Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlagenbad le 14 août 1850
2 heures

Je ne me lève que dans ce moment. Le fils du duc de Noailles est venu me voir de Weisbaden. J'ai été obligé de le recevoir quoique dans mon lit. Il m'apportait une lettre de son père d'Aix en Savoie, qui s'annonce pour ce soir à Weisbaden. Il veut savoir où je suis. C’est très commode, je suis tout près. Le comte de Chambord a témoigné une grande joie quand il apprit hier que le duc de Noailles arrivait. Jules a été trouvé le prince à Cologne, il l'a vu arriver avec Berryer et autre qui s'étaient portés à sa rencontre à Hanovre. A Cologne il a simplement passé la nuit. Tous les Français ont fait la navigation du Rhin avec lui, à Weisbaden ils ont trouvé beaucoup d’arrivés de Paris. 9 ou 14 représentants (l'un ou l’autre chiffre j’ai oubliée) et entre autres Benoist d'Azy et quelques autres qui sont de la commission de permanence tous ravis du comte de Chambord. On dit une tête remarquable avec beaucoup de vivacité dans le regard, et une manière digne et charmante. Hier on lui a présenté M. Vezin représentant orléaniste je crois. Il accueille tout le monde avec beaucoup de bonne grâce. Tous les jours 20 personnes à sa table, la maison bien montée. Tous les deux jours soirée. Hier une centaine de personnes. Des dames. La duchesse de Noailles arrivée aussi avec son mari. Tout cela va faire bien du bruit. Probablement de la fumée. Berryer reste là encore. Le prince s’occupe tout le jour. Il n’est encore sorti qu’une fois pour se promener. Il a sa livrée et cela a bon air.
Voilà mes nouvelles de la ville voisine. J'ai bien peur que le duc de Parme ne m'ennuie. Il a l’air parfaitement heureux. de venir chez moi le soir. Il est très intime. Il ne manque pas d'esprit, mais il est un peu bruyant. Décidément je n’irai pas à Weisbaden, ma curiosité ne pourrait être satisfaite qu’en faisant savoir au comte de Chambord que je suis curieuse de lui, et cela je ne le ferai pas. On ne le rencontre pas à la promenade, ainsi je me passerai de le voir. Le 15. Vite je finis. Je me suis levée tard, je ne suis pas bien pardon pardon. J’ai eu deux lettres hier 11 et 12. J’ai peur de n’avoir rien aujourd'hui

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 8 août 1850

Quelle journée hier ! Pas un moment de relâche à la pluie et à une tempête effroyable. Mon fils même n’a pas pu sortir. J’ai vu chez moi la Princesse Lobkovic, le Prince de Chalais & cette petite dame russe nouvellement arrivée. Elle est spirituelle & nous a [?] intime dans les intimistes de la cour. Je vois dans le Constitutionnel une réponse à votre lettre. Je ne sais pas de nouvelle du tout. Je vous envoie la lettre d’Ellice. Vous savez que mon adresse est Schlangenbad Près de Weisbaden Duché de Nassau Allemagne. La Reine de Hollande passe aujourd’hui à Coblence, elle y fait venir la princesse Grasalcovic. Drôle d’intimité pour une femme d’esprit. De là la reine va à Bade. Vous verrez par la lettre d'Ellice que Thiers y sera. La duchesse de Modène arrive ici aujourd’hui (princesse de Bavière belle soeur de la duchesse de Bordeaux) ma grande Duchesse sera ici jeudi prochain. Moi je ne trouverai pas une âme à Schlangenbad.
La pluie continue ici, c’est désolant, si elle va de ce train à Schlagenbad, que devenir ? L'Empereur a appris avec une grande joie que le mariage de sa nièce s’est arrangé. Notre petit prince de [Meklembourg Stréliz] a fait ses conditions. Il veut bien vivre un peu en Russie mais il veut avoir un établissement aussi à Strelitz. Je trouve très bon qu'il ait tenu à sa volonté. L'Empereur a déjà envoyé des cadeaux superbes. Vous voyez que je n'ai rien du tout à vous dire. L'Eglise luthérienne de Wiesbaden vient de brûler tout entière. En attendant qu’une église grecque soit achevée, on avait déposé là le cercueil de la grande Duchesse, femme du duc de Nassau qui est morte en couche, heureusement, le cercueil a été sauvé ! Je finis sans pouvoir ajouter un mot qui vaille. Adieu. Adieu. Ems est bien laid depuis votre départ !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 25 Juillet 1850

Si je ne me trompe, ou si l'on ne me trompe, Montebello est de la commission du 25. C'est une bien bonne nouvelle pour moi à condition que cela l'oblige vraiment à la résidence à Paris, mais je crois que ces messieurs se dispensent. J’ai été un peu souffrante hier. Le froid succédant à la chaleur ne m’a pas convenu. C'était hier le jour de naissance du duc de Nassau. Grande fête et bal. Tout le monde y a été. La princesse Grasalcowitch renonçant à sa promenade pour essayer des robes ! Est-ce possible ? Si je vais à Schlangenbad, ce que je crois tout-à-fait, ce sera le 8 août pour y passer quinze jours. Cela me ramène à Paris les derniers jours d’août.
Quelle tranquillité d'esprit dans la vie que je mène ici ! Sauf une demi-heure de conversation avec le Prince Paul il n’y a pas avec qui échanger un mot sérieux. Je crois que cela est très sain. Constantin m’apprend l'intérieur de Potsdam, et l’intérieur Impérial, dans celui-ci rien de changé depuis mon temps. Cependant bien des détails piquants. Sa femme ne manque pas d'une certaine finesse d'observation. Elle est remarquablement bien élevée, toutes les nuances de la politesse. Sous ce rapport elle me plait tout-à-fait. Ils restent encore huit jours auprès de moi. Elle a un tas de parents ici. Tout cela a bon air et grand air. Constantin trouve qu’ils sont trop nombreux. Je n’ai pas un mot de nouvelles. Aujourd’hui j'espère des lettres. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 23 Juillet 1850

Votre lettre ne me donne rien à répondre. Je n’ai pas de lettre d’ailleurs, les journaux sont stupides, & je le deviens. L'année va je crois finir paisiblement. certainement il y a progrès vers le bien partout. Et les rouges sont matés il faudrait bien des fautes pour qu’ils reprissent courage. Il y a beaucoup de nouveaux arrivés ici hier du Lobkowitz, des Windiesch-Graetz ; mais je ne les ai pas vus Je vous ai dit que je ne vais pas là où l'on se réunit, Maintenant voici la rage des parties. Cela ne me va pas non plus. J’aime ma routine.
La Princesse de Prusse cherche à attirer le monde. Aujourd’hui même elle vient tout près d'ici et on recrute pour elle des rencontres. Constantin a refusé net. Il ne veut pas la voir. Elle est trop ridicule et trop anti-russe. Si je pouvais la voir commodément cela m'amuserait assez mais Constantin me dit qu'à Pétersbourg on me saura plus de gré de ne pas la voir que de la rechercher. Ma nièce me plait davantage. D'abord elle est grande, ses yeux sont beaux, elle plait à tout le monde. Les petites princesses de Beauvais, qui sont toutes deux ses cousines en raffolent. Elle sait causer un peu de tout. Elle a de l'aplomb et de la modestie, de beaux cheveux, une jolie main, un teint magnifique. Elle tiendrait très bien ma table de thé. La Princesse [Crasalcovy] est ici avec deux perroquets. Elle a rencontré tout à l'heure chez moi le Prince Windischgraetz, celui qui a été blessé le jour même où on a tué sa mère. Joli jeune homme, mieux que les Viennois ordinairement. Thiers veut aller à Bruxelles chercher quelques renseignements historiques auprès du Prince Metternich. Voilà le temps chaud rêvé. Je me barricade.
Vous voyez que je ne vous dis que des bêtises. Un mot sur les Princes de l’union, le frère du Prince Albert à la tête. Quand la révolution a éclaté partout, ils ont renoncé volontairement à leurs douaires & les ont cédés à l’état contre une liste civile quelle conque. Mais le Saxe entre autre avait stipulé une clause, c’est que s'il venait à renoncer à la souveraineté les biens lui seraient rendus. Et bien aujourd’hui ils veulent tous être médiatisés, incorporés à la Prusse pour recouvrir leur argent. Voilà où en sont les princes de la Thuringe & ce qui les fait persister dans l’union. Vous voyez que je deviens savante peu à peu. Adieu. Adieu. Envoyez-moi mieux que je ne vous donne.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 21 Juillet 1850

Le Prince Paul est revenu hier de Francfort. Il y a vu la duchesse de Kent qui lui a dit positive ment : "le ministère ne durera pas, c’est impossible, la reine me l'écrit." Je vous livre texte et auteur. Le Prince Emile me disait avant hier que pour le moment tout est rompu entre l’Autriche et la Prusse, mais cela n'inquiète personne. L’affaire du Danemark est assez embrouillée. C'est pour nous obéir et nous plaire que la Prusse a conclu la paix avec le Danemark au nom de l’Allemagne, maintenant il faut que les états allemands ratifient. Or, c’est une affaire très nationale & qui pique l'honneur allemand. L’Autriche est charmée que la Prusse ne soit un peu dépopulaire par là, et elle refuse de son côté de ratifier, pour se populariser à son tour. Nous allons nous fâcher contre l’Autriche. Voyez quelle confusion ! Notre flotte est là, mais il n’y a pas de troupes à bord.
Le mauvais temps continue. Je fais cependant mes promenades en voiture. A présent avec Constantin. Il a des récits curieux à me faire impossible de les écrire. On commence à Ems à être un peu trop curieux de me voir. Comme je ne vais jamais ni dans la promenade, ni dans le salon, on se fait présenter chez moi, & je commence à être très ennuyée de cela. Hier j’ai été d'une impolitesse remarquable même pour moi. Aujourd’hui je fais dire non aux gens qui demandent à venir. Ce que je vois habituellement c’est les petites princesses de Beauvale et la Duchesse d'Istrie. Le duc de Saxe Meneingen & Rothschild. A présent Paul de Wurtemberg for ever. Mais il ne m'ennuie pas. J'oublie ma princesse régnante, mais celle-là me fait rire à force de modestie & d'ignorance, et de bonne volonté !
Adieu, je suis fâchée de vous faire de si pauvres lettres. Je ne pêche rien dans le salon. Pensez-vous encore à votre projet de visite au Rhin ? Ou bien l'avez-vous abandonnée ? Répondez-moi, & si vous disiez oui, dites en un mot à Lord Aberdeen, en lui disant vos dates. Moi je reste ici jusqu'au 7. Le 8 je pars. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 20 Juillet 1850

Nous ménageons l'Angleterre parce que nous avons besoin d’elle dans l'affaire du Danemark qui nous tient fort au cœur, nous ne voulons en général pas aller jus qu’à nous brouiller avec elle. Nous détestons à mort Lord Palmerston, mais nous ne ferons pas plus que des notes quand l’occasion sera bonne pour cela. L’Empereur n’a pas goût au Prince Scharzemberg, mais il le respecte fort & approuve grandement ses principes, il n’y aura pas de Parlement général en Autriche. Chaque état de cet empire se gouvernera par des états locaux, et on leur dira un mot du budget. Voilà tout. Quant à la question allemande. Il faut que l’Autriche renonce à y entrer avec la Lombardie & & On est loin de s’arranger encore, mais la Prusse & l’Autriche savent que l'Empereur ne souffrira pas qu'on se batte et on ne se battra pas ! C'est Constantin qui parle.
En Allemagne la révolution est finie, battue, voilà l’opinion du Prince Emile, et s'il y avait un peu d’intelligence parmi les gouvernants ils seraient très bien remis à reprendre toute leur autorité. Le Roi de Prusse vaut mille fois mieux que son frère, le Roi est loyal, spirituel, on l’aime. Son frère est borné & entraîné aujourd’hui bien au delà de ce qu'a jamais été le libéralisme sur la [ ?] de son frère. Tout ceci sur la presse en est confirmé aussi par Constantin. Deux bonnes autorités, & je crois.
Le prince Emile est charmant. Mais hélas il est venu me voir une heure, et puis il est reparti grand, grand dommage. Ma nièce est mieux que je ne croyais. Elle est grande, belle taille, bon air, mais le visage est grand & la langue grande, je n’aime pas cela. Elle a tout a fait l'habitude du grand monde, elle parle français à merveille, elle a du tact. Voilà toutes mes remarques. Constantin est engraissé. Sa femme est un peu maigre. Hier j’ai été fatiguée de toutes les visites princières, ils tous venus venus les uns après les autres. Bonnes gens, mais si bornés ! Je trouve les 3 mois de prorogation de l'Assemblée bien longs. Paris sera ennuyeux. J’espère au moins que ses 25 seront bien choisis. Adieu. Adieu. Je suis mieux aujourd’hui que je n’étais hier. Mais je crois que ces bains sont un humbug. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 19 juillet 1850

Vous me faites un tableau très frappant de la situation morale de votre pays, et tous les jours cela devient plus drôle. Ce qui est sûr c’est que tous les jours le Président avance. Il n'y a que lui qui soit quelque chose. J'ai eu des lettres de Londres aujourd’hui lady Allice, & Ellice. La première a été à Saint Léonard, elle trouve au Roi mauvaise mine. Il vient à Londres cependant pour la première communion du Comte de Paris demain. De là ils vont lui & la reine, à Claremont et plus tard à Richmond. La duchesse d’Orléans les y rejoindre après un petit séjour seule à St Léonard. Elle reste en Angleterre jusqu’en septembre. Elle montre une grande inquiétude qu'on ne prolonge les pouvoirs du Président. Elle dit que l’Assemblée sera certainement réunie au commencement d'octobre. Le reste de la lettre de Lady Allice traite de l’hésitation dans le parti Peel. Elle croit qu'il se décidera à rester parti séparé, portant son nom. Le [gouvernement] très faible, pas possible qu'il fasse une autre session. Ellice est assez noir aussi sur ses amis. Il dit que John a fait une grande faute de ne pas donner sa démission après le vote de la Chambre haute. Il serait rentré bientôt & plus fort. Aujourd'hui, il est très affaibli. Les comités lui sont tous contraires, & il n’y a plus Peel pour le soutenir. Le comité d’Économie a décidé que les seules ambassades existantes aujourd’hui Paris & Constantinople seront converties en mission avec 5000 £ de salaire. Le [gouvernement] résistera mais on ne sait pas s’il ne sera pas battu comme Ellice l’a été dans le comité. Un autre comité sur le gouverneur de Ceylan, Lord Torrington, s’est aussi prononcé contre lui. Lord John veut aussi le défendre, cela lui réussira t-il ? Voilà une lettre.
Constantin est arrivé hier. Curieux sur beaucoup de détails Je vous dirai demain ce que je pourrai vous dire, pour aujourd’hui je suis bien fatiguée et un peu malade. La femme de Constantin n’est pas jolie peut être que je découvrirai qu’elle l'est, la première vue n’est pas favorable. On me dit que le Prince Emile de Darnstadt est ici, mais pour quelques heures seulement. Je vous dis adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 18 septembre 1850

Changarnier a été fort en train de confidences. Je voudrais pouvoir tout redire mais je vous dirai l’essentiel. Bien avec le président, & cherchant à le rester. Fort soupçonné par lui mais cajolé. Mal avec le M. de Laguerre. L’assemblée le renverra. Le Président se défend tous les jours d’avoir connaissance du 10 Xbre. Il y est jusqu'au cou. Dans sa tournée recueillant d'assez bonnes paroles du clergé de la noblesse & des paysans. La classe moyenne lui est hostile, (c'est tout le contraire de ce que vous croyez) très décidé à ne pas prolonger les pouvoirs du Président, mais plutôt à les abréger, en complète dissidence avec Molé sur ce point. Mais Molé est un poltron. Le président devrait comprendre que son intérêt est de servir une restauration. Mais il ne comprend pas. Il veut le pouvoir, & il ne le veut que pour avoir quelques chevaux de plus. Plein d’ardeur pour qu'on s’entende avec les légitimistes pour qu’il n’y ait qu’un seul cadeau. Il faut poursuivre mettre tout le monde à l'ouvrage, vous y êtes nécessaire, indispensable. Furieux contre Piscatory, il faut que vous le [?]. La Reine Amélie admirable & puissante sur sa famille plus que n'était le roi. Bien content de tout le chemin qu'on a fait. En pleine, en grande espérance, tenant tous les fils. Thiers croit qu'il me mène. C'est moi qui le conduit où je veux. Une femme entre cela, Mad d'Osne. Mais il lui cache déjà certaines choses. Je l'amènerai à lui cacher tout. Chacun croit me tenir. C'est moi qui tiens tout ce monde. Des questions encore sur Chambord.
La France a vu la ligue, la fronde. Après cela elle a eu un grand règne. Elle aura cela encore. Voilà à peu près l’essentiel. Mad. Rothschild tout le contraire à propos du Président. Il faut le faire durer. Jamais le petit commerce n’a été aussi content, &. Changarnier lui avait raconté tout ce que je lui ai dit sur le comte de Chambord. Elle m’a prié de recommencer. Parce que lui en avait été très frappée. En récapitulant tout Changarnier s'est montré plus légitimiste que je ne l’avais jamais vu. Car que signifierait sans cela sa grandissime colère contre Piscatory qui est allé prêcher à Clarmont une croisade contre les légitimistes.
Le 19. M. Molé ardent pour la fusion au moins autant que vous. Son thème pour faire des conversions est celui-ci : il n'y à que Henri V qui puisse raviver le régime parlementaire. Il développe cela très bien. C’est trop long pour moi, mais il dit que cela entraîne bien des gens. En grandissime et constante méfiance de Changarnier. Carlier qu'il venait de voir, lui a laissé clairement voir qu'on va, dès la rentrée de l'Assemblée, procéder à la prolongation. Carlier dit que les sociétés secrètes sont aussi actives que jamais. En relation avec les autres sociétés européennes. L'Angleterre très malade de cette maladie là. Les Allemands les plus actifs la dedans. Normanby parlant mal de Palmerston & désirant sa chute. Il l’a dit à Molé. Je crois vous avoir tout dit. Molé trouve que Changarnier me mystifie un peu. Après tout c’est possible.
Le 22. Je me souviens exactement du propos suivant de Changarnier. " Thiers a dit à la grande duchesse Stéphanie. Votre neveu est un sot. Il n’y a d'homme important en France que Changarnier, & Changarnier C’est moi. "

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Lundi 8 Juillet 1850

Enfin deux lettres de vous du 3 & du 4. Une d’Aberdeen du 5. Le plus vif chagrin. Perte nationale. Ressentie par la nation toute entière, depuis la Reine jusqu'au laboureurs. Jamais ou n’a vu un deuil un chagrin aussi général. Le plus grand homme qu’ait eu l'Angleterre, & pour Aberdeen un ami de 50 ans. Il n'a pas cœur à me parler d’autre chose, ni à spéculer "on the probable consequences of this calamity in our political combination. The session of Parliament will be brought to an early termination." Vous voyez par les journaux toutes les démonstrations. Certainement tout cela prouve que vous et moi nous le mettions un peu au dessous de son mérite. Il n’y a rien à dire devant une opinion aussi universelle. Toutes mes autres lettres d'Angleterre me manquent. J’ai vu hier la duchesse d’Istrie & les deux petites princesses de Beauvale, celle qui est fille du Duc de Mortemart est fort gentille. Mon fils me quitte demain. C’est un grand chagrin pour moi. Aujourd’hui j’ai commencé à boire, par un temps pluvieux, & froid. C’est du guignon. Ah qui je vais m'ennuyer !
Je trouve bien bonne la dernière partie de votre lettre au sujet de l’institut. Je crois que les mois prochains vont être bien fades. Si les vacances de l’Assemblée sont longues il y aura de quoi s’endormir. Ici c'est l’occupation obligée de tout ce qui marche sur deux pieds. Vous ne vous figurez pas l'ennui de ce lieu. C’est pire que ce que j’avais craint. Adieu de peur de trop. vous faire goûter les plaisirs d’Ems. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Jeudi le 10 Juillet 1851

Vos lettres sont toujours intéressantes. Et les miennes. Quelle pauvreté ! Je me suis fort ménagée hier. Le temps était froid. J’ai vu le médecin d’Ems, il ne trouve pas que je doive suspendre les eaux. Mon indisposition ne sera rien.
Hier soir le Prince George de Prusse et Duchatel. Pas gai du tout. Le prince est très raide & lent. Mais nous lui croyons de l'esprit. Il en a sur sa figure. Duchatel ne s’est pas amusé ni Marion, ni moi ; cela ira mieux. Il me semble que Beauvais a parfaitement réussi !
Je reçois vos lettres à 7 heures du matin. Je crois vous l’avoir déjà dit. Les mêmes porteurs à la même heure ce qui fait qu’elles doivent être mises à la poste la veille avant 6 heures du soir. Quels sots arrangements.
Les enfants du Roi des Belges arrivent je crois aujourd’hui. Ils ont pris tout l’hôtel à côté du Panorama. Je suis bien fâché que le roi lui-même ne vienne pas. Montebello avait promis à Duchâtel de lui écrire de Londres. Il ne l’a pas fait, cela le fâche. J'écris à l'impératrice sans trop savoir quoi. Ma scribomanie.
Adieu. Adieu Duchâtel trouve que cela vous irait très bien d’être catholique. Je ne trouve pas.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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2. Beauséjour 5 heures jeudi 31 août 1843,

J’ai été en ville. J’ai remis à Génie ma lettre et une lettre de Lady Palmerston reçue après coup, et que vous me renverrez. J'ai fait visite aux Appony. Vraiment il est trop bête. "-Et bien, elle vient donc cette petite reine ? Caprice de petite-fille un Roi n’aurait par fait cela. - Pourquoi pas ? S'il en avait eu l’envie ? - Mais c’est que l’envie n’en serait pas venue. - C’est possible. Mais voilà toujours un grand événement et qui fera beaucoup d’effet partout. - Je ne crois pas. On dira que c’est une fantaisie de petite fille. - Fantaisie accepté par des Ministres qui ne sont pas des petites filles. - On sait qu'ils sont très plats et qu'ils tremblent devant elle. - En tous cas voilà parmi les souverains de l'Europe le plus considérable peut être, et celui qui ne se dérange jamais qui vient faire visite au Roi. C’est un grand précédent. (avec une mine et un geste très ricaneur) Il se trompe bien s'il croit pour cela que les autres feront autrement qu’ils n’ont fait jusqu'ici. Personne ne viendra. - Et bien on se passera mieux des autres visites depuis qu'on aura eu celle-ci. - Je suis bien sûr cependant que le roi eut été beaucoup plus flatté de la visite du roi de Prusse. - En vérité je ne sais pas pourquoi et certainement elle n’aurait pas fait autant d’effet que celle-ci. - à Vienne on n'y pensera pas. Je me mis à rire et je lui dis : - Savez-vous qu'il y a des rapportages en ville & que j'ai entendu moi-même dire à Molé que le corps diplomatique montrait beaucoup de dépit. Il est devenu rouge. Certainement pas moi. Nous sommes si bien avec l'Angleterre et si sûrs d’elle que nous serons même bien aises de cette visite. Je n’en avais pas assez et j'ai dit que Molé avait été assailli par des : " Avez-vous lu le National ? Décidément ceci l'a interdit. Il avait même l’air un peu colère, Armin est entré ; la conversation a fini. Il me semble que je vous envoie assez de commérages. Ce qui est bien sûr c’est que l'humeur de l’Europe sera grande et cela doit bien vous prouver que le continent sans exception est malveillant pour ici. Gardez l'Angleterre. C’est votre meilleure. pièce. Beauséjour vendredi 8 h dim. matin La journée a été bien mauvaise hier. Si vous n'aviez pas à recevoir une Reine je vous en conterais tous les incidents. Tout a été de travers, pas de fête, pas un coin et je me suis vu forcée de revenir coucher ici où j’ai failli ne pas retrouver mon lit. Je vous conterai tout cela à votre retour. Heureusement Pogenpohl était avec moi, ce qui a contenu ma colère, quoique pas trop. Il a un peu d'esprit et avant que j'eusse pris l’initiative il m’a parlé du voyage comme de quelque chose de très grand, très important et qui doit avoir un grand effet, ici et partout. Il a ajouté " à présent, les bouderies de l’Empereur n'ont plus la moindre portée. " Il ne fera peut-être pas autrement qu'il n'a fait mais cela ne veut plus rien dire. " Voilà qui est vrai. Le bon de ce voyage, c’est que tout le reste dévient égal. Ecrivez donc ou faites écrire à d’André de bien vous mander tout ce qu’il entendra dire. Vos autres après auront bien l'esprit de le faire sans attendre un ordre. J’ai fait prier Kisseleff de venir ce matin, je serai bien aise de lui parler. Fluhman viendra probablement aussi. 10 heures Que de choses utiles et bonnes à dire à Aberdeen. Vous n'oublierez surement pas de donner une bonne bais [?] à vos entretiens. Vous rappelez que le bon langage des Ministres anglais au parlement a bien puissamment contribué à calmer les folies françaises. Il me parait que vous devez, que vous pouvez vous établir sur un pied de si bonne amitié et franchise avec lui. Surement comme étranger vous lui cèderez le pas aux dîners, & & & Je vous dis des bêtises. Vous savez tout cela. Mais n’importe. Qu’est ce que l’affaire de votre consul et du drapeau français. à Jérusalem ? C’est mauvais. Sébastiani a eu je crois une affaire pareille à Vienne ou Constantinople. Ou bien n'était-ce pas Bernadotte ? Je reviens à Appony. Vraiment je suis un peu étonnée. Le meilleur !!! Metternich était bien tant qu’il croyait être seul à vous protéger car c’est bien là le sentiment. Sa vanité était en jeu et de là venait sa bonne conduite. Aujourd’hui il est débordé, son dépit sera grand, en attendant son ambassadeur est trop sot Voici votre N°1. Merci, merci. J’aime autant, et même mieux que la Reine ne vienne pas à Paris. On n’aura plus le droit de dire, petite-fille curieuse de s'amuser. Et puis. Vous serez libre plutôt. J'aurais aimé à causer avec Lord Aberdeen, mais vous n'oublierez rien, seulement j'aurais eu le contrôle. Je suis charmé que ce soit Andral j'espère qu'on choisira son meilleur rôle. Passé minuit est un peu trop leste pour la vue ; car il sort de son lit avec le stricte nécessaire. However I don't know. Les tapes sont une grande habitude en Angleterre ; peut-être par la chaleur aimera-t-elle la nouveauté d’un parquet. Si j’avais Lord Cowley sous la main je lui soufflerais la mauvaise humeur du corps diplomatique. Il se croyait si sûr de la probité autrichienne ! Nous en causions le dernier jour et il me disait : " pour ceux-là ils ne seront surement pas. jaloux. " Je regarde beaucoup le ciel. Quel bonheur s'il reste aussi beau ; ce sera superbe. Le danger qu’a couru le Roi et la famille fait faire d'étranges réflexions. Dans l’accident de l’an passé, il n’y avait pas de quoi se donner une entorse, et le Duc d'Orléans y a péri ! A présent ils devaient être tués tous, et il n'est rien arrivé qu'un bain à 3 chevaux ! Vraiment, vraiment la main du duc est bien visible. Elle protège toujours le Roi. jaloux. " Je regarde beaucoup le ciel. Quel bonheur s'il reste aussi beau ; ce sera superbe. Le danger qu’a couru le Roi et la famillie fait faire d'étranges réflexions. Dans l’accident de l’an passé, il n’y avait pas de quoi se donner une entorse, et le Duc d'Orléans y a péri ! A présent ils devaient être tués tous, et il n'est rien arrivé qu'un bain à 3 chevaux ! Vraiment, vraiment la main de duc est bien visible. Elle protège toujours le Roi. Je repense à ma conversation avec Molé. Certainement, il a retrouvé son esprit. C’est de très bon gout de dire son contentement du voyage, et il le fait avec un air très naturel, irréprochable. Le diable n’y perd rien peut-être, mais c’est égal.. Je vous écris des lettres énormes. Aurez-vous le temps de les lire ? On vient de me faire dire de Versailles qu'il y a un appartement. Je me décide donc à retourner. Si je puis entraîner Fluihman, je l’emmène si non j’irai seule. Adieu. Adieu mille fois adieu. l wish you success. Je serai bien contente d’apprendre que la Reine est actually arrived. Adieu. J'ai oublié encore à l’article Appony ceci : il me dit, j'espère que M. Guizot et ses collègues ne montreront pas trop d’orgueil de cette visite. Soyez tranquille. Ce sont des gens d’esprit. And now good bye for good. Mais encore adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Mardi le 8 Juillet 1851

Votre lettre fait ma journée Je n’ai donc rien à vous dire de plus que je ne vous disais hier. Les verres d’Eau, le bain, la promenade, Duchatel & sa femme. Ah, Le prince George de Prusse neveu du roi. Jeune homme sérieux et agréable, mais qui va partir. Je suis curieuse de Londres, Montebello a promis à Duchâtel de lui écrire de là. Je suis honteuse je n'ai rien à vous dire du tout. Il ne vaut pas la peine de vous envoyer cette lettre. Elle restera jusqu'à demain.
Mercredi 9 juillet. J’espère que vous ne me gronderez pas de vous avoir manqué un jour d’autant plus que hier ressemble à aujourd’hui avec ceci de plus que je suis fort dérangée dans ses entrailles ; le dîner est détestable et cela me cause de vilains mouvements de bile. Je vais essayer aujourd’hui les talents d'Auguste. J’ai peur que cela n’aille pas. Voilà mon seul souci d'Ems.
Comment n'avez-vous pas encore reçu dimanche ma lettre de Cologne de vendredi ? C'est étrange. Dites-moi, ou répétez moi, si vous l'avez reçu ou non. Cela m'importe, car j’avais écrit d’autres lettres de là. Duchatel n’est pas reçu hier soir. Lui aussi a ces mêmes accidents que moi, et de plus un peu de fièvre. Il est mieux ce matin & reconduit sa femme à Coblence.
Le comte de Chambord a parfaitement raison de ne pas risquer Londres. Quel plaisir pour moi de lire M. de Maistre, & quel remord ! Quelle honte ! Tous les soirs chez moi pendant tant d’années et ne me souvenir que de sa figure. Certainement je n’ai pas de l’esprit naturellement. On m'en a donné un peu, et bien tard ; et pour être tout-à-fait vrai je crois qu’il ne m’en est venu un peu qu’à Paris et depuis 14 ans. Il fait très froid ici 8-10 degrés pas davantage,
Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris vendredi le 16 Mai 1851

C’est très ennuyeux d’avoir à vous écrire. C’est plus ennuyeux encore d’avoir pensé à vous hier tout le jour. Quand vous êtes pris je ne m'occupe pas autant de vous. Expliquez cela, arrangez cela. Point de nouvelle à ce qu’il me semble. J’ai vu le matin le Prince Paul Montebello, Lord Holland des Russes. Un comte Koutouzoff bien bel homme. Le soir Dumon, Meradi, Viel Castel, Meradi charmant. Thiers est de bien mauvaise humeur. Assis à la Chambre à côté de Heeckeren. Un député les appelle les débris qui se consolent. Thiers trouve débris très impertinent. L’interlocuteur dit : " Glorieux débris dès 18 ans. "
Je vous redis des bêtises. La Duchesse de Parme va à Naples avec injonction de voir les d’Aumale. Puisque vous ne m'avez pas dit cela, je vous l’apprends. Lady Allen croit que le Ministère tiendra. Stanley le désire. Graham au con traire voudrait que Stanley le remplaçât tout de suite, afin que son tour à lui, Graham vint plutôt. La duchesse d'Orléans boude lady Allen, & ne l’a pas vue encore. Joli retour des ardeurs de lady Allen.
Le message Marzini fait du bruit. Je n’y crois pas du tout moi. Mes petites amies ont passé leur soirée hier chez Thiers. Elles l'ont trouvé en très bonne humeur croyant à la prorogation du Président peut être à sa perpétuité. Paul de Ségur était là. Charlotte Rothschild se moque de la fusion et ne croit à rien. Mais elle est en grande haine de l'Elysée. Elle veut un Dictateur. J'espère que me voilà suffisamment commère. Adieu et demain encore Adieu.
G. Viel-Castel ne savait rien du Portugal. En y pensant bien je ne crois pas du tout à l’abdication de la reine ou à sa chute. L'Angleterre la soutiendra.

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26. Schlangenbad le 29 juin 1852

L’Impératrice est venue chez moi ce matin. Elle y a passé une heure et davantage. Long tête-à-tête où nous avons causé de tout. De son côté tant d’intimité, de bonté, de confiance, d'abandon. Un esprit si sérieux, une âme si élevée, si adorable. Je ne puis assez-vous dire combien j'ai pour elle de tendresse & de respect sincère. Si vous aviez pu écouter. Vous auriez été frappé & charmé de ce naturel, cette grâce d'esprit et de coeur rare dans toutes les conditions, unique dans le rang qu’elle occupe, moi je n’ai pas l’honneur de connaître une femme qui ressemble à l’Impératrice s'il y en a qui lui ressemble.
Au milieu de tout cela l’intérêt de ma vie n’a pas été négligé, & j'ai toutes les garanties possibles. Je suis bien contente d’être venue. Précieux souvenir & sincérité pour l’avenir.
Mais mes forces ! Pauvre, pauvre santé. Enfin, je retourne à Paris ; c’est là que vous allez m’adresser vos lettres. Constantin est arrivé aujourd’hui. Le roi vient chercher l’Impératrice après demain. Outre Stolzenfels où nous passons deux jours, nous irons dans un autre château Barath. C'est le 4 que je me sépare de l’Impératrice. Adieu. Adieu.
Toute la journée j'ai du monde je n’ai pas. un moment de repos, & j'ai tant de besoin d'en avoir. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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22. St Germain Mardi 4 août 1846

Je suis revenue ici hier au soir avec un accroissement de 25 voix à votre majorité. Je suppose que vous en perdrez un peu aujourd’hui, mais en attendant ce début était bon. J’ai vu en ville lady Cowley W. Hervey, Fleichman. Rien de nouveau de Londres grande vraisemblance qu'on ne dissoudra pas le parlement, et qu’en le laissant faire son temps ou s'affermira dans l’intervalle car Peel n’est pas mur, & les protectionnistes impossibles. C’est bien ennuyeux d’avoir à s’accommoder ou s’incommoder. des Whigs pour longtemps peut-être. J’ai écrit hier à Lady Palmerston. La journée hier était fraîche charmante pour la course ; aujourd’hui la chaleur est revenue. Je suis triste, j’ai laissé en ville votre lettre, c’est la première fois qu’un accident pareil m’arrive. Aucune importance à cette lettre pour personne, Mais pour moi ! Pouvez-vous me dire si le roi ouvre les Chambres le 17 ? Ou si, comme plusieurs personnes me le répètent, il n’y aura de séance royale que pour les proroger. Lady Cowley est en bien mauvaise humeur. Le moi domine dans tout. Ce n’est pas une personne aimable. Je suis bien enracinée de ce que Jarnac vous rapportera de Londres par suite de votre lettre de jeudi.
Midi Voici votre N°20 charmant. Mais ne vous revenez pas tant, reposez-vous. Je m'agite et m'échauffe en pensant que vous n'êtes jamais tranquille. Je vous prie soignez-vous. Je suis bien fâchée de M. J. Lefebre non révélé. Et ces lois sur les patentes qui devaient faire un si bon changement dans les élections ? Vous voyez que je me souviens ce soir vous saurez sans doute à peu près tout, ou demain matin. En somme il me parait que vous aurez gagné. J’ai seulement peur comme vous que ce ne soit trop. Cependant il vaut mieux cet embarras que l’autre. Adieu dearest. Qu’est-ce que sont pour moi les élections ? et tout le reste ! Je veux seulement que vous vous portiez bien & vous revoir bientôt, bientôt. Je vois avec grande joie que les deux soirées vous restent bien dans le cœur. C'est juste. Adieu dearest.

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21 Schlangenbad le 24 juin 1852 Jeudi

Pendant que j’étais chez l’Impératrice ce matin, à trois, elle la grande Duchesse & moi, on m’a apporté un billet de votre petit ami qui était venu me voir. J'ai fait attendre longtemps. mais je l’ai vu à la fin. Je ne lui ai pas donné de lettre. Vous le verrez mardi et vous recevrez ceci je pense dimanche ou lundi. Il vous dira verbalement quelque détails de la vie que je mène & de la mine qu'il m’a trouvée. Elle n’est pas belle. Je suis bien fatiguée, quand tout ceci sera passé & que je pourrai me reposer c’est alors que je me sentirai abattue et faible car à présent encore l’intérêt de la situation, the excitement. me soutiennent. Pas l'isolement, l'excès contraire.
Pourvu que Aggy m'épargne cela, ici à Paris n'importe. J’attends de Clothall demain une lettre qui me fixera sur mon sort.
L’Impératrice prend goût aux choses que je lui lis, cela nous mène à des conversations très intéressantes. Elle sait bien des choses, & sa mémoire est prodigieuse, & son bon sens aussi. Ces séances du matin, me plaisent beaucoup. La soirée se passe bien aussi très bonne conversation. En tout l’Impératrice dont vous savez que je pense si bien, surpasse encore l’opinion que j’avais de son esprit, de sa bonté de son tact délicat et fin. C’est une personne très supérieure. Comme le mérite modeste est rarement connu et comme c’est celui-là que j’aime.
Aujourd’hui se fait à Bibérich la rencontre entre l’Impératrice et le roi Léopold. Je n’y vais pas car je ne vais nulle part et je crois que Meyendorff n’en sera pas non plus, je le regrette. Il a une migraine affreuse.

5 heures. Voici votre petit 21 qui me désespère. Vous ne recevez pas mes lettres. Que puis- je y faire ? Je ne conçois rien à cela. Les vôtres m’arrivent très régulièrement. Aujourd’hui j’ai eu votre lettre du 16 sans N° très curieuse, très intéressante. Merci merci, et Adieu mille fois.

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18 Schlangenbad le 21 juin 1852 Lundi

Je passe avec Meyendorff des heures charmantes, c’est une communauté charmante de souvenirs, d’intérêts, d’opinions. Nous cherchons sans le trouver le sujet sur lequel il pourrait y avoir dissentiment entre nous. Il faut absolument que je vous le montre, il en a bien envie aussi non pas de se faire voir car il est très modeste, mais de vous connaître vous & d’autres. Il faut que ce plaisir me soit donné. Hier l’Impératrice a été très fatiguée de la visite du roi de Wurtemberg C’est trop pour elle. Il lui faut de la distraction sans gêne. Je comprends cela, je l’apprécie & je le pratique comme vous savez. Elle s’est reposée & couchée hier soir et j’ai fait ma soirée chez ses dames. Toutes quatre sont très bien. (Mme Nélidoff la plus distinguée entre elles, une personne intéressante.) (Ne répondez pas à ceci.)
Les princes se succèdent et se relèvent ici. Il n'y a que cela de visiteurs. Tous sont polis pour moi et ne manquent jamais de venir chez moi malgré les rencontres deux ou trois fois le jour chez l’Impératrice. Il en résulte que j’ai extrêmement peu de loisir, quelques fois pas le temps de m'habiller car on commence dès 10 h. le matin. Pas de promenade du tout aujourd’hui, une pluie incessante.
Il me semble qu'Aggy viendra certainement me rejoindre, dans ce cas je n’irais pas à Paris, mais l’incertitude m’est bien désagréable. Il me parait difficile d'échapper à Stolzenfels. Si je retourne à Paris rien de plus simple, mais si je n’y vais pas, voilà qui sera encore bien fatigant. Enfin tout ceci doit compter pour une campagne. J'en rapporte des passeports, je serai biens payée, par dessus le plaisir de cœur qui est grand je vous assure. Adieu. Adieu.
Je suis un peu mieux de santé. Adieu.

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Paris Dimanche 11 Novembre 1849

Hier une longue visite du chancelier. Fort cajoleur pour moi ; mais ne vous nomment pas. Il a aimé & servi tout les régimes. Il n’aime et ne sert plus rien. Il ne croit à rien. Il est très dur pour le Roi & sa race. La chute a été trop honteuse. Au fond la tête du roi était en décadence depuis l'année 41. J'ai manqué Molé hier il est venu trop tôt. Je n'étais pas rentrée. Je le regrette, je lui aurais recommandé ce que je vous ai prié de dire à Broglie à propos de lord Lansdown, du langage à lui tenir. Toute ma soirée a été prise par Kisselef. Nous sommes mutuellement contents l’un de l’autre. Mais il n’est pas tout-à-fait content du reste. Le décousu & les contradictions sont insupportables. On me confirme ce que vous dites de la mauvaise humeur & même de la violence de langage de Thiers. Ni lui, ni Molé n'ont revu le président depuis le message. La femme de Normanby se soutient à l’Elysée On y est ou on redevient très Anglais. C’est mal connaître son intérêt. Hübner est venu le matin ainsi causer longtemps avec moi. Il est positive ment très spirituel. La proclamation de Carlier met en fureur le National. C'est la guerre civile une moitié de la société en lutte avec l’autre, & c’est le gouvernement qui proclame cela ! Voilà le langage. Il finit cependant en recommandant de se tenir tranquille. C’est tout ce qu'il me faut. [...] J’espère que vous avez conservé votre bonne mine anglaise.
Midi 1/2 Je rentre de l'église & j'ai trouvé de vos nouvelles verbales, dont je suis très contente. Adieu. Adieu. Adieu. Quel plaisir de penser au plaisir de cette semaine !

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10 Schlangenbad samedi 12 juin 1852

Mes conversations avec Meyendorff sont interminables. Il est curieux, abondant sur tous les sujets, esprit très universel, plein de science, & simple. & naturel, & de bon sens par dessus tout. Quel dommage que vous ne le connaissiez pas. Il vous plairait bien.
La soirée hier était plus nombreuse que de coutume. Les jeunes grands ducs d’abord & puis Oldembourg, Nassau les jeunes avec la jeunesse à une grande table ronde. La grande Duchesse Olga, Meyendorff et moi auprès de la couchette de l’Impératrice. Beaucoup de liberté de mouvements & de conversation, pas de gêne du tout, et elle toujours de bonne & gracieuse humeur.
Aujourd’hui grand baptême à Biberich. Les grandes toilettes y vont. L’Impératrice tient sur les fonds. Il n’y a pas eu de rencontre à Coblence. Je crois vous avoir dit que l'Impératrice a retenu ses fils ici un jour de plus, et Léopold a dû en répartir ce matin pour venir à Wisbade.
Plus je vois l’Impératrice, plus j’entends parler d’elle, ses dévoués qui ne sont pas des courtisans, & plus je me confirme dans l’opinion que je vous ai dite que c'est un esprit juste, profond, une âme très élevée et un coeur excellent. Peu démonstrative mais n'oubliant rien. On se sent en sûreté avec elle et je la quitterai l’aimant encore plus que je ne faisais en arrivant. Je crois.
Je fais cette réserve, car l’expérience m'apprend à ne plus rien croire d’avance. Je vous dis. Adieu sans un mot de nouvelle à ajouter. Adieu.
+ Il fait ici très froid, je n’ai pas le côté du soleil de sorte que j'ai recours aux cruches d'eau bouillante. Le beau temps est nécessaire à Schlangenbad. +

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7. Versailles Mardi 5 Septembre 1843 8 heures du matin.

Merci de deux bonnes lettres hier. La seconde avec l'incluse de lady Cowley m'est arrivée tandis que j’étais à dîner avec Appony et Armin. Comme elle était fort innocente. Je leur ai donné le plaisir de la lire. C'était pour eux un treat. Ils sont venus de bonne heure, j’étais dans les bois en calèches avec Pogenpohl qui me tient fidèle compagnie pour la promenade et pour le dîner. Nous avons eu encore de la causerie avant le dîner à nous trois.
Vraiment Appony est impayable. Il me dit maintenant on ne pourra plus dire que c'est un caprice d'une petite fille curieuse puisqu’elle ne vient pas à Paris. On était tout juste lui il y a 3 jours. C'est de moi qu'ils ont su qu’elle n’y venait pas. car en ville on l’attend encore. Tous les deux m'ont dit avec bonne grâce " c’est plus flatteur puisque c’est personnel. " Enfin le ton était tout-à-fait changé. Mais j’arrive à l’essentiel. Tous deux m'ont parlé du mariage Espagnol. Vous ne serez pas sorti de votre voiture en arrivant à Paris qu’ils seront là pour vous presser au sujet du mariage Don Carlos. Armin en a reçu l’ordre formel de sa cour. Appony s’est longuement étendu sur le fait. Bon pour tout le monde. Bon pour l’Espagne puisque cela confond et réunit les droits et écarte les dangers d’une guerre civile que ferait naître un prétendant. Bon pour l'Angleterre pour la France (qui veut un Bourbon) pour toutes les puissances puisqu’elles sont d’accord sur la convenance et l’utilité de ce mariage. Bon encore pour l'Espagne puisque c’est la seule combinaison qui lui assure la reconnaissance immédiate de la reine par les 3 cours. Enfin rien de plus correct, de plus irréprochable, de plus désirable. J’ai dit amen. Mais deux choses, l’Espagne voudra-t-elle ? & Don Carlos voudra-t-il ? pour l'Espagne nous en sommes presque sûrs pour Don Carlos c’est difficile, mais si l'Angleterre & la France voulaient seulement concourir, l’Espagne serait sûre & on pourrait l’emporter à Bourges. Au reste ajoute Appony je vous dirai que Lord Aberdeen est excellent et qu'il a dit à Neumann qu’il était tout-à-fait pour le mariage Don Carlos, en êtes-vous bien sur ? Parfaitement sûr.
Nous sommes revenus à la visite de la Reine, à l’effet que cela ferait en Europe. Ils en sont tous deux curieux, au fond ils conviennent que cela ne plaira pas, que c’est comme une consécration de la diplomatie et que certainement pour ce pays-ci c’est un grand événement ; nous avons parlé de la Prusse, et moi j’ai parlé. du peu de courtoisie des puissances envers ceci. Appony s’est révolté ; comment ? Au fond la France nous doit bien de la reconnaissance si nous ne lui avons pas fait des visites au moins l’avons- nous toujours soutenue, toujours aidée. Le solide elle l’a trouvé en nous. C’est vrai mais les procédés n’ont pas été d’accord. Les princes français ont été à Berlin, à Vienne, d’ici on a toujours fait des politesses. On n’en a reçu aucun en retour, et depuis quelques temps vous devez vous apercevoir que le Roi est devenu un peu raide sur ce point. Alors Armin est parti. Le Roi a été très impoli pour nous. C'est une grande impolitesse de n’avoir envoyé personne complimenter mon roi quand il s’est trouvé l’année dernière sur la frontière. Nous avons trouvé cela fort grossier & M. de Bulow l’a même dit à M. Mortier (quelque part en Suisse) mais votre Roi n’avait pas été gracieux six mois auparavant. Il a passé deux fois à côté de la France sans venir ou sans accepter une entrevue. Oh cela, c'est Bresson qui a gâté l’affaire. Il a agi comme un sot. Il a voulu forcer la chose et l’a fait échouer par là. Je vous répète tout. Ensuite rabâchant encore sur Eu, Appony me dit au moins la Reine ne donnera certainement pas la jarretière au Roi. C’est cela qui ferait bien dresser l’oreille dans nos cours ! Pourquoi ne la donnerait-elle pas ? Vous verrez que non.
Ils ont ensuite parlé de la légion d’honneur au prince Albert comme d’un matter of course Je crois que j’ai expédié mes visiteurs dans ce qu’ils m’ont dit de plus immédiat. Faites donner la jarretière au Roi. Vous avez tous les moyens pour faire comprendre que cela ferait plaisir ici. Commencez par donner le cordon rouge au Prince. Mandez-moi que vous n'oubliez pas cette affaire. Car c’est une affaire.
Direz-vous quelque chose à Aberdeen de vos dernières relations avec ma cour ? Il ne faut pas vous montrer irrité, mais un peu dédaigneux ce qu'il faut pour qu'il sache que vous voulez votre droit partout. Cela ne peut faire qu'on bon effet sur un esprit droit et fier comme le sien. J'espère que vous êtes sur un bon pied d’intimité et de confiance et qu'il emportera l’idée qu'il peut compter en toutes choses sur votre parole. Faites quelque chose sur le droit de visite. N'oubliez pas de dire du bien de Bulwer. C'est bon pour lui en tout cas qu’Aberdeen sache que vous lui trouvez de l'esprit et que vous vous louez de son esprit conciliant.
Après le dîner que je fais toujours ici à cinq heures, j’ai été avec mes deux puissances faire une promenade charmante mais un peu fraîche en calèche. Ils m'ont quitté à 8 1/2 et comme je n’ai plus retrouvé Pogenpohl je suis allée finir ma soirée chez Madame Locke. J’ai passé une très mauvaise nuit. Mes attaques de bile. Décidément les dîners d'Auberge ne me vont pas et j’ai envie de m’en retourner aujourd'hui à Beauséjour.
10 heures. Génie, notre bon génie m’envoie dans ce moment votre n°4 excellent je vous en remercie extrêmement. Je suis bien contente de penser que tout va bien. Quelle bonne chose qu'Aberdeen ait vu le Roi, vous. Quel beau moment pour vous en effet. Je me presse, je remets ceci à ce messager, sauf à vous écrire plus tard par le mien. Adieu. Adieu. Adieu.
N’allez pas dire un mot à Aberdeen des vanteries d'Appony. C'est-à-dire ne dites pas que c'est moi qui vous le dis. Ne prononcez pas mon nom quand vous parlez affaires. Pardon vous savez tout cela, mais j’aime mieux tout vous dire, tout ce qui me traverse l'esprit. Adieu. Adieu à tantôt.
Pourquoi ne faites-vous pas donner la part du Diable ? C'est décidément charmant. Opéra comique.

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Paris le 14 Novembre 1849

Voici votre lettre, & voici encore la mienne puisque vous m'ordonnez de vous écrire. Mais c’est bien la dernière. Que j'aurai de choses à vous dire. Hier tout le monde était charmé du verdict de Versailles, bon correctif à l'amnistie de la veille qui n’a pas fait grand plaisir dans le monde de la majorité. Le duc de Broglie m’a fait une longue visite hier. Je ne le trouve pas si désespéré, mais je lui en demande pardon c'est un suprême [?]. Il avait vu longtemps Lord Lansdowne, il ne m’a pas raconté ce qu'il lui avait dit mais il lui a parlé de Lord Palmerston comme il en pense. Broglie a chassé Kisselef qui était en train de me raconter sa matinée. Il avait été chez le président je crois que cela a été vif ; on n’aboutit à rien ici. J'ai été le soir passer une demi-heure chez Molé. Très curieux salon, pour moi, qui n'ai jamais été dans un salon politique à Paris. Rien que des députés, Molé resplendit. Il était très flatté de mon apparition. Cela a bon air chez lui, grand [?] et facile. Il m’a présenté M. de Montalembert l’extérieur n’est pas brillant. La conversation bonne, un peu tranchante, cassante, mais ses bons principes couvrent tout. Il y avait là aussi Larochejaquelin. J'ai causé un moment avec Changarnier, je ne l'ai pas bien compris quand il m’a dit qu’on entrevoyait quelque chose derrière le rideau. Broglie était là aussi, une foule d’hommes, en femme pas une, excepté Mad. de Hatzfeld. Il est vrai que je me retire de bonne heure.
A entre 7 et 8.
Adieu. Adieu.

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3 Versailles, Samedi 2 Septembre 1843
6 heures du matin

Me voici bien véritablement à Versailles, mais cela ne me plait guère. L’appartement que j'occupe est au midi. J’étouffe. J’ai passé une nuit détestable. J’ai fait hier un mauvais dîner qui me dérange l’estomac. Enfin cela commence très mal. Je commence à me croire bête. Je ne sais pas les arranger. Kisseleff est venu hier à Beauséjour avant mon départ. Je voulais lui dire que le corps diplomatique se conduisait très sottement et lui insinuer par là la convenance de faire et dire autrement. Il s’est avoué coupable du pari, il les regrette extrêmement. Je l’ai rassuré, j’ai dit que quoiqu'on les sût on n’y ferait pas attention mais il faut qu'il règle son langage ou il a affirmé et je le crois qu’il dit à tout le monde en parlant du voyage " c’est un très grand événement ", & lorsqu'on lui jette à la face la petite fille. Il dit une petite fille qui est un roi, qui arrive flanquée de ses vaisseaux de ligne ; et accompagnée de son ministre, c'est le gouvernement, c'est l'Angleterre. Je l'ai loué et exhorté à continuer. Quand on a de l'esprit c’est comme cela, qu'il faut faire. Je voulais sérieusement rendre service à Kisseleff, et je suis sûre de mon fait en faisant ressortir que tous ses collègues sont des sots.
Ce pauvre Fluihman que j’attends qui est venu a été renvoyé brutalement par ce sot de Stryboss. Pauvre homme dans cette chaleur. Je lui ai écrit pour l’inviter ici aujourd’hui mais il ne me croira plus.
J’ai quitté Beauséjour à cinq heures, seule. J’ai dîné un peu tristement et mal. J'ai marché sur le pavé dans les ténèbres suivie d’Auguste. Comme c’est gai. Je suis entrée un moment chez Mad. Locke dont l'appartement touche au mien. Elle est très bête, sa fille a un ton de village, le mari ne dit plus un mot. Ce trio n’est pas soutenable si l'on ne vient pas me voir de Paris cette solitude sera intolérable.
J’attends votre lettre. Je voudrais bien savoir cette reine arrivée. Si elle tarde c’est autant de jours de pénitence de plus pour moi, et je les trouve déjà bien longs. Serra Capriela donne demain une soirée diplomatique au comte de Syracuse. Appony devait venir passer la journée chez moi, ceci l’en empêche.
Une heure. Voici votre lettre. Je vous en prie pas de galanterie en mer. Que le Roi n’aille pas au devant. La bonne grâce serait quand elle approchera et lorsque son bâtiment sera en rade. C'est-à-dire en parfaite sécurité, que le Roi monte en bateau ouvert pour la recevoir. Il est clair qu'il faut un bateau dans tous les cas. Je ne connais pas votre Tréport mais s’il est fait comme d'autres ports le bateau à vapeur n’arrivant pas jusqu’au bord il faut toujours se mettre en chaloupe pour aborder. C’est donc chaloupe que je voulais dire, et encore j'ai bien envie de m’en dédire. Je ne suis pas le moins du monde de votre avis sur ces sortes d’entreprises. " Là où il y a la plus petite chance d’un très grand malheur il faut s’abstenir ! " (traduction littérale d'un dicton Anglais.) Que le Roi reste chez lui. Et surtout pour Dieu que vous y restiez. Je n’aime pas toutes ces aventures. Ah que je voudrais qu’elle fut déjà là ! Votre lettre me fera trembler jusqu'à demain. Et puis je recommencerai. Vous me rendez très nervous par cette chance d’une promenade en mer si la Reine n’est pas arrivée demain quand vous lirez ceci, suivez-mon conseil. Je vous en conjure ; écoutez-moi.
Je vois que vous me voulez à Beauséjour. J’y retournerai puisque c’est votre volonté. Je coucherai encore ici aujourd’hui. Vous ne savez pas comme vous venez de m’inquiéter, et puis quand je me rappelle que nous nous sommes quittés si gais j'en reviens à un pressentiment triste. Je vous demande à genoux de ne pas vous embarquer, de ne pas embarquer le Roi. Adieu, adieu.
J'écris à Génie pour le prier de venir ici. Peut-être viendra t-il. Madame Narychkine revenue de Bade me rapporte la nouvelle que les trois filles du Grand Duc Michel se marient. L'ainée au Duc royal de Wurtemberg. La seconde au Duc régnant de Nassau. La troisième au Prince héréditaire de Bade. Tout cela d’excellents mariages. Et l’Empereur qui ne parvient pas à en faire de bons pour ses filles. Qu’est-ce que je vous dis là ! Je n’ai plus autre chose dans la tête que cette navigation du roi. Abominable idée jetez la par terre je vous en supplie. Adieu. Adieu. Adieu. Non pas gaiement du tout mais avec une horrible inquiétude. Adieu.

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Paris le 22 octobre 1850 Mardi

Je passais la soirée chez lord Grey le jour où lord John Russel portait le bill de réforme à la Chambre des Communes. Lord Howick écrivait de là à son père le billet suivant. the Mountain is in rupture the Tories are in a rage, our friends are astounded. J’ai ce billet. Vous voyez comme cela donne raison à ce que vous me dites de ce bill ? J’ai mené hier Hubner à Champlatreux, grande course en voiture.
[Breguey] a fait son effet à Berlin, la reculade est forte, cependant Hubner ne regarde pas encore la guerre comme impossible. Mais elle est invraisemblable. Il m’a dit si elle commence, nous ne nous arrêterons qu'à la Mer du nord & à la Baltique, il était consterné du régiment prussien donnée à Paskevitch, certainement sa cour n’a pas pensé à cette galanterie là. & elle ira droit au cœur de mon Empereur. L'Empereur d’Autriche a une érysipèle au pied, mais on croit cependant qu'il pourra aller à Varsovie. Nous avons trouvé M. Molé fort peu au courant, il ne nous a rien donné et nous lui avons beaucoup appris. La visite & la rencontre à Ferrières l'ont consterné. Vous l'avez un peu guéri de ses méfiances, il les a reprises toutes. Il m’a questionné sur votre billet à Morny. Je lui ai montré ce que vous m'en dites. Cela l’a parfaitement défié & pacifié.
J’ai oublié de vous dire hier que M. de Montalembert est allé à Rome hier même, il avait passé la matinée. La veille chez le général Lahitte. Je ne sais si c’est en mission, Lahitte un mot disant son voyage ne m’a pas laissé cette impression.
Vous ai-je dit que dans une longue conversation que M. de Heckern a eu avec le roi de Prusse celui-ci lui a dit ces trois choses. Le Prince Schwarzenberg ne connait pas l’Allemagne moi je la connais. La Hesse, voyez-vous, c’est mon nombril. Je ne souffrirai pas qu'on marche dessus. Et sur l'observation de Heckern vous aviez avec vous la Révolution. Bah, il n’y a plus d'électricité. La révolution est finie. Quand je dis que Molé en n'a rien appris. J'oublie Salvandy qui venait de le quitter revenant tout frais d’Allemagne. Dans le ravissement de Frohsdorff, la comtesse de Chambord est même belle, on a menti en disant qu’elle ne l’était pas. Ils étaient à déjeuner lorsque les journaux arrivent avec la circulaire. Le Prince abasourdi. Le duc de Lévis [Ditto] & tous deux prévoyant le parti qu’on en tirerait, & se perdant en conjectures pour deviner comment & qui. Molé crois d’après ce qui lui est revenu que c’est M. de Saint Priest accouchant de cela à Paris. La Comtesse de Chambord questionnant sur le comte de Paris, parlant de ceci avec attendrissement, & attendrissant Salvandy. Il a mandé tout cela à Clarmont.
Antonini est revenu hier de Bruxelles. Je l’ai vu le soir. Il a longtemps causé avec la reine. [Charmante], forte, droite, en train, parlant de tout, de bêtises mêmes dit Antonini, aussi une querelle d’un petit consul Napolitain. Le Roi lui a demandé de rester, ou de revenir, elle a dit qu'il fallait que les ministres le lui demandassent, ils l'ont fait, elle a promis de revenir. Le Prince de Joinville courbé, charnu, un homme de 55 ans. Le duc d'Aumale boitant, le duc de Nemours brillant. Le ménage Cobourg allant mal . Le Prince est retourné en Allemagne. La Princesse Clémentine partie avec la reine. Le roi Léopold très impopulaire. Et le sentant. Il a besoin de la reine Amélie pour le soutenir dans son pays ! Je vous ai tout dit & Je suis fatiguée. Il fait bien froid. Adieu. Adieu.

Encore un mot. Au moment de la mort Léopold a dit : " On a beau être incrédule à cette religion là, quand on voit mourir comme cela, on est ébranlé. " Vilain propos d'un lâche, et d'un courtisan, que n’allait-il à la messe après ? Molé ne croit pas au renvoi des ministres de la guerre, quoique cela lui ait été promis à lui même.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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6. Versailles Lundi 4 Septembre 1843
9 heures

Quel charmant récit ! Votre N°4 est une peinture vivante de cette magnifique rencontre. Je suis ravie. La Chaloupe est bien à la bonne heure. Et puis quand elle partira la Chaloupe encore s'il fait beau et pas plus et pas autre chose, je vous en prie.
J’ai eu votre lettre à 5 heures par un spécial que m’a envoyé Génie. Il s’offrait à venir lui même après son dîner, mais je lui ai mandé le principal de ce que vous me dites pour l’en dispenser.
Avant cela, à 3, est venu Fleichman. Bon homme et même pas sot mais trop peu au courant. Ainsi ébahi quand je lui dis qu’Aberdeen était du voyage. Il a ouvert ses plus grands yeux, c'est alors seulement qu'il a compris que ce voyage était quelque chose, au reste il parle bien, et il n'a jamais mal parlé car il n’était même pas à cette fameuse soirée de mardi chez Appony qui a fourni de si curieuses observations à Molé. Il trouve que c’est immense. Il croit que son Roi rira de ce que cela vexera les autres. C’est tout-à-fait dans le caractère du Roi de Wurtemberg.
La jeune comtesse est arrivée ici avec du monde russe, elle m’a amusée et m’amusera encore jusqu’à ce soir. Elle retourne à Paris. Mes voisins les Locke m'ennuient moins. Ils sont bonnes gens. Je les ai vus hier plusieurs fois. Je suis un god send pour eux avec mes nouvelles sur leur reine.
Je trouve les premières paroles d'Aberdeen excellentes, vous aurez soin que le remplissage ressemble au cadre. J'espère bien que vous lui parlez Français. Un Anglais s’offense quelque fois quand un étranger lui parle autrement. Pour le Roi c'est autre chose, c'est sa coquetterie et il fait bien. Fleichman nie fort et ferme le mariage de son prince royal avec une fille du grand duc Michel. Porte-t-on à dîner la santé de la reine d'Angleterre. Je crois que vous aviez oublié de mettre cela sur votre mémorandum. On dit que les deux voleurs sont très ennuyeux. C'est de l'opéra comique.

1 heure. Voici le N° 5. Merci toujours merci car au milieu de tant de distractions et d’affaires vous m'écrivez de bonnes lettres. Dites-moi quand vous revenez. Quel jour, quelle heure. Je ne m’ennuie pas ici, mais je ne me porte pas bien, je ne sais ce que c’est, peut-être la chaleur ne m’a-t-elle pas convenu. Aujourd'hui il fait frais. J’attends Appony et Armin. Comment trouvez-vous l’adresse de la fête à Espartero ? Adieu. Adieu, j’irai voir Trianon avec la jeune comtesse. Adieu tendrement, adieu.

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4. Paris Mardi 14 juillet 1846 onze heures.

La lettre d'Aberdeen est charmante. Tout ce qui vient de Peel est un peu tendu comme son jarret. Comme Aberdeen a raison de ne point vouloir venir à Paris. Ma journée a été mauvaise hier. Verity est parti. 2 heures après j’ai pris mal aux yeux. Je suis très nervous de cela. J'ai renoncé à Dieppe. Je m’en vais voir aujourd’hui ce que je puis trouver à St Germain. J’ai vu hier matin Harvey Fleischmann, Kisseleff, Pahlen, Decazes, Génie. Rien de tout cela qui vaille la peine de dire quelque chose. Hervey toujours préoccupé de l'Espagne, & voyant là de loin de gros orages. C’est très probable. Je parle toujours de Don Enrique comme votre candidat N°2 depuis l'origine. A diner chez les Cowley, il n’y avait qu’Adair. Trop vieux, trop sourd, et trop lent. Mon voisin est tout cela aussi de sorte que ce n'était pas drôle. Lady Cowley triste, pas un mot de nouvelle. J’ai fait un tour en calèche accompagnée jusqu'à 10 h. J’ai passé une mauvaise nuit. Il y a eu de l'orage mais sans rafraîchir l’air. Il fait étouffant. Suis-je tenue à une indemnité envers le courrier qui devait m’accompagner ? et dans ce cas là quoi ? Je lui avais toujours dit qu’il n’y avait rien de décider et que je l'informerais aussitôt que je le serai, ce que j'ai fait. 2 heures Génie est venu causer. Nous avons beaucoup causé de votre ménage ; nous sommes d’accord sur ce point qu'Henriette devrait s’accoutumer à le mener, tenir les comptes, & &. C'est des habitudes bonnes à prendre dans toutes les conditions de la vie. En Angleterre il n'y a pas de jeune fille des plus huppées qui n’entend fort bien & dans le plus menu détail les affaires de ménage. Cela fait partie d'une bonne éducation. Henriette me paraît avoir un peu de disposition aux idées trop grandes. Il arrive alors des mécomptes dans la vie. De l’ordre & de l'économie sont nécessaires également aux riches & à ceux qui ne le sont pas. Je fais là de la morale mais vous ferez bien de songer à cette partie-là. Je crois que Melle Wesly saurait y aider. Vous voyez que voilà une pauvre lettre. Je suis furieuse de ce qu'on vous réveille la nuit. C’est de la maladresse de votre part, car vous savez très bien que si le roi s’en doutait il en serait désolé. J’ai prie Génie de faire parvenir cette observation en haut lieu par Duchatel ou autrement. Que je m’ennuie sans vous ! Adieu. Adieu. 4 heures. W. Hervey est venu il m'a lu une petite lettre de Bulwer accompagnant une dépêche monstre sorte de tableau de la situation de l’Espagne depuis un an. Les partis, les personnes. C’est pour mettre Palmerston au fait de tout ce qui est survenu. Je n'ai pas lu cela naturellement. La petite lettre atteste un peu d'humeur entre Aberdeen sans qu'il le nomme, mais il dit qu’il aurait eu envie des ? de Naples, car Madrid lui déplait. iI est question dans cette lettre des mariages possibles ou impossibles. des mêmes ? De Bresson avec les Carlistes : il ne sait pas si tous les tripotages français n’auraient pas pour but de rendre tout impossible sauf Monpensier ! J'ai bien fait, je crois, de dire que c’était peut être le jeu qu'on jouait à Madrid chez la reine ? que pour ici cela ne réussirait pas du tout. à quoi Hervey a dit: mais c’est que Bulwer & beaucoup d’autres ne voient pas pourquoi pas. Et certainement Palmerston laissait le ? plus aisément qu'Aberdeen. Car il a plus de courage. J’ai dit tout cela, bêtises. Epousez franchement Cadix ou Séville, donnez-vous la main pour cela, & finissez l’affaire. Bulwer a lu la lettre de Christine au roi sur Tenerife. Est-ce que je dis bien ? Mais vous savez ce que c’est. Pas un mot de Palmerston encore comme affaires. On attend jeudi Adieu adieu.

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Paris Vendredi le 27 septembre 1850

Ce mois de septembre est merveilleux. Quelle pitié de le passer à Paris ! J’ai vu assez de monde hier soir. Le général Lahitte, entre autres, qui me plait toujours davantage. Ses bonnes manières, sa belle figure, cet air honnête, sincère, assez de gaité dans l’esprit, rien de cet air de mystère ou d’importance que je déteste, l’esprit dégagé, tout cela me charme. Le duc de Noailles était ici aussi. Dumon, Viel-Castel. Quelques femmes. Rien de nouveau, si non la Hesse. La diète de Francfort se déclarant pour l'électeur, et promettant appui ; il en a besoin. Que va dire la Prusse, qui repousse toute intervention ? Cela peut devenir gros. Voici Fleischmann ; vous voyez qu’il protège peu les petits états. Lord Palmerston a écrit au général Lahitte une lettre de remerciements pour l'accueil fait aux Anglais à Cherbourg. M. Véron fait encore au jourd’hui un article remar quable. Il y a des choses excellentes. Pour la conclusion, je ne la comprends pas. Je n’aurai pas la patience d’attendre, ni lui non plus sans doute. Ce que vous me dites aujourd’hui sur la position du Président est très vrai.
Jugez que les Ellice sont ici depuis 8 jours, & que je ne les ai pas vus encore. Marion m’a suppliée de ne pas même lui écrire, d'ignorer tout-à-fait qu’elle est ici, jusqu’à ce qu’elle. vienne elle-même. Quelque nouvelle grognerie des parents. C’est fort ridicule à elle de s'y soumettre. Ils cherchent un logement et ne trouvent rien. Adieu & moi aussi, je ne trouve rien à vous dire. Adieu. Adieu.
Vous me renverrez Fleischmann. Je suis inquiète de Constantin. Il devait me répondre à une lettre. Il ne le fait pas. Je me mets en tête que son enfant est mort. Je prends quelque fois des idées qui me tourmentent comme des réalités. Sur ce point là il y a un peu de folie dans mon fait. Et une folie de plus, c’est de croire qu'en disant une pareille idée, cela détourne le malheur. Vous allez me trouver vraiment insensée.

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Paris Jeudi le 26 septembre 1850

Merci de vous inquiéter de mon fils ! Moi, il m’inquiète beaucoup. Dès avant Ems une ébullition sur la tête qu'a gagné la figure & plus tard tout le corps. Rouge écarlate. La fièvre est venue et revient tous les soirs. On lui prescrit un régime très sévère & un climat très chaud. Ses lettres me prouvent la contrariété qu’il en éprouve. J’ai chargé lady Holland qui est partie ce matin pour Naples de m’en donner des nouvelles bien souvent. Elle sera très bonne à cela. J’ai pris Kisseleff hier et je l’ai mené à Champlatreux. J’y ai trouvé la vicomtesse, le duc de Noailles, & le duc de Mouchy. Molé aussi consterné ou plus consterné que les autres. Noailles n'en revient pas. Le découragement le gagne, il est vrai qu'il y a là de quoi perdre toute envie de se mêler d’affaires qu'on gate à ce point là. Tout le profit de Wiesbade perdu & au-delà. Jamais on n’aurait inventé bêtise pareille. L’avis général et que c’est au profit de président s'il sait s'en servir. La bonne conduite serait de ne rien brusquer. L'alouette lui tombera toute rôtie dans la bouche. Le manifeste soit disant de l’église a fait beaucoup de bruit. Ce bruit est diminué par une sorte de rétractation. Mais on ne la trouve pas assez nette pour qu’il n'en reste encore beaucoup. Lahitte avait dit avant hier, que cela serait formellement démenti. On ne trouve pas que ce soit formel. Molé a mauvais visage. Il ne bougera pas de Champlatreux jusqu'à l’assemblée. Fort soucieux de l’avenir, très triste.
Ma course a été agréable ; je fais cela très vite en envoyant un relai, et j’étais dans mon lit à 10 1/2. Je verrai le duc de Noailles ce soir. Je crois qu'il retourne demain à Maintenon. Palmella a passé ici trois semaines dans son lit. J’ai voulu le voir, on a craint pour lui l’émotion, Il a dit à Païva. Un dernier plaisir pour un adieu éternel Il est mourant, et Andral l'envoie mourir à Lisbonne. Je suis très triste, sa lettre hier au moment de partir est fort touchante. Il n'y a plus de Portugais après lui. Esprit très rare, & homme charmant. Je vous envoie Fleichmann, brave allemand. Je n'ai pas encore lu le reste de la lettre qui est longue. Je vous l'enverrai. Adieu. Adieu.

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Richmond Samedi le 22 Septembre 1849

Je suis restée 3/4 d'heures à Claremont la reine en merveilleuse santé. Le roi très bien, mais à mon avis très changé d'humeur. Je ne l'avais pas vu depuis plus d’un an. Je l’ai trouvé triste, résigné peut-être. Pensant mal de la France, & de la situation de tous les autres états. Il a repris l'examen des fautes, tout le monde en a convenu, (pas lui je suppose.) Le seul homme bien renseigné à Paris était Delassort, mais on ne l'écoutait pas. Duchatel est paresseux et léger. Il ne vous a pas [ ?] pendant toute ma visite pas une seule fois, ni la reine non plus. Il a dit ; il n’y a pas d’homme en France. Voilà Le duc de Broglie et Molé, ils sont de l’assemblée, et bien que font-ils ? Et puisqu'ils ne font rien, pourquoi ont ils été se mettre dans cette mauvaise compagnie. Pas la moindre allusion aux légitimistes. J'avoue que je n’ai pas pensé à eux sans cela j'aurais pu amener là dessus la conversation. Je me reproche cet oubli. Mais voici ce que Lord John m’a dit hier soir : " Savez-vous que le roi a fait prescrire à tous ses adhérents de soutenir les légitimistes. " Je ne sais pas autre chose. Le roi m’a dit, et bien l'Empereur fait donc au Président les notifications d'usage, il lui a écrit. Oui, sire comme au Président des Etats-Unis. A moi, il ne m'a jamais fait l'honneur de m'écrire. Je n’ai pas répondre. Evidemment la blessure est profonde. Il y a eu une petite discussion sur la résidence d’hiver. La reine se prononce vivement contre l'Angleterre. Le roi très décidé à y rester. Je vous ai dit je crois qu’ici cela ennuie, la cour. J’ai lu à Lord John le petit passage où vous me parlez du duc de Broglie, de son bon souvenir du secours qu'il a trouvé quelques fois en John. Cela lui a fait un très visible plaisir. Vous Vous rappelez que ce secours, était un recours contre Lord Palmerston. Il a ri et assenti. Nous avons reparlé de Malte, du gouverneur qu’il protège beaucoup. Je lui ai dit : " Mais on dit que Lord Palmerston le blâme beaucoup et voudrait qu’on le destituât. Qu’est-ce que cela fait ? Lord Grey & moi, nous l’approuvons cela suffit. Il m’a dit plus au long ce qu’on m’avait écrit à propos de Thiers. à l’époque où Morny me dirait qu’il entrerait c’était vrai. " Il avait fait savoir au président qu'il accepterait l’intérieur même avec un président du Conseil. Tout à coup, il a changé, et il a dit. Je veux qu’on puisse inscrire sur ma tombe. Thiers n’a jamais servi la république. Est-ce que la chance d'une Monarchie n'importe quelle, lui parait plus prochaine ?

1 heure Merci de votre bonne lettre. Certainement nous faisons notre possible pour suppléer à la parole qui serait si douce, si abondante que faire ! Beauvale est bien content de mes conversations avec Lord John. Il croit que personne ne lui dit ce que je lui dis, & que cela fait du bien. Il ajoute que si Palmerston savait mes jaseries quotidiennes cela l’inquiéterait fort. Il est toujours chez Beauvale. Entre celui-ci et moi correspondance de tous les jours. Style très abrégé Adieu. Adieu. Adieu. Le gouvernement français va diminuer l’arrière de 60 000 hommes.

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129. Paris Samedi 8 Septembre 1838

J'ai relu votre lettre de ce matin cinq fois déjà, décidément je ne l’aime pas. Il y a une phrase surtout qui me déplaît parfaitement. Elle est d'une froideur qui me fait mal, c’est vers la fin de la lettre et il me semble que j'ai bien envie de pleurer.
Je vous ai laissé un moment je vous reprends, je ne veux plus vous parler de votre lettre. Savez-vous à quoi je pense maintenant ? Ma lettre, cette lettre de mercredi, il y avait de dures paroles peut-être mais un grand fond d’amour au dessous de cela, la vôtre, les paroles sont douces, mais il y a de la glace à la fin. Enfin je n'en veux plus parler et j'en parle et je pleure. & je crois que je deviens folle aussi comme Marie. Ah mon Dieu que j’ai de peines, et de tout genre ! Mon fils me quitte aujourd’hui, cela me chagrine.
La Duchesse de Talleyrand est venue me voir hier matin. Elle vient plaider contre son mari, et même commencer peut-être le procès. Elle se dit très calme mais elle avait de temps en temps l’air un peu féroce. Fort belle cependant, car la férocité va bien à ses traits. Elle m’a conté mille choses curieuses sur mon empereur & sa femme. On a pour lui, à ce qu’elle dit, et pour les Russes en général, la plus grande haine en Allemagne. On se courbe devant lui, mais on le déteste. En Bavière une peur effroyable qu’il ne veuille y marier sa fille. Enfin c’est curieux, et par dessus cela des bêtises ah !! Les Appony sont venus aussi hier matin. Il parait que vraiment l'Empereur veut du Prince Leuchtemberg pour l'un de ses gendres. Si cela est, on en rira bien ici. Décidément les hôtels d’ambassade respectifs cesseront entre Paris et Pétersbourg. Pahlen va en acheter un pour le compte de l'Empereur. Il voulait acheter à la couronne celui où il est, vous ne le voulez pas. Le Roi est mécontent de cette affaire. Il croit et il a raison de le croire, que ce sera regardé & commenté comme une mesure politique. J’ai dîné comme de coutume avec mon fils et Marie, le temps était affreux je n’ai pas pu sortir le matin. Le soir, j'ai été faire une courte visite à Mad. de Talleyrand, & à Mad. de Castellane que j’ai trouvée seule. Elle paraissait croire qui Louis Bonaparte sortira de Suisse & cette affaire ne donne plus de souci selon les apparences. Thiers a vu M. de Metternich très longuement. On les dit ravis l’un de l’autre. Cela devait être. Des gens d’esprit se séparent toujours satisfaits l'un de l’autre. M. de Metternich est coquet comme une femme. Il aura emporté Thiers, & l'esprit, la vivacité, la franchise, de celui-ci auront plu à M. de Metternich, beaucoup. L'entretien a duré trois heures. Metternich a été chez Thiers. Je suis au bout de mes commérages d’hier. J'ai eu une lettre de Lady Granville, charmante, sur tout parce qu’elle s’annonce pour Mercredi. Le grand Duc est à Weymar depuis hier. Il sera à Baden le 17, pour y rester quinze jours. Adieu, je suis extrêmement triste & par vous. Ah que nous allons mal quand nous somme séparés. Si je vous montrais cette mauvaise phrase, vous auriez froid aussi. Adieu.

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Ems Jeudi 18 Juillet 1850

Hier une pluie battante, pas de promenade, misérable journée. Votre lettre est venue l’égayer, & deux autres de Montebello & Duchâtel. Ils me mandaient que tout tourne à l’Empire. Cela m’est égal, j’espère seulement que l'Empire me plaira autant que la République dont je m’accommode fort bien. Quel drôle de pays que le vôtre. On peut tout faire des Français. Ils sont charmants, ils ne sont pas grands. J’attends Constantin aujourd’hui. Il me dira quelques nouvelles. Je n’en sais pas une. 4 heures. Pas un mot à vous dire, point de lettre d'Angleterre. Des visites, pas de conversation. Le prince George de Prusse, neveu du roi est venu. Très timide jeune homme, mais quelque chose peut-être Adieu. Adieu. Vous trouvez qu’il ne vaut pas la peine de recevoir une si pauvre lettre. I cannot help it. La mésaventure de la reine d’Espagne n'aura pas déplu au Duc de Montpensier. Adieu.

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6. Bruxelles samedi 4 mars 1854

Votre lettre d’hier reçu à mon réveil m’a fait du bien. Un coeur ami pense à moi aujourd’hui. Triste, triste jour, et lorsque tout est si triste ! Le vide autour de moi. Ce que vous me dites sur mon compte est bien vrai. Je suis surprise que vous m’aimiez puisque vous me connaissez si bien. Ah que je me sens malheureuse et aujourd’hui avec redoublement.
Je ne sais aucune nouvelle de l’extérieur, Van Praet n'en avait pas hier soir. Il est très soigneux de moi, et voudrait me distraire. Il m’a amené hier le général Charal. Belle figure, bonne tenue & bonne conversation. Je vous ai dit que Brokham le prussien est mon favori. Tous les autres le mien inclus sont bien peu de chose. Je suis prés de Paris voilà tout le mérite de Bruxelles.

4 heures. On m'annonce. une occasion Prussienne. Je voudrais avoir quelque chose à vous mander, mais il n’y a rien. Je ne sais si vos journaux donneront la lettre de mon empereur ; dans le doute je vous l'envoie. Elle me semble bien modérée, et attestant encore le dîner de la paix ; c'est beaucoup après le ton provocateur de la lettre de l'Emp. Napoléon.
M. Barrot est venu chez moi aussi, c’est le dernier diplomate qui me manquait. Il me plait parce que c’est un français. Ah que j'aime les Français ! mes yeux ne vont pas bien. Le roi Léopold voulait me voir chez lui au Palais. J’ai refusé, ce n’est pas dans nos mœurs. J’irai à Laken un matin. Dans ce moment il est dans son château des Ardennes. Il ne peut pas de son côté venir dans une auberge. Pourrez-vous me dire ce que vous pensez de la lettre de mon empereur ? Je la trouvé vraiment bien faite, mais j’en serai plus sûre si vous me le dites. Hélène vous dit mille souvenirs. Adieu. Voici aussi le manifeste.

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24 Ems Jeudi 30 Juin 1853

Dans les grandes choses, votre esprit & votre jugement sont merveilleux. Vous voyez que je parle de la lettre où vous appréciez la dépêche Nesselrode. Je l’ai envoyée au correspondant que vous savez. Il en sera très frappé. Elle était trop grosse pour le quartier général, je crois cependant qu’elle y fera son chemin par ce détour. Évidemment on fait les derniers efforts pour négocier un arrangement, mais je ne comprends pas que mon Empereur puisse céder, car ce qu’il demande est après tout bien peu de chose. Je n’ai pas de lettre ici de Londres, ni de Vienne qui sont mes deux bonnes sources.
La pluie a cessé Dieu merci. J'ai pu recommencer les bains. Je vois chez moi le soir quelque fois le prince de Prusse, roi un jour. Il a 22 ans, agréable, et bon enfant. Voilà tout ce que j’ai pu attraper, il n'y a absolument personne. C'est à périr.
2 h. Une longue lettre de Greville, très noire pour nous. Il croit qu’on négociera entre Londres & Pétersbourg plutôt qu’à Constantinople. Mais là le sultan ne veut entendre à rien, c.a.d. que Redcliffe veut cela. Greville reconnaît que l’[Empereur] ne peut pas reculer. Quelle mauvaise affaire ! Je crois que si vous & mon correspondant de Vienne vous vous rencontrez, vous trouverez moyen de nous en faire sortir. Vous comprenez comme tout ici me tracasse.
M. de Budberg me mande de Berlin, que selon les lettres de Brunnow le Cabinet anglais a abdiqué ses pouvoirs entre les mains de Lord Redcliffe.
Adieu. Adieu, je ne pense et ne rêve qu'à ce maudit Orient, et à vous. Adieu

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Richmond vendredi le 17 août 1849

Lord et Lady Palmerston sont venus ici hier pour quelques jours je crois. Ils sont au Star comme moi et mes voisins de Chambre. J’ai dîné avec eux chez Lord Beauvale. A table conversation générale se félicitant de trois choses finies. Le Danemark, la Sardaigne, & l’unité allemande dont il n’est plus question. Nous avons cependant trouvé que s’il n'en était plus question à la façon de Francfort, il fallait que quelle qu’autre façon la remplace à moins d’en revenir à l'ancienne. L’Empire français remis au mois d’octobre. M. Drouyn de Lhuys, très agréable et facile en affaires. Il n'y a guère eu que cela pour la galerie. après le dîner il s'est rapproché de moi pour me dire, d'abord, que nous avions battu les Hongrois en Transylvanie et en Hongrie. [?] a failli tomber en nos mains, nous lui avons pris tout sont bagage, sa voiture de voyage, ses papiers, tout. De l’autre côté [Paskeviez] a battu Georgy. Partout où nous les rencontrons, l’avantage est à nous, mais ils trouvent le moyen d’échapper. L'issue de la lutte ne saurait être douteuse mais elle peut être longue. En transaction est toujours ce qu’il y a de désirable. Pourquoi l’Empereur d’Autriche ne dit-il pas ce qu’il veut faire ? Il est impossible qu'il songe à [?] la constitution hongroise. Pourquoi ne dit-il pas qu’il leur rendra leurs droits, leurs privilèges ? On ne sait pas qui gouverne là. C’est comme au temps du Prince Metternich où l’un rejetait la faute sur l’autre. La constitution faite par Stadion est impraticable, impossible aujourd’hui il n'y a rien, pas de constitution, on n’y songe plus. L'Autriche et la France sont en très bonne entente sur l'Italie. L’Autriche et la Prusse se divisent tous les jours, davantage. Mais la Bavière est encore bien plus que l'Autriche en guerre de paroles avec la Prusse. J'ai demandé si deux Allemagne n'était par la chose probable ? Peut être. Et puis se rapprochant de moi un peu davantage et à voix basse. Le général Lamoricière a été fort mal reçu à Varsovie. On lui avait d’abord destiné un bel appartement au palais de Bruhl et il le savait. Mais à son arrivée, porte close. Il a fallu aller chercher à se caser dans une auberge. Là, avec difficulté, de mauvaises chambres. Cela a fort étonné. Deux jours après, audience de l’Empereur qui l'a reçu très froidement. On cherche les causes ; il a passé par Cracovie. Parfaitement lors de la route de Berlin à Varsovie. Un énorme détour. Qu’est-il allé faire là ? Autre motif qu'on insinue de Paris. C’est un avis confidentiel qu'aurait reçu l’Empereur que Lamoricière n’avait point du tout la confiance du Président, & qu’il fallait se méfier de lui. Cet avis serait venu de source directe. Lord Palmerston ne comprend pas bien. Il s’étonne et me raconte sans beaucoup de déplaisir. Je lui ai demandé qui conduisait les affaires à Paris. Il me dit qu’au fond c’était le Président qui faisait tout & qu'il avait plus de good sense que tous les autres. Il a entendu parler aussi du dégout de M. de Tocqueville et de son envie de se retirer. Je crois vous avoir tout redit. La visite impromptue du Prince Scharamberg à Varsovie ne lui est pas expliqué. Il n’a passé que 24 heures. On dit à Lord Palmerston qu’il venait demander plus d'activité dans les opérations militaires. L’Empereur lui a répondu en lui montrant les rapports des deux engagements cités plus haut. Lord Palmerston blâme vivement le gouvernement autrichien pour avoir fait exécuter un prêtre à Bologne. Il avait été pris les armes à la main dans la suite de Garibaldi, mais il était sujet roumain & ne pouvait pas être jugé par les Autrichiens. A propos de prêtre, de quoi s'avise votre archevêque de Paris ? Voici Lord Palmerston. Je vous quitte adieu.

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28. Ems le 8 juillet 1833

L'impératrice m'écrit en date du 2. " J’espère en Dieu qu'il bénira les intentions droites & simples de mon empereur, & que la guerre. sera évitée. " Bonnes paroles, les dernières.
Le manifeste va exalter le sentiment religieux, mais il laisse encore ouverture à la négociation. Nous allons savoir tout à l’heure si Constantinople regarde l’entrée dans les principautés comme cas de guerre.
Je suis inquiète de tous ces complots à Paris. Que Dieu nous préserve d'un malheur là. Le comte [?] est arrivé. De l’esprit, beaucoup de connaissances, pas trop versé dans la diplomatie. Fort disposé à causer. Cherchant à apprendre. Défendant notre cause très bien, mais ne me persuadant pas. Toujours en doute de l'Angleterre c.a.d. ne croyant pas qu’elle puisse en venir aux extrémités.
Quant à nous pas l'ombre d'un doute que nous aurons Constantinople, & que personne ne peut nous en empêcher. Des préparatifs sur la plus grande échelle et les Turcs impuissants & appauvris. Le temps est à la chaleur, mais excessive. Je suis fondue. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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365. Paris, Mercredi le 6 mai 1840
10 heures

Dieu merci le mardi est passé. Je le déteste. J’ai eu hier une longue visite de Montrond. Toujours la même chanson, l’amour du Roi pour M. Thiers. Il ne lasse pas, quoique de mon côté je ne me lasse pas non plus de lui dire que je n’en crois pas un mot. J’ai été au bois de Boulogne, mais le froid m’a saisi je suis revenue. J’ai été faire ma cour à Madame. Elle m’a reçue. Le roi y est venu. Il a beaucoup parlé, avec beaucoup d’esprit comme de coutume. Il a parlé de toutes choses, mais il n’a pas promoncé un nom propre. Je lui ai fait compliment sur sa prodigieuse fécondité dans ses réponses le 1er de mai. J’ai pris la liberte d’applaudir à ce qu’il a dit, et à ce qu’il n’a pas dit. Il a paru très sensible à cette dernièrs observation.
"J’ai eu ma satisfaction sur messieurs les députés, je suis charmé que vous l’ayiez remarqué.’ En parlant de toutes choses le seul individu désigné, quoique pas nommé a éte M. Molé. " Ces messieurs après avoir mis tout en œuvre pour tuer la loi de dotation, afin de tuer mon ministère arrivent deux heures après me faire visite et se confondre en regrets de ce qui venait d’arriver." !!
Il s’est dit content pour le moment. Je n’ai vu percer aucune amertume marquée, je n’ai point remarqué en lui l’énorme changement que signalent les diplomates. Il était in spririts, parfois très drôle, content de l’affaire de Naples, très décidé pour la paix de tous côtés, parlant très bien sur l’affaire de l’Orient, relevant avec satisfaction le beau Débat à la Chambre des Pairs, du raisonnement sur la direction des esprits en France. Voilà à peu près comme la demi-heure a été remplie.
J’ai fait une courte visite à Lady Granville. Son mari est souffrant et couché. J’ai dîné seule. Le soir j’ai vu Appony, Brignoles, mon ambassadeur, Médem, Escham, Carreira, l’internonce, le duc de Noailles. Celui-ci raconte qu’il y a beaucoup d’intrigues ou du moins beaucoup de bavardages ; on fait de nouveaux ministères dont vous êtes, on clabaude. M. de Lamartine a des conciliabules chez lui. C’est le plus animé, et le moins compatible. M. Molé sent que lui, Molé, est hors de question mais il souffle pour qu’on renversa. Le parti conservateur est très raffermi. Le journal des Débats lui donne courage. Le journal des Débats ne serait pas si hostile au ministère, s’il n’avait de bonnes raisons de croire à sa chute prochaine. Voilà le rapport de M. de Noailles, qui finit toujours par "vive Thiers", car il a beaucoup de goût pour lui.
Appony venait de chez le roi. Il était de belle humeur. Le Roi va donner à dîner au corps diplomatique trois diners de suite. Mad. la duchesse d’Orléans tousse beaucoup ; elle est encore au lit. On prend beaucoup de précautions autour du roi qui n’a jamais eu la rougeole. Elle est très générale ici. J’attends votre lettre.

2 heures.
Je l’ai reçue pendant, ma toilette. Le dernier mot de votre speech à l’Académie est charmant. Je vous remercie de me l’avoir envoyé. Au fond vous avez raison d’avoir parlé avec un peu d’étendue surement on eut été désapointé du contraire. Le roi m’a fait des questions sur l’Angleterre, des questions générales sur la disposition des partis. J’ai écrit ce matin à Lady Palmerston, mais ma lettre ne partira que dans deux jours. Adieu. Adieu. Vous ne savez pas combien je pense à vous toujours. Adieu.

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37. Schlangenbad le 26 juillet Mardi 1853

Votre lettre n’est pas arrivée hier. Cela m'ennuie. Je n’ai rien ici de nulle part, je n’ai que les journaux. Il me paraît que la négociation sera longue nous resterons quelques temps dans les principautés, les Turcs auront leurs embarras intérieurs. On voudra les secourir, nous comme les autres peut être, et cela peut devenir une drôle d’affaire et grosse au bout. Au fond le gouvernement Anglais est dans l'embarras.
Je ne parle politique qu’avec vous et le Roi de Wurtemberg, mais il n’est pas tout-à-fait sincère avec moi. Il a bien de l’esprit. Il vous plairait beaucoup Il me parle beaucoup de vous. Je ne sais si votre petit ami est dans les environs. Vous devriez lui faire savoir que je suis ici au cas qu'il se trouve sur le Rhin. Constantin m’a quittée hier. Je ne suis pas tout à fait abandonnée, il y a quelques causeurs le soir, et deux ou trois femmes, pas grand chose. Ma journée est assez remplie par la promenade, le bain, le repos qu'il faut prendre après. Je végète. Je ne remarque pas du tout. que cela me fasse du bien, je suis comme j’étais. Voilà une misérable lettre Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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61. Lundi 16 octobre 1837 9 1/2

Il n’est point venu de lettre ce matin, j’attendrai onze h. 1 /2 avec confiance. Hier le vent était bien aigre, je ne me suis pas promenée avec le même plaisir que ces jours passés, cela tient peut-être à ce qui je rencontrai Mad. de Flahaut au bois de Boulogne et qu’elle voulut m’accompagner. M. de Médem me fit une longue visite le matin. Il voudrait que j’adoucisse un peu ma lettre à M. de Lieven et commence à prendre pitié de lui, et il est convaincu que l’Empereur lui-même a prescrit la mesure. Ce qu’il y a de sûr, c’est que je vais mettre dans l’embarras tous ceux auxquels j’écris. C’est la plus modeste des vengeances.
Je dînai chez lady Granville. J’y rencontrai M. de Broglie qui vint causer avec moi après le dîner, je le questionnai sur les situations ici. Il m’en fit un tableau fort clair. Il me semble qu’il a beaucoup de netteté dans l’esprit. Je ne sais si je me trompe mais je trouvai en lui plus d’intimité, plus de confiance. Nous parlâmes de tout et de tous, il n’y eut qu’un nom qui ne fut pas prononcé, et comme il appartenait cependant au sujet nous choisîmes d’un commun accord la désignation générale. Je restai tard chez lady Granville & j’allai ensuite pour un quart d’heure chez Mad. de Flahaut où j’avais donné rendez-vous à mon ambassadeur. à onze heures je fus rendue chez moi.
Lord Pumbroke s’est cassé le coude hier aux Champs-Elysées. Les chevaux se sont emportés il a été jeté hors de son phaéton.
J’ai beaucoup connu la Reine de Hollande qui vient de mourir, c’était une excellente femme. Tout-à-fait dans le genre de votre reine. Son mari a été mauvais pour elle pendant bien des années. C’était le plus amoureux des hommes. Je ne sais pourquoi je vous conte tout cela. Je devrais plutôt vous dire que hier j’ai relu quatre fois la lettre, la véritable lettre. Il m’est venu quelque scrupule de m’être offert à la copier. Les deux premières pages, oui la troisième non. c.a.d. la dernière moitié de la troisième. (Voilà déjà que je capitule.) Monsieur je ne copierai cela jamais, & j’y penserai toujours !
11 1/2 la voilà cette lettre, rivale, presque rivale, tout-à-fait rivale de celle dont je vous parle sans cesse. Des lettres comme celles-là jettent le trouble dans tout mon être. C’est trop, c’est trop si loin de vous & cependant que je les aime. C’est un poison si doux?
M. Génie n’est pas fin. Il se fait annoncer de votre part. Voilà qui serait bien adroit si mon mari était ici ! Je voudrais qu’il comprit que Génie tout court, convient tout-à fait à mon Génie. Je ne sais que vous dire sur vos lettres Médem me démontre l’absolue impossibilité que mon mari vienne. Moi, je m’obstine à le voir arriver tous les jours. Faites comme vous pensez la prudence est cependant le meilleur parti à suivre, & vous le savez, je vous promets de relire tous les jours cette lettre, maintenant ces deux lettres, et de penser d’être sure que dans le moment où je les lis vous pensez tout ce que vous me disiez en les écrivant, vous éprouvez tout ce que j’éprouve en les lisant toutes, toutes les mêmes sensations que j’éprouve. Je suis si sûre, si sûre de vous, si sûre de moi. Comment cela m’est-il venu tout-à-coup, si fort ? Mais qu’il y a loin jusqu’au 31 ! De demain en quinze !
Adieu votre lettre m’a donné la fièvre. Il me faut de l’air. Je vais le prendre avec vous. Je marcherai vers le Val Richer. J’irai tant que je pourrai aller, et je reviendrai tristement en voiture. Adieu. Adieu si vous saviez comme je vous dis adieu.

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39 Schlangenbad le 30 juillet 1853

Le silence de Meyendorff m'inquiète. Constantin en rentrant à Berlin a trouvé Budberg parfaitement ignorant. Il n’avait pas reçu une ligne cependant de tous côtés on croit à la paix. J’ai été assez frappée dans les deux dernières lettres de Greville de ce qu'il dit que l’obstination de Lord Aberdeen à crier la paix sur les toits a dû encourager mon Empereur, & qu’on trouve qu'[Aberdeen] en a fait & dit assez et trop dans ce sens. Malgré cela, il est évident que le pays aussi ne veut de la paix.
James Rothschild va venir ici compléter le congrés de famille. Je suis furieuse et tout le monde ici avec moi de la porte de ce petit endroit. Les lettres & journaux y viennent tard & une fois le jour seulement. On vient hier de faire un nouvel essai par d’autres routes, cela a si bien réussi qu’il n’est rien venu du tout. Il faut attendre ce soir.
J’ai tous les soirs quelque personnes que je renvoie à 9 heures. Rien d’intéressant et pas mal bigarré. Une comtesse Sacy charmante, jolie & spirituelle. Le prince de Croy bête. Le comte de Brie qui [?] les princes Belges fort distingués, un général autrichien Lochi, un peu bouffe italien. Ma nièce dîne toujours avec moi et y est le soir aussi. Marion dîne souvent chez les Rothschild, cela l’amuse. Le temps est toujours variable. Je fais peu de chose de la princesse Charles de Prusse. Elle m’invite chez elle, je n’y vais pas, elle est trop ennuyeuse. Sa cousine la reine de Hollande l’a complètement oubliée l’autre jour elle en est furieuse.
Adieu. Adieu, car je n’ai plus rien à dire.

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40. Schlangenbad le 1 août Lundi 1853

J'ai enfin reçu une longue lettre de Meyendorff. Je la ferai copier par Marion pour vous l'envoyer. Le dernier mot du 29 est que les Turcs trainent en dépit des conseils de tout le monde et que cela peut durer encore par leur fait, car aujourd’hui tout le monde y va de bon cœur. Le sultan se grise.
Il y a ici la Princesse Charles de Prusse et sa fille. La mère & la fille belles, mais bêtes à un degré étonnant c' est à qui en évitera. Vous comprenez que j’en suis là aussi, et à faire des impertinences. Le roi de Wurtemberg est toujours aimable et assidu. Changarnier part demain je crois, car Mad. [Rotschild] part. Je répète qu'il est très convenable et que moi au moins, je n’ai pas entendu une parole aigre ou amère. Il se croit à Malines pour longtemps. Je vous avoue qu'il ne m’amuse pas. Il parle trop de lui, et il n’est pas naturel. Marion qui le voit beaucoup dit qu'il est beaucoup plus agréable hors de ma présence. Mais elle aussi n’a pas relevé un mot qui ne peut être dit à Paris sur la place publique. C’est un parti pris, ou bien vraie conviction.
Le temps est atroce, parfaitement froid, j’ai repris toute ma toilette d’hiver je me baigne malgré cela. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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43. Schlangenbad le 6 août 1853
Je vous envoie copie de deux lettres. Tout cela a très mauvais air, & la réponse de Clarendon à la chambre haute complète et compliquée. Je ne vois plus le moyen d'éviter la guerre et je reste plus triste que jamais. Le roi de Wurtemberg vient sans cesse causer avec moi, il s’étonne et s’afflige car on ne voit pas le bout. Ce serait une grande surprise, aujourd’hui de voir l’affaire s’arranger. Je crains que nous ne voyions pas cela.
Ma santé me tracasse, rien de mieux et presque du pire. Je suis cependant si docile. Tous les Croy sont partis ce matin, c’est une petite très petite diminution pour mon salon, car ils n'ont point d’esprit. Je garde deux hommes de la suite de roi de [Wurtemberg]. Et le comte de Brie Belge qui a cloué les princes & qui est très agréable. Jeune et de bonne mine. Ma nièce reste toujours avec moi. Madame Oudinoff est ici. La Princesse Charles de Prusse est la plus ennuyeuse des femmes, Dieu merci elle ne vient pas. Elle avait voulu le faire mais elle a compris que le deuil de son père devait la retenir chez elle. Je n'ai rien à vous dire du tout qu’adieu.
Les lettres de Meyendorff sont pour vous seul.

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Richmond Mardi le 14 août 1849

Je suis mieux aujourd’hui, mais hier je suis restée tout le jour sur mon lit souffrant beaucoup de crampes & d’agression. Le médecin ici m’a fort bien traitée. Tous mes voisins sont accourus, mon fils aussi de sorte que je n’ai pas été seule. Il ne valait pas la peine d'envoyer chercher Mussy qui était à Claremont. Enfin je le répète je suis mieux, je je crois même que je sortirai. Merci merci des deux lettres de Vendredi & Samedi. Je reviens au duc de Lenchtemberg honnête jeune homme, conversation sensée, pleine d’affection, mais reste étranger sous beaucoup d'autres rapports. Du good sense, et bonne vue des choses. Il a vu l’Empereur il y a quinze jours, qui lui a dit que la guerre en Hongrie serait terminée au plus tard en six semaines donc, dans un mois. Qu’aussitôt, cela fait il dirait le bonjour aux Autrichiens &t rentrerait chez lui avec armes & bagages, mais que son armée resterait en Pologne, prête à d’autres éventualités. La totalité de nos forces actuellement en Hongrie & Transylvanie est de 220 mille hommes, 130 mille de réserve en Pologne. En tout 350 m/ sur pied de guerre. On se préparait à recevoir très bien le général Lamoricière. L'empereur lui a assigné un palais à Varsovie (c'est énorme !) Nous allions nommer de suite ses Ministres à Paris. Brunnow affirme que c’est Kisseleff. Le prince a souci & a dit qu’on était mécontent de Kisseleff sans beaucoup de rapports, & qu’il ne croyait pas que ce serait lui, moi, je crois Brunnow mieux renseigné. Après le Prince j’ai eu une longue visite d'un des cavaliers de sa suite, homme d’esprit, français. Il me dit que l’empereur est devenu très serieux, très grave, qu’on a fort peur de lui. Ces propres enfants. Refus absolu de passeport pour l’étranger, pas une exception, personne, personne ; ne peut sortir de Russie. Cela a été provoqué par la conduite de certains Russes à Paris Branitzky entr'autres. Le Prince repart après demain pour Madère. Grande suite 12 ou 14 personnes, toutes grands noms, & des gens comme il faut !
Je n’ai pas de nouvelles à vous mander d’ici. Les Palmerston devaient y venir coucher hier et à côté de moi lorsque tout à coup ils sont partis pour Tunbridge où un autre petit garçon de Ashley est mourant. Lady Holland m'écrit une lettre assez curieuse. Il parait que Thiers a complètement désorganisé le parti conservateur. Brouillé ouvertement avec Montalembert & Barryer. Molé s’en montre fort triste, & dit : " je ne vois plus ce qui peut sauver le pays." Il y a quelque rapprochement entre l’Elysée & les Invalides. Le rappel d’Oudinot n’est pas du tout sûr. Le ministre le rappelle mais le président lui écrit de rester. Cela serait-il possible ? Oudinot a toujours été mal avec Tocqueville et ne lui faisait pas de rapport tandis qu'il écrirait tout confidentiellement mais par intermédiaire au Président. Je vous donne là lady Holland. Son mari est venu pour huit jours. J'espère le voir. Lady Alice est encore ici mais malade. Elle vient de louer Marble Hill. Le temps est à la tempête. Et je suis ici comme dans une cabine de vaisseau. On meurt beaucoup du Choléra à Londres. Adieu. Adieu.
Voici votre lettre d’accord avec lady Holland quant à la scission dans le parti modéré. Si on va de ce train, Ledru Rollin sera président dans 3 ans. Adieu. Adieu. Adieu. Tournez. Vous me faites bien plaisir en continuant votre langage & votre attitude réservée. Persistez, persistez, sans un moment de distraction. Adieu encore.

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45 Schlangenbad le 11 août 1853

Mon fils Alexandre est arrivé hier, il est vieux de Paris. Je suis plus franchement informée par Meyendorff, mais il me rapporte l'impression des Russes de France, qu’après tout nous avons fort avancé nos affaires, quoique au prix de notre bonne réputation. Celle-là restera fort endommagée. Hier la porte a totalement manqué à Schlangenbad. C’est odieux, ni lettres, ni journaux. Constantinople n’est plus pour moi que question de curiosité.
Les Princes du voisinage se croient obligés quand ils viennent faire la cour au roi de Wurtemberg et à la Princesse Charles de Prusse de se présenter chez moi aussi. C’est ainsi que j’ai vu l’autre jour le Prince régnant de Waldek, beau garçon de 22 ans, timide, embarras sé, labourant le Français avec une peine infinie, à la torture pour trouver un mot. Une scène de comédie ; son premier. ministre était avec lui. important, empesé, grotesque J'ai bien ri après. Marion me fait une collection de portraits des personnes qui viennent chez moi. Elle a un talent rare. Elle se souvient le lendemain matin des visages de la veille, des ressemblances frappantes. Mon fils trouve ceci charmant et ne demande pas mieux que de prolonger notre séjour. Je me laisse aller sans arrêter de place. Le froid diminue voilà tout ce que je puis dire du temps. Adieu. Adieu.

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57 Paris le 3 septembre 1853

Il n’y a vraiment rien de nouveau à vous dire. Et quoique, j'ai vu tout le monde je ne sais rien. Kisseleff est en très good spirits & très content de D. de L'aigle. Hubner ne doute pas que nous accepterons. C’est aujourd’hui qu'on peut le savoir. Le duc de Noailles est venu me voir, bien engraissé encore. Fort content, très acclimaté à ceci. Tout le monde dit que l’Empereur a beaucoup gagné dans l'opinion grande popularité à Dieppe mais il s'y ennuie. ils vont recevoir bientôt. Le pauvre Molé est menacé de cécité. Il y a longtemps qu'il a perdu un oeil, c'est le bon qui est attaqué aujourd'hui. Il ne peut plus ni lire ni écrire. Il fait bien froid à Paris. Je continue. Quel vilain été ! Un peu ma vie des eaux, je me couche avant 10 heures. On vient depuis 8. Cowley est à Dieppe. C’est le seul diplomate que je n’ai pas encore vu. On le dit très noir. Adieu. Adieu.

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Brighton lundi 30 octobre 1848

Je suis tout à fait triste de ne pas savoir un mot de vous depuis vendredi soir, triste et fâchée. J'ai vu hier Aggy. Effrayante. Une vielle femme. Le front ridé, les dente noires, quelques rares cheveux, du ventre, du reste un squelette. Pâle comme un linge et cependant elle a plutôt l’air convalescente que malade. Alvandy bien vieilli, ne pouvant pas bouger. Mais l’esprit serein, drôle, sensé. Je n’ai pas été chez la Metternich. Ils sont venus chez moi sans me trouver. Aujourd’hui j’irai là, si l'avenir m'y pousse. M. Morrier est venu me voir. Homme d’esprit, homme du monde. Sachant causer de tout, parlant très bien le français et très mal de Lord Palmerston. Je n’ai pas vu de journal encore aujourd’hui.
Mon ménage n’est pas monté. Je vous écris aux sons de la voix de Jenny Lyard, elle est au dessus de ma tête. Voix bien pure, bien juste très remarquable vraiment, méthode un peu allemande et imitant très bien, un violon bien doux. Ce n’est pas ce qu'on demande à une voix.

4 heures. Pas un mot. Tout est venu de Londres pour tout le monde. Rien pour moi. Je suis bien misérable. Avez- vous voulu me punir d’être venu à Brighton ? Je ne vous dirai plus rien. Je ne sais rien. Je m’agite et m’inquiète. Adieu. Adieu.

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5 Bruxelles le 3 mars 1854

Voilà votre N°6. Je la reçois au moment où il me faut envoyer celle-ci. Mes yeux allaient mieux hier, moins bien aujourd’hui. Le journal de St Pétersbourg. contient la réponse de mon empereur, vous allez la lire à Paris sans doute. Vous m'en direz votre avis. (sans prévention & vous savez bien que je n’en ai pas.) Moi, je la trouve très bien.
Van Praet m’a fait lecture hier soir du discours de l'Empereur Napoléon. J’ai toujours besoin de réflexion, et mes yeux m'ont empêché de le relire moi-même. Il me semble qu'il y a bien à éplucher. L’Allemagne bien engagée, l’intérêt français en relief. Le discours plaira aux masses. Le pain y joue un plus grand rôle que la guerre. Que ne suis-je à Paris pour vous entendre tous sur le discours, sur la lettre, sur toutes choses. Ah que le pluriel me manque ! Je vous laisse à penser si je regrette le singulier !
J’ai vu hier soir le prince de Ligne & M. de Brouckère m'ont empêché de le relire. Il a de l’esprit, et agréable. Van Praet est chez moi tous les soirs. Il me soigne et me plait bien. Le ministre de France est venu sans me trouver, j’ai pris l'air hier quoiqu'il fait bien froid. Lord Howard aime à venir causer avec moi, il est intime et facile. Le ministre de Prusse est ma meilleure pièce. Kisselef est celui de tous que je vois le moins. J'en reste très étonnée. Chreptovich très soigneux mais que d’heures de solitude et d'ennui & de soupirs. Adieu. Adieu. Ecrivez-moi je vous prie, je n’ai de plaisir que vos lettres vous le savez bien. Adieu.

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Richmond Mardi le 7 août 1849

Vos lettres sont des fêtes pour moi. Je lis & relis. Point de nouvelles. On va patienter chez vous et vivre pauvrement toujours avec la perspective d’un événement. Quel état ! Ici l’on ne parle que du voyage de La Reine en Irlande. L’enthousiasme le plus énorme. Heureux pays où ce sentiment se conserve ! Outre la Reine, les Irlandais auront cette année de bonnes pommes de terre. Ils sont donc enchantés.
Je n’ai vu hier que les habitants de Richmond. Lord Chelsea & les Delmas chez moi. Lord Beauvale chez lui. Il était fort amusé d’une petite [?]. Duchâtel a enlevé à Lord Faukerville une belle dame, demoiselle je crois, Miss Mayo nièce d'une Lady Guewood. Fort jolie et fort leste. Elle venait chez les Duchâtel souvent, elle vient de partir avec eux pour Spa et Paris, & peut être Bordeaux. Quelle bonne femme que Mad. Duchâtel.
J'ai eu une longue lettre de Lord Aberdeen. Il s’ennuie à périr en Ecosse, il me le dit. Je crois que nous lui manquons. Je lui avais raconté mon dialogue avec John Russel au sujet du discours de Palmerston. Cela lui a fait plaisir. Beauvale ne croit pas à nos revers en Hongrie. Moi je ne sais [?] que croire. Pourquoi n’y a-t-il pas de bulletin officiel ? Dans tous les cas l’affaire traine beaucoup.
M. de Mussy m’a interrompue. Il m’a dit qu'il avait une lettre de vous. Je ne lui ai pas dit que je le savais. Il est en redoublement de soucis ; je crois bien que c’est lui qui m'accompagnera à Paris ce serait excellent. Le duc de Lenchtenberg est attendu à Londres cette semaine. Les ministres ici s’étonnent beaucoup qu’au milieu des immenses difficultés de vos finances, on ne songe pas à une réduction de l’armée & de la Marine. John Russell & lord Palmerston m'en ont parlé tous deux. Ils disent que très certainement ils vous imiteraient tout de suite pour leur marine, & que vous leur ferez un grand plaisir. L’épouvantail de l'armée russe n’a pas le sens commun. Elle ne veut pas, elle ne peut pas, & personne ne permettrait qu'elle vous attaque. C’est des bêtises. Gardez amplement ce qu'il vous faut pour chez vous & [?] le reste. Adieu, Adieu, que je voudrais jaser, comme nous jaserions. Comme ce serait charmant. Adieu. Adieu dearest. Adieu.

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18 Ems Samedi le 18 juin 1853

Je suis arrivée très fatiguée, et je ne me repose pas encore. Demain je commence les bains. Il n'y a à Ems personne, jolie perspective. Mon fils meurt d'ennui. Il y a de quoi, il me quittera demain probablement et je ne pourrai pas lui en vouloir.
Nous nous nourissons des journaux. Je ne sais que penser de la grande affaire. Où va-t-elle nous mener tous, l'Europe entière. Il est parfaitement clair que c'est au fond rien ou peu de chose & que Lord Redcliffe seul lui a donné le caractère & les proportions que nous voyons. Je suis comme vous, je ne crois pas à la guerre. & cependant je ne comprends pas comment on pourra se tirer de là sans y recourir. Marion est très shy avec Paul. C'est étonnant comme il lui impose, et il est cependant charmant, & gai & amical. Pas de nouvelles de Constantin.
La Reine Amélie ne viendra pas à Bruxelles pour le mariage du duc de Brabant Elle n'y vient pas non plus pour la confirmation de la princesse Charlotte. Je tiens tout ceci du roi, qui met le plus grand soin à éviter tout ce que pourrait donner ombrage ou déplaire, & qui regrette seulement qu'on se livre à son égard et à l’égard des autres aussi à des soupçons parfaitement injustes, car bien certainement il y a bienveillance pour le gouvernement de France actuel, à Bruxelles à Vienne, à Berlin, à Pétersbourg. Partout la méfiance est très mal placée. Et peut entraver le bien. Adieu. Adieu, envoyez moi des nouvelles et des commentaires.
(Greville me mande que Walewski montre la plus grande joie. Quoiqu’il arrive la bonne entente est rétablie entre la France & l'Angleterre. Les partis orléanistes et légitimistes se montrent très contrariés de cela. L'Emp. de Russie qui ne voyait pas ce rapprochement possible aura été très contrarié en l’apprenant. En [Angleterre]. personne ne croit à la guerre. Mais on trouve la situation de l'Emp. difficile & on cherchera à l’en faire sortir sans trop déroger. Adieu.)

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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74 Bruxelles le 4 juin 1854

Je me suis trouvée entraînée hier à une soirée chez moi. On a voulu me faire entendre un chanteur italien de premier ordre. Cela ne m’a pas beaucoup amusé. J’avais tous mes habitués. Ce qui fait que de tous les Russes Kisseleff seul est resté à la maison. J’avais prié les autres.
Aujourd’hui je vais à l’église, & je ferai mes visites d’Adieu. Le temps est possiblement froid. On parle beaucoup du Prince Gortchakoff envoyé à Vienne dit-on. Je le connais fort, il est resté 8 ans premier secrétaire à Londres. Mon mari l'a chassé. Pareille aventure lui était arrivée sous d’autres chefs. Très intelligent. Capable, excellent rédacteur. Insolent, insupportable. Il vaut peut être mieux, je n’en sais rien. Je l’ai revu à Schlangenbad. Là aussi il a fait une impertinence au Roi de Prusse. Le pauvre. Meyendorff ne m'écrit plus du tout. D’abord, malade et bien triste. On me dit ici que dès l'origine de l’affaire on a trouvé à Pétersbourg qu'il faisait fausse route. Il n'était pas assez russe, il voulait qu’on s’arrange. comme cette guerre marche drôlement.
C’est le 1er juin seulement que l’Autriche nous a envoyé une invitation polie de sortir le plus tôt possible des Principautés. La Prusse l’aura fait de son côté. La prise de Silistrie n’est pas cas de guerre. Même le passage des Balkans s’il pouvait avoir lieu, demanderait encore des éclaircissements. Il n'y a donc rien d'imminent du côté de l’Autriche. On dit que l’Impératrice est grosse, Wallisky doit l’avoir annoncé.
Rothschild m’autorise aujourd’hui à ajouter au bail la promesse de ne pas me mettre de club sur la tête. Il n’a pas voulu du 3. 6. 9. Cela m'est égal. J’accepte l’autre forme quoique ce soit drôle. J'envoie le tout à Génie avec l'espoir que je recevrai mon titre Mardi. Adieu. Adieu.

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Brighton Samedi 18 Novembre 1848
9 heures

Je vous écris de bonne heure afin que cette lettre parte de Londres encore aujourd’hui. Merci de vos nouvelles de Richmond. J’étais sûre que les gestes de la Duchesse d’Orléans ne pouvaient pas plaire au roi. En général la chute royale me parait avoir porté une rude atteinte à l’harmonie dans l’intérieur ; plus de subordination et de tristes découvertes. Soyez tranquille sur vos confidences. Voici la lettre de Stutgard assez curieuse. A propos, le Roi de Hanovre n’entend pas du tout se soumettre à la Prusse si elle devenait omnipotente. Il dit que le Hanovre a toujours été l’allié respectueux de l'Autriche & qu'il le restera.
J’ai vu hier Mme Lamb au moment où elle montait en voiture pour se rendre à Broket hall, les nouvelles du matin lui aprenant que Lord Melbourne était à l’extrémité. Beauvale va mieux, les Palmerston, sont là. Rien, rien de Brighton. La Duchesse de Glocester hésitait à recevoir le soir Lady Holland à cause des commérages. Cela affligeait la petite beaucoup, j’ai un peu arrangé cela, elle sera reçue ce soir. Au fait elle me fait de la peine ; évidemment elle est malheureuse dans son intéressée, et elle a assez d'esprit pour craindre & pour voir que la société ne lui fasse sentir quelque dédain. Elle persiste à trouver que le seul remède est de rester en Angleterre, c’est possible. Il faut braver la tempête.
Je voudrais être à Drayton. J’ai des regrets. La Présidence m’occupe sans relâche. Comme je suis curieuse des explications qui vous viendront de Paris sur les Débats ! Elles tardent bien. Adieu, adieu. Lundi vous ne pouvez rien recevoir. C’est donc à Mardi à Brompton. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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93. Ems le 5 juillet 1854

On demandait à un cosaque chargé d'amener à Pétersbourg douze anglais, faits prisonniers en Finlande, ce qu'il pensait d'eux." Pas grand chose. Ce sont de bonnes gens, mais c’est un peuple bien que civilisé ces anglais."
J'ai eu une lettre très aimable de Fould. Mais il ne m’envoie pas la paix. L’Emp. & l’Imp. vont à Biarritz pour quelques semaines. Fould reste à Paris avec ses maçons. La place Louis XV sera achevée dans 6 semaines pour la fête du 15 août. Le Louvre sera achevé inauguré, le 1er mai 1855 à Bruxelles on ne connaissait pas encore exactement notre réponse à l’Autriche, mais il n'y a pas de doute sur ce qu’elle sera. La Prusse, dit-on là, restera expectante. Elle sera entraînée, il le faudra bien. Avez-vous lu les discours très belliqueux du roi de Suède à ses troupes ? Enfin ce sera toute l'Europe.
Le Maréchal Pasking va dans son château en Pologne. Bouderie ou disgrace on ne sait pas. Le public de Pétersbourg accuse ses lenteurs. On ne lui pardonne pas de n’avoir pas pris Silistrie. Vous n'avez pas idée comme mes soirées sont brillantes. Cercle extrêmement choisi, trop exclusif peut-être pour une popularité, mais je n'y vise pas. De la musique charmante. On s’attroupe sous les fenêtres pour l'écouter. Olga serait la prima donna de l'Europe si elle montait sur la scène. Quelle puissance de voix. Cerini chante très bien. Le prince George accompagne toujours, cela le rend heureux. La duchesse d'Ayen est là comme une poupée. Son mari est très bien, et très agréable. Melas chante pas mal, sa femme ne sait pas si on pleure ou si on rit. Vous savez qu'il lui arrive à dîner de prendre le grand os d'un poulet pour son éventail, et de s’étonner qu’elle s’évente sans se rafraîchir. Les Brignoles vont arriver. Richelieu nous quitte. Le 20 Schlangenbad pour moi, mais hélas Hélène à Schwalbach, c'est à une très petite distance, mais il n'y a pas de quoi se voir deux fois le jour. Toujours de la pluie et l’air froid. Summer postpond on account of the war, comme on dit à Londres. Adieu. Adieu.
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