a donnée un violent orage. Je n’ai jamais vu le ciel tout à coup si noir. Mais cette noirceur a avorté, comme tant d'autres de nos jours : nous avons eu peu de bruit, peu de pluie, et j’ai été me coucher à 9 heures après avoir perdu deux robbers de whist, seule occupation et seul plaisir dont je fusse capable. Je serai encore lourd toute la journée ; demain matin, il n’y paraîtra plus et demain soir je vais à Paris où je resterai jusqu'à mardi soir.
Je lis dans les journaux que le luncheon du Président aux Anglais a été très brillant. On m'écrit le contraire. " Une affreuse mêlée ; 250 couverts et 3000 affamés. Je me suis arrangé pour être du petit nombre des élus ; mais les élus étaient, si serrés qu'ils ne se croyaient pas du tout en Paradis. "
Je crois que vous me recevez plus le National. Je suis frappé de sa phrase pour recommander, le désintéressement à toutes les nuances de l'opinion républicaine en fait de candidature à la Présidence de la République et pour les engager toutes à accepter celui qui aura le plus de chances d'être élu, " quel qu’il soit " Rapprochez ceci de l'accord qui s'est établi à Londres, entre M. Emile de Girardin et M. Ledru Rollin : " Nous sommes d'accord sur tous les points ".
N'entrevoyez-vous pas là le travail qui se fait de ce côté pour la candidature de Prince de Joinville ? Renverser ce qui existe aujourd’hui, et amener une tempête ; n'importe à quel prix, et à quel profit ; tous se promettent le gros lot au sein du grand bruit. Quel spectacle et quelle honte s'ils vont jusqu'au bout ! Je n’y puis croire ; mais j'y regarde très attentivement.

Onze heures
J’attendais impatiemment si votre tête serait guérie. Il faut encore attendre. C'est ennuyeux Adieu, adieu, la seconde cloche sonne pour le déjeuner. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 6 août 1851

Lisez quelquefois, je vous prie, la Chronique politique de l'Assemblée nationale signée Robillard. C'est, depuis quelque temps ce qu’il y a de mieux dans le Journal. J’y trouve aujourd’hui sur les Régentistes et leur journal l'Ordre, des réflexions pleines de sens et d'à propos.
Je souhaite que M. de Beroldingen ait raison dans tout ce qu’il vous a dit de l'Allemagne et que les masses aient, en effet fait leur expérience. Cela dépend des gouvernements ; quand ils se conduisent avec tact et mesure, les expériences profitent en effet aux masses ; quand les gouvernements abusent des expériences, les masses recommencent bientôt de plus belle et plus fort. Nous ne voyons pas autre chose depuis soixante ans.
Voilà encore deux élections qui viennent de se faire ici, l’une dans le nord, l'autre dans le Lot, et qui toutes les deux, ont tourné comme les quatre précédentes contre les Montagnards, et les pointus légitimistes réunis qui n'ont pu ni faire l'élection en y prenant part, ni la faire manquer en s'abstenant. Cela fait bien des échecs pour eux dans l’Assemblée, et au dehors. Si le plaisir du succès peut consolider l’union des conservateurs et des légitimistes sensés, ce sera excellent, [?] le Président en profitera le premier.
J’ai eu hier des nouvelles de votre ami M. Fould, à l'occasion d’une petite affaire que je lui avais recommandée, et qu’il a faite de très bonne grâce. Il m’écrit d’un ton content. Ce que vous me dîtes de l'absence de toute nouvelle directe à Frohsdorf, le 23, sur la visite à Claremont, est étrange. C'est bien le cas de dire légèreté française. Je vous demande la permission de mettre humain à la place de française, par amendement. Que d'anglais auraient fait une démarche semblable sans en rien dire, ni avant, ni après au premier intéressé.
Je commence à m'occuper de mon discours futur en réponse à M. de Montalembert. Sans connaître du tout le sien qui n’est pas fait, et qu’il m’apportera ici, m’a-t-il dit, vers la fin de septembre. Je n’écris pas un mot, comme de raison ; mais je lis ce qu’ont écrit M. Droz et M. de Montalembert mes deux sujets. Deux sujets bien divers, venus des points opposés de l’horizon, et qui ont fini par se rencontrer dans les mêmes sentiments sur toutes les grandes choses de la vie. Il y a de quoi bien parler. Dieu sait où nous en serons quand viendra cette séance ! Peut-être au milieu de l'élection d’une assemblée constituante. Cependant je ne crois pas ; je persiste à ne croire à rien jusqu'au printemps de 1852.
Ce que j’ai peine à croire, c’est que je ne désire pas vous retrouver dimanche à Paris, et que j'y aille pour ne pas vous y retrouver. Je n'ai encore point de nouvelle de Duchâtel depuis son retour, je suppose qu’il persiste dans son projet de visite à Claremont. Je saurai Dimanche si nous faisons ce pèlerinage à plusieurs. Montebello ni Dumon non plus ne m’écrivent. Il paraît que tout le monde est las de n'avoir rien fait et ne songe qu’à s'en reposer. onze heures J'espère bien que votre mal de tête n'est que de la migraine, et par conséquent un mal très passager. J'ai deux lettres de vous à la fois, du 1er et du 2. Adieu Adieu.
J’ai peur de n'avoir rien demain. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 3 août 1851

M. Molé m'écrit pour se chagriner de l'Assemblée nationale. Il n'est pas content de la rédaction, ni de la direction ; il trouve que les articles politiques sont souvent impolitiques. Il a raison. Il me demande quand je pourrai aller à une réunion du Comité. Je n'irais certainement pas à Paris pour cela. Pendant la dispersion de la saison, l'Assemblée nationale ira cahin caha, c'est inévitable. Mais je vais à Paris dimanche prochain 10, pour la distribution des prix au grand concours de l'Université. Je n’ai jamais manqué à mon fils ce jour-là. J’y passerai les 11 et 12. Je me mets à la disposition de Molé pour ces deux matinées. Nous ne ferons pas grand chose de plus que nous donner mutuellement le plaisir de la conversation. Duchâtel a dû arriver hier à Paris. Je règlerai notre course à Claremont pour la fin de ce mois. Je n’ai rien dérangé à notre correspondance. On me renverra mes lettres deux jours. Il n'y a pas moyen à cette distance et avec les Postes allemandes, de cadrer parfaitement juste. Mais ne manquez pas de me dire, dés que vous le saurez, quel jour précis vous serez de retour à Paris pour que je m’arrange en conséquence.
Le choléra l'emporte donc, dans Ellice, sur l'amour. A-t-il jamais été très amoureux ? Il me semble que, même jeune, le choléra devait toujours être le plus fort. Aurez-vous quelqu’un à Schlangenbad ? L’été dernier, vous aviez au moins la Princesse Grasalcovitch. Qu'a-t-elle fait cet été ? Est-elle aux Pyrénées avec Thiers ?
Les légitimistes à la fois intelligents, et un peu pointus sont bien préoccupés de celui-ci. L’un deux m'écrit : " Il se brasse, sous main, la plus splendide des mystifications. Figaro exerce, depuis longues années, une déplorable influence sur notre orateur, trop sensible aux douceurs d’une vie paresseuse. Et dont l’éloquence, toute grande qu'elle est, n'équivaut pas à l'astuce et à l’esprit de persistance de Figaro. Les événements vont se succéder rapidement. Une commission permanente formée à l'exclusion des Montagnards commencera à fournir aux Pyramidaux l'occasion de prendre le pas sur les Rivoliens, gens de nature inerte et molle, privés qu’ils seront de l'activité que leur donnerait un simple appoint de Montagnards, à la rentrée de l'Assemblée reprise de la proposition de retour des exilés ; application de la loi actuelle d'élection qui doit ajouter aux Pyramidaux le nombre de représentants qu'elle enlèvera certainement aux Rivoliens. Le surplus n'a nul besoin de développement. Tous les hommes du triomphe à Figaro. "
Vous retrouvez-là, ce singulier mélange de clairvoyance et d'aveuglement que donne le violent esprit de parti. Mon pointu croit trop à ce qu’il craint ; mais il y a des chances pour ce qu'il dit. Le jeu est bien compliqué.

10 heures
Vous serez bien seule en effet à Schlangenbad. Depuis que j’ai passé dix jours absolument seul, je ne crains pas la solitude pour moi, et je la crains encore plus pour vous. Adieu, Adieu Je n'ai rien de Paris. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 30 juillet 1851

Je n'ai jamais entendu un orage et un bruit pareil à celui de la nuit dernière. Nous étions tous hier soir accablés d'un point à la tête. C’est drôle tous, cinq personnes au même côté. A 2 heures du matin une détonation qui a fait trembler les vitres et des éclairs qui traversaient volets, rideaux tout. C'était effroyable. Ma nuit a été entièrement gâtée. Il en aura été de même pour tous les habitants d’Ems. Si cet orage était venu la veille de l’éclipse assurément on aurait cru à la fin du monde. Reprenez le journal des Débats de Samedi le 26 vous y verrez qu’à Munich, un ordre ministériel enjoignait de faire [?&?] tous les élèves dans les écoles la veille de l’éclipse. C’est drôle qu'on ait eu si peur. Le danger, ou l’extermination viendra peut-être encore. Biroldingue, Boutineff & mes dames, car Mad. d'Istrie a une cousine qu'il faut avaler, ont fait ma soirée. On me dit de Londres que Lord Palmerston a commencé ses rapports avec le nouveau ministre d'Autriche Buol Schauenstein par une grosse impertinence au dîner qu'il lui a donné. Il a invité le comte Paul Esterhazy le défenseur de [?]. Buol s’est plaint officiellement et par écrit dans une note. Du reste rien.
Je vois dans l’Indépendance Belge une lettre de vous que je trouve bien belle, sur la démocratie. Adieu. Adieu. Lady Allen me mande que la duchesse d’Orléans va prendre une maison à Torquay dans le Devonshire for the winter.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 28 Juillet 1851

Je trouve dans le nouveau cahier de l'Edinburgh Review un article sur des Tales and Traditions of hungary publiées à Londres par un conte Paelszky que vous vous rappelez ; et dans cet article je trouve cette histoire-ci.
Une invasion de Tartares, ravageait la Hongrie. Un grand seigneur hongrois vivait dans son riche château, avec sa femme jeune et belle. Il avait grand peur d'une visite des Tartares ; " when suddenly a Tartar on his steed galloped into the court. The hungarian bounced from his seat to meet his guest, and said. Tartaz, [thy] art my lord ; I'm shy servant ; all those seert in thine. Take what those fanciest. I do not oppose shy power ; command ; thy servant obeys - The Tartar impatiently sprang from his horse entered the house, and cast à careless glance on all the precious objects around. His eye was fascinated by the brilliant beauty of the Lady of the house who appeared lastfully attired to greet him there, no less graciously than her consort had in the court below. The Tartar seized her without a moment's hesitation, and, unheadful of her shrieks, swung himself upon he saddle and spurred away, carrying off his lovely boaty. All [?] but ein instant's work ; the nobleman was thunderstruck ; yet he recovered and hartened to the gate. He could hardly still distinguish the Tartar galloping in the distance aud bearing away the Lady fair. Her consort heaved a sigh, and exclaimed with deep commiseration. " Alas! Poor Tartar ! "
Drôle d’histoire dans un livre écrit par le comte Pulszky en l’honneur des Hongrois et contre les Tartares. Je lis beaucoup. Un peu moins à présent que je ne suis plus seul.
L’ordre, le seul journal Régentiste a très bien parlé du discours de Michel de Bourges, et y revient complaisamment. Preuve de plus que ce discours était concerté avec Thiers. Plus j'y regarde, plus je vois clairement le travail pour refaire un parti orléaniste dans la Montagne, et pousser par là, quand le moment viendra, la candidature du Prince de Joinville, si la proposition Creton vient à passer, cette candidature aura des chances. Les légitimistes n'auront, pour y échapper, d’autre ressource que de voter pour Louis Napoléon et le général Changarnier sera étouffé entre les deux. Voilà mes pronostics ; mais je sais ce que valent les pronostics, même les miens.
Vous dîtes que Lord Granville devient le rising man. C'est apparemment à cause de cela qu’il va être le conducteur, le Berger des industriels anglais au grand banquet que va donner, aux industriels du monde entier, le Berger de Paris. Cinq jours de fête, l'hôtel de ville, Versailles, St Cloud, le champ de mars. Cela ressemble furieusement aux trains de plaisir. On s'amuse en troupe. Singulier chemin pour monter et devenir premier ministre d’Angleterre ? J’aime mieux le discours de Lord Aberdeen contre le bill ecclésiastique. C’est un des meilleurs que j'aie lu de lui. Je me figure que cela le grandira plus que le banquet de M. Berger ne grandira lord Granville.

Onze heures
Personne ne pense plus qu’à s’en aller. Il y a pourtant bien de quoi penser à autre chose. La lettre du petit cousin est charmante et lui fait. honneur. Je vous la renverrai demain. Adieu Adieu. G. Voici un petit papier bien fin pour vous amuser un moment.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 23 Juillet 1851

Que signifient ces nouvelles entraves apportées à la libre circulation des Russes en Europe ? Nécessité de rentrer en Russie tous les deux ans au lieu des cinq, accroissement des frais de passeport & &. Vous voyez que je lis mes journaux attentivement. Est-ce de la politique ou de la pure finance ? Vos fils en seront fort importunés.
Vous ne lisez pas le Pays, le journal de M. de Lamartine. Il vous amuserait par ses Hymnes en l’honneur de la discussion sur la révision, et par son désespoir hypocrite de n'avoir pas pu y prendre place. J'imagine que tous ceux qui crient si fort à présent contre la brusque clôture du débat, ont été charmés d'être dispensés de parler. La situation n’était pas commode pour ceux qui n'ont envie de se commettre, ni pour, ni contre le Président. Je ne vois pas encore clair dans le mois d'Octobre prochain, la question recommencera-t-elle ? Personne ne me paraît décidé. Cela dépendra beaucoup de l’attitude des conseils généraux qui vont se réunir à la fin d'août. S'ils étaient tous comme ceux des départements qui m'environnent, ils ne feraient pas grand effort pour ramener la révision sur l'eau.
Tous ces Princes Allemands qui vous servent de gardes du corps ne vous disent-ils rien des affaires d'Allemagne, et de la diète de Francfort. Pure curiosité d'artiste, car il ne viendra de là aucun évènement ; mais la question de l’entrée de toute l’Autriche dans la confédération m'intéresse. J’ai envie de savoir ce que vous en voulez au fond. Et puis les affaires d'Italie sont à mon avis, les seules interminables en Europe et toujours menaçantes ; il y a là des hommes qui ne peuvent ni réussir, ni renoncer. On m’écrit que le gouvernement piémontais, malgré ses complaisances, ne parvient pas à en avoir assez pour les mazziniens, et commence lui-même à en être excédé. Votre dépêche aux Etats italiens vos amis était bien vraie. Et il est bien vrai que lecture en a été donnée à Londres et à Paris.
On, c’est-à-dire M. Berger, se donne bien du mouvement à Paris pour faire un peu de bruit de la fête qu'on veut donner à l’industrie universelle. Je trouve cela pitoyable. L’hôtel de ville est très beau ; mais même là, un dîner de chevet ne sera pas un rival suffisant du Palais de cristal. Un journal prétend que le Prince Albert y viendra. Je ne puis pas le croire.

10 heures
Mes lettres m'arrivent aujourd'hui avant mes journaux. Je n'aurai les journaux que dans deux heures. Je n'ai de nouvelles de personne. Vous avez bien raison avec Marion, pour les courses comme pour le jeu, drôle de fille. Je m'étonne quelques fois qu’il n’arrive pas plus d'aventures aux Anglaises qui en courent tant. Adieu, Adieu. Je vous quitte pour ma toilette. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 20 juillet 1851 Dimanche.

Voici une lettre du duc de Noailles fort content jusqu’ici. Moi je ne le suis pas de ma santé. Mon estomac est en déroute, je ne sais qu'y faire, vos pilules ne sont pas the thing. Le Prince George de Prusse nous quitte demain. Nous le regretterons un peu, il venait tous les jours. Il est parfaitement Prince, bon enfant & il a de l’esprit. D’Haubersaert part après demain.
Ces messieurs me prennent mes journaux. Je n’ai pas encore lu, de suite Berryer, mais ce que j’en ai entrevu me ravit, m'enchante. Beau talent. Il nous revient de Paris que le prince de Joinville aurait écrit une lettre moqueuse sur Berryer, ce qui a été cause que celui-ci n’a parlé ni de la fusion, ni des Princes. Si votre prince a fait cela vraiment, cela ressemble bien plus à un laquais qu'à un Prince. Vous m'en direz quelque chose. Je vois que la discussion s’anime fort. J’ai parié ici que le duc de Broglie ne parlerait pas. Adieu, J’ai eu une excellente lettre du petit cousin, que je
vous enverrai. Adieu. Adieu. Pas un mot de nouvelles à vous dire de ce côté-ci. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 20 Juillet 1851

Pourquoi ne le dirais-je pas ? M. Victor Hugo me plaît. Il a remis tout le monde dans la vérité. La République du Gal Cavaignac, mensonge ; la République de M. Michel de Bourge, mensonge ; c’est la révolution qui est là, deux révolutions, une vieille et une future, celle des Montagnards et celle des Socialistes. C'est très bien de se mettre en colère contre le mauvais fou qui dit tout cela ; mais il faut savoir qu’il dit vrai, et que ces odieuses folies sont l'ennemi auquel on a réellement affaire. Hors de là, je ne vois que des badauds qui s’attrapent eux-mêmes en essayant d'en attraper d'autres qui se laissent volontiers attraper. Je trouve que ce débat, tout en restant parfaitement stérile est plus sérieux et plus significatif que je ne m’y attendais. Il y a de la vie dans ce pays-ci ; ce qui est, paraît, quelque envie qu'on ait de ne pas le voir. C'est une singulière impression que de recevoir l’écho de ce bruit dans le silence de ma solitude.
Mon gendre Conrad m’arrive demain pour passer ici quatre jours. Ils ne veulent pas me laisser plus longtemps seul. Pauline qui est à merveille ainsi que son enfant, vient s'établir avec son mari samedi prochain 26. Henriette est obligée de rester encore trois ou quatre semaines à Paris ; sa fille va mieux et on espère qu’elle ira décidément bien ; mais il n'y a pas moyen de la séparer en ce moment de son médecin. Le Val Richer aura revu un moine pendant huit jours. Vous savez que moine veut dire solitaire.
Je suis bien aise de ce que vous dit Lady Allice sur le ballot. Je ne me fie pourtant pas beaucoup à ces indifférences superbes des Ministres. Je compte plus sûr le bon sens anglais que sur la fermeté de Lord John. Croker, dans sa dernière lettre caractérise le genre et le degré d'habileté des Whigs, et le mal qu'ils laissent faire grâce à celui qu'ils ont l’air d'empêcher, avec beaucoup de vérité et de finesse. Je suis frappé de ce que vous me dites que la réaction va trop vite à Berlin. C'est mon impression aussi, sans bien savoir. Et j'ai peur que cette réaction, qui va si vite, ne soit, au fond, pas plus courageuse qu'habile. Avez-vous remarqué ces jours-ci un article Alexandre Thomas dans les Débats à ce sujet ? Il était plus précis et plus topique que ne l'est ordinairement cette signature.
Je trouve le Constitutionnel bien faible depuis quelque temps. Rabâcheur, sans confiance en lui-même. Est-ce que le Président serait déjà un vieux gouvernement ? Le plus grand des défauts dans ce pays-ci.

Onze heures
Le facteur ne m’apporte pas grand'chose. Petit effet de Dufaure. Pas plus grand de Barrot, M. Moulin m'écrit pendant que Barrot parle. Le discours de Berryer reste entier, et jusqu'ici seul, du bon côté du moins. Mon gendre Cornélis m’écrit : " Ce discours a fait dans Paris une grande sensation, plus grande qu'on ne pouvait l'espérer. Tout le monde en parle, et ce qui est singulier, tout le monde l'a lu. Les journaux anti légitimistes y ont beaucoup contribué ; ils ont cherché à entourer la fusion sous les couronnes décernées à M. Berryer, et pour éviter d'apprecier l'acte politique, ils ont adressé à l'orateur des louanges excessives, en affectant de ne voir là qu’un beau discours. Mais le public n'est pas de leur avis " Adieu. Adieu. Je suis charmé qu’il vous arrive du renfort. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 19 juillet 1851 Samedi.

Je n'ai encore lu le discours de Berryer qu’en extrait dans l'Indépendance Belge, je le trouve bien beau d’un grand effet. J’attendrai cependant pour le juger que je l'aie lu dans les Débats. Ce ne sera que demain. Misérables postes.
Ma société a passé la journée à Stolzenfels hier ils sont revenus pour ma soirée. Marion ravie. Duchâtel part Samedi le 26. Je crois que je la lui confierai pour la mener à [B?] où les Metternich l'enverraient chercher. Elle y passerait huit ou dix jours et viendrait me rejoindre à Schlangenbad. J’ai quelques lettres d'Angleterre. La [duchesse] de Sutherland, entre autres, mais sans le moindre intérêt. Ici je vois assez de monde mais vraiment je ne sais rien, tout le monde regarde Paris. Baromètre universel. Quoique je vois sans cesse Duchâtel nous n'avons plus rien de nouveau à nous dire. Il est content d’Ems. Il fait son piquet avec d’Haubersaert. Je lui fournis les journaux. Je suis pleine d’attention pour lui. j'ai fait un peu de promenade ce matin avec Mad. de Hulot, elle est très lady like. Et elle a l’esprit de cette trempe aussi. Elle est très bien choisie pour élever une princesse. Adieu, le temps se relève. Il fait presque beau aujourd’hui. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 15 Juillet 1851

A toutes les perfections que possède Auguste, je voudrais bien qu’il ajoutât celle de bon cuisinier. Je n’ose vous dire de faire comme moi, quand le mouvement de bile se prolonge ; une petite, très petite pilule de très peu d'opium. Il ne faut pas jouer avec l'opium ; n'en prenez jamais que sur l’ordre d’un bon médecin en qui vous ayez confiance. Mais pour moi, la diète et une ou deux pilules mettent fin sûrement à cet ennui
Vous avez toujours eu l’esprit que vous avez. Mais vous en faisiez un usage très exclusif, la vie du monde et votre diplomatie Russe. Hors de là, vous ne pensiez à rien. Depuis vous avez découvert de nouveaux mondes. Vous en découvrez encore ; témoin M. de Maistre. Vous êtes, en tout, très exclusive, ce qui est singulier, étant très impartiale. Et ce qui est encore plus singulier, c’est que vous êtes beaucoup plus impartiale pour les personnes que pour les choses. Vous rendez volontiers justice à toutes les personnes, n'importe lesquelles. Mais pour les choses vous dédaignez souverainement, ou vous ne voyez pas du tout celles qui ne rentrent pas dans vos habitudes et dans vos goûts de tous les jours.
J'ai reçu hier tous mes journaux, sauf les Débats qui, j'espère bien ne me manqueront pas aujourd’hui. Je n’y trouve rien d'important si ce n'est les trois élections qui viennent d'avoir lieu pour l'assemblée ; toutes trois Elyséennes, et deux en remplacement de deux rouges. C’est un symptôme remarquable. L’abstention systématique des légitimistes et des rouges est remarquable aussi. La loi du 31 mai en est bien atteinte. Dans une élection générale, l'abstention n'aurait certainement pas lieu ; mais de graves désordres la remplaceraient. Il faudrait un gouvernement bien fort pour faire pratiquer en paix un système électoral qui rencontre une si forte opposition. Un autre fait qui mérite d'être remarqué, c’est la guerre déclarée, dans le soin du parti légitimiste entre l'Union, et l'Opinion publique, le journal de Berryer, et celui de M. de St Priest. Le Duc de Lévis doit être désolé. Il employait tout ce qu’il a d'influence à prévenir l'explosion de la scission. La scission n’ira pas jusqu'à brouiller les individus ; mais elle troublera la marche du parti. Ni uni, ni divisé ; c'est le caractère du temps, et le symptôme d’une transformation.

10 heures
Sachez donc une fois pour toutes, je vous en prie, que toutes vos lettres sont intéressantes pour moi. Mon bulletin de l'Assemblée à la fin de la séance du 14, me dit. " M. de Falloux vient de parler avec un grand talent, beaucoup d'élévation et d'habilité. Il a franchement arboré le drapeau de la fusion. L'assemblée est restée froide. Nous ne sommes pas encore compris. M. de Falloux a répondu très heureusement au mot de M. Thiers : " la république est le gouvernement qui nous divise le moins. " - " C'est le gouvernement, a-t-il dit, qui nous tient divisés, puisqu'il, nous permet de rester divisés." - Le discours a été court sans être écouté. La force physique manquait. " Ceci vous arrive par un long détour. Je vous l'envoie pourtant. J'aurai un bulletin tous les jours ; les impressions intérieures de l'Assemblée. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Samedi le 12 Juillet 1851

Je suis étonnée que vous ne me disiez pas un mot des visiteurs à Claremont. Nous n'en savons des nouvelles que par l’Indépendance Belge qui raconte le fait et le bon accueil ! Je n’ai pas lu le rapport de M. de Tocqueville. C’est trop long. Je me contente de ce que vous m’en dites. Vous faites comme a fait dit-on l’Assemblée. Ni contente, ni fâchée seulement elle ne manifeste pas comme vous sa surprise de l'omission des questions capitales. Nous allons être curieux ici de la discussion. C’est insoutenable d’être si loin des nouvelles. Les postes sont sauvages. A moins d’aller lire au Cabinet de lecture il faut attendre 24 heures.
Duchâtel hier toute la soirée, patience, piquet, bavardage. Cela va très bien. Vous ai-je dit que le comte Beroldingen est ici ? Ancien collègue de Wurtemberg à Londres l’année 1814. Depuis & pendant 25 ans premier ministre dans son pays. Aujourd’hui en retraite, riche, bien portant & bon homme. Voilà de la pluie encore. C’est abominable. Adieu. Adieu. Vitel & [Malat] écrivent de mercredi à Duchâtel que vous me mandez tous les détails des voyageurs. Et votre lettre, de mercredi aussi, n’en parle seulement pas. Duchâtel est furieux. Quelle [?]. Voilà ce que c'est de se fier les uns sur les autres !
Adieu !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Paris, Mercredi 9 Juillet 1851
8 heures

Les journaux vous apportent le rapport de M. de Tocqueville. Tout a marché plus vite qu'on ne croyait. Il n’en sera probablement pas de même du débat. 55 orateurs inscrits, sans compter les incidents ! Le Président ne posera pas sa candidature à la présidence de la République plus clairement que M. Od. Barrot n'a posé la sienne à la Présidence du Conseil du Président réélu.
J’ai éprouvé tout à l'heure, en lisant ce rapport une singulière impression de surprise et de malaise. J'attendais toujours qu’il parlât des deux questions auxquelles le sort de ce pays est suspendu, la question socialiste et la question monarchique. Qui dominera dans notre société le haut ou le bas de la population ? Dans quel gouvernement s’arrêtera la France, la République ou la Monarchie ? Voilà de quoi il s’agit vraiment, et de cela presque pas un mot. Tout cela est renvoyé à l'assemblée constituante qui viendra, si elle vient. La crainte de la réélection inconstitutionnelle du Président et la mauvaise organisation constitutionnelle de la République, voilà les motifs dominants, et seuls développés de la révision ! Je ne connais pas de plus forte preuve de l'ineffable timidité et faiblesse des esprits et des cœurs. Il me paraît impossible que le débat public ne pousse pas plus avant. Qui sait pourtant ?
Voilà votre lettre de samedi. J'espère que nous avons ressaisi le fil et qu’il ne se rompra plus. L'absence est déjà beaucoup trop ; mais le silence dans l'absence est insupportable. Je suis content que vous soyez contente d'Ems. Et très content de ce qu'on vous a dit à Bruxelles. Cela confirme la lettre d'Aberdeen. Je n'espère que de ce côté-là un peu d'influence sur Claremont. Il se peut qu’on se soit trompé ici sur l'effet produit là par la lettre du comte de Chambord au moment du vote sur la proposition Créton, et c'est grand dommage. Pourtant, je doute beaucoup de ce qui serait arrivé, si le vote eût été autre. Les bonnes intentions auraient-elles suffi pour résister au courant ? Je n'ai rien de plus. Je suis resté chez moi avant-hier et hier soir, un peu souffrant. Cela passe. Moi aussi j'ai besoin de sortir de Paris et de changer d'air.
Dans son discours à Beauvais, le Président, en parlant de Jeanne d'Arc et de Jeanne Hachette, a dit, et trés vivement : " Elles marchaient en avant aux cris de vive le Roi ! Vive la France ! " Vous jugez de l'effet. Les Ministres ont retranché, cette phrase dans Le Moniteur. Adieu. Adieu. J’ai ce matin chez moi, à midi, le baptême des mes deux petites-filles. Je vais faire ma toilette. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00026.jpg
Paris, samedi 5 Juillet 1851
Midi

Je suis impatient que notre correspondance ait pris son cours régulier. Je n'aurai pas de lettre aujourd’hui. Il en est venu hier de Montebello. Tard, mais bonnes. Il a trouvé la Reine et le Duc de Nemours exactement dans les mêmes dispositions où nous les avions laissées ; établis dans l'abstention, mais toujours pour la fusion, et approuvant qu’on démente hautement, dans les conversations et dans les journaux les gens qui veulent se servir de l'abstention contre la fusion. Le Prince de Joinville a tenu le même langage. Le Courrier de la Gironde n’avait nul droit de dire ce qu’il a dit et on a droit de le lui dire. D'après ceci et sur l'avis formel de Montebello, la résolution qui avait été prise avant son départ a été immédiatement exécutée. Ils sont partis hier soir. Nous verrons, si et comment ils seront reçus. Mad. la Duchesse d'Orléans, peu avant de quitter Claremont pour Edimbourg, a dit en rencontrant dans la conversation, le nom de M. de Falloux : " On dit que c’est vraiment un homme distingué ; je serais bien aise de causer avec lui. " Donc là rien de nouveau et rien de décisif.
Ici, toujours même travail pour répandre que les Princes sont décidément contre la fusion. On dit plus ; on dit que nous le savons, et que nous sommes bien près, nous-mêmes de n'être plus pour, faute d'espérance. De braves gens viennent me demander, si je suis encore du même avis. Je suis tenté de demander à mon tour, si on me prend pour un étourneau. Mais je ne fais pas le fier ; j'écoute, je démens, j'explique le mensonge, je raconte la vérité. Que de tracas dont on pourrait se dispenser ! Mais le tracas est l'amusement.
J’ai été hier au soir chez Mad. de Staël. Le Duc de Broglie était aux Pyramides. Piscatory est venu arrivant de Tours où il avait eu l'affront de n'être pas invité à déjeuner à la table du Président. Il a déjeuné avec le commun peuple. Il en dit long sur le mauvais accueil. Les socialistes ne veulent pas entendre parler de la candidature du général Cavaignac, et reviennent à Ledru Rollin. Les seuls candidats sérieux seront ses candidats inconstitutionnels. Louis Napoléon, le Prince de Joinville et Ledru Rollin. Aussi Changarnier, a plus que jamais la passion de la légalité.
Je n'ai rien de Lord Aberdeen. Adieu.
Mes amitiés, je vous prie à Marion. Prend-elle les eaux d’Ems ? Je lui envie les promenades au haut du rocher. Adieu, Adieu. G.
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