Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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23 Bruxelles le 7 avril

Je vais vous quereller. Vous vous faites meilleur que moi en cas. Vous me dites : " Malgré ce qui me manque, je jouis de ce qui m’est donné. " Faites moi l’amitié de me dire ce qui m’est donné. Mais je sais que vous avez un home, des enfants, et des yeux.
Hier soir, Brunnow, Van Praet, Le prince de Ligne & Mad. Villers qui me raconte son dialogue à dîner avec le Maréchal Vaillant. La promenade au bois avec Hélène a été bien sérieuse. Je me suis fait lire la discussion. Chasseloup a bien parlé. Montalembert a été bien imprudent. Je conçois que tout ceci ait fort animé Paris pour un jour. Je n’ai pas un mot de Constantin. Je ne conçois pas cela. Brockausen attendait encore hier au soir le courrier de Berlin qui devait passer ici le 3. Des lettres de Pétersbourg disent que l’[Empereur] a dit à la table ronde chez sa femme. " Je puis très bien m’arranger avec les Turcs s'ils imaginent les Chrétiens, mais avec les Anglais c’est autre chose." Adieu. Adieu.
Je suis plus triste aujourd’hui qu'hier cela ira comme cela. Adieu & Je vous écris par le Pce de Ligne. Dites moi si vous avez reçu ce N°.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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135. Paris, le 15 Septembre 1838

Je ne vous ai pas écrit hier. Aujourd’hui j'essaie de le faire mais je ne crois pas que Vous me dites je vous envoie ma lettre aujourd’hui il faut tout se dire, même de loin. Cela me semble impossible si je vous disais tout, tout ce que j’ai sur le cœur. Ah que je vous blesserais. Et en ne vous le disant pas, je ne sais de quoi vous parler, car je n’ai plus qu'une idée, une seule. Vous m'avez fait bien du mal. Et vous voulez que je croie, vous voulez de la foi. Et tous les jours vous prenez soin de m’en enlever. En me quittant le 16 août vous étiez décidé à ne pas revenir. Je l’ai vu, je l’ai senti. Je me suis fait effort pour en douter. Votre proposition de Baden m'a rendu mon soupçon. Je ne vous ai pas aidé à vous débarrasser de moi, M. Duvergier de Hauranne, M. le préfet, Madame sa femme, sont venus à votre aide. Convenez que ce sont de pauvres raisons ! Les autres valent mieux ; et cependant l’année dernière elles n’étaient pas suffisantes pour vous retenir ? Vous êtes venu me voir deux fois, cela ne vous a pas semblé difficile. C’est que vous m’aimiez bien alors. Non, je ne suis pas injuste je ne suis pas défiante, je vois les choses comme elles sont. Je mérite tout ce qui m'arrive, c’est moi, toujours moi que j’accuse. Je vous l’ai dit, je ne m’aime pas, et je trouve que les autres ont raison de ne pas m’aimer. Je sens ce malheur profondément. J’ai cru que vous m'aimeriez beaucoup, beaucoup, j’avais repris confiance en moi-même, je l’ai perdue, tout à fait perdu, et je me retrouve plus isolée, plus malheureuse que je ne l'ai jamais été. Mon âme est tout à fait abîmée, flétrie. Je n'ai courage à rien. Je ne sais que vous dire. Je ne vous dis pas tout encore. Je ne vous crois plus, et le 31 octobre ! Vous reverrai-je le 31 octobre. Vous me l'avez promis, mais est-ce une raison pour que j'y crois maintenant ?
Dans ce moment il passe un convoi sous mes fenêtres. Le cercueil est tout blanc tout est recouvert de blanc. Qu’est-ce que c'est que le blanc pour les morts ? Dimanche 16 Sept. 8 h 1/2 Vous voyez bien que je ne puis pas vous envoyer ma lettre, Et j'ai besoin de vous écrire, de vous parler à tout instant. Je vous aime, je vous aime beaucoup. Pourquoi m'aimez-vous si peu ? Vos lettres sont bien écrites mais elles me semblent si froides ! Je me couvre beaucoup. Je ne parviens pas à me réchauffer.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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9. St Germain midi le 17 août 1843

Par quatre ou cinq raisons, matelas élastique, gens d’écurie couchant au dessous de ma chambre. Victoire toussant la nuit & &, je n’ai pas dormi du tout, et pour comble d'infortune ayant été obligée de me lever pour fermer ma porte et ne m’étant pas couverte j’ai repris un point de côté comme j'en ai quelque fois en hiver, et il m’a fallu recourir à une sueur abondante pour m'en débarrasser. Je me suis donc levé tard, en mauvais état, en mauvaise humeur, & voilà l’heureux début de St Germain !
C’est parfaitement bête, car le lieu est ravissant, l’air et le temps aussi. Mais au lieu de mes conforts auxquels Je tiens beaucoup je suis dans une méchante auberge. C’est honteux pour Henri IV. J’attends encore votre lettre. Il parait que St Germain est plus loin que Versailles. Les journaux même n'y sont pas venus encore. Nous sommes arrivés ici hier à 4 heures à 6 Kisseleff et Pogenpohl sont venus dîner avec nous. Dolgorouky qui devait venir partait le même jour. Kisselef a quelque chose à vous montrer sur la Grèce , je crois que c’est de Londres qu'il l’a reçu. Il dit beaucoup que cela va bien mal en Grèce. Il dit aussi qu’on craint que Piscatory n’ait des penchants trop constitutionnel pour l’êtat du pays. Du reste il ne savait rien.
2 heure & demi. Voilà Etienne et une charmante lettre, car je vous reverrai plutôt, ma joie est grande autant que j'ai la force d’en avoir aujourd’hui. Génie m’explique que vous devez avoir reçu le courier qui vous manquait. Mais quel ennui et que je vous plains, car si votre lettre m’avait manqué je sais bien que je n’aurais plus le sens commun. Au reste comme tout vous manquait à la fois vous ne vous, serez pas inquiété pour moi. Je désire bien appendre que vous avez retranché, the objectionable word de ce que vous aviez envoyé à Londres mandez-le moi. Adieu, il faut renvoyer Etienne pour que ma lettre ne manque pas le courrier. Adieu. Adieu.
Vous me dites que vous me reverrez cinq jours plutôt après m’avoir dit que vous quitterez le Val Richer le 21 ou 22, mais vous ne pouvez donc arriver que le 23, cela ne fait que trois jours de gagne. N’ai-je pas bonne grâce de vous quereller encore ? Adieu. Adieu. Adieu. Je serai à Beauséjour Mercredi prochain en même temps que vous. Mais dites-moi encore plus exactement votre retour. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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8. Versailles Mercredi onze heures
Le 16 août 1843

J’ai quitté Beauséjour à 4 heures. Je suis venue dîner seule ici, à 8 la jeune contesse est arrivée. Elle ne m’a pas ennuyée. Mais voici de son côté. Elle me dit tout à coup - Il doit être bien tard chère Princesse. - Quelle heure pensez-vous qu'il soit ? Près de onze heures. Il était huit heures 3/4. Vraiment j’ai peur qu’elle ne supporte pas longtemps le tête-à-tête.
Je me suis couchée à 10 h. J'ai très bien dormi. A 8 h, j'étais sur la Terrasse. Il faisait frais et beau. J’ai déjeuné, j’ai fait une toilette et me voici. La jeune comtesse est allée se promener dans les galeries, déjeuner chez Mad. de la Tour du Pin. J’y étais conviée aussi, mais je reste. Je vous écris et j’attends votre lettre.
Bulwer parle très sérieusement. Au fond il trouve le Cadiz ce qu’il y a de mieux et de plus pratique surtout. Le fils de Don Carlos impossible. Naples peu vraisemblable comme disposition espagnole. Dieu garde dit-il que qui que ce soit mette en avant un prince étranger quel qu'il soit. Car aussitôt la France serait forcée de lui opposer un Prince d’Orléans. Il ne faut pas à tout prix que la lutte de candidats s'engage. Il ne faut se mêler de rien. Il dit cependant que l'Angleterre doit agir pour empêcher que les Cortès ne nomment le duc d’Aumale, car malgré la résolution du Roi le cas pourrait devenir embarrassant. Si l'Angleterre veut en finir, je crois bien qu’elle arriverait au résultat contraire, mais enfin ce n’est que le dire de Bulwer. Il a beaucoup répété que son gouvernement était dans les meilleures dispositions d’entente avec la France. Il a insisté sur le bon effet qu’aurait la présence de Sébastiani, fort respecté à Londres. Cependant ne sera-t-il pas un peu trop Whig pour les gouvernements actuels ?
Tout ce que vous me dites dans votre N°3 me plaît. Vous avez pris si doucement mes reproches. De la manière dont vous me répondez, je trouve bon toutes vos faiblesses. Mais voici ce que je ne pourrais jamais trouver bon c’est que je fusse renvoyée au delà du 26. Vous pouvez être faible pour votre mère, mais vous ne serez pas injuste et dur pour moi. Je reste donc ferme dans ma foi pour le 26.
Midi et demie. Voici le N°4. Je comprends fort bien la première page, car Génie m’avait confié ce qui était venu de Londres. J’espère que vous aurez consenti à rétrancher le petit mot déplaisant. Il ne faut pas que vous ayez à vous reprocher un seul fait ou geste qui empêche de s’entrendre. Mais quel dommage que vous ne soyez pas ici. Je le répète : un jour de retard dans des affaires comme celle-ci c’est beaucoup risquer et vous dites mieux que moi. Je vous copie. " tout cela a besoin d'être conduit avec un grande précision et heure par heure." Et vous êtes à 46 lieues ! Mais au moins vous reconnaissez l’inconvénient, tout le monde le pensait, et moi aussi, par dessus toutes les autres choses. Revenez, revenez. Ceci est votre grand moment vous n'avez rien eu de si grave, de si important, et de si directement posé sur vos épaules depuis 3 ans bientôt que vous êtes ministre. Et c’est là le moment que vous avez choisi pour vos vacances. Pardonnez-moi si je reviens. Mais vraiment je voudrais impress upon your mind combien cela est sérieux pour vous. Je comprends toutes vos jouissances au Val-Richer, & j’essaie même de n'être pas jalouse ; mais je suis désolée de ce que votre sommeil soit toujours troublé. Enfin votre mère en vous voyant comme cela accablé de travail, vous laisserait bien partir, car elle reconnaîtrait que la politique est sa vraie rivale Adieu. Adieu.
Je renvoie Etienne avec ceci. Je regrette que mon N°7 soit arrivé à Génie trop tard pour vous être envoyé par la poste. Je l’avais donné à [?], à 4 pour le poster de suite. Il ne s’est présenté qu’après 6. Nouveau grief. Par dessus la glace & & Adieu. Adieu. Aujourd’hui variante avant le 26. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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1. Beauséjour Samedi 11 heures. 12 août 1843,

Vous êtes encore à Auteuil peut être et déjà il me semble que le monde entier est placé entre vous et moi, que l’éternité commence. Je me trouve bien lâche de vous avoir laissé partir. Dites-moi, répétez-moi, jurez moi que je vous reverrai bien portant le 26 ? Je n’aurai pas un instant de tranquillité jusque là. J’attends et j’espère Génie. J'ai oublié de vous dire que Lord Howden est arrivé hier matin de Londres, & qu’il est réparti hier au soir pour l'Espagne. On disait Barcelone, et un simple voyage de curiosité. Mais il ne fera autre chose.
Midi. Voilà Génie venu et reparti. Nous avons causé de tout. Et surtout de votre voyage car je l'ai sur le cœur bien lourdement. Votre mère lui a dit ce matin, qu'elle resterait 15 jours plus au Val Richer. et puis 3 jours à Tréport et puis Auteuil vers le 1er Septembre. J’ai affirmé que c’était impossible. Génie me trouve innocente. Tout ce voyage comme affaire est parfaitement inutile. Les bois cela pouvait être fait par tout autre. Raisonnablement comment et pourquoi aller à 80 ans se trimbaler, s'exposer à être malade. Vos enfants toujours malades en voiture. Vous aurez mille tracas. C’était une pure fantaisie de votre mère à laquelle vous n'avez pas su résister. Ici, comme affaires tout le monde s’étonne et trouve le moment singulièrement choisi. Vous même il y a quinze jours. encore vous n'y croyiez pas, parce que vraiment cela n’est pas sensé. Enfin Génie a été très abondant et éloquent sur cette matière, et encore une fois il est surpris de ce que je sois encore à apprendre que pour peu que votre mère ait une fantaisie, vous ne trouvez d’autre ressource que de vous y soumettre. Et bien tout cela m’attriste beaucoup, beaucoup. Je me figure mille choses de plus maintenant. Pourquoi avez-vous été si faible ? S’il lui arrive quelque chose, sera-ce une grande consolation pour vous de savoir que vous avez fait sa volonté quand cette volonté n’est pas raisonnable. Et Génie persiste à dire que de toutes les façons cela n’est pas raisonnable. Mon Dieu, mon dieu, revenez. Mais vous ne reviendrez pas, maintenant je vois bien que vous ne jugerez aucune question assez importante pour revenir. Mais le 26 vous me l'avez juré. Adieu. Adieu. Je ne vous écrirai que de tristes lettres. Je suis très très triste beaucoup plus triste encore qu’il y a une heure. Adieu. Adieu. Ne trouvez- vous pas que je suis quelque chose, aussi ? Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
264. Paris Mardi le 17 Septembre 1839, 9 heures

Je me sens un peu mieux aujourd’hui ce qui fait que j’ai le courage de vous écrire. Hier encore a été une bien mauvaise journée. Mes crampes ont recommencé, mes nerfs ont été dans un état affreux. J’ai passé la journée seule. Si je n’avais pas eu quelque heures de sommeil vous n'auriez pas de lettres ; car décidément je ne risquerai plus de vous écrire lorsque mon cœur ressemble à mes nerfs. Vous avez raison dans tout ce que vous me dites ce matin et mon Dieu, mais ce n’est pas la raison qui est mon culte ; je n’aime pas par raison. Il n’y a rien de raisonnable à aimer. Et vous avez mille fois raison de ne pas aimer à ma façon. C'est une mauvaise façon. On m'a mis ce matin dans un bain d’Eau de Cologne. Je laisse faire sans avoir confiance en rien. Cela ne durera pas longtemps. Je ne m'occupe plus de chercher quelqu'un, je ne m'occupe plus de rien de ce qui me regarde. Je vous ai dit souvent que je craignais de la folie, je la crains plus que jamais parce que je la vois venir.
J'ai une mauvaise affaire sur les bras. Malgré les promesses que j'ai faites à Bulwer de la part de madame Appony il a rencontré sa belle-sœur chez elle hier au soir. Il me le mande dans un billet ce matin, et veut pour conseil. Il regarde ceci comme une insulte personnelle. Il a raison et cependant ce n’est sans doute qu'une bêtise de Madame Appony. Mon conseil sera qu’il n’y retourne pas. Moi, j’ai droit d'être blessée aussi car la promesse m’a été donnée à moi.

1 heures
J'ai eu la visite de Génie. C'est un bon petit homme ; ce qui me prouve ma décadence et ma misère est le plaisir que me fait la visite d'un bon petit homme ! Après lui est venu Bulwer ; j’étais encore dans mon bonnet de nuit. Il n’avait pas fermé l'œil depuis hier, il voulait écrire à Lord Palmerston demander son rappel de Paris à cause de l'insulte des Appony, enfin il était dans un état violent. Au milieu de cela je reçois la réponse de Madame Appony à une petit billet d’interrogation un peu vif que je lui avais écrit, et j’éclate de rire. La belle sœur n’y avait pas été. Bulwer a eu une vision ... Il n'en revient pas. Il soutient qu'il la vue. Je l’ai assuré qu’il se trouvait obligé de croire qu’elle n'y était pas, car mensonge ou non, il est bien certain maintenant qu’elle ne s’y retrouvera plus.
Le billet de Madame Appony est long, plus de tendresses pour Bulwer, d’indignation de ce que nous soyons cru capable de manquer à ses promesses. Enfin c’est fort drôle, et c’est fini. Hier Bulwer causait avec Appony lorsqu'il a eu sa vision. Il a laissé court et est sorti brusquement de la maison.
A propos de maison, Démion est revenu. Je prends l’entresol à 12 mille francs. On dresse un inventaire des meubles. Je prendrai ce qui me conviendra.
Rothschild m’a mandé qu'il avait abdiqué ses droits entre les mains de Démion, il n'y peut donc rien. Et bien, j’ai cet entresol ! Cela ne me fait aucun plaisir, rien ne me fait plaisir. J’ai écrit hier à Benkhausen pour demander les lettres of admisnistration d’après ce que me dit mon frère lui ne le ferait pas. Si j’attends l'arrivée de Paul ce sera encore une complication une fois les lettres obtenues, l'affaire est plus courte & plus nette. Je crois que je m’épargne du temps et des embarras, & que je suis en règle. Le pensez-vous aussi ? Pourquoi attendre. Je chargerai Rothschild de lever le capital et de remettre leurs parts à mes fils voilà qui est simple.
L’affaire de Don Carlos est regardée ici comme un grand triomphe. En effet, c'est une bonne affaire. Si on est sage à Madrid cela peut devenir excellent. Palmerston, & Bulwer ont écrit à M. Lotherne pour qu'il presse le gouvernement de ratifier la convention de Maroto. Mais vu dit qu'il y a de mauvaises têtes dans les Cortes. Adieu, je suis mieux ce matin. Je ne sais comment je serai plus tard. Ne vous fâchez jamais avec moi avec toute votre raison, & laissez- moi vous aimer avec toute ma folie. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
263 Paris le 16 Septembre 1839

Votre lettre reçue ce matin est la première depuis deux ans où je ne trouve pas le mot, adieu. J’en suis très affligé. Le dernier mot de cette lettre me prouve que j'ai eu tort dans ce que je vous ai écrit avant-hier. Comme je me sens de nouveau très malade aujourd'hui par suite d'une nuit passée tout à fait sans sommeil je crains de vous écrire. Je vous préviens que j’aurai grand soin de ne vous écrire que lorsque je serai assez bien pour ne pas craindre qu'il m'échappe des paroles qui puissent vous déplaire, parce que les répliques me font du mal. Je ne suis pas maîtresse de mon cœur, ni de ma plume, mais je suis bien maîtresse de ne point la prendre. Je ne sais par quoi je finirai, mais tous les jours je me sens plus mal. Je n’ai pas de nouvelles à vous donner. Vous ne m'avez pas dit adieu !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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204 Baden le 28 juin vendredi 1839 9 heures du matin

J'ai lu les rapports de M. Jouffroy. Il est très bien, on ne peut mieux. Mais le conseil qu’il donne impraticable. Nous ne laisserons par les puissances de l'Europe se mêler de cette affaire, soyez persuadé qu’il ne peut pas y avoir de congrès. Vous serez très content de nous, moins cela.
Vous m'écrivez de courtes lettres. Je manque d’appétit pour mon dîner mais j’en ai toujours, toujours un très grand pour vos lettres, songez à cela. Vous m'avez promis de me tout dire, mais vous ce qui arrive. Quand vous êtes à Paris vous avez beau coup à me dire et vous n'en avez pas le temps. A la campagne, beaucoup de temps et point de nouvelles vous êtes un peu dissipé à Paris. Racontez-moi mieux vos journées. Est-ce que par hasard vous feriez des visites comme l’année dernière, dont je n’entends parler que l’hiver d’ensuite ? Vous voyez que c’est une vieille querelle que je veux réchauffer. Mais trois petites pages et demi pour deux jours, cela, me parait d'une grande avarice. Comment ne trouvez-vous pas de temps pour m'écrire davantage. On trouve toujours du temps quand on veut ! Je vous prie, je vous prie écrivez-moi davantage. Vous me maltraitez, & moi je suis triste, je suis seule, je me fais des dragons. Et si dans ce moment, je continuais, je vous dirais quelques sottises. Adieu. Je vais me promener.

11 heures
Je rentre et je suis plus tranquille, mais ne dérangez pas ma tranquillité. Ecrivez-moi, écrivez- moi davantage. Eh bien, de Paris envoyez-moi une lettre tous les jours. Vous aurez honte de ne m’écrire que deux pages, il faudra bien que je vous occupe un peu plus que cela. Ce sera mieux pour vous, pour moi, pour moi surtout. A la campagne vous donnez des leçons à vos enfants, je n'en suis pas jaloux, vous donnez des ordres à les ouvriers, je n'en suis pas jalouse. Vous aidez Mad. de Meulan à caler des gravures, je n'en suis pas jalouse. Je vous laisse faire. à Paris, sans moi ; je ne vous laisse pas tant de liberté ; il faut que je vous aie à moi davantage toujours, quand vous n'avez pas des affaires. Est-ce convenu ? Je fais parler cette lettre aujourdhui lors de ma règle mais c’est pour que vous soyez plutôt informé de mes exigences. Ainsi de Paris vous m'écrirez tous les jours. Promettez-le moi je vous en supplie.
Ma nuit a été un peu meilleure. Mais le médecin a été forcé de renverser toutes ses ordonnances, au lieu de son et de lait, c'est des bains de sel et d’aromates que je vais commencer demain, & si au bout de huit jours ils ne me font pas de bien, je suis décidé à ne plus rien faire. Je suis plus faible que je ne l’étais à Paris. Il n’y a pas le sens commun à être venu ici pour être plus mal. Le prince Toufackin est venu me voir ce matin. Imaginez que j’ai eu presque du plaisir à le revoir. C’est fort. Adieu. Adieu. Il me semble que je me sens déjà. soulagé par l’arrangement que je vous propose. Adieu. Vous comprenez comment je vous dis Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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179. Paris mardi le 30 octobre 1838

Rien de plus touchant que ce petit billet d’Henriette. Comme vous devez aimer cet enfant. Je vous renvoie le billet, vous le conserverez. Le temps a été charmant hier. J'ai marché un peu à différentes reprises mais je n’ai pas été au bois de Boulogne. C'est loin, & la voiture fermée m'ennuie horriblement.
J'ai dîné chez Lady Granville. Au milieu du dîner sont entrés quelques jeunes anglais qui se croyaient encore à Londres où il est élégant d'arriver trop tard. Vraiment leur tournure étaient incroyables, l’un surtout, Lord Castleragh qui a cependant beaucoup d'esprit mais il faut franchir des diamants, des turquoises des cheveux touchant sur ses épaules, des choses étonnantes, et un peu de folie dans ses propos. L’autre, Lord Jocelyn, je ne le connaissais pas du tout, mais comme je suis anglaise. Il s'est mis tout de suite à son aise avec moi et nous avons parlé bons principes, car toute cette jeunesse, est Tory.
Il parait qu'on ne se pressera pas à Londres de donner un successeur à Lord Durham. Je crois que Lord Glendy va quitter. Il sera sans doute remplacer par Lord Morpette ou M. Baring. On espère que le soutien si unanime que les états généraux accordent à leur roi disposera Léopold à modifier ses prétentions, car il comptait que les Hollandais se montreraient mécontents. Il serait donc possible encore que les chose s’arrangent. Les cinq puissances sont d’accord entre elles & n’attendent plus que les réponses de la Haye & de Bruxelles. Léopold va à Fontainebleau & delà il retournera chez lui. On ne pense pas cependant que la cession territoriale à la Hollande s'opère sans quelque petite tentative de combat.
Que vous êtes patient de relire mes lettres vous m’apprenez que je suis sagace, je ne savais plus du tout ce que je vous avais dit dans le temps sur Lord Durham. Pour moi c’est autre chose, je relis vos lettres comme plaisir, comme étude. Elles sont admirables. Vous serez vous fâchée de celle que je vous ai écrite hier. Je n'en sais rien, mais vous auriez tort, il faut absolument parler de ces choses-là, mais jamais les écrire, je ne devais pas le faire peut-être ; mais ce n’est pas moi qui ai fourni l'occasion Enfin c’est fini ou plutôt ce sera fini le 6.
Voici un beau soleil, il ne faut pas que je le manque. Je m’en vais marcher. 2 heures Je rentre très fatiguée, je ne me sens pas bien, j’ai dormi mal d'abord, et puis ensuite lourdement. Je suis ce qui disent les Anglais out of sorts. Je n'ai jamais su d'où venait cette expression. Je lis toujours Sully avec plaisir. Adieu. Adieu, pas de lettres, pas de nouvelles. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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178. Paris lundi 29 octobre 1838

Vraiment vous êtes étrange ! Selon votre lettre, il faudrait encore que je vous remercie de venir huit jours plus tard que vous ne m'aviez solennellement promis, et cela parce que il pouvait se faire que vous ne fussiez venu que 6 semaines après ? à ce compte surement je puis me promener de remerciements en remerciements et passer ma vie sans vous voir. J’aime la foi dans les promesses. Vous ne devez pas m'en faire, ou ne pas les rompre. Celles que vous me faisiez l’année dernière vous les teniez. Cette année ci tout a été de travers et sans le jury. Depuis juin jusqu’en novembre, je ne vous aurais pas vu une fois. et vous verrai je en novembre ? Croyez-vous que j’y crois. Il se peut que je vous dise là une chose dure, mais si vous y pensez bien vous trouverez que je n’ai pas tort. Seulement ce qui vous arrive à vous, c’est de croire que vous avez toujours raison surtout de loin ; ce qui vous arrive encore c’est de ne pas savoir combien je vous aime ! Vous voyez bien, je ne voulais pas entrer en discussion sur ce retard. Et me voilà engouffrée dans des explications sans fin et qui ne mènent à rien, car rien ne mène quand on est loin. Il faut être ensemble. Et voyez encore la différence entre vous et moi. Je vous ai dit, je vous répète. Quand nous nous serons tout dit, nous serons bien heureux. Vous modifiez cela, & vous m'écrivez aujourd'hui j'espère que nous serons heureux. C'est un bien vilain mot que vous avez tracé là Monsieur, et je suis bien aise d'avoir mis Monsieur pour vous le reprocher.
Voilà votre mère souffrante, si elle le devenait davantage n'aurez-vous pas à vous reprocher de ne pas être à Paris avec elle. Je vous prie de m'en parler tous les jours. M. Verny a fait hier un excellent discours, qui m’a fait du bien. Je mènerai Lady Granville à l’église un jour pour l'entendre. Le temps a été affreux. J’ai fait des visites entre autres à Mad. de Stackelberg. Elle avait marié sa fille la veille ; savez-vous ce qu'ils ont fait après la cérémonie ? Les mariés & toute la famille ! Ils sont allés au gymnase voir de méchantes pièces. Sans être Anglais, il me semble qu'on peut être choqué de cela.
J’ai vu beaucoup de monde hier au soir. On est resté dans la mauvaise habitude de l'été, dont je voudrais bien désaccoutumer mes amis, c’est de faire foule le dimanche & le jeudi. je n' y ai aucun plaisir, il n'y a pas de causerie possible. La princesse Schwaremberg qui était chez moi entre autres, est certainement extrêmement jolie ; elle a frappé tout le monde. Avec cela elle est animée, spirituelle. Savez-vous que la petite princesse était de mauvaise humeur ! Car même mon ambassadeur lui a été infidèle. Le George d’Harcourt dont je vous ai parlé est le vôtre. Vous devez l'avoir vu souvent chez Madame de Broglie. C’est lui que je trouve bien, et non le sot mari de Lady Elisabeth qui est le plus ennuyeux personnage du monde.
Avez-vous fait attention à l’adresse des états généraux en Hollande ? Je ne crois pas qu’elle facilite la conclusion de l’affaire belge. Jamais ils ne se sont montrés plus dévoués et plus fiers. Je serai impatiente de la revue française.
A propos, je n’ai point dit à M. de. Broglie que c’était de vous que j’avais appris qu'on l'attendait en Normandie. Jamais je ne cite. C’est mon habitude et une très bonne habitude. Ce qui fait que je n'ai jamais fait un paquet. il n'y a que vous à qui je dise tout, cela va sans dire. La cour toute entière va à Fontainebleau pour conduire jusque là la duchesse de Würtemberg. On y passera quelques jours. J’ai vu hier Mad. la Duchesse d’Orléans à l’église. Elle est selon moi, parfaitement laide.
Adieu, répétez moi, que c’est bien mardi le 6 que je vous verrai afin que j’essaie de me réjouir. J'écris aujourd’hui à Toukowsky pour lui demander l'itinéraire. C’est hopeless de l’attendre de mon mari.
Adieu, adieu, adieu. Dites-moi de bonnes, de douces paroles. Je n’aime pas du tout votre dernière lettre. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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177. Paris, dimanche 28 octobre 1838

Certainement vous avez un mauvais caractère ou une mauvaise logique dans l’esprit. Vous vous fâchez de ce que je me fâche, et c'est vous cependant qui avez commencé par m'affliger ! Cela n’a pas le sens commun. Venez et nous raisonnerons sur ce sujet, et je vous prouverai que ce n’est pas moi qui ai tort. Laissons cela maintenant. Ce qu'il y a de plus clair dans notre fait, c'est qu'à distance nous finirions par nous brouiller et que c'est impossible, à jamais impossible, lorsque nous somme ensemble, n’est-ce pas ?
Le traité entre l’Autriche & l'Angleterre ne peut pas nous être agréable, je vous dis cela de mon propre cru. Je n'en ai parlé à personne, et je n’ai personne avec qui causer de ces sujets là. Pahlen n'y entend pas un mot et Médem n’est pas ici. Je trouve en général que notre politique est fort lâchement même depuis quelques temps, aussi nous trouvons nous aujourd’hui dans un parfait isolement.

10 heures. Mon fils vient de me quitter. Je reste affligé, et bien contente de lui. C'est un excellent garçon. Me voilà seule de nouveau sans personne qui m’aime ! Je m'en vais à l'église. Je n’ai rien du tout à vous conter sur ma journée d’hier. Je l'ai passée avec mon fils, avec un peu de mélange de Lady Granville. Adieu. Adieu, & encore adieu et toujours adieu. Si cela ne vous déplaît pas.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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138. Paris Mardi le 18 Septembre à 3 heures

Que pensez-vous de moi et qu’allez-vous me répondre ? Depuis que je vous ai écrit hier je n’ai pas cessé de tourner et retourner dans ma misérable tête votre lettre et ma réponse et plus j'y pense et plus je me repends. J'excuse tout ce que vous me dites. Je me veux du mal de tout ce que je vous ai dit. Il me reste bien ce froid. " Il fait moins pour moi cette année ci que l’année dernière", mais je n’ajoute pas " il m’aime moins " ; je ne le crois pas, et toutes ces réflexions me ramènent à vous avec moins de chagrin que je n’en éprouvais hier ; et bientôt, bientôt au bout de tous les dialogues que j’établis entre vous et moi, j'arriverai à vous demandez pardon de tout ce que je vous ai dit, de tout ce que j’ai pensé surtout, car j’ai encore plus pensé que je n’ai dit et mon imagination me sert si bien que d'ici à demain matin je croirai que tout est effacé, oublié, pardonné et que je sors seulement d'un mauvais rêve. Mais encore une fois que penserez-vous de moi, qu’allez-vous me dire? Je n'ai rien reçu ce matin, je l'ai bien mérité.

Mercredi 11 heures
Ma nuit a été bien agitée. J’ai reçu cette nuit vingt lettres, elles étaient toutes mauvaises. Je me réveillais entre chaque mauvaise lettre, pour me dire, " c'est bon signe " ; " c'est mauvais signe." Et quand le matin est venu, quand je suis entrée dans le salon où je déjeune, & que je n’ai point vu de lettre auprès de mon couvert, mon cœur s’est serré. Je suis descendue dans le jardin j’ai appelé le portier, il tenait à la main une lettre. Je ne savais si je devais l’ouvrir. J’espérais plus que je ne craignais, mais je craignais un peu et le cœur me battait bien fort. Enfin je l’ai ouverte et j’ai poussé un de ces longs soupir, de ces soupirs qui vous soulagent après une grande fatigue. Vous m’avez dit tout ce qu'il me fallait ; vous me l’avez dit comme je le voulais, et il me semble que nous nous aimions mille fois mieux depuis ces terribles quatre jours. Et je crois que j'ai bien fait d’avoir perdu la tête parce que je me retrouve si bien, si bien aujourd’hui. J'aurais pour un mois de récit à vous faire sur l’histoire de ces quatre jours. Ces récits seraient interrompues pas mille adieux. Que d'émotions j’ai éprouvées ! Et cependant c'est une histoire si simple, une seule pensée. Enfin, enfin tout est fini. Mais que j'aimerais à vous le dire de près !
Dites-moi, dites-moi tout. Vous avez douté de moi, je le vois. Nous étions des personnes bien éclairées sur le compte l’un de l’autre, il faut en convenir ! Et vous vous vantez de me si bien connaître ! Moi je ne me vante de rien, je n’ai pas une prétention, mais une ambition de cœur immense. Je suis insatiable. Je veux que vous m’aimiez. Dans tous les instants, toujours. Aujourd’hui je suis si contente. Et j’ai été si malheureuse. Je ne le serai plus n'est-ce pas ? Je ne puis rien vous dire encore aujourd’hui qui sorte de mon seul et unique sujet de préoccupation. Tantôt je reviendrai à vous pour vous parler d’autre chose, car bien des choses m’ont passé, sous les yeux depuis vendredi ; je vous enverrai copie de la lettre de mon mari. Pour aujourd'hui vous n'aurez que moi, moi toute seule, avec tout ce que j’ai pour vous d'amour, d’amour éternel. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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137. Paris, le 11 Septembre 1838 Lundi 10 heures

Je ne sais quel parti prendre, faut il vous envoyer mes lettres ou les déchirer. Vous vous doutez si peu du mal que vous m’avez fait. Vous ne me comprendrez donc pas du tout. A tout hasard je vous envoyé tout, & vous ne savez pas tout ce que j’ai écrit de plus et que j'ai déchiré ! Vous pourrez trouver que je vous aime mal, mais vous ne trouverez pas que je vous aime peu. Il me semble que vous n'avez jamais su combien je vous aimais. Si vous avez le courage de me gronder peut-être me guérissez vous de mon amour. Car la révolte entrerait dans mon cœur. Ah que le vôtre est froid à côté du mien.

Midi
Je suis si triste, si triste. Quand me viendra la réponse à ceci, quelle sera cette réponse ? N’aurais-je pas mieux fait de dissimuler ? De faire une réponse convenable à votre 129. Une réponse aussi raisonnée aussi froide que l’était cette lettre ? Savez-vous cacher ce que vous sentez vivement. Moi, je ne le peux pas. Ainsi dans ce moment, si vous étiez ici. (ah quelle parole !) Je me jetterais à vos genoux, je vous demanderais de m’aimer, de m’aimer comme vous m’aimiez, de prendre pitié d’un pauvre cœur abattu, délaissé, malheureux, tout rempli de vous, qui n’a plus que vous, qui croyait en vous, qui voudrait y croire encore et qui ne le peut pas. Dites-moi, dites-moi si vous m’aimez. Dites le moi, vite un mot, un seul mot. Ne raisonnez pas avec moi, c'est si froid de raisonner. Cela me glace. Réchauffez mon pauvre cœur, j'y ai froid, bien froid.

1 heure. Lundi.
Encore un mot, encore. Aimez-moi, aimez moi je vous en conjure. Je pleure, je ne vois pas ce que j'écris. Dites-moi bien vite que vous m'aimez. Adieu. Adieu Adieu, toujours adieu, n’est ce pas ? Comme j’attendrai après demain matin ! si vous voyiez l'état où je suis, je vous ferai pitié.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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136. Paris, le 16 Septembre 1838, dimanche 11 heures

Vous n'avez pas eu de lettre ; cependant je vous ai écrit. Non pas le premier jour cela m’a été impossible, mon cœur, ma tête, ma main, tout s’y refusait. Mais je vous ai écrit hier, cette lettre est dans mon tiroir, elle y restera, car je vous ai dit tout ce que j’avais sur le cœur. Et vous m’avez appris à ne pas vous envoyer ces choses-là. Vous vous fâchez, vous me répondez, et je ne suis pas convaincue. Il ne me semble possible de nous entendre que de près. Vous m'avez rendue très malade, je me donne le plaisir de vous faire savoir cela. J'ai reçu une lettre de mon mari, je ne sais plus ce qu’il me dit, je sais seulement que vous ne venez pas, je ne sais plus autre chose et je ne pense pas vous offrir une autre manière de vous aimer que de perdre la tête de ce que cette année présente un tel contraste avec l’année dernière.

2 heures
Je rentre de l’église, je suis mieux. Un peu plus calme. J’y ai pensé à vous. Il m’a semblé que je devais tout vous dire, et je suis bien convaincue que je ne puis vous écrire qu'à cette condition. J'ai le cœur si plein, si plein, & vous ne me comprenez pas. Vous ne comprenez. pas le mal que m'a fait votre N°129. Je l'ai lue, relue, étudiée, encore une fois, toutes ces pauvres raisons. La seule, pratique est celle que vous regardez comme la plus faible. J’ai disposé du préfet & de M. Duvergier de Hauranne. Votre mère, vos enfants sûrement ils n’aiment pas à vous voir partir, mais quelques jours ! Vous l'avez bien fait l’année dernière. Et puis vous n'êtes pas obligé de dire pourquoi vous venez, vous m’avez souvent répété que vous conserviez votre parfaite liberté d’actions. Je ne me range qu'à la dernière raison et celle-là m’afflige au delà de ce que je puis vous exprimer. Je ne puis donc rien. Est-ce les moyens de venir ? Le temps que cela vous prend et que vous enlèveriez à votre travail ? Mais ce temps pourrait être abrégée. Je vous aurais vu ; et vous voir, vous entendre, me faire entendre de vous, voilà ce qui m’eût comblée, voilà ce que j’attendais, et il m’est impossible de vous rendre l’impression qu'a fait sur moi l’annonce que je ne vous verrais pas. Il m’a semblé que le monde finissait pour moi. J’ai pleuré, je pleure encore, je pleurerai toujours.

Dimanche midi
Je vais à l’église demander à Dieu de remettre ma pauvre tête ! Je vous écris tous les jours, mais je ne vous enverrai ma lettre que si vous me l’ordonnez et n’ordonnez pas légèrement car mon cœur est tout entier dans cette lettre. Je vous en ai écrit trois ce matin que j'ai déchirées. Peut être ferai je le même usage de ce billet. Je n'en sais rien. Je ne sais plus rien, sinon que vous ne venez pas.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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129. Paris Samedi 8 Septembre 1838

J'ai relu votre lettre de ce matin cinq fois déjà, décidément je ne l’aime pas. Il y a une phrase surtout qui me déplaît parfaitement. Elle est d'une froideur qui me fait mal, c’est vers la fin de la lettre et il me semble que j'ai bien envie de pleurer.
Je vous ai laissé un moment je vous reprends, je ne veux plus vous parler de votre lettre. Savez-vous à quoi je pense maintenant ? Ma lettre, cette lettre de mercredi, il y avait de dures paroles peut-être mais un grand fond d’amour au dessous de cela, la vôtre, les paroles sont douces, mais il y a de la glace à la fin. Enfin je n'en veux plus parler et j'en parle et je pleure. & je crois que je deviens folle aussi comme Marie. Ah mon Dieu que j’ai de peines, et de tout genre ! Mon fils me quitte aujourd’hui, cela me chagrine.
La Duchesse de Talleyrand est venue me voir hier matin. Elle vient plaider contre son mari, et même commencer peut-être le procès. Elle se dit très calme mais elle avait de temps en temps l’air un peu féroce. Fort belle cependant, car la férocité va bien à ses traits. Elle m’a conté mille choses curieuses sur mon empereur & sa femme. On a pour lui, à ce qu’elle dit, et pour les Russes en général, la plus grande haine en Allemagne. On se courbe devant lui, mais on le déteste. En Bavière une peur effroyable qu’il ne veuille y marier sa fille. Enfin c’est curieux, et par dessus cela des bêtises ah !! Les Appony sont venus aussi hier matin. Il parait que vraiment l'Empereur veut du Prince Leuchtemberg pour l'un de ses gendres. Si cela est, on en rira bien ici. Décidément les hôtels d’ambassade respectifs cesseront entre Paris et Pétersbourg. Pahlen va en acheter un pour le compte de l'Empereur. Il voulait acheter à la couronne celui où il est, vous ne le voulez pas. Le Roi est mécontent de cette affaire. Il croit et il a raison de le croire, que ce sera regardé & commenté comme une mesure politique. J’ai dîné comme de coutume avec mon fils et Marie, le temps était affreux je n’ai pas pu sortir le matin. Le soir, j'ai été faire une courte visite à Mad. de Talleyrand, & à Mad. de Castellane que j’ai trouvée seule. Elle paraissait croire qui Louis Bonaparte sortira de Suisse & cette affaire ne donne plus de souci selon les apparences. Thiers a vu M. de Metternich très longuement. On les dit ravis l’un de l’autre. Cela devait être. Des gens d’esprit se séparent toujours satisfaits l'un de l’autre. M. de Metternich est coquet comme une femme. Il aura emporté Thiers, & l'esprit, la vivacité, la franchise, de celui-ci auront plu à M. de Metternich, beaucoup. L'entretien a duré trois heures. Metternich a été chez Thiers. Je suis au bout de mes commérages d’hier. J'ai eu une lettre de Lady Granville, charmante, sur tout parce qu’elle s’annonce pour Mercredi. Le grand Duc est à Weymar depuis hier. Il sera à Baden le 17, pour y rester quinze jours. Adieu, je suis extrêmement triste & par vous. Ah que nous allons mal quand nous somme séparés. Si je vous montrais cette mauvaise phrase, vous auriez froid aussi. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 2 août 1848
10 heures

Tout ce que vous prêchez dans votre lettre est excellent. Mais c'est à vous et non pas à moi qu'il faut le dire. Ce n’est pas moi qui ne dis pas tout. Ce n’est pas moi qui arrange des plans, qui fais des promesses, avant de vous en parler. Vous promettez des visites comme vous promettez des plans. Avec cette différence qu'ici vous vous croyez obligé par votre promesse et qu’en France vous vous en tiriez comme vous pouviez. Ordinairement mal. Vous ne m'avez pas dit, pour ne pas me faire de la peine, ou pour ne pas rencontrer de la contradiction. Vous vous êtes bien embourbé tout exprès pour ne pas pouvoir convenablement en sortir. Et de toute cette cascade de petites fautes est ressorti pour moi un des plus vifs chagrins que je puisse éprouver. C'est la vérité ce que je viens de vous dire là. Vous n'êtes pas assez vrai. Et bien encore. Voilà qu'au bout de 5 mois seulement vous désignez à M. Génie. lui même ce que vous voulez qu'on vous envoie ! Vous savez donc qui c’est chez lui que cela se trouve et vous m'avez toujours soutenue que c'était chez P. Pourquoi donc avoir attendu si longtemps à signifier votre volonté. Pourquoi tant d'occasions manquées ! Ah que je suis contrariée et inquiète. Tous les genres de soucis & de peines. Je n’ai vu fuir que Lady Allen, & Montebello. Ainsi rien. Je vais ce matin en ville pour affaires. Peut-être verrai-je quelqu’un dans ce cas j’aurai quelque chose à vous dire ! Je lis dans le Morning Chronicle ce matin une lettre particulière de St Aulaire à vous sur les mariages. Conversation avec Aberdeen en 1845, ou Aberdeen propose Aguila. Mon Dieu pourvu qu'on se borne aux mariages espagnols ! Adieu. Adieu, si tristement. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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128. Paris, le 7 Septembre, Vendredi

Monsieur,
J'aurais bien envie de ne vous envoyer que cela, pour me venger du madame. J'en suis enragée. Savez-vous la réflexion que j’ai faite en recevant votre lettre ce matin, c’est que même dans une relation comme la nôtre on a tort de dire tout ce qu'on a sur le cœur, de l'écrire s’entend. Il ne faut jamais tout écrire, cela veut dire qu'il ne faut jamais être séparé. En paroles on peut tout se permettre il faut même tout dire, mais je ne vous écrirai plus rien de ce qui me passe par le cœur. Je vous manderai des nouvelles si j’en sais et pas autre chose. Vous m'avez fait du mal l’autre jour ; je vois que je vous en ai fait à mon tour. Et puis arrive votre Madame et je vous renvoie un Monsieur. Voyez où tout cela nous mène ? Mettrai-je un adieu pour terminer ? Surement c’est comme cela que cela finirait, si vous étiez là près de moi.
Je ne sais plus ce que j’ai fait hier. Je crois que je me suis promenée à pied au bois de Boulogne. C'est cela ; le temps était mauvais, je n'ai rien entrepris de lointain. Le soir j’ai vu beaucoup de monde et je n'ai pas appris grand chose. Pozzo s'annonce pour la fin de ce mois au grand contente ment des jeunes Pozzo qui devaient partir ce matin pour l'Angleterre, & qui restent. Fagel arrive demain. Les Holland mardi. Les Granville mercredi on parle beaucoup du général Bugeaud & du général Brossard. Quelle sale affaire ! De la Suisse, on ne sait qu’en dire. On croit toujours que la Suisse s'humiliera parce que tout le monde le veut ainsi. Un voyageur russe arrivé hier raconte que le grand duc est allé à Weymar. Une lettre que j’ai écrite à mon mari à Erns ne l’y aura donc pas trouvé. De Weymar mon frère m'a promis de me mander quelque chose de clair sur mes affaires, mais je ne crois plus aux promesses de personne.
Vous allez tant aimer le Val-Richer que vous serez désolé de rentrer à Paris. Regardez, voilà que la jalousie me gagne. Ah le mauvais cœur que le mien ! J'ai beaucoup causé avec la petite Princesse sur Mari. Elle a beaucoup plus d’esprit que moi et elle croit que Marie est en train de devenir folle. Serait-il possible ? Elle hait mon fils Alexandre, pas autant que vous, mais elle est en chemin. Je suis très troublée de cette idée. Je n’attends que Lady Granville pour voir ce qu’il y aurait à faire. Adieu. Adieu, si vous voulez je garnirais d’adieux, toute cette demi page. Ne me faites point de belle morale mais envoyez. moi ces petits mots là. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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127. Paris, le 6 septembre 1838

Ma lettre d’hier a répondu à votre lettre d’aujourd’hui. Je laisse donc tout-à-fait ce sujet. Ah que c’est peu de chose de s’écrire comme cinq minutes d’entretien valent mieux que dix lettres ! Vous me disiez l’autre jour que vous n'aimez de jardin et de pare que le jardin ou le parc qui vous appartient, que ce qui appartient à un autre vous lasse vite. C'est très vrai, c’est ce que j'éprouve aussi, et cela s appelle de l’envie. Cette définition est peu brillante, mais elle est vraie. Soyez sûr que nous sommes des êtres horrible ment jaloux, et que la belle nature toute simple nous charme parce que nous ne sommes pas jaloux de Dieu. A propos, j’ai cependant été à Versailles hier, mais seule avec mon fils & le le petit Coke. Celui-là nous pouvions le mettre à l'abri dans ma calèche sans nous gêner, il n’en eut pas été de même de Marie, du prince Howard & de M. Acton qui devaient tous aller avec moi. A 10 heures le matin il y a eu un orage épouvantable, j'ai envoyé ma circulaire pour renoncer à la partie. A midi le temps est redevenu beau, mon fils avait une grande curiosité de Versailles, et nous y sommes allés comme je viens de vous dire.
Eh bien je dis de Versailles ce que tout le monde en dit, me réservant de penser toute autre chose. C’est de l'hérésie, c'est de l'impolitesse et voilà pourquoi je me tairai. Les ordres avaient été donnés, j’ai tout vu à mon aise ; traînée dans les petites chaises. J’ai été ensuite regarder la façade du château dans le jardin. J’ai fait un très mauvais dîner au réservoir, et je suis revenue pas l’orage le plus horrible que j'ai jamais vu nous nous sommes abrités sous une porte cochère à Sèvres. La grêle était grosse comme des prunes. Je me suis couchée à 9 heures, & à me voici. Il y a deux jours que je n’ai pas vu une âme. Je n’ai pas un mot de nouvelles à vous dire. Je suis curieuse de la Suisse. Mon fils me quitte après demain. Il reviendra le 25, pour repartir le 2 ou le 3 octobre.
Que va devenir cette affaire de la Suisse, cela commence à devenir très curieux, et cependant vous verrez que cela s'en ira en fumée. Adieu Adieu. Dites-moi toujours adieu avec le même plaisir que je le dis, je suis bien triste et bien douce aujourd'hui. Je pense bien à vous.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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126. Paris le 5 Septembre 1838

Je vous annonçais point de lettres aujourd'hui et vous en aurez au contraire une longue. Par deux raisons. La première que je ne crois pas que le temps me permette d’aller à Versailles. La seconde : parce que je viens de recevoir de votre part. Vous m'envoyez à Baden bien lestement. Vous oubliez tout. Vous oubliez donc que je ne puis pas bouger, qu’officiellement au moins cela est établi, que je viens encore de l'écrire à mon frère, que tout le passé aurait l'air d'une comédie si je faisais ce voyage. Vous oubliez qu'une fois hors de France je n’y rentrerai pas. Vous savez cela parfaitement, vous me l'avez dit vous même cent fois. Et vous m'envoyez à Baden !
Vous êtes ennuyée de moi et vous voulez vous en débarrasser. Je le conçois un peu, je ne le conçois pas tout-à-fait. Je ne suis pas tout ce que je vous ai semblé être au commencement. Vous vous êtes mépris sur mon caractère. Vous ne pensiez pas qu’il fût si mobile, et si vous y regardiez bien cependant, est-il si mobile ! Le fond de mon cœur c'est de la douleur, une douleur éternelle. Une douleur qui a été couverte par l’étonnement, la joie de vous avoir trouvé. Le premier de ces sentiments, le temps l’efface actuellement. Le second dure, mais plus tranquille, parce qu’il est plus établi. Il y a donc dans mon cœur, ma douleur et vous. Voilà la vérité, voilà ce que je sens qui est la vérité aujourd'hui. Je ne sais ce que peut le temps. Jusqu'ici Il ne m'a été d’aucun secours. Ma situation depuis que je vous connais s’est empirée. Vous connaissez toutes les pensées toutes les tracasseries qu'on me fait éprouver. Il est impossible que mon humeur ne s’en ressente pas. J’ai l’esprit agité sans cesse. L'âme aigrie. Nulle ressource autour de moi. Un home le plus ennuyeux du monde. Tout cela ensemble fait de moi une triste société pour vous lors que nous sommes ensemble, et une plus triste encore quand je ne suis réduite qu'à vous écrire. Le fait est donc que je vous suis à charge un peu, que pour vous comme pour moi vous seriez bien aise que je sois tirée de mes peines présentes, que vous me conseillez Baden comme un moyen possible, et que s’il ne réussit pas. Eh bien, vous n'avez plus mes plaintes à recueillir, mes inégalités à supporter. Voilà tout ce que deux mots de votre lettre ont fait naître en moi de réflexions et remarquez bien, je ne vous en veux pas, je trouve que vous avez raison un peu raison, pas tout à fait.
Je vaux mieux que vous ne croyez, mieux que je ne me montre mon cœur vous est bien attaché, mon esprit est bien soumis à votre esprit. Si je vous perds, il ne me reste rien vous avez encore pour vous les joies et les gloires de cette terre. Il n’y en a plus de possibles pour moi. Et vous qui me donnez la seule félicité que je puisse goûter ici bas, la parfaite intimité de pensées, de cœur, vous voulez m’exposer à la perdre ?
Si je vous ai dit une parole un mot qui vous semble dur, pardonnez le moi, vous m'avez déjà tant pardonné. Vous savez que je dis tout ce que j'ai sur le cœur, mais vous ne savez peut-être pas que je dis peut-être pire. Il y a aussi peu de coquetterie dans mon cœur que dans ma personne. Je suis sévère pour moi. Je m’amuse. Je me montre moins bien que je ne suis. Je vous aime plus que je ne vous le dis, je vous excuse vous du fond de mon cœur. Je me rappelle avec une tendre reconnaissance votre inaltérable douceur, je reconnais avec humilité et repentir, une vivacité, les caprices de mon humeur ; je conçois que je vous ennuie quelques fois, mais je ne concevrais pas que vous puissiez cesser de m’aimer. Et vous m’envoyez à Baden.
Je suis interrompue sans cesse. Mon fils me parle ; je ne puis pas écrire, de suite, comme je voudrais. J’ai tant dans le cœur tant dans la tête. Je vous envoie ceci, sans presque savoir ce que je vous envoie. Dans les relations ordinaires de la vie, c’est mal, on a souvent tort de se laisser aller à son premier mouvement. Dans les relations qui existent entre nous c’est le premier mouvement qu'il faut suivre parce que rien ne doit rester caché. Adieu, adieu, vous verriez bien mal si vous ne voyez beaucoup beaucoup d'amour dans cette lettre. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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380. Paris jeudi le 21 mai 1840

J’ai eu hier matin une longue visite d’Appony. Il a eu enfin une longue conférence avec Thiers, il parait qu’ils se sont dit beaucoup de choses obligeantes, et plus encore de choses aigres. Ainsi sur la question d’Ancône.
"- Si j’avais été ministre jamais la France n’aurait rendu Ancône.
- En ce cas vous aurez eu la guerre.
- La guerre ? Vous n’auriez pas où la faire.
- Comme nous ne voulons pas nous brouiller, finissons cet entretien."
Voilà un spécimen de la désobligeance. Voici pour les politesses. " Le prince Metternich est certainement le premier homme d’état en Europe. Il n’a surement pas pas besoin de mon suffrage, mais enfin je reconnais tout son mérite."
Le Roi a parlé à Appony de la translation des restes comme d’un acte de son invention. "Tôt ou tard, cela aurait été arrachée par les pétitions. J’ai mieux aimé octroyer. Il n’y a pas de danger ; la famille est sans importance. Le discours de M. de Rémusat n’a pas le sens commun je lui ai demandé ce que voulait dire sa dernière phrase, la comparaison de la gloire avec la liberté. Il m’a répondu qu’au fond il n’en savait rien, mais que cela avait fait un bel effet."
Croyez ou ne croyez pas, comme il vous plaira. Appony n’a pas inventé. Le temps est au froid. Pas de promenade au bois. J’ai dîné chez mon ambassadeur. plus de 30 personnes, toute la société blanche. Le soir il est venu chez moi, cela a été court, car je n’étais sortie de chez lui qu’après 10 heures.
J’attends ma lettre ce matin sans palpitation, avec impatience, avec joie, car elle sera bonne, elles seront toujours bonnes, n’est-ce pas ?
J’ai un chagrin de ménage. depuis l’assassinat de lord William Russell je n’ai plus foules qu’Eu génie reçût son mari chez moi. Le mari s’est fâché et me reprend sa femme, et je l’aimais beaucoup, car elle est jolie et alerte, & intelligente. Je cherche ; je veux de l’esprit, une jolie figure et pas de mari.
M. de Noailles, qui était hier mon voisin à dîner me dit que M. de Lamartine veut parler, contre la proposition du retour de Napoléon et qu’il s’arrange avec M. Garnier Pagès qui parlerait contre aussi dans ce cas, Berryer s’en mêle. Mais il est vraisemblable qu’on fera comme pour la loi de dotation en sens inverse. Vote silencieux. Logiquement et légalement on soutient que la loi contre la famille doit être reportée du moment qu’on réhabilite le chef. Quitte à faire une nouvelle loi qui les exile pour leurs méfaits. Ce qui est sûr c’est qu’on n’évitera pas du parlage sur ce point. midi Voici votre lettre bonne tendre, mais puisque vous avez continué le sujet, moi aussi je me force de revenir pour me défendre. Encore une fois voici vos paroles.
Mercredi 6 mai. " Alexandre a eu hier un accident, rien de grave & & dans deux ou trois jours il n’y paraîtra plus. "Vendredi 8 Mai. " Alexandre continue à aller mieux, c’est-à-dire qu’il va bien Samedi 9 mai. Alexandre va très bien. Je suppose qu’il ne tardera pas à partir." Voilà les nouvelles reçues de vous aux deux premières, croyance implicite. A la troisième, étonnement car Cumming disait ce que je vous ai mandé, et le silence total d’Alexandre confirmait plutôt Cumming que vous. Vous voyez bien que jusqu’à lundi 11 où je reçois votre lettre de Samedi à celle de Cumming, il n’y avait pas de quoi songer à partir je dis songer raisonnablement, car j’y avais bien songé dès la première minute et vous retrouverez surement cela dans ma première lettre après avoir appris l’accident. Et là c’était pour vous que j’allais, avec l’accident pour prétexte. Il n’y avait que votre phrase "dans deux ou trois jours il n’y paraîtra plus" qui me tenait perplexe, car je pouvais me croiser avec lui en route et le manquer. Lundi donc en recevant les deux lettres contradictoires, j’ai cru Cumming. Mon angoisse est devenue horrible, j’ai fait à la hâte mes préparatifs de voyage. J’y allais en dépit de vous, oui en dépit de vous ; et regardez-y bien, j’ai raison de dire cela. "Je suppose qu’il ne tardera pas à partir " était m’engager indirectement à rester. Vous ignoriez l’état où était mon fils et j’étais blessée de cette négligence ; ou le sachant, vous vouliez m’empêcher d’arriver en me disant "il ne tardera pas a partir". Et voici ce que j’ai cru : tout ces embarras diplomatiques vous ont amené à penser qu’en effet il serait plus commode pour vous que je ne vinsse pas. Je ne doutais pas de votre droit mais je pouvais croire à un excès de prudence, et c’est ainsi que j’avais fini par traduire votre phrase ; vous en retrouvez des traces dans la question que je crois vous avoir adressée il y a deux ou trois jours. Si je me suis expliquée clairement, il est impossible que vous ne me donniez pas raison et j’ai trouvé confirmation de mes conjectures dans l’absence totale de plaisir ou de regret lorsque vous avez su que je venais & puis que je ne venais plus. Je courrais donc vers mon fils, vers mon seul enfant, mon fils en danger ! Je songeais bien, je songeais beaucoup au bonheur de me retrouver auprès de vous, mais votre réserve, votre manière détournée de m’empêcher de venir me glaçait un peu. Dites ? Y a-t-il tant d’injustice à avoir cru entrevoir cela ? Je vous ai tout dit. Si cela n’est pas clair c’est que je n’ai pas su le rendre tel, mais j’ai compris comme cela, absolument comme cela. Voilà donc partie du 11 et tout le 12 employés à des préparatifs fatigants, odieux, car vous ne savez pas tout ce que j’avais à faire. Trouver un courrier pas un de mes gens ne pouvait aller avec moi, ils ne savent pas un mot d’Anglais ! Trouver quelqu’un pour m’accompagner dans ma voiture. Arranger ce que je laisse, ce que j’emporte. Pas un petit détail, pas un embarras m’a été épargné par personne. Je tombais de lassitude, je tremblais pour mon fils, j’avais la fièvre, ah quelles horribles journées ! Enfin mercredi 13, je reçois la première lettre de mon fils et une excellente, détaillée de Burkhausen, qui me rassurent complètement. C’est en devenant tranquille que j’ai reconnu toute ma faiblesse. L’inquiétude me soutenais. le calme de cœur m’a enlevé toutes mes forces factices et dans cet état j’aspirais à un peu de repos. J’ai remis mon départ de 4 jours, pour avoir les réponses d’Alexandre. Je subordonnais mes mouvements à ses volontés. C’était parfaitement naturel, parfaitement juste. Avant même sa réponse à ma demande, il m’a supplié de ne pas venir, de l’attendre, parce qu’il ne tarderait pas à partir. Et hier il me mande qu’il sera certainement ici le 26, pour y passer quinze jours Auprès de moi. Eh bien, dites-moi ; ai-je eu tort ? Aussi tort que vous le dites ? Vous m’expliquez votre réserve, c’est un peu trop subtil. Vous êtes trop fier avec moi ; ce qu’il faut être, c’est franc, toujours franc. Je comprends un peu votre réserve. Et bien moi, comprenez-moi, aussi. Lorsque j’ai tremblé pour mon fils je n’osais presque pas m’avouer qu’à côté de mes angoisses il y avait un plaisir, que j’allais vous revoir ! C’était dans le fond de mon cœur, mais caché ; je réprimais la joie. Elle me semblait un péché, un péché dont Dieu allait me punir. Il me semblait que dans ce moment je ne devais être que mère, n’avoir qu’une pensée, un vœux. Vous le savez bien, il y a des contradictions dans le cœur... ce n’est pas exactement ce que je veux dire. Je crois, et cela vous ne le savez pas, que j’ai l’esprit faible ; quand un malheur m’atteint ou me menace, il me semble que j’ai à expier ; qu’en me châtiant j’obtiendrai mieux grâce ; qu’en ne pensant qu’à Dieu, et à l’être cher pour qui je tremble, Dieu viendra à mon aide. J’écartais votre image, et elle était cependant toujours là, comme je vous dis dans le fond, tout-à-fait le fond de mon cœur. Je ne vous ai rien dit alors je ne sais rien vous dire de direct ; je ne vous ai parlé que de mon fils. Vous en avez été blessé, et voilà où nous nous sommes mutuellement mépris depuis le moment où je n’ai plus tremblé, n’avez-vous pas vu ce que je tenais si caché se faire jour de nouveau avec passion ? Ne m’avez- vous pas vu trembler de nouveau mais pour un bien autre intérêt ! Le doute était venue, les tulipes me dérangeaient. Que sais-je ? Sait-on tout ce qui vient à l’esprit ? Je répète avec vous. Que d’agitations insensées ; que de peines absurdes ! Allons, c’est fini. Adieu et adieu répété tant que vous voudrez. Ah si vous étiez là ! Quelle froide chose que du papier pour répéter un Adieu pareil.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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379. Paris Mercredi 20 mai 1840,
9 heures

A mon réveil dans mon lit, on me remet le 372 venu directement n’aurai-je que cela ? Me punissez- vous en éludant ? Faudra-t-il rester 24 heures encore dans un état d’angoisse abomminable ? Une réponse sur Madame ? Il est à sa place le Madame, mais vous l’aurez jugé à propos. Mais moi, aujourd’hui, j’aurais mieux aimé des coups de bâton que Madame ! Et cependant, je n’ai pas été élevée dans ce qu’on appelle des idées russes. Je vous remercie des nouvelles de mon fils, les plus fraîches et les plus sûres que j’aie.
Vous êtes bon de passer à sa porte, je vois vraiment que son état ne mérite plus cette sollicitude, et cependant jusqu’à son départ faites moi la grâce de me donner de ses nouvelles tous les deux jours.
Montrond est venu hier matin, il m’a trouvée dans une attitude et une mine d’idiote, je crois qu’il m’a dit le mot. Je regardais des allumettes, avec un air égaré. Il m’a demandé ce que j’avais. Je lui ai dit que j’avais envie, de me pendre ou de me noyer. "J’ai bien quelques fois cette envie-là aussi, mais je remets." Et puis il a bavardé, et m’a presque distrait de ma triste disposition.
Nous avons parlé de tout. Je lui ai fait cette question-ci. Entre ces deux versions opposées, celle que Thiers a inventé la translation des restes de [Napoléon], et arraché avec peine l’aveu du Roi ; et celle que c’est le Roi qui l’a imaginé et Thiers obéi.
"Laquelle dois-je croire ?
- Croyez ce qui est le plus vraisemblable. Le fait est de Thiers."
Pour vous expliquer ma question vous saurez que le Roi a dit à Appony que c’était son idée à lui et qu’Appony le croit parfaitement. Je crois que j’ai oublié de vous dire le récit de Granville. Il y a bien longtemps, c’est-à-dire bien longtemps avant le 1er de mai que Thiers est venu lui parler de cela et l’a prié de sonder lord Palmerston sur l’accueil qui serait fait à cette demande. Et puis Thiers lui a dit qu’il valait mieux ne pas sonder et il lui en a fait la demande directe de la part du gouvernement français. Je vous dis exactement, ce que m’a dit Granville. Grandement j’aime mieux qu’on vous ait ordonné de terminer une négociation déjà commencée. Je serais fâchée qu’on vous eut consulté, car c’est à mon avis une impudente affaire. De cette façon vous n’êtes responsable de rien. Je dois ajouter que Bourqueney m’a dit ceci. Le 1er mai lorsque Thiers est venu avec le Cabinet féliciter le Roi sur sa fête, le Roi lui a répondu en lui octroyant les restes de Napoléon. Bouquet pour bouquet. Vous savez maintenant tout ce que je sais sur cela. Vous trouvez que j’y pense beaucoup. C’est que vous verrez que ce sera beaucoup.
Je ne saurais vous dire la mélancolie de toute ma journée hier, Je suis si triste, si triste ! Et seule, seule ! Le soir j’ai eu lord Harrowby qui traverse pour retourner en Angleterre. C’était l’ami de Pitt. Il a été 40 ans ministre, j’étais fort lié avec sa femme. Si vous le rencontrez faites sa connaissance. Pas un Anglais ne parle français aussi bien que lui et il parle de tout. L’automne arrive, le prince de Chalais, Gabriac, beaucoup d’autres je ne sais plus qui. Mais j’étais si peu entraînée ! Je crois qu’on aura trouvé ce que Montrond m’a dit.

Midi. Rien, pas une autre mot !

2 heures
Je viens de remercier Dieu comme je l’ai fait le jour où mon fils lui-même m’a annoncé qu’il était hors de tout danger. Votre lettre a été pour moi cette lettre là, plus que cette lettre là ! Ah je vous dis bien la vérité. J’étais aujourd’hui prête à pleurer à chaque instant. Je suis sortie, non pour marcher mais pour m’appuyer sur la terrasse vis-à-vis mon appartement. Je regardais chaque passant avec envie, j’étais si sûre que chacun d’eux était plus heureux que moi. Mes larmes ont coulé ; un promeneur m’a regardée avec étonnement, c’est le seul qui s’en soit aperçu. Je suis redescendue de la terrasse, j’ai honte de vous dire tout ce qui s’est passé en moi, je ne savais si je tournerai à droite ou à gauche ; à droite pour rentrer chez moi, à gauche vers le pont. Et je me disais. Il ne saura jamais comme je l’ai aimé ! Mes jambes me manquaient ; dans ce moment je vois une jeune figure d’homme devant moi, l’air riant, ôtant son chapeau mettant la main dans son habit, & me présentant une lettre. Ce n’est qu’alors que j’ai reconnu le jeune homme. Ah s’il s’entend en physionomie comme j’espère qu’il s’entend en médecin, qu’il doit avoir fait d’étranges observations sur mon visage. Je la tenais donc cette lettre, et il me semblait que je n’aurais jamais la force d’arriver jusqu’à chez moi pour la lire. Ah que d’émotions j’ai eu ce matin, que de pensées contraires, que d’amour, que de désespoir ! Vous ne comprendrez pas tout ce que je vous dis, cela a l’air de folie, et je crois que cela y touche. Je suis rentrée, j’ai couru au dernier mot, et ce n’est qu’a sa vue que j’ai respiré. Quelle lettre ! Que je vous aime, que je vous bénis. Parlez-moi des tulipes tant que vous voulez, comment avais-je oublié les tulipes ? John Newton, quel brave homme ! Adieu. Adieu. Je suffoque mais cette fois, c’est de plaisir, et d’un tel plaisir ! Je ne serais jamais parti sans voir votre mère et vos enfants. Et j’ai dit à Génie ce que j’avais sur le cœur. parce qu’il est entré dans le moment où je venais de lire les deux lettres contradictoires, mais ne parlons plus de cela. Ne parlons plus que d’.... Je ne sais ce que je dis, mon cœur bondit de joie. Ah, qu’il est jeune mon cœur. Adieu. Adieu, toujours. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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378. Paris lundi 18 mai 1840
6 heures
J’ai oublié ce matin de vous dire que j’ai reçu une lettre de Lady Palmerston, où elle me dit ceci. " j’ai reçu votre bonne lettre du 7 et je m’en remets, à vos fortes raisons. Il est bien clair d’après ce que vous me dites qu’un délai dans votre arrivée est hors de question et puis raisonnable. En tout cas ce sera un grand plaisir pour moi de vous revoir et j’aurais été personellement bien fâchée que par raison de prudence ou autres vous eussiez trouvé sage de déférer ce que je désire depuis si longtemps." Il est clair qu’un retard ou remise ferait toujours encore un grand plaisir mais je ne veux pas le comprendre ainsi. Une longue lettre avec mille nouvelles, et puis la fin." Je vous embrasse tendrement, et nous ferons tout notre possible pour vous rendre votre séjour ici agréable."
Ellice me mande qu’il a entendu traiter le sujet de mon arrivée à la table de Lady Holland par les diplomates très alarmés, et qu’il en a beaucoup ri sous cappe. Mais qu’est-ce que ces gens s’imaginent ?
On a répandu le bruit que le roi avait la rougeole, et cela a fait subitement tomber les fonds. Il n’y a pas un mot de vrai. Mais il est vrai qu’il n’a pas eu la rougeole et qu’on prend des précautions autour de lui.

Mardi 9 heures
J’ai dîné seule, le soir les trois ambassadeurs, les d’Aremberg, Mad. Appony, la Princesse Razonmowsky, M. de la Rochefoucault. Appony très silencieux et triste. M. de Pahlen fort causant. M. de Brignoles venait du château. Le Roi lui a dit l’alarme du matin à la bourse, il se porte très bien On dit que c’est lui le Roi qui se vante d’avoir eu la premiere idée pour les restes de Napoléon où est le vrai ? On parle très mal de l’Afrique. M. Piscatory a seul raison, c’est-à-dire qu’il a seul le courage de dire ce que pense beaucoup de monde. On dit que Sébastiani l’autre jour a perdu la parole à la troisième phrase de son court discours, & que c’est les journalistes qui l’ont achevé.

Je ne sais comment je passerai ce mauvais jour. Je ne sais ce que m’apportera demain que me dira votre lettre. Le cœur me bat. Si vous pouviez me voir, voir dans mon cœur ! Il n’y m’a jamais eu de plus accupé de vous. Je vous redis toujours la même chose. Depuis quatre jours c’est moi qui parle sans cesse, j’ai la fièvre. Je vous tourmente. Vous n’aimez pas cela. Vous voulez un bonheur tranquille. Eh moi, même je le veux comme je le désire. Mais de loin, je ne me gouverne pas. Vous voyez comme ce mot montre bien que c’est vous qui me gouvernez. Ordonnez, ordonnez-moi ... de me taire. voilà ce qu’il y a de plus sûr. Trouverais-je un seul mot d’affection dant la lettre de demain ? S’il n’y était pas !

Adieu je devrais finir ; je ne peux par finir. Je voudrais courir au devant de votre lettre, et quand elle sera là je n’aurai pas le courage de l’ouvrir. Voyez-vous mon angoisse ? Ah, comme tout cela empêche d’engraisser. Je suis bien tranquile pour mon fils maintenant, mais je suis peu tranquille pour ma tête Dites-moi des nouvelles aussi. Je ne sais absolument rien. Comment est-ce que l’affaire d’Orient n’aurait pas fait un pas en avant ou en arrière ? Que fait M. de Metternich ? Je songe quelque fois à ces chose-là pour me distraire, mais j’y songe " en creusant dans le vide" comme dit M. de Metternich, car je ne sais rien. Je viens de lire le portrait de M. de Broglie dans un des cahiers. de cette biographie dont je vous ai déjà parlé, je vous l’enverrai jeudi car le commencement me parait excellent. Avez-vous lu les autres, le vôtre, Berryer, Thiers ? Vous ne m’avez pas répondu. N’oubliez pas que vous portez la santé de la Reine au dîner chez Lord Palmerston le 25. Adieu que m’avez-vous écrit hier, que m’écrirez-vous aujourd’hui ? Je ne rêve qu’à cela. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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377. Paris, lundi 18 mai 1840,
9 heures

Je ne sais ce que je ne donnerais pas pour ravoir ma lettre partie samedi. Je suis sûre que j’ai plus peur que le valet de chambre de lord William Russell lorsqu’il comparait devant le magistrat Je me dis mille fois, plus que vous ne pourrez me dire. je m’accuse de tout, de tout. C’est encore ma disposition de me regarder moi comme l’auteur de tous mes maux, je me fais à moi des sermons, des sermons. Les uns ne profitent pas, je manque aux autres. Livrez-moi à ma propre condannnation, ce serait vous venger assez. Mais je vous le demande à genoux, ne me dites pas une parole dure, pas une qui me laisse croire, ou deviner que vous m’aimez moins. Je vous demande pitié et clémence. Ah, quand nous reverrons-nous ? Tout alors sera bien ! Henriette et Guillaume sont venus me voir hier. Guillaume m’a montré son bonnet écossais et sa canne, il en est ravi. Henriette engraisse, trop selon moi mais enfin c’est de la santé ! On dit que vous aussi vous engraissez. Quand je serai heureuse, j’engraisserai pour le moment je ne puis pas m’en vanter.
J’ai fait tristement, le tour du bois de Boulogne, j’ai dîné tout aussi tristement seule. Le soir j’ai fait des visites, Mad. de Boigne, les Granville, Mad. de Brignoles. Chez Mad. de Boigne le chancelier, M. de Cases, M. Piscatory que je ne regarde plus si désagréablement. Le dire là est que Napoléon c’est peu de chose. Cela ne fera pas le moindre bruit, cela n’a pas la moindre emportance. Mad. de Boigne m’a dit en Anglais, qu’à son grand étonnement on en est ravi aux Tuileries. Si tout ce monde a raison il est bien clair que je radotte.
Granville est toujours couché Thiers y est venu et nous avons attendu seuls dans le premier salon. Il était excédé de fatigue, de mauvaise humeur ! Quand j’ai vu cela je n’ai pas été très aimable non plus. J’ai parlé Napoléon. Il m’a dit que cela se passerait grandement; magnifiquement et tranquillement. La famille ? Elle n’a rien à y faire et si un seul ose se montrer il serait jeté dans la prison. Il a été excessivement vif sur ce point. Il ne m’a pas parlé de vous pour la première fois, je crois.
A propos le Prince Paul de Wurtemberg était venu le matin tout gros des catastrophes qu’il prévoit. Il ne comprend pas la folie d’avoir été chercher de gaieté de cœur une occasion de trouble dans les esprits et de désordre sûrs dans les rues. Il en a parlé à Thiers en lui repré sentant tout cela avec des verres grossissants. Thiers a dit : " Je réponds de tout , mais il n’y a que moi qui le puisse. Sous tout autre ministère, cela pourrait faire une révolution." Si cela était vrai, il aurait donc fait un bail au moins de 6 mois. Et qui sait ? on dit déjà que les obsèques ne se feront qu’en avril prochain. le Prince Paul ajoute : " Thiers se croit le Cardinal de Richelieu, rien n’égale sa confiance, et son audace." Je vous redis tout.
Chez les Brignoles, j’ai rencontré toute la Diplomatie et la société élégante. M. de Pahlen a envoyé un courrier hier matin, ce courrier touvera l’Empereur et mon frère à Varsovie ; c’est à ce dernier que le courriier est adressé. Mon ambassadeur a rendu compte entre autre d’un incident du dîner qu’il a fait à la cour, où les Princes de Cobourg, père et fils ont pris le pas sur lui. Comme Appony y était aussi, et qu’il est le doyen, et qu’il a souffert cela sans souffler, il n’appartenait pas au plus jeune de faire une scène, mais il rend compte et demande des directions. S’il m’avait consultée, j’aurais protesté ici tout de suite après ce dîner, car cela est hors de toutes les règles.
Voici une lettre de mon fils, très bonne, très sassurante, et une longue lettre d’Ellice très intéressante qui me fait voir un peu dans la entrailles de toutes les intrigues Anglaises. Il me semble que les embarras ministériels ne sont pas tous surmontés. Qu’est- ce que veut dire Ellice en affirmant que l’Autriche pousse aux mesures coercitives contre le Pache, et qu’il est pour se vanger de la médiation de la France dans l’affaire de Naples ! Est-ce vrai ?

Midi. Voici votre lettre de Samedi qui me fait enore plus rougir de ma lettre de samedi. Je vous remercie de vous être ennuyé à un bal où je croyais que vous vous étiez amusé, et je suis prête à me battre de l’avoir cru ; & plus encore de vous l’avoir écrit. Traitez-moi comme un enfant, mais un enfant qu’on aime. Oui je vous en prie, qu’on aime.
Le portrait de Pauline ne vous trompe pas elle a bien bon visage et elle est jolie, très jolie. Je vous dis qu’elle sera bien belle. Je comprends fort bien le très grands embarras pour les très petites affaires, et votre votre affaire à Ste Hélène en est. D’abord le cérémonial entre des gens qui ne reconnaissent que le général, et ceux qui reconnaissent plus que le Souverain légitime (car M. de Rémusat l’a classé comme cela), car St Denis est trop peu pour lui, le cérémonial sera fort difficile à établir. Je suis bien aise que Lady Palmerston vous plaise et vous soit utile. C’est une personne qui applique toujours son esprit à rendre tout simple et facile. C’est une charmante qualité. J’aime aussi que vous aimiez Ellice. En général, il me semblerait étonnant que vous n’aimassiez par les gens que j’aime.
1 heure
Je viens de faire un tour aux Tuileries, je perds l’habitude de marcher et je me fatigue tout de suite. Je reviens à vous comme avant, comme toujours, avec répentir et tendresse, et celle-ci si vive, si vive. Adieu. Adieu. Je vous remercie de ce que vous me dites de mon fils. Il me trompe un peu je crois sur l’époque de son départ. Il ne faut pas qu’il se hâte ; maintenant que j’ai le cœur tranquille sur son compte ; je l’aurai attendu. Adieu. Adieu. On dispute sur le lieu de la sépulture. Pasquier veut le Panthéon. Beaucoup vont pour la Madeleine. Molé pour St Denis.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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376. Paris, dimanche le 17 mai 1840

J’ai reçu votre petit mot adressé à Boulogne et votre lettre du lendemain adressé à Paris. Je ne trouve ni dans l’une ni dans l’autre, plaisir, ou regrèt. Ma venue ou mon absence c’et égal, et je m’étais trompée quand je me figurais que vous seriez content, et quand je me figurais ensuite que vous seriez désappointé. Plaignez-moi de cette triste disposition qui me fait attacher de la valeur à tout, à tout ce qui vient de vous, à rechercher même plutôt la peine, que le bonheur. J’ai un caractère abominable, il est devenu tel. Mes malheurs m’ont aigrie. Je cours au devant de la peine, je me crois vouée à tous les mécomptes comme à toutes les afflictions. Je n’ai aucune force, aucune énergie au fond de mon âme, je n’y rencontre que le désespoir. Dieu a été bien sévère pour moi, les hommes bien injustes. J’avais trouvé du repos, c’était auprès de vous. Ce serait encore auprès de vous, mais sans vous, loin de vous tout me manque. Je ne sais pas me relever. Je tombe, je tombe, parce qu’il me semble qu’il ne vaut la peine de rester debout. Dieu m’avait créée bien différente. Le fond de mon cœur était de la joie, de la confiance, de la confiance en moi, de l’affection pour les autres, un inépuisable fond de tendresse. Elle y est encore au fond de mon cœur, mais une tendresse si triste, et cependant, si vive. Quand vous me grondez, ou quand vous m’écrivez des lettres froides, avant de finir regardez bien l’état dans lequel elles vont me trouver. Pensez à mon isolement, à ma faiblesse. Je suis susceptible, je suis méfiante, je vous dis tous mes défauts et vous les connaissez, mais vous m’avez prise for better and for worse ! Ayez pitié de moi, dites-moi toujours quelque chose qui me relève. Je n’ai que vous, vous seul au monde pour soutenir mon pauvre coeur.
Cette affaire Napoléon me parait tous les jours plus absurde. Jusqu’à ce qu’une autre affaire me la fasse oublier, je regarderai celle-ci sous toutes ces faces et elle ne m’en présente pas une qui n’ait son incovénient ou son danger. Le silence des journaux importants est fort remarguable. Ils n’osent pas blamer, et approuver tout-à- fait est difficile. Lord Granville m’a dit que Thiers lui avait parlé depuis longtemps de cette affaire, et il a dit la même chose à M. Molé, ce qui fait dire à M. Molé que vous devriez être un peu étonnée d’être le dernier informé d’un projet qui devait passer pas vous. Or M. Molé nie même que vous y ayiez été employé. Et il ajoute : " J’ai bien fait une fois de même à l’égard du Général Sébastiani, mais avais des motifs de lui faire quelque chose de désagéeable. Je ne savais pas que M. Thiers eut de semblables motifs à l’égard de M. Guizot." Je ne sais si je fais bien de vous faire ce rapportage ; je crois toujours devoir vous tout rapporter, mais vais ferez fort bien de l’ignorer, car cela prouve seulement l’envie de la part de M. Molé de vous mettre mal avec Thiers. Si les journaux du Ministère vous avaient nommé dans cette circonstance ils auraient empêché M. Molé de tenir ces propos.
Surement je me le rappelle bien (nin cigöuns vur cältnib!). Moi, j’y ai mis des nuages, de bien petits nuages. Mon mauvais caractère à fait cela. Prenez pitié de ce mauvais caractère oubliez, pardonnnez. Vous avez des joies encore sur la terre, moi, je n’ai que vous ! Au fond je crois que vous préférez aussi que je vienne plus tard. Quand je lis vos lettres et que je me rapelle la vie de Londres, pour ceux qui le font vraiment. Je ne vois pas où serait ma place, mon heure entre les affaires et les plaisirs. c’est peut-être cette reflexion qui vous a empêché de me montrer le moindre plaisir de mon arrivéé. Je lis, je relis ces deux lettres. Je n’y trouve pas un demi mot, et s’il n’y avait pas adieu Ah ! qu’est-ce que je deviendrais ? Je compte toujours être à Londres le 15 juin, y comptez-vous aussi ? Y voyez-vous le moindre inconvénient pour vous. C’est politiquement que je vous fais cette question.
Adieu, adieu, rendez-moi un peu de joie, un peu de bonheur, un me grondez pas ; jamais, jamais. Il faut que j’aie bien des torts pour que vous m’ayiez traitée si sévèrement dans un moment où vous savez que j’ai tant d’angoisses dans le cœur. Ma lettre d’hier vous aura déplu aussi. Je voudrais la reprendre, et cependant savez-vous ce qui m’arrive ? L’orage gronde et grossit dans mon cœur tant que je n’ai pas parlé, dès que je vous ai dit je me sens soulagée. Il me semble que vous m’avez répondu, que de douces paroles. m’ont calmée, que j’ai pleuré de tendresse, et je me répose.
Adieu. Adieu, me connaissez- vous bien ? Je ne crois pas encore. Adieu, répétez adieu comme moi, comme moi. Ah quel soupir s’échappe de mon cœur dans ce moment, adieu !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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374. Paris, Vendredi 15 mai 1840

Vous me l’avez dit une fois, mon chagrin tourne toujours en injustice. C’est possible, mais voyez la différence entre nous. Je suis pressée d’être injuste et vous, vous êtes injuste à la réflexion. Vous me grondez beaucoup, vous avez vraiment tort. Voici sur quoi ma vivacité à éclater. Votre lettre vendredi : Alexandre va très bien. Je suppose qu’il ne tardera pas à partir.
Cuming Vendredi : Poor Alexandre is still very very ill. The Surgean won’t prononce him out of danger.
J’ai copié exactement. Mettez-vous à ma place. Et puis le lendemain Beackhausen confirme la lettre de Cumming en ce sens, que ce n’est que Samedi qu’en effet le chirurgien a déclaré que le danger était passé, mais qu’il fallait beaucoup de soin. Vous m’entretenez dans une pleine sincérité, et quand la vérité est venue, elle m’a terrassée. J’étais dans un état près de la folie. je m’étais pleinement fiée à vous et assurément en vous adressant plutôt à Brodie ne sachant en dire dès le commencement "ce sera long", au lieu de me dire dès Mercredi le 6, " dans deux ou trois jours il n’y paraîtra plus". Il en serait résulté deux choses ; c’est que je serais partie sur le champs et que je n’aurais pas eu ce terrible contre coup qui m’a abîmée. Et puis et surtout, je ne vous aurais pas écrit une lettre qui vous fait de la peine, vous aviez bien vu (car vous me citez ma phrase) à quel point ce n’était que vous que je voulais croire. En y regardant bien vous ne me gronderiez pas autant, je ne mérite pas cela, mais beaucoup de pitié. Vous voyez bien que j’ai senti que j’étais vive, que j’étais peut-être inquiète, je vous en ai demandé pardon, je vous le demande encore. N’ajoutez pas à tout ce que je ressens de peine de tous les genres.
En voulez-vous de l’injustice encore ? Voulez- vous de la franchise. Eh bien, j’avais bien envie hier de vous écrire une page remplie de M. Antonin de Noailles, de M. de Flamarens, je cherche encore. qui sont les beaux jeunes gens de Paris ! Pour faire pendant à une page remplie d’observation sur les charmes de 6 ou 7 belles femmes du bal de la Reine. Je fais des découvertes sur vous depuis que vous êtes à Londres. Allez-vous vous fâcher ? Me punissez-vous d’être franche ? Faut-il que je déchire cette feuille ? Je suis très combattue. Vous avez exigé que je vous dise tout. Vous voulez avant tout lire tout-à-fait dans mon cœur, et cependant, vous me ferez peut-être me repentir de ma franchise. Savez-vous ce que je crois ? C’est qu’on m’en doit avec cette rigueur que de près ; de près, lorsqu’on peut si vite effacer, expliquer. Ah de près, je sais bien que vous ne vous fâcheriez pas ! Vous feriez le contraire ! Vous verriez ce qu’il y a de profond, de tendre derrière mes paroles. J’ai beaucoup, beaucoup à dire encore, je dis trop, je dis trop peu, J’ai le cœur gros. Je lis les journaux. J’ai cherché pour voir s’il n’y avait vraiment au bal que des jeunes femmes. J’ai trouvé lord Grey, le duc de Wellington. Est-ce que vous ne causez pas avec ces personnes-là pendant 6 heures de suite que vous restez à un bal ? Vous ne me les nommez pas. Certainement et vous le dites-vous même, vos lettres sont frivoles. Vous êtes dans le tourbillon de Londres, vous le suivez en conscience, j’avoue que je n’en trouve par la raison, car je sais fort bien que c’est inutile quand on n’en a pas le goût. Je connais la mesure du temps de résidence à toute ces gaietés là. Je le sais, mais vraiment je ne vous connaissais pas. Vous êtes jeune. Je vous le disais hier sous une autre forme, vous avez sans doute raison, en tout cas vous en êtes plus heureux. Moi, je n’ai rien de jeune ou de gai à vous dire, je vous raconte du grave.
J’ai vu hier matin M. de Bourqueney, il m’a assez intéressé ; il sait plus que n’en savent la plus part des personnes qui me parlent. Après lui Montrond et le duc de Poix. Montrond étonné de ce qu’ils vont se dire le roi et lui, en se souvenant de tout ce qu’ils se disaient sur Napoléon quand ils étaient ensemble en Sicile.
Je retourne à Bourqueney qui me dit : " On est bien content de M. Guizot ici et des succès qu’a eu sa négociation pour les reste de Napoléon, vous devriez Madame lui dire cela en lui écrivant.
- Moi Monsieur ? Mais je l’ignore ; je n’ai pas entendu nommer M. Guizot dans tout cela.
- Comment Madame ? Mais M. Thiers le disait encore hier au roi.
- A l’oreille peut-être, Monsieur." Voilà exactement notre dialogue.
M. Molé est venu hier au soir tout rempli du sujet. Il est ému de la chose, mais il trouve que c’est trop tôt, qu’on remue trop les esprits, que cela est fait avec légèreté sans en avoir examiné les conséquences. La famille, la légion d’honneur, le tapage dans les rues. Il a tout passé en revue. Il dit que s’il avait cru le temps. venu de redemander les cendres de Napoléon; c’est lui Molé qui l’aurait fait, mais qu’alors il aurait autrement qualifié cet acte que ne l’a fait M. de Rémusat, que le discours de M. de Rémusat c’est la révolution, elle toute seule qu’on honore, que lui aurait montré Bonaparte comme la restauration de la religion, de l’ordre, des lois, de l’autorité, et fait tourner tout cela au profit de la monarchie tandis que M. de Rémusat n’a remué que les passions révolutionnaires et il dit que magnanime et légitime voilà les deux grands mots du discours. L’un et l’autre parfaitement, absurdement, appliqués. Ceci est assez vrai. Il critique les Invalides, il veut St Denis, le caveau que Napoléon lui même avait fait arranger pour sa race. Les Invalides, c’est encore l’enfant de la Révolution, et non le monarque. Il ajoute : " Je suis sûr que M. Guizot a trouvé que c’était trop tôt, ou bien qu’il aurait tiré de cet événement le parti que j’ai indiqué, et non les phrases qu’a débitées M. de Rémusat." Il m’a dit hier que c’était Villemain qui lui avait annoncé cela il y a 6 semaines lorsque je vous l’ai redit.

Samedi le 16, à 11heures. J’ai reçu ce matin une lettre de mon fils. Ce pauvre garçon est demeuré sourd d’une oreille, et a perdu l’usage du bras gauche. Il me mande qu’il part de Londres après demain, qu’il restera auprès de moi juqu’à mon départ. et qu’il ira ensuite à Bade. J’ai écrit avant-hier à Boulogne, pour qu’on m’envoie votre lettre. La journée sera triste je ne recevrai rien !
J’ai été voir votre mère hier. Elle est parfaitement bien, et elle a été fort compatissante pour moi. Vos filles faisaient de la musique. Guillaume jouait avec son fusil. C’est le seul que j’ai vu ; il a fort bonne mine. J’ai été voir la petite princesse. J’ai fait dîner Pogenpohl avec moi. Nous avions à règler des comptes, et il s’était occupé de tous mes préparatifs de départ. Le soir, j’ai vu les trois Ambassadeurs, et Médem, Tcham, Armin, & & M. de. Pahlen venait de chez le roi.
Le départ du M. le Prince de Joinville. est retardé à cause de sa rougeole. Il me parait que tout le monde est triste, et qu’on trouve que Thiers est trop ivre. Je ne sais guère ce qui se passe. Appony est d’une mauvaise humeur contenue J’ai fait visite hier à Mad. de. la Redorte. Elle est glorieuse. Elle affirme qu’on ne permettra pas à la famille Bonaparte de venir. C’est bien là la résolution mais assurément ce sera la première fois dans le monde que, les seuls exclus de funérailles soient les parents du défunt. On demande l’effigie de Napoléon sur la légion d’honneur, institué par le souverain légitime de la France. Ah, le discours de M. de Rémusat ! En le relisant Il est bien étrange. Au premier coup d’oeil cela a bon air, c’est ronflant, mais à l’analyse ! Je suis curieuse de votre opinion mais elle m’arrive à travers de l’eau salée !
J’ai dormi encore cette nuit, je m’en vante comme du fait le plus intéressant des 24 heures.
Adieu. Voulez- vous que je déchire cette lettre ! Voulez-vous, voudrez vous toujours que je vous dise tout avec ma funeste franchise, comme l’appelle lady Granville ? Je prends un juste milieu je déchire et j’envoie. Adieu, adieu, si vous saviez combien je pense à vous, comment j’y peuse ! Ah ! vous seriez content si cela vous fait encore plaisir. Comme autre fois, adieu,adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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370 Paris Lundi 11 mai 1840,
10 heures

Je suis bien inquiète malgré ce que vous me dites, malgré les autres lettres que l’on m’écrit. Bulwer m’a envoyé une lettre de Cumming dans laquelle il dit que vendredi à 2 heures mon fils n’était pas hors de danger. C’est horrible à Bulwer de m’envoyer cela mais enfinr cela c’est la vérité, car c’était écrit dans la chambre d’Alexandre. J’en suis renversée. Votre lettre ce matin me parlera de lui, mais je la recevrai sans vraie sécurité. Tous mes amis veulent ma tranquillité. Ce sot est le seul qui dise vrai. Je veux partir, on me retient, on dit que je n’en ai par la force c’est vrai peut-être, et cependant cette inquiètude n’est pas souotenable. Il ne m’a pas encore écrit une ligne. Bruwer, lady Palmerston, lady Jersez m’ont écrit hier. Cela ne me fait plus rien. Vous ne savez pas comme je souffre, comme je suis sans force, sans courage, sans espoir. Je n’en puis plus. Midi Voici votre lettre. Vous me parlez si peu de mon fils et à peu près comme quelqu’un qui n’en sait rien de direct car tandis que lady Palmerston me mandait vendredi qu’on venait de le saigner encore, Vous me dites : " Je suppose qu’il ne tardira pas à partir. " Mais il ne faut pas supposer, il faut savoir. Pardon de ce reproche, mais même vous, vous ne savez pas ce que suis, ce qu’une mère éprouve d’angoisse, et vous savez cependant que personne n’a pour moi de véritable compassion, et de véritable soucis, je les attendais de vous. Vous aurez bien vu par mes lettres que je voulais parter de suite, mais raison nablement il fallait que j’attendisse quelque chose de précis sur son état, car votre première lettre me disait " dans deux ou trois jours il n’y paraîtra plus. " Ce n’est donc rien. D’autres lettres m’alarment plus on moins. Lui ne m’écrit pas une ligne, personne ne me dit l’opinion des médecins sur la durée de sa convalescence, enfin au milieu de beaucoup d’amis, je reste cependant ignorante de tout ce que je vous voudrais savoir. Pardonnez moi encore ce réproche, mais vous aurez dû me dire davantage et ne pas vous en rapporter seulement au dire de votre domestiques. Je suis bien triste et bien découragée de l’abandon dans lequel je reste ! Personne, personne qui me montre un intérêt vraiment tendre, vraiment intelligent.
Savez- vous que la vie m’est bien à charge, je ne sais plus qu’en faire. J’étais meilleurs à voler que lord William Russell, et on m’aurait fait moins de peine qu’à lui de me tuer. Si cela ne vous donne pas trop d’embarras ayez la bonté de parler ou d’écrire à sir Benjamin Brodie et de lui demander exactement combien peut durer encore la convalescence de mon fils. Et ayez la bonté aussi de m’envoyer sa réponse. J’attendrai donc jusqu’à vendredi, car ce jour là j’aurai votre réponse.
Vos filles sont venues me voir hier. Elles se portent à merveille. Toutts les deux sont engraissées. Pauline est bien jolie. Guilllaume n’avait pas voulu quitter son sabre et son tambour. vos filles m’ont trouvée couchée et bien triste.
Il n’y avait qu’un mot de plus à la lettre à lady Palmerston pour lui dire que Nicolas Pahlen irait à Londres aussi, la lettre n’’était pas finie. J’ai déchirée ce bout de lettres parce que j’étais pressée d’avoir une allumette et je n’avais rien sous la main. Ma chute d’hier n’a pas eu de suite, mais ma santé est fort altérée de l’inquiétude que j’éprouve pour Alexandre. Je n’ai pas un mot de nouvelle à vous dire, et je suis bien fatiguée, bien malheureuse. Adieu. Adieu.
Je viens de recevoir une lettre de Burkhausen. On ne lui permet encore ni de lire ni décrire, il est très faible dans son lit, la convalescence durera bien des semaines. Je fais mes préparatifs. Si j’ai la force. Vous voyez que c’est moi qui vous donne des nouvelles de mon fils. Pardonnez-moi, encore, pardonnez moi. Je ne veux pas être inquiète mais je suis très triste.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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337 Paris Dimanche 5 avril1840,
10 heures

Après avoir fermé ma lettre hier, je me suis jetée à genoux demandant à Dieu pitié, miséricorde. J’avais le cœur brisé de mes malheurs passés, le cœur oppressé des malheurs à venir, tout derrière moi, devant moi était peine, misère. Vous ne savez pas comme le chagrin s’empare de moi, comme il m’envahit. Comme j’ai peur de moi alors, le joir où je n’en aurai plus que ce sera fini. Je vous ai écrit hier beaucoup, vous ne vous serez pas fâché n’est-ce pas ? Vous me pardonnez la vivacité de mes expressions vous savez comme je suis. Vous me disiez un jour : "Si l’on pouvait toujours lire au fond du cœur, si la parole était toujours toujours la vérité." Ma parole à moi, quand c’est à vous que je parle est bien ce qu’il y a dans mon cœur! Laissez moi ce privilège. Je n’ai fait que penser au sujet de votre dernière lettre. Je vous ai peut être dit directement ce que j’en ressentais, la forme eut été autre aujourd’hui que dans le premier moment, mais le fond n’eut pas varié ; je penserai toujours sur ce sujet comme hier. Si j’étais auprés de vous je suis sûre que je vous ferais convenir que j’ai raison mais je suis loin, si loin ! Vous me dites ce que vous avez fait, pourquoi ne pas me dire ce que vous ferez, ce qu’on vous propose ? Là où il y a doute, je le resoudrai. restez donc bien fier bien haut, comme il vous convient de l’être, à vous ; comme il convient de l’être dans le poste que vous occupez. Il y a quelques fois en vous une distraction d’esprit qui vous fait ne pas juger de suite les choses ce qu’elles sont ; je dirais d’un autre français que c’est de la légèreté, chez vous il n’y a pas moyen d’appliquer ce mot, il faut en trouver un autre.
Envoyez- moi, je vous prie votre programme d’engagements pris ou à prendre. Vous aurez trois invitations par jour si vous donnez dans du Maberly ! Il est impossible qu’un étranger sache classer la société de Londres, et depuis que M. de Bourqueney vous a passé les Maberly son expérience m’est très suspecte. Excepté les toutes nouvelles gens / les radicaux/ Il n’y a personne dont je ne connaisse la position sociale à Londres. Vous pouvez être pris à des noms, à des relations, cela ne veut rien dire.
Ainsi, Sir John Shelley, ami de George 4 oui surement et je l’ai vu là, toujours, ainsi que sa femme. Mais jamais je n’ai imaginé de prier chez moi ni le mari, ni la femme. A propos de celle ci, elle racontait qu’à Vienne où elle a été pendant le congrès, M. de Metternich, très amoureux d’elle avait été un jour très pressant et qu’elle lui avait dit : "une femme qui a refusé au duc de Wellington n’accordera pas au Prince de Metternich." Wellington à qui cela fut redit s’écria : "D... m’emporte si je lui ai jamais rien demandé."

Je cois que personne ne connait mieux que moi la société à Londres, les petits embarras d’invitation dans une ville où tous les invités ont de quoi inviter à leur tour. C’est là justement ce qui fait qu’il faut regarder de si prés à ce qu’on acceppte. Ainsi les Shelley, tenant par quelques petits bouts à un peu de l’élégance des Jokeys, vous demanderont de dîner chez eux, et n’auront rien de plus pressé que d’inviter les Maberly parce que vous avez eu l’air de rire et de vous plaire dans cette société. En même temps vous verrez chez eux quelque chose de mieux que chez ceux-ci, ce mieux jugera tout de suite que vous appartenez à ce set et vous voilà classé dans leur opinion avec des gens auxquels vous n’auriez pas même du rendre de carte de visite. Je vous dis l’exacte vérité. Ensuite laissez-moi- vous dire encore, ne laissez pas envahir votre temps par des visiteurs tels que Sidney Smith le prêtre bouffon. C’est bon à rencontrer à dîner, et encore il ne m’a jamais plu je vous l’avoue et c’est plutôt un homme méprisé que le contraire, parce que le genre de son esprit va mal avec son état mais vraiment on n’imagine pas de le recevoir le matin. Un ambassadeur qui ne passe pas pour un désoeuvré ne reçoit chez lui que des gens qui lui parlent affaires. Vous n’avez rien à apprendre avec M. Smith. Croker c’est autre chose de temps en temps, il a, ou du moins, il a eu une grande expérience des affaires de son pays. Il est bon à entendre quelquefois. Je vous trouve trop poli pour commencer. Il est impossible que vous souteniez cela, il aurait mieux valu vous faire plus rare. Nous avons beaucoup causé Angleterre pendant un mois. Et tous les jours je m’aperçois davantage, que je ne vous ai rien dit. Je reviens à moi.
J’ai été au bois de Boulogne un moment. Il faisait détestable. J’ai été chez la petite Princesse, M. de Ste Aulaire y est venu. Galant, épris de la petite Princesse, lui parlant de la couleur de sa robe, lui débitant des vers sur la couleur de ses yeux. Imaginez que je suis partie d’un éclat de rire. C’était parfaitement grossier, mais je n’avais rien entendu de pareil depuis le marquis de Mascarille. Je suis partie le laissant un peu étonné de mon rire. J’ai diné chez Appony avec le duc de Noailles. Appony est bien monté aussi contre Lord Palmerston et sa russomanie. Il me semble que cela devient un morceau d’ensemble. Comment cela finira-t-il ?  Le Duc de Noailles persiste à vouloir presser Thiers à la Chambre des Pairs à dire quelque chose de trancher sur l’Egypte. Berryer est reçu chez moi le soir. Il dit que l’esprit de la chambre est bien vif sur ce point, que Thiers ni personne ne pourrait faire autrement que suivre la pente égyptienne. Il y a des prétentions de places qui commencent à incommoder le ministère. Les rédacteurs sont exigeants. M. Verou veut la direction générale des beaux arts ; Walesky une Ambassade ; la gauche entrer dans le ministère. Il faudra bien que tout cela se fasse après la session.
Vous aurez cette lettre par la poste d’aujourd’hui. Il me semble que celle d’hier ne doit pas rester deux jours sans successeur. Je voudrais vous parler à tout instant. Croyez-vous que je vous aime ? Ah mon dieu ! Adieu. Adieu.
Berryer soutient que Thiers ferait bien de prendre Barrot dans le ministère parce que là il s’annulerait tout-à-fait.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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336. Paris, vendredi 3 avril 1840
11 heures

Je me suis levée très tard. Je ne suis pas bien, j’attends Vérity. Je viens de recevoir votre 333. Dites à M. de Bourguenay de venir me voir à son retour à Paris ; il me trouvera toujours entre 1 et 2 heures et même après. J’aurai mille choses à lui demander. J’ai eu hier matin encore la visite du duc de Noailles, et puis Appony. Il venait me lire une lettre de son fils. Le mariage se fera à la fin de mai, et ils seront ici le 25 juin. Je ne les attendrai pas. Appony a un chagrin concentré, et parle confidentiellement de celui du Roi. Mais il a l’air de croire qu’il faut subir la session. J’ai pris la Calèche hier, et je me suis fait mêner à St Cloud, mais seule encore. Marion s’était envolée. J’ai marché là un peu, et j’ai dormi pendant tout le temps du retour. J’ai fait une petite visite à la petite princesse. J’ai dîné seule. Le soir j’ai eu toutes les petites gens, Bavière, Wirtemberg, Hanovre, Sardaigne, Médem, Capellen, les Durazzo et la duchesse Lobkovitz. Lady Palmerston m’a écrit une longue lettre. "L’Orient n’avance pas, mais nous esperons toujours que M. Thiers sera assez sage pour voir la nécessité d’aller de front, avec les autres puissances, c’est une question qui nous occupe beaucoup et qui serait bien facilement arrangée ; si il voulait être de bonne foi. En attendant les sôts et les badaux vont faire des voyages et s’amourachent de Mehomet Ali. Ellice bavarde aussi à tort et à travers sur ce sujet. Nous sommes tracassés de la discussion sur la Chine. Je crois Brünnow un bon et honnête homme mais il n’est guère à la hauteur de sa position " Voilà à peu pris tout. Ah encore : "le jeune Nesselrode est un sot. " Le petit Kisseleff a assez de finesse russe ; je suis bien aise que vous ayez causé avec lui. Je pensais bien que M. de Brünnow prendrait occasion de sa nomination définitive pour réparer ses gaucheries auprès de vous. Je savais déjà que Khiva avait échoué, et je suis très convaincue du plaisir que cela fait en Angleterre.

2 heures
Verity est venu. Il veut me droguer pendent huit jours. Cela ne me plaît pas du tout. Je suis bien triste tous ces jours, bien triste. à chaque minute qui s’écoule, j’ai un remords. Il me semble que j’ai manqué d’esprit ; de prévoyance ; qu’en faisant cette observation au médecin j’aurais empêché ! Ah mon dieu,  mon Dieu. Cette douce voix. Cette douce créature, Ce ravissant enfant !

6 heures. J’ai été faire visite à Lady Granville. J’ai causé avec le mari, il est bien d’avis que si M. Thiers est sage il n’abandonnera pas une de ses idées sur la question de l’Orient, parce que sa chute serait inévitable. Il pense, et il sait que vous soutenez cette opinion aussi qu’il ne serait possible à aucun homme d’Etat en France d’abandonner le Pacha. Enfin il me parait être aussi bien disposé que vous pouvez le désirer, et il gémit un peu de ce que d’autres en Angleterre pensent diffèrement. Il a eu hier pour voisin à dîner chez M. Gonin, M. Odillon, Barot. Il lui a laissé l’impression d’un  homme qui protège le ministère ; et de plus, d’un homme qui compte être ministre lui même. On dit que la commission de la chambre des pairs est assez animée, et que la discussion le sera certainement. M de Broglie compte parler. J’ai été au bois de Boulogne un peu. Le vent d’est était bien élevé et bien aigre. En revenant j’ai passé chez Mad. de Talleyrand, M. Sallandy y était. Il disait que M. Molé parlerait aussi. C’est probablement le 13 que commence la discussion.

samedi 4
à 9 heures
J’ai dîné seule hier, que c’est triste seule, seule! Le soir j’ai été chez Lady Granville. J’ai recausé avec Appony et je l’ai un peu pressé de questions. Il ma dit : " comment voulez-vous que le Roi ne pense pas jour et nuit aux moyens de se débarasser de Thiers." Il ajoute que le Roi a été pour le départ du duc d’orléans dans la vue de flatter l’armée et de l’avoir pour soi à tout événement. Thiers est venu à l’Ambassade et tout droit à moi sans distraction. Nous avons parlé un peu de l’affaire. Il me dit : "Si lord Palmerston est obstiné, moi aussi je suis entêté. Mais enfin nous tacherons qu’il ne ressorte de là rien de mal." Il est charmé du retour de Pahlen. J’ai passé une pauvre nuit. Je passerai une triste matiné, à 3 heures, tout cera fini. Vous
ne savez pas comme je suis déchirée jusqu’au fond des entrailles. Oui, pour une mère c’est cela. Vous dinez aujourd’hui chez Miss Stanley, j’ai la mémoire de toutes vos invitations. J’attends une lettre encore aujourd’hui. Appony me dit qu’au fond, la situation depuis votre arrivée à Londres n’a pas varié d’un demie ligne. Croyez-vous faire quelque chose ? 

Midi.
Ma pauvre tête et mon pauvre cœur sont bien malades. Je dine aujourd’hui chez Appony. Ils ont voulu que ce jour-ci je ne restasse pas seule. Voici Mad. de la Redorte qui m’invite pour un jour de la semaine prochaine à dîner chez elle avec Mad. de Talleyrand et M. Thiers. Elle a prudemment attendu les fonds secrets et après deux ans de brouillerie elle se rapproche. Ah cela par exemple, c’est trop Russe ! On ferait chez nous avec plus de prudence.

1 heure
Voici votre lettre ; vous dirai-je franchement. Elle ne me plaît pas du tout. Vous vous lancez en dépit de mes avertissements dans toutes les invitations qu’on vous fait ! Qui est-ce qui a jamais songé à aller dîner chez M. Maberly ?  Sa femme est tout ce qu’il y a de plus dévergondée à Londres, les convives à ce que je vois étaient à l’avenant, vraiment mon mari aurait plutôt passé la Tamise à la nage que dîner chez ces gens, et il avait bien moins que vous une réputation de gravité. Si vous acceptez comme cela de dîner chez tout le monde, le vrai monde ne tiendra plus à si grand honneur de vous avoir à dîner chez lui. Notez qu’il faut rendre, et je vous déteste de composer un dîner convenable. où serait Mad. Maberly. Les femmes n’en voudraient pas, et beaucoup d’hommes non plus. Je suis tout-à-fait fâchée de ce que vous avez fait là. On parlait l’autre jour de vos succès à Londres et quelqu’un ajoutait : "et même, il fait la cour aux femmes." "Allons, ajoutait un autre, ne désesperons pas de le voir revenir ici même mauvais sujet." En vérité en dinant chez Mad. Maberly, vous en êtes tout près. Je vous demande pardon de vous dire si vivement ce que je pense mais je ne sais pas dire autrement quand j’éprouve de la peine. Et je suis si triste, si triste ! Je ne vous répéterai plus, restez ce que vous étiez, sérieux et grand. Vous n’y pensez plus. Mon ami pardonnez moi ; vous allez déchoir et vous me causez une vive peine. Adieu. Adieu.

Paris samedi le 4 avril 1840,
3 heures

Je viens de vous écrire et je recommence. Vous ne savez pas le chagrin que vous m’avez fait, chagrin de toutes les façons. Vous êtes descendu dans mon opinion, voilà ce qui me fait mal. Je vous proteste qu’un homme de ma connaissance qui m’aurait dit à Londres, j’ai dîné chez Mad. Maberly ; cet homme-là je l’aurais tout de suite classé un élégant, parmi les élégants de mauvais genre. il faut bien que je me serve de cette expression. Si un homme sérieux ; ah là je n’ose pas dire sans vous offenser. Enfin, ce qui est bien sûr c’est que personne ne m’a jamais dit y avoir dîné. Le duc de Wellington peut être mais aussi le Duc de W. figure dans les mémoires de... le nom m’échappe, une demoiselle de Londres. Tenez pour certain que vous avez fait là quelque chose de très inconvenant, demandez la réputation de la dame, et la réputation des convives. Votre position exige un peu plus de prudence. Il est très naturel que vous ignoriez la qualité sociale ou morale des gens qui vous invitent. Il faut demander et si vous n’avez à qui, écrivez-moi, nous en étions convenus. Je suis parfaitement sûre que j’entendrai parler de ce dîner avec beaucoup d’étonnement. Ce n’est pas de cette manière là qu’il vous convient d’étonner les gens. A ce compte je conçois que vous dîniez souvent dehors. Mais vous n’avez pas la prétention de Neuman qui avait compté 60 invitations dans un hiver, il peut accepter la quantité, mais vous devez regarder à la qualité. Je crois qu’en fait d’Ambassadeur Estrhazi peut avoir dîné chez Mad. Maberly. Mais il fait pire assurément. Il ne sera venu en tête à aucun de vos devanciers d’accepter cela. Quel plaisir de pouvoir se divertir d’un philosophe ! Et moi comme j’aurais aimé à m’entendre dire que tout tout était digne de vous ! Ceci fait un petit dérangement. Croyez vous que qui [que] ce soit au monde vous dise la vérite excepté moi. Eh bien si vous aimez encore la vérité écoutez moi. Ces allures ne vous vont pas. Elles vous donneront du ridicule, j’en suis parfaitement sûre. Et le dire de bien sottes gens ici, avant votre départ encore, se trouvera vèrifier. Je ne vous ai pas dit ce que j’ai entendu alors, je n’osais pas, vous auriez pris cela pour une injure. N. Pablen disait : " Il est capable d’aller dîner chez Madame Maberly." Cela faisait suite à Mad.Durazzo : "all these pretty women will make up to him, and he will be caught." Eh bien, je ne vous l’ai pas redit. J’ai eu tort; cela eut mieux valu. Aujourd’hui, j’aurais tort de ne pas vous dire tout, tout ce que je pense. Si vous vous fâchez. Je me tairai, mais je ne me repentirais pas. Cela me prouvera seulement que Londres, vous a déjà gaté. Ah que ne restez-vous ce que vous êtes. M. de Sully serait il allé dîner là ? Un ambassadeur doit tenir plus haut sa personne. Vous ne pouvez pas accepter indistinctement les invitations de tout le monde. Sans compter les espèces conme Mad. Maberly vous ne devez aller chez de petits gens que si une grande célébrité se rettache à leur nom. Votre dîner chez Grote a paru singulier aux Granville. Mais j’ai expliqué que vous aviez dîné chez eux à Paris ; je vous cite cela pour vous montrer ce qu’on peut penser à Londres. Il arrive parfois qu’on peut être obligé de dévier : par exemple, j’ai dîné chez certains Mitchell à Londres, mais c’était le plus gros individu commerçant de nos proviences de la Baltique. Son argent avait poussé sa femme respectable et ses filles à être admises à Almacks, à Devonshire house enfin partout. Et bien alors pour m’avoir,
ces gens invitaient tous les grands noms d’Angleterre, Wellington, Suthertand. Landsdowne, Jersey dix autres de cette espèce. Et cela faisait un dîner du plus élégant, minus la famllle. Vous voyez que Mad. Maberly n’a pas eu cette ressource pour vous. Ce que vous me nommez est déplorable. J’ai trop dit, et je n’ai pas tout dit. Il me semble que je vous honore en vous disant tout. Si vous êtes ce que
vous étiez je ne puis pas vous avoir offensé. Adieu. malgré madame Maberly !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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3. Beauséjour dimanche 9 1/2 le 13 août 1843

J’ai eu hier une visite très longue de M. de Barante. Pendant une heure j’ai été pleine de vivacité. Cela allait très bien. Et puis cela a langui et puis cela n’allait plus de tout. Il faut plus que Barante pour m’intéresser et m’occuper au delà d'une heure. Il n'a rien encore d'André il attend. M. Molé lui écrit de ? tristement, mécontent de sa santé et de tout. Il sera ici sous peu de jours. Barante est convaincu que Salvandy prendra Turin avec joie quoiqu'il continue à dire qu'il ne peut accepter que Madrid. J'ai vu le prince de Dolgoronky, il ne croit pas au voyage du Gal Oudinot. Il avait vu avant hier le Gal Pajol qu'il a interrogé à propos de ce que disent les journaux. Pajol s'est mis à rire. Oudinot est allé à Ems trouver sa fille malade. De là à Vienne. Il n’y a pas un mot de vrai au voyage à Pétersbourg. Dalgorondy de son côté dit que tel qu’il connait Oudinot c'est impossible nous verrons très incessamment. Appony chez qui j’ai dîné, m’a dit que le prince Metternich avait fait beaucoup de vœux pour Espartero et que sa chute lui causerait certainement beaucoup de peine. Voilà probablement le sentiment dans les cours d’Allemagne. Et je crois que cela se traduit par le chagrin du triomphe de la France. Je vous ai assez parlé des autres. à nous maintenant. Je ne me console pas, je ne me pardonne pas de vous avoir laissé partir. Il y a plus dans ce regret qu’il n’y avait autre fois. Cela me fait frissonner. Mon cœur me remonte à la gorge, j’étouffe et je pleure. Est-ce que je vous aime plus que je ne vous aimais ; est-ce pressentiment ? Nous verrons cela le 26. Il y a treize jours jusque là ; demain il n'y en aura plus que 12. Soyez bien assuré que je ne pense qu’à cela, et que cela ne me fera pas engraisser. J'ai revu mon salon hier pendant une demi-heure avant mon coucher. Je n’ai pas pu rester en place. J’ai joué du piano tristement, beaucoup de ? J’ai assez bon dormi. Avez-vous dormi ? pas de brigands ? Avez-vous pensé à moi, au chagrin que vous me donnez. Adieu. Je porte ceci en ville. Le dimanche on ne sait rien faire parler d'ici. J'irai à l’église. Vous savez pourquoi j’y vais à 4 heures je m'embarque avec Pogenpohl pour Versailles. Trouverai-je votre lettre à Paris ? Adieu. Adieu, tous les jours une lettre n’est-ce pas. Et dans chacune après l’adieu répétez le 26. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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4. Versailles, Dimanche 9 heures 3 Septembre 1843

Le télégraphe annonce le passage devant Cherbourg hier à 6 h. du matin, elle sera donc arrivée hier à Eu. Et que vous ayez été en mer à sa rencontre ou non, Dieu merci le temps est et a été beau, je suis donc un peu tranquille et j’attends la nouvelle et vos nouvelles.
Hier Pogenpohl est arrivé, pendant que je dinais, je suis bien aise. Il dinera et promènera avec moi, that is a great help. A 8 heures Génie est venu. Nous nous sommes réciproquement communiqué au fond, c’étaient les même choses. Il ne voit pas pourquoi je me dérangerais. Si elle vient à Paris c’est autre chose, c'est-à-dire si on apprend qu’elle doit y venir. Vous voyez que tant qu’elle reste à Eu, je peux bien rester à Versailles, car ou on a rien à faire ou à décider à Paris, aucun conseil ou idée possible à donner parce qu'on n'en a pas besoin. J'ai bien envie qu’elle n’y vienne pas. Un accident, serait quelque chose d'épouvantable quand on s'engouffre dans cette idée cela fait maigrir sur place de terreur. La demeure aux Tuileries est mauvaise pour cela, car elle sort le matin de bonne heure à pied. Elle voudra sortir dans le jardin. La retenir prisonnière est si gauche. L'exposer est si terrible. Au fait l’Elysée Bourbon si elle veut Paris, c'est-ce qu’il y a de mieux. Mais j'aime mieux qu’elle ne veuille pas. Elle devrait traverser Paris incognito, voiture ordinaire, coucher à St Cloud. Voir Versailles and go home that would be the good thing. Vous allez me dire tout cela. Que vous devez être content ! Savez-vous que plus on y pense plus on trouve qu’il y a de quoi. C'est superbe et excellent. Pogenpohl me dit qu'à Paris l’effet est immense. Dans les rues partout, on ne parle que de cela. C'est une époque dans un règne. Quel joli petit paragraphe cela fera dans le discours d'ouverture des Chambres. Je voudrais bien être à Vienne, Berlin & Pétersbourg pour une demi-heure. Certainement, le soufflet est gros. Génie croit savoir qu’Armin en est le plus non pas dépité, mais chagriné par le mauvais air que cela donne à la maussaderie de son Roi il y a 1 an 1/2. Il dit savoir aussi que le langage d'Appony s'est amendé. Je verrai cela. Je suppose qu’ils viendront demain ne pouvant pas venir aujourd'hui.

Midi. Voici Génie qui me fait la gracieuseté de m’envoyer un homme exprès pour m’annoncer l'arrivée de la Reine, et m’envoyer en même temps votre lettre N° 3. Dieu merci, et merci que je suis contente, et que j'ai été bête hier avec mes terreurs. Mais vous ne vous serez par fâché. Vous ne vous fâchez pas contre moi vous savez d’où viennent mes bêtises.
Ce que vous me dites de Metternich à propos du mariage de Don Carlos m'amuse. C’est bien lui ! Qu'il va se trouver nigaud avec son idée correcte ! Mais savez-vous ce qui arrivera ? C’est qu’entre ceci dont l’Espagne ne voudra pas, Naples que l’Autriche empêchera. Les autres retrouvés par d’autres motifs, quand il ne se trouvera plus de Bourbons, que personne ne peut vouloir un de vos fils, et que vous ne pouvez pas permettre un Autrichien, on finira par trouver le Cobourg le plus inoffensif, en même temps que le lien entre l'Angleterre et la France. Prenez garde à la possibilité que l’affaire prenne cette marche-là. Arrangez-vous pour Naples avec Angleterre. C'est la bonne affaire. Pogenpohl qui a des correspondances beaucoup à Florence où il a longtemps résidé dit que le Lucques est un charmant garçon. Pourquoi pas Lucques si Naples n’allait pas ? Adieu. Adieu.
Je rabâche. Je suis in the highest spirits de savoir la Reine en France, à Eu. C'est une perfection. J'oublie de vous dire que j’ai bien dormi, que je suis mieux. à 7 1/2 j’étais sur la terrasse du palais, pas une âme que la sentinelle. Un air pur excellent. Adieu. Adieu. Que je suis impatiente de votre prochaine lettre. Adieu ever adieu. Remettez ceci à Lady Cowley.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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210 Baden Dimanche le 7 juillet 1839 8 heures

Il faut convenir que vous prenez bien mal votre temps pour douter de mon cœur, pour douter que mon cœur ma vie sont à vous, pour croire que vous ne suffisez pas à mon âme. Et mon Dieu qu’est ce qui occupe mon âme ? Où trouve-t-elle du repos, de la douceur, si ce n’est en vous. Je suis bien accablée de mes malheurs passés, de mes peines présentes, je le suis plus ici que lorsque j’étais auprès de vous, et cependant avec quel bonheur je pense à vous, comme je retrouve de la joie de la sérénité dans le fond de mon âme en arrangeant le reste de ma vie pour vous, avec vous ! Vous êtes bien le reste de ma vie. Si je ne vous avais pas, je n’aurais plus rien. Dites-vous cela, dites-vous que je le pense sans cesse, sans cesse, et voyez si je ne vous aime pas plus que vous ne pouvez m'aimer ? Car vous, vous avez du bonheur sans moi. Et moi je n’ai plus rien sans vous.
Dites-moi si je dois me baigner ; si je dois rester à Baden. J'ai besoin qu'on me dirige. Je ne sais pas me décider. Je suis certainement plus malade qu’en arrivant, faut-il que j’attribue cela au temps ou aux remèdes. Jamais je n’ai été accoutumée aux bains, ils m'ont toujours affaiblie. Il n’y a que les bains de mer qui me conviennent. Dois-je faire à ma fantaisie c.a.d. ne plus rien faire. J'ai si besoin de vos conseils. Et après tout, ce que je fais ou ne fais pas, c'est pour vous. Il m'importe peu d’engraisser, de maigrir. Mais vous voulez me revoir autre que vous ne m'avez quittée, et je n'oserais pas revenir à Paris si je n’ai fait votre volonté.
J’ai été interrompue par Mad. de Nesselrode. Elle vient quelque fois causer de mes affaires. C’est de la bonté, mais il n'y a rien à dire il faut attendre. Paul va se trouver dans un grand embarras. On ne doute pas là-bas qu’il ne fasse un arrangement convenable, car le droit serait trop peu, et jamais on ne s’en est tenu au droit. Lorsqu'il s’est agi d'une mère. Voilà ce que Mad. de Nesselrode crie sur les toits en vantant à cet égard la supériorité des Russes sur tous les autres. Si elle a raison, encore une fois, le dilemme sera grand pour Paul. Que fera-t-il ? Et moi dites-moi ce que je ferai ? Puis-je accepter son au delà du droit après ce qui s’est passé ! Mon instinct me dit que non. Aidez-moi. Je vois votre réponse ; " Votre fils ne vous mettra pas dans cet embarras." Cependant répondez comme s'il m'y plaçait. Si je mettais mon acceptation au prix d’un retour de sa part, il n’aurait garde de revenir à moi. Répondez, répondez.

11 heures
Je pense beaucoup à votre discours c'est au fond le vrai discours politique dans cette discussion. Il est fort remarqué. Et en général on pense que l’Empereur doit être content de ce que vous avez dit de lui. Je le pense aussi sauf un point, le véritable, et que vous avez traité avec une grande habilité, ne lui imposant des devoirs qui pourraient ne pas rencontrer ses intérêts. Somme toute vous avez fait un beau discours et qui sera fort remarqué chez nous. On me dit que le mariage Dormstadt n'aura pas lieu. On ignorait la naissance lorsqu'on s'est embarqué si étourdiment dans cette affaire. C’est une grande étourderie d’Orloff. Mon mari en eut été incapable. Il est vrai que la bâtardise ne pouvait pas être un grand pêché aux yeux d’Orloff. A Berlin on s’est fort ému de ce choix et on a éclaté. Je ne sais au reste ceci que par des voies détournées. Voici votre lettre, je n'ai plus que le temps de vous le dire, et de vous dire adieu, et bien des adieux.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris dimanche 7 octobre 1850

Je n’ai pas le cœur à une lettre, car mon cœur est gros de diverses peines. Je croyais que vous auriez plus de pitié de moi, & j’ai peur, en vous écrivant de vous trop montrer ma susceptibilité sur ce point. Je ne voulais donc pas vous écrire aujourd’hui. Mais moi, j’ai pitié de vous et je ne veux pas vous donner le chagrin de rester un jour sans lettre. Mes deux conseillers aussi s'étonnent. Passons.
Thiers n’arrive à Paris qu’aujourd’hui. Il s’est arrêté à Lille. Montebello sera à Paris demain. C’était au moins son projet. La commission s’assemble demain extraordinairement pour interroger le ministre de la guerre, sur le vin de Champagne. Cela commence à faire crier tout le monde les officiers sont très mécontents. Le 62ème de Ligne qui devait quitter Paris (c'était son temps) reste à Paris. C’est celui qui à la première revue a crié “ Vive l'Empereur ”. M. de Persigny est devenu l'habitué chez Madame Kalergi. Il est comme le Président sûr d'aboutir. Le gouvernement français est très mécontent de l’affaire Fronzoni et le témoigne je crois à Turin. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond vendredi le 4 août
2 heures

Ce n’est pas ma faute si ma lettre hier est allé à Glasgow. J'ai là tracé de votre écriture que je ne devais écrire que deux fois dans le Norfolk. C’est ce que j'ai fait. En me disant le contraire hier il était bien clair que cela devait m’arriver trop tard. J'ai bien quelque soupçon de votre laisser-aller et de vos faiblesses. Et je m'en étonne toujours un peu. Quand on vous demande une chose, vous dites oui, excepté à moi. Montebello était ici hier soir & s’étonne que vous vous soyez embarqué dans un voyage si lointain avec tant de monde. Cela coûte cher en Angleterre et quand vous ferez vos comptes vous trouverez que des bains de mer pouvaient être pris à meilleur marché plus près. Personne ne vous forçait à les aller chercher à St Andrews. Reste les visites. D'abord les voilà réduites à Aberdeen, & Lord Breadalham ; car les Argyle n'y seront pas. Elle vient d’annuler. Hier elle était assez mal, un shivering, Breadalham c'est peu intéressant. Aberdeen revient dans deux mois. Je retourne aux dépenses. Second class même qu’est-ce que cela va vous couter pour une si grande distance ? Calculez. Et voyez si le bon marché de 3 semaines à St Andrews forme équilibre. Je parie que non. Et qu’en mettant par dessus cela mon chagrin, la spéculation est de tout point mauvaise puisque vous restez encore trois jours là où vous êtes, méditez sur tout cela & revenez, that is the best thing you can do.
Je vous envoyais hier à Glasgow ma conversation avec Ellice. Intéressante, je ne pense pas recommencer ; & une lettre de L. Aberdeen, je ne puis plus courir après. Hier j’ai été à Claremont très polis et très en train. Le roi affirmatif que la France n’interviendra pas, qu’elle ne peut pas intervenir. Je le crois aussi tout-à-fait. Et qui irait on aider ? Un Roi ou la république ? Car il parait maintenant que c’est là ce que voudront les Italiens. Curieuse situation. On dit aujourd'hui que Turin a proclamé son Roi dictateur. La mode française qui va faire le tour du monde. Quel bon tour à jouer au monde. En vérité tout est drôle. il n'y a que moi qui ne le suis pas du tout Comment voulez-vous que j'aille seule courir jusqu’à Haddo pour quelques jours de Haddo ; ce serait ridicule, et par trop fatigant, & encore une fois seule impossible. Revenez, pensez y bien, moi je vais y croire, je crois si vite ce qui me plait ! Voici une lettre que je vous prie d'envoyer à Duchâtel. Vous savez sans doute où il se trouve. Adieu. Adieu. Quelle tristesse. Que Votre absence. Que de choses à nous dire. Ah que vous avez eu tort. Si vous le répariez. Adieu. Adieu.
Je m’en vais être vraie. Quand vous écrivez au crayon les adresses Je me suis dit, je parie qu’il restera plus de deux jours chez Boileau. J’ai eu tort de ne pas vous le dire ; vous avez tort de méditer cela & de me le cacher. & vous me cachez cela parce que vous craignez que je ne vous querelle sur les délais. Voilà que je suis mise au régime que vous recommandez la vérité. Et puis voyez ce qui en arrive, c'est qu'on perd du temps à se dire cela, c.a.d. à l'écrire. Pauvre lettre par conséquent & qui va vous ennuyer. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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29 Ems samedi le 9 juillet 1853

Une lettre extra pour vous dire que selon mes dernières nouvelles nous allons publier une dépêche explicative de Manifeste, où il sera dit : qu’aussitôt que la porte nous aura offert des garanties acceptables et que les escadres des puissances maritimes auront quitté les eaux de la Turquie, nos troupes de leur côté évacueront la Moldavie et la Valachie. Qu'en dites-vous ?
A propos M. de [Damis] est enfoncé dans les lectures que je lui fournis quoique nous nous voyons deux fois le jour il m'écrit à tout instant. Voici sur votre lettre. Il m’en a reparlé le soir, avec des admirations sans fin sur le style de votre lettre. Vous me querellez sur la distinction que j’ai l’air de faire de votre Génie pour les grandes & petites choses. Certainement vous valez mieux pour les premières, mais je vous prie de ne pas m’abandonner dans les autres.
Je suis d'une grande curiosité du débat de hier au Parlement. On commence à dire que Palmerston reprendra les affaires parce que si dans ce poste il ne nous fait pas la guerre, les Anglais verront qu’il n’y a pas de quoi la faire. Enfin ce serait drôle, mais tout est drôle, pourvu que cela ne reste que drôle. La chaleur est étouffante. Adieu. Adieu.
J'attends ce que vous me direz du Manifeste. [Damis] prétend que de même que l'[Empereur]. excite l’enthousiasme religieux, il saura le calmer. Il est le maître très puissant chez lui.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Mercredi le 9 août 1848
onze heures

En relisant votre petit mot de Lundi, je le trouve bien triste. Cela ne vous est pas habituel. L’accident de Pauline vous a inquiété, la maladie de votre hôte, le dérangement de votre plan d'Ecosse, tout cela ensemble vous vexe. Vous concevez surement à sentir aussi le vide, l'absence de conversation, de nouvelles, dans un moment si immense comme intérêt, importance de tous les côtés. Croyez-moi tout votre plan d’été a été mauvais. Laissez là la mer du nord. Venez de ces côtés. Etablissez vos enfants avec Melle Chabaud dans un des petits homes de mer de la côte méridionale. Quand vous ne serez pas auprès d'eux, venez auprès de moi, ce régime vous ira beaucoup mieux. Et [?] pour mer, celle au midi n’est surement pas la plus mauvaise. Pourquoi ne m'avez-vous pas écouté plutôt ! Je ne veux plus faire de reproches, mais je voudrais que vous fissiez attention à mon conseil à présent.
J’attends votre lettre aujourd'hui avec anxiété. Les affaires grossissent beaucoup à Paris, en Italie. Que va-t-il arriver, et tout de suite ? Nous pourrions parler sur cela tout le jour, que je regrette entre autre nos trios avec Aberdeen. Ce n'est pas le moment vraiment de s'éparpiller à présent.
Midi. Voici votre lettre. Ainsi Yarmouth à présent. Pardonnez moi, mais tous ces changements n’ont pas de sens. Et voilà que vous n'arriverez au but de votre voyage qu'au bout de 15 jours. Je ne me trouve guère avancée. Voulez-vous bien me dire maintenant quel jour vous reviendrez à Londres ? Je suis de bien mauvaise humeur. Je ne vois pas du tout de quoi j'aurais à me réjouir comme vous me le diriez dans votre lettre de Samedi. Je n’ai aucune nouvelle à vous mander. Vous lisez les journaux maintenant. On dit que Yarmouth est la ville la plus sale de l'Angleterre Adieu. Adieu. Lord John Russell sort de chez moi. L'Angleterre va reconnaître la République. Il espère qu'on s'entendra sur l’Italie. La frontière de l'Adige absolument, c’est ce que veut l'Angleterre, pas moins.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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34 Paris le 11 Juillet 1852

Il ne faut pas vous fâcher si je ne vous écris pas tous les jours. La tête me tourne de tout ce que j’ai à faire, à dire, à écouter. Je regrette bien de ne vous avoir pas vu. Vous auriez sû. Ma crainte a été de vous déranger. Quand on est loin, on croit qu'il n'y a rien. Il y a toujours mais je ne puis pas écrire.
Fould me prie de vous dire que le Sénat a fait la liste civile & la haute cour. Il ira avec le Président à Strasbourg. Le prince a fait visite à sa femme ce qui l’a beaucoup flatté. La modification ministérielle n'aura lieu qu’à la fin du mois. Il y aura des changements en Belgique donnant satisfaction à la France. Je vous ai dit que Kisseleff est allé à Vichy.
Je pars Mardi à 8 h du matin pour Dieppe. Pas d'Aggy encore. J’espère qu’elle viendra mais ma sécurité n'y est plus, quoique Marion affirme. Jamais je n’aurais cru de sa part à tant d’affirmations déçues ! Votre portrait de L’Empereur est charmant. Je l'enverrai quand même. Adieu. Adieu.
J’étouffe et je me sens mal.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Samedi 26 août 1848 10 heures

Je vous renvoie Broglie et Mme Lenormand. J’en ai régalé Montebello hier soir qui m’a aidé aussi à lire la première lettre. A great treat. Il a bien de l’esprit Broglie, surtout l’esprit réfléchi. Si vous connaissiez Montebello davantage, vous auriez bien bonne opinion de son esprit et de son caractère. Ils m’apparaissent tous les jours sous un aspect plus avantageux. Et très honnête homme. Très dégagé de prévention. Voici un mot de Sabine, amusant. Bonne fille tout-à-fait. Comme je suis curieuse de la discussion à Paris hier !

Midi. Eh bien. Voilà la poste & pas de lettres de vous ! jamais je n’ai été séparée de vous sans qu'il m'arrive un de ces malheurs-là. Et moi je crois tout de suite le pire. Je m’inquiète, je m’agite. Je suis dans un état de folie. Vous partiez avant-hier pour Yarmouth. Vous est-il arrivé un accident en Route ? Mon dieu, je reviens à mes pressentiments de cette vilaine absence, de ce voyage qui au fond n'aboutissait à rien, qui a déjà commencé par un accident et demain dimanche pas de lettre du tout. Comment est-ce que j’atteindrai le lundi ? Vous êtes bien coupable, si vous êtes coupable de ce retard. Vous êtes dans tous les cas coupable de m’avoir quittée. Je ne vous dirai rien, plus rien aujourd’hui. Je suis si triste ! Si triste. Adieu.

2 heures
Ah, je respire ! Voilà votre lettre mislaid at the post office. Savez-vous ce que j’allais faire ? J’allais vous envoyer tout de suite un homme exprès à Lowestoft pour me rapporter de vous un certificat de vie de bonne santé. Je sentais que je ne pourrais pas attendre Lundi. Enfin, enfin, je tiens cette lettre. J’ai écrit à Lord Aberdeen un petit mot sur la publication de sa lettre. Regrettant qu'il fut vanté à vos dépends. Je crois que je ne l'aime plus du tout. Les journaux d’hier de Paris ne m’apprennent rien du tout. Le Constitutionnel est très bien fait. Vous le lirez je crois. Adieu. Adieu. Je vous ai retrouvé. Je suis si contente ! Adieu.

Le National hier contenait un long article qui établissait qu’en matière d’élections, l'influence morale du gouvernement est non seulement permise, mais nécessaire. C’est charmant. Je viens de lire une lettre d’une dame anglaise à Paris, à Miss Gibbons. They say Cavaignac has made many blunders and is too weak to remain. And what every one seems to think certain, is, that Henry V is coming to Paris, and in a fortnight his fate will he decided. he is a weak foolish man and will not be able to govern the French & & & je trouve tout cela singulier.
Je viens de relire votre lettre. Je vous admire pour votre journée de Yarmouth plus que pour tout ce que vous avez pu faire de grand dans votre vie. Grand dîner deux heures trois-quarts d’église, le matin. Une heure trois quarts le soir. Evêque, sermons. Comme j’aurais vite fait un esclandre au bout de 10 minutes. Vous êtes un homme étonnant. Je me prosterne. Adieu. Adieu. Merci de ce que je respire ; demain pas de lettres, mais je sais pourquoi. A lundi donc et pour vous & pour moi. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad le 15 août 1851

Je commence par vous quereller. Je remarque que vous ne m'avez pas écrit du tout dimanche le 10. Pourquoi ? J'aurai fait pendant mon voyage une nouvelle connaissance importante, Mirabeau ah qu'il a d'esprit ! Et quel courage, quelle confiance en lui-même, quelle énergie, quelle puissance de volonté. Un homme comme celui-là aujourd’hui ! Que cela ferait de bien ! Il y a des lettres de lui merveilleuses, vraiment je vous remercie de m’avoir donné cette lecture. Je vous la rapporte en bon état.

7 heures Voilà qui est trop fort. Après m’avoir planté là le dimanche & donné quatre lignes seulement. Lundi vous ne me dites rien du tout. Mardi. Pas de lettres. Et j’en attendais une très intéressante. Les dissipations de Paris font que je vous passe du souvenir. J’étais bien fatiguée, bien harassée à Francfort je vous écrivais tout de même.

Samedi 16 Je ne me console pas de n’avoir pas eu de lettre, & j’allais dire, je ne pardonne pas. Voyons aujourd’hui mais il faut attendre jusqu'à 4 h. Et il est huit heures ! Pas une âme hier. Je me partage entre la promenade, les journaux & Mirabeau. Ce soir un peu de piquet avec Marion & mon lit à 9 heures. Et incendie aux Invalides tous les drapeaux brûlés. Sébastiani ne valait pas cela. Adieu. Adieu.
Ma tête & ma bouche vont toujours mal, je ne sais ce que c’est.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 4 Juillet 1849

J'aurais parié hier ma vie que vous ne viendrez pas aujourd’hui, et j’aurais gardé ma vie. Mais ne parlons pas de cela. Nos jours sont comptés. Si d'un côté cela devrait disposer à être avare de nos bons moments si courts et si rares, d’un autre côté cela m'impose de ne point quereller. Ainsi encore une fois n'en parlons plus. Voilà donc Rome soumise J'en sens bien aise. Mais encore une maladresse tout au bout. Bideau envoie lorsque Oudinot achève ! Au reste voici les embarras qui commencent.

7 heures
Lord Aberdeen est venu. J’espère que vous avez vu l’article de Thiers sur l’Espagne. Admirable Lady Allen, Peel, lady [?] Flahaut, Koller. Abondance aujourd’hui, Metternich va plus mal. Il s'affaiblit. Il ne peut plus marcher on le porte. On persiste à dire qu'il n’y a pas de danger. Cela n’est pas possible. Les Ellice sont partis. Cela me fait un vrai chagrin et un grand vide. Adieu. Je crains de manquer la poste. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton lundi 20 novembre 1848
8 h. du soir.

Votre esprit a été atteint de distraction à Drayton. Vous m'écriviez samedi. " Je repartirai lundi à 9 h. pour être à Londres à 2 h." Bon, je vous adresse ma lettre d’hier soir à Londres. c'est clair. Dimanche vous m'écrivez " Je pars après demain Mardi à 9 h. du matin." Permettez-moi de ne pas trouver cela si bon. Un tour car il n’y a pas de ma faute si ma lettre d'hier n’est pas allée vous chercher à Drayton. Puisque vous étiez distrait vous ne l'aurez peut-être pas remarquée. Voilà votre paquet fait.
Je n’ai pas de nouvelles du tout à vous dire. Lord Holland est venu me prier de vous faire l’explication suivante. Il croit, que le Roi refuse Holland house par délicatesse et pour ne pas se trouver dans des obligations envers lui. Or lord Holland est prêt à dire qu'il loue son château au Roi, en même temps il ne veut pas qu'il le lui paye. Il veut l'honneur de lui avoir rendu ce très petit service, car décidément d'ici au mois de Mars, il ne l'habiterait dans aucun cas, il croit que nulle part le Roi ne serait mieux. Ce qui est vrai. Et si au bout de tout ce temps le roi lui donnait son portrait pour Holland house, il serait comblé. Voilà le message fait. Eh bien, je ne vois pas pourquoi il n’accepterait pas. Encore une fois Holland dira qu'il l'a loué.
Il y a une forte tempête aujourd’hui, je n’ai presque pas pu marcher du tout. J’attendrai avec impatience vos nouvelles de Londres. Vous saurez quelque chose de Paris. Berlin traîne. On dit à présent qu'on s'arrange, je ne vois pas bien comment. Adieu, J’espère que je vous ai montré de l’humeur, c'est bien mon intention. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton jeudi le 15 fév. 1849
3 heures

Ah qu'il y a une mauvaise parole, une mauvaise et injuste pensée dans votre lettre d’hier. En deux mot de conversation je vous ferais honte, je n'ai pas assez de mes yeux pour vous écrire cela. J'approuve complétement ce que vous avez écrit au duc de Broglie. Voilà les amis français ! Je n'ose pas dire que je suis mieux aujourd’hui, ce serait probablement un mensonge se soir. Quoiqu’il en soit à moins de catastrophe j'ai bien le projet d'aller à Londres samedi. Ecrivez moi encore demain. Je suis très contente du Président. Sa visite à la bourse me plait. Il a de bonnes inspirations. Metternich est en pleine sécurité sur Bruxelles. Cette médiation n’ira pas. Je crois qu’on le tient. fort au courant.
8h. du soir. Metternich dit que la fuite du duc de Modène est en Humberg. Les Autrichiens occupent Modène. Il est très noir sur l'Allemagne. Evidemment Vienne et Berlin ne s'entendent pas. Schwarzenberg le dit dans sa proclamation. Cela finira par une guerre civile. C’est l'impression de M. de Metternich. Mme de Rothschild arrive ici demain. Elle sera très intéressante à entendre. Si elle ne vient que tard demain soir. Je ne la verrai pas, ce que je regretterai. Adieu. Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Jeudi 21 août 1851

J’ai sur le cœur votre chagrin, je ne veux pas dire votre injustice de Vendredi dernier 15. Ne croyez donc jamais qu'aucune dissipation comme vous dîtes, ni aucune affaire puissent me détourner de penser à vous. Je ne serai content que lorsque je saurai que vous avez eu ma lettre. J'espère bien le savoir demain.

Duchâtel m'écrit qu’il part pour Londres, hier soir. J’irai probablement le retrouver chez Grillon, où il va se loger. Il me dit : " Paris est désert. Les renseignements de tous les points de l’horizon s'accordent à dire que la candidature du Prince de Joinville prend assez vivement. On assure que le président et ses ministres en sont inquiets. Il se pourrait que ce coup d'éperon déterminât le président à agir. Le mouvement que les Montagnards se donnent peut lui faire beau jeu. "
Je ne crois pas beaucoup aux inquiétudes du Président sur la candidature du Prince de Joinville, ni à ses velléités d’agir. A en juger par ce qui m'entoure et ce qui me revient le travail pour cette candidature est plus vif qu’efficace ; il créera une petite scission dans le grand parti conservateur ; pas grand chose de plus. Sur les côtes seulement, la faveur est réelle pour le prince de Joinville. Dans les terres, les campagnes restent pour Louis Napoléon. Si, l’intrigue pour créer, au Prince de Joinville, un parti dans la Montagne réussissait, c’est alors que commencerait le danger. Il ne paraît pas que jusqu'ici, l’intrigue réussisse. Les Montagnards hésitent toujours entre Ledru Rollin et Carnot.
Autre sorte de nouvelles que me donne Duchâtel. " Les Régentistes vont à Londres pour le 26. Rémusat est parti hier. A propos de Rémusat, saviez-vous qu’il vivait intimement avec une Mad. Fagnères l'ancienne maîtresse de Martin du Nord ? Je devais aller aujourd'hui à Champlâtreux. M. Molé me fait écrire qu'il est au lit avec la fièvre. " Vous avez tout ce que j'ai.
J’ai un mot du duc de Noailles, de Maintenon. Il regrette fort de ne m'avoir pas trouvé à Paris. Je lui ai écrit que j'y passerais le 24 ; mais il n’avait pas encore reçu ma lettre. Il attend impatiemment votre retour. Il y a, dans votre lettre du 13, une parole qui me plaît, parmi d'autres. Vous me dites que vous aurez fini dans dix jours, c’est-à-dire le 23 ou le 24. Vous partiriez donc le 25 ou le 26, et vous seriez à Paris le 28 ou le 29. Ce serait à merveille. Je me crois sûr que je partirai de Londres le 29 pour être à Paris le 30.
Je suis fâché que vous ne receviez pas la feuille jaune, le courrier de Paris. Vous y trouveriez sur les auteurs des Correspondances de l’Indépendance Belge et sur les dessous de cartes de ces correspondances, des détails qui vous amuseraient. La coterie Régentiste se donne beaucoup de mouvement de ce côté là. Je ne vois toujours pas clair sans Changarnier. Il a bien de l'humeur de la candidature du Prince de Joinville ; mais je le trouve bien timide à la témoigner.
11 heures
Enfin vous avez ma lettre. Je maudis comme vous les postes allemandes, quoique j'en aie moins souffert que vous. Ce ne sont pas elles qui reçoivent vos lettres. Ce mauvais effet d'Ems me contrarie beaucoup.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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374. Londres, Mercredi 20 mai 1840
Une heure

Je ne serai content qu’après demain, quand nous serons rentrés tous les deux dans les bonnes lettres. Merci du 377 bien tendre. Une fois pour toutes (s’il y a moyen avec vous de dire une fois pour toutes) ne craignez jamais la franchise. Dites-moi tout et trouvez bon que je dise tout. Il ne peut y avoir de nuages, entre nous qu’à la surface. Perçons-les toujours ; au delà, nous trouverons toujours le Ciel. Savez-vous qu’à mon avis il est ridicule qu’il y ait jamais des nuages entre nous ? Nous sommes au dessus. Nous devrions toujours voir clair, parfaitement clair l’un dans l’autre. Ceci prouve que nous n’avons pas autant d’esprit que nous croyons.
Ayez l’esprit d’être ici avant le 15 juin. J’y compte ; mais j’en parle. Je ne sais pas encore sûrement quel jour part votre fils. On m’a fait dire samedi, mais par approximation. Il n’y a du reste plus de nouvelles à vous en donner.
Ellice m’a dit qu’il vous avait écrit, et ce qu’il vous avait écrit. Je crois qu’il a raison, et que le Cabinet s’en tirera. Mais cela n’a pas grand air. Les conservateurs n’ont pas grand air non plus. Une opposition si forte si bien gouvernée et qui n’ose pas, qui ne peut pas devenir gouvernement ! De son propre aveu ! Elle porte son mal en elle-même comme tout le monde. Ce sont les Newcastle et les Londonderrys qui empêchent l’opposition de devenir le gouvernement. Si tous les conservateurs étaient de l’espèce de Peel, ils seraient les maîtres. Mais tenez pour certain qu’ici comme chez nous il y a des résistances et des arrogances que le pays n’acceptera plus jamais ; il y a des réformes où si vous voulez un mot plus modeste, des changements, faits ou à faire qu’il faut que tout le monde accepte, et qui rendront incapables de gouverner quiconque ne les acceptera pas, sérieusement et sincèrement. Deux choses ici me frappent également, la puissance de l’esprit de conservation et la puissance de l’esprit de réforme. Deux choses sont également faibles, rejetées mortes, quoique l’une fasse du bruit et que l’autre ait encore de l’éclat, le Chartisme et le vieux Torysme. Malgré les apparences et le fracas des paroles, et l’obstination des engagements de parti, ce pays-ci est le pays du juste milieu par excellence. On n’aura un gouvernement fort que lorsque, de part et d’autre on se sera rendu et établi en commun dans ce camp là, qui est un fait accompli quoique pas encore accepté.
Je suis sorti cette nuit à 2 heures de la Chambre des Communes. Débat très médiocre et très ennuyeux. Nul homme important n’a parlé. Sauf lord Howick qui a bien parlé, mais sans faveur et dans une position délicate. J’y ai gagné un torticolli. On est mal assis et j’avais un vent coulis sur l’épaule gauche. Pourtant j’y retournerai ce soir. Je veux voir la fin. On me dit qu’O’Connell parlera ce soir. Evidemment, il n’a pas voulu répondre sur le champ à Lord Stanley. Sur son hardi et puissant visage, il y avait un peu de timidité et d’embarras.
Je ne doute pas que M. Molé ne remue ciel et terre pour nous brouiller Thiers et moi. Il n’est pas le seul. Et il est vrai que Thiers, a laissé entrevoir un défaut à la cuirasse par le puéril silence de sa presse à mon sujet à propos de Napoléon. Je m’étonne que les journaux qui ont envie de nous brouiller ne s’en soient pas déjà avisés. Cela viendra très probablement. Quant à moi, je me suis contenté d’écrire à deux ou trois personnes comme vous : " Cela ne m’étonne pas ; mais je le remarque. " Je ne me brouillerai point. Un moment viendra, peut-être où je me séparerai. Je suivrai exactement la ligne de conduite que vous savez.
Je regrette que vous n’ayiez pas vu ma petite note pour redemander Napoléon. Je crois que vous la trouveriez convenable par la simplicité et la mesure. Je suis pour les Invalides ; une sépulture militaire, religieuse et exceptionnelle. Les places publiques sont impossibles et inconvenantes. Le Panthéon est un lieu commun profane et profané. La Madeleine serait un tombeau grec. St Denis est pour les Rois de profession. Les Invalides seuls vont bien à l’homme, et à lui seul. Adieu.
Cela me déplait de vous quitter. Je voudrais vous écrire toujours. Mais j’ai des affaires. Venez et laissez moi le soin de votre place. Vous serez ma première affaire et mon seul plaisir. Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°35 Val Richer, Jeudi 8 Juillet 1852

A part la fatigue les bains de Schlangenbad vous ont-ils fait quelque bien ? Vous êtes-vous baignée régulièrement ? Et l'Impératrice, comment s'en est-elle trouvé ? Le mois de Juillet vaudra mieux que celui de Juin pour des eaux allemandes. Par cette chaleur-là, les environs d’Ems doivent être charmants. Je conserve une impression singulièrement vive des lieux qui m'ont plu, et où je me suis plus.
A mesure que les élections anglaises, approchent, il me semble que leur aspect en plus favorable à Lord Derby. La question sera décidé ces jours-ci. Je veux du bien à Lord Derby quoi que je n'en espère pas beaucoup. Si Lord John ou sir James Graham reviennent au pouvoir ils y feront les affaires des radicaux, ce qui fera, sur le continent, les affaires, soit des révolutionnaires, soit des absolutistes. Ni les unes, ni les autres ne sont les miennes. Ceci ressemble presque à une provocation. Ce n’est pourtant pas mon goût. Je n’aime pas du tout à me disputer avec les gens que j’aime. J’aimerais bien que nous fussions toujours du même avis. Mais puisque vous êtes toujours du même avis que le Prince Charles de Prusse, il n’y a pas moyen.
Il m’est arrivé ces jours-ci de l'administration locale, une question très bienveillante, elle m’a demandé, si je voulois être porté au conseil général dont les élections se feront bientôt, comme de raison, j’ai répondu que non, que je voulais rester en dehors des affaires comme de l'opposition. Je n'ai jamais vu l’horizon plus calme. Pour mieux dire, il n’y a rien du tout à l'horizon. C'est même là le mal principal de la situation. Il faut qu’un gouvernement ait devant lui un avenir. Celui-ci est traitement renfermé dans le présent. C’est là ce que je crains pour lui ; il ne se résigne pas à une portée si courte ; il voudra étendre plus loin la main, et il se fera de mauvaises affaires sans nécessité, si ce n’est qu’il faut avoir des affaires.

11 heures
Je suis charmé de vous savoir arrivée même en compagnie de Juifs, vous devez avoir en effet grand besoin de repos. Je vous ai écrit hier qu'à moins de vraie nécessité, je n'irais pas vous voir tout de suite. Cela me dérangerait vraiment beaucoup. Ne vous tourmentez pas trop de l'avenir quant aux Ellice. J’espère bien que vous n'aurez pas à y renoncer. En attendant, vous allez avoir Aggy. Nous verrons ce qu’il faudra faire pour vous l’assurer, elle ou la sœur. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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373. Londres, mardi 19 mai 1840,
9 heures

Je reprends où j’en suis resté hier. Je n’ai pas fini ; et puisque j’ai commencé ; je veux finir. C’est bon pour tous deux. Il est impossible que ma lettre d’hier vous afflige. Ce n’est pas à cause de vous seule, ni par pur ménagement pour vous qu’en vous donnant des nouvelles de votre fils, j’ai écarté, autant que la vérité me semblait le permettre, toute exagération, toute alarme brusque et violente. Je présumais que sur la simple nouvelle de l’accident, vous partiriez, moitié pour l’accident, moitié pour venir plutôt. Le motif était triste, mais bien suffisant bien convenable. Je me serais fait scrupule d’y rien ajouter, scrupule de profiter d’un si triste motif pour presser votre résolution. Votre arrivée ici, je la desire, je l’attends depuis que j’y suis. Je t’attends tous les jours, à toute heure. Je voulais la devoir, plus prochaine un peu à vous, à votre libre empressement, pas uniquement à un malheur. Je n’ai pas médité, combiné tout cela, vous savez comme on agit quand le cœur y est mêlé ; un peu confusément par instinct ; mais l’instinct n’est pas moins réel, ni moins puissant pour n’être pas clair. Je suis sûr que ce que je vous dis là a été pour beaucoup dans la réserve de mon langage.
Vous n’êtes pas venue. Vous avez attendu. Tout à coup vos craintes sont devenuer vives. Vous avez été sur le point de partir. Le désir de venir plutôt n’y était plus pour rien. Vos craintes sont devenues un peu moins vives, vous avez mis votre départ en question. Vous avez soumis cette question à votre fils. Vous n’êtes pas partie. J’ai été triste et fâché. Voilà la vérité. C’est comme si vous aviez tout vu. J’ai pensé à moi dans tout cela, à vous pour moi. M’accusez-vous ? Vous plaignez-vous? Vous me direz que j’aurais dû vous dire cela, tout de suite. Non, ne comptez jamais là-dessus. C’est ma nature, c’est ma shyness à moi, de garder en moi, pour moi seul, au moment où je l’éprouve tout chagrin mêlé de mécompte. Il me déplait de voir ainsi mon âme à la merci de qui ne sait pas lui épargner toute tristesse. Je me reprends alors, je me replie sur moi-même; et ne pouvant supprimer la peine je supprime absolument la plainte. Il faut être indépendant quand on est triste. Je conviens qu’en étant triste, on peut être injuste, on peut trop penser à soi. Je crois bien que j’ai été un peu injuste envers vous, que je n’ai pas assez pensé à vous, à votre santé, à votre faiblesse, à votre trouble, à l’empire exclusif, déréglé, que prend sur vous votre imaginution ébranlée. Vous me le pardonnerez ; vous me le pardonnerez avec joie n’est-ce pas ? Car au fond, il n’y a rien là qui vous doive affliger. Et je ne me changerai pas, pas plus que vous. Avez-vous envié que je change ? Pas moi, malgré tout ce que je vous ai dit et tout ce que je ne vous ai pas dit depuis huit jours.
Je suis rentré cette nuit à une heure, de la Chambre des Communes. Lord John Russell, et Lord Stanley ont bien parlé. Le dernier m’a frappé, par sa bonne grace forte et simple. Le Cabinet a eu un échec, et en aura probablement
un second ce soir. On croit que le bill de lord Stanley passera à la 3ème lecture. Mais il périra dans la discussion du détail des clauses. Etrange situation, la faiblesse aux prises avec l’impuissance. J’y retourne ce soir. Il y aura O’Connell, Macaulay, Sir James Graham, Sir Robert Peel. Jusqu’ici, c’est une excellente discussion, un jour lumineux, sans soleil. Ceci bien pour vous seule. Il y a deux choses, que je ne peux montrer qu’à vous, ma faiblesse et mon orgueil.

2 heures
Oui vous avez raison; Je vous ai prise for better and for worse, et j’ai tort toutes les fois que je ne vous dis pas quelque parole bien tendre bien douce, qui se mêle à tout à votre tristesse, à la mienne, à nos injustices communes. De loin, j’oublie que je suis loin, que les moindres mots sont définitifs, irrévocables, durs, grossiers. Vous l’oubliez aussi. Ne l’oublions jamais, jusqu’à ce que nous ne soyons plus loin, l’un de l’autre, que nous n’ayons plus besoin de penser à rien, que toute méprise disparaisse, que toute injustice se répare, que tout mal se guerisse par cette admirable panacée de la présence, d’une présence charmante et chérie avant le 15 juin, n’est-ce pas ? Il le faut, car il faut que nous soyons ensemble, le 15 Juin. Je vous ai répondu ce matin. Je ne trouve rien dans votre lettre à quoi je n’aie répondu. Et vous voyez bien que celle d’hier ne m’a pas déplu. Adieu. Adieu. Adieu. Comme vous, à présent je serai impatient jusqu’à ce que vous ayiez reçu ma lettre d’hier, celle-ci jusqu’à ce que vous me l’ayiez dit. L’horrible chose que l’absence. Que d’agitations insensées ! Que de peines absurdes ! Adieu encore. Adieu pour le chagrin passé. Adieu pour le bonheur à venir. Adieu. Je fais presque aujourd’hui comme hier. Je ne vous dis pas que l’état d’Alexandre est toujours très bon. Vraiment il n’y a plus de nouvelles à vous donner. Je vous ai écrit hier deux fois. Savez-vous quelque chose de la Duchesse de Sutherland. Et si elle vous a répondu, quoi?
Adieu encore.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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371. Londres, Dimanche 17 mai 1840
10 heures

Mon premier mouvement en lisant vos lettres est de croire que tout ce que vous me dîtes, c’est vous qui le dites et qui le pensez. Je suis toujours sur le point de discuter avec vous, contre vous, comme si c’était vous les opinions et les commérages que vous me transmettez. Si nous étions ensemble, je m’y laisserais aller ; ensemble, on a du temps pour tout. De loin, cela, n’en vaut pas la peine. Vos sentiments à vous sont les seuls qui méritent que je m’y arrête et que nous nous mettions d’accord. Avec vous seule, je ne puis souffrir le désaccord. C’est à propos de tout ce qu’on dit sur le retour de Ste Hélène que je vous dis cela. Je laisse donc sans reponse les prédictions et les confectures. Mais une chose me préoccupe, c’est
la crainte que les commissaires qu’on enverra là ne se laissent aller à des récriminations à quelques paroles amères, blessantes. On en est ici assez préoccupé. L’affaire a très bien commencé en haut, très noblement. Il fautqu’elle se passe bien aussi en bas dans l’exécution.
J’écris à Paris toutes les recommandations possibles en ce sens. Un bâtiment lèger anglais le Delphin, partira Mercredi de Portsmouth, pour aller porter à Ste Helène l’ordre de translation. La frégate francaise aura une copie authentique de l’ordre et des instructions. L’allée et le retour prendront quatre mois. Nous n’aurons rien qu’au mois de Novembre.
J’ai dîné hier chez Sir Gore Ouseley avec le duc de Cambridge, le duc et là duchesse de Buckingham, leur fille, lady Anna, Temple, Bülow, Brünnow &. C’était ennuyeux aujourd’hui chez Lord Minto.

2 heures
J’en suis fâché, à cause du plaisir que cela vous aurait fait. M. de Noailles vient trop tard. Il y a trois semaines, par une dépêche du 1er mai, j’ai demandé la place d’attaché payé à Londres pour M. de Vandeul, qui est depuis un an à l’Ambassade comme attaché libre et dont je suis fort content.
Au département, on regarde, je crois, la nomination de M. de Vandeul comme certaine. Je regrette tout-à-fait de ne pouvoir faire en cette occasion ce que désire M. le duc de  Poix, et je désire à mon tour que quelque autre occasion, me soit offerte. Serez vous assez bonne pour le lui dire de ma part ?
Voilà une petite boite qu’on mapporte avec un billet de Lady Williams qui dit ceci : " the box contains a few patterns of babies clothes which, Mad. Graham begged Lady Williams to send her from hence and trusting to the french Embassy for convoying them to Paris. All that Lady William can offer en externation for the liberty Madame Graham is taking, is the observation that it is not probable she will ever repeat the offence again."
Lundi, 9 heures

Lord et lady Lansdowne, lord et lady Palmerston, lord Moutaggle, M. Macaulay et deux petits inconnus. Voilà notre dîner. Nous avons causé jusqu’à 11 heures. Lord Monteagh et M. Macaulay sont de bons meubles de conversation. Les Anglais sont singuliers ; ils aiment beaucoup la conversation ; quand elle s’anime et se varie, ils ont l’air d’y prendre grand plaisir. Et d’eux-mêmes, ils n’ont pas de conversation ; ils restent ensemble immobiles et silencieux, et s’ennuyent quand ils pourraient s’amuser. Ils ne savent pas faire ce qui leur plait, ni jouir de l’esprit qu’ils ont. Le feu est là, mais couvert ; il faut que l’étincelle qui l’allumera vienne d’ailleurs. En sortant de chez Lady Minto, je voulais aller finir ma soirée chez Lady Jersey ; mais par réflexion, je n’y suis pas allé. Deux Dimanches de suite, c’est trop. Elle abuserait. C’est l’insignifience la plus envahissante que je connaisse. Je me moque de moi-même quand je m’aperçois de toutes les petites précautions que je prends, toutes les petites combinaisons que je fais. Je pense à toutes les petites choses du monde comme si je n’avais jamais fait que cela, et ne me souciais que de cela ! e suis le contraire des Anglais; ils ne savent pas faire ce qui leur plaît ; moi, je puis savoir faire ce qui ne me plaît pas et m’occupe et presque mintéresser à ce qui m’est parfaitement indifférent, pour ne pas dire plus. Au fait, j’ai raison ; quand on n’a pas le fond du cœur plein et satisfait, il faut mettre à la surface de la vie, tout ce qu’on trouve sous sa main. Qu’il y a loin de la surface au fond, et quel vide immense peut exister dans des journées dont tous les moments sont remplis !
La Reine me prend Lord Melbourne samedi prochain. Elle l’emmène dîner à la campagne. J’ai souri de l’embarras avec lequel il me l’a dit. Embarras point réel, car personne n’est au fond moins embarrassé que lui, et ne prend plus ses aises, en toutes choses, et avec tout le monde. En quoi il a raison. Mais les apparences sont embarrassées. Nous sommes toujours fort bien ensemble. C’est l’homme du Cabinet qui a le plus d’esprit, le plus juste et le plus original.

3 heures
Oui toujours tout dire, toujours votre funeste franchise qui ne vous sera jamais fumeste. Le grand, le vrai mal de loin, c’est qu’il n’y a pas moyen de tout dire, car on n’écrit jamais tout ; ce qu’on écrit est si peu ! et comme reproche et comme tendresse. Vous me grondez à moitié. Je vous ai grondée à moitié. J’avais bien autre chose à vous dire que ce que je vous ai dit. Mais j’ai eu un tort, un grand tort, j’en conviens. J’aurais du envoyer chez Brodie dès le premier moment , et y renvoyer tous les jours, et vous transmettre scrupuleusement ses paroles. J’y ai pensé. Je ne l’ai pas fait, sottement, par sot ménagement. Je ne connais pas Brodie. Il est peut-être bavard. J’ai craint qu’il ne s’étonnat d’un soin si assidu, qu’il ne racontât son étonnement, qu’on n’en prit occasion de bavarder comme lui. Crainte puérile absurde. J’ai eu tort. Mais j’en ai été trop puni. J’en ai été barbarement puni. Vous m’avez écrit ce que vous m’avez écrit. Vous avez dit à Génie tout ce que vous m’avez écrit, pis probablement car vous lui avez dit que vous étiez si fâchée que vous partiriez pour Londres, sans m’en avertir. Ma mère a appris en envoyant savoir de vos nouvelles, que vous partiez le surlendemain. Vous seriez partie sans le lui avoir dit, sans avoir vu mes enfants. Voilà ce que vous avez fait. Et sais-je ce que vous avez pensé ? Cela est insensé ; cela est injuste, inique, révoltant. Savez-vous ce que vous deviez penser et faire ? Vous deviez être fâchée, très fachée contre moi et me le dire aussi vivement que vous l’auriez voulu, que votre emportement vous l’aurait suggéré. Et vous deviez en même temps deviner mon motif, l’entrevoir du moins ; et voir aussi tout le reste, et me croire un peu, même quand les autres vous disaient le contraire. Les autres ne vous ont écrit que lorsqu’ils ont été eux-mêmes à peu près rassurés, et dans leur froide irréflexion, ils vous ont dit alors tout ce qu’ils avaient craint plus qu’ils n’avaient craint car on exagère toujours le mal qu’on a caché. Moi, j’envoyais deux fois par jour ; on parlait au valet de chambre de votre fils ; je passais moi-même à sa porte. Je recueillais indirectement des renseignements de qui je pouvais. J’ai envoyé au Time quand il a donné des nouvelles alarmantes de votre fils. Et je vous mandais chaque jour ce que je savais ce que je recueillais. Et je vous le mandais de la façon la moins alarmante pour vous. Vous deviez deviner, vous deviez croire tout cela. C’est bien la peine d’avoir pensé et senti tout ce que nous avons pensé et senti ensemble depuis trois ans, de nous être dit tout ce que nous nous sommes dit l’un à l’autre, et l’un sur l’autre pour qu’en un jour, en une heure, tout cela s’évanouisse, pour qu’un tort, un mécompte d’un jour efface toute confiance, pour qu’on pense et parle comme on penserait et parlerait d’une personne qu’on connaitrait beaucoup, et qui aurait manqué d’obligeance ou de soin ! Il est près de cinq heures. La poste me presse, et j’ai encore tant de choses à vous dire ! vous avez raison de loin, il vaudrait mieux se taire ; la vérité n’est pas possible. La vérité est pourtant le remède à tout, le seul remède. Vous vous croyez bien sérieuse, bien passionnée. Vous avez des légèretés, inimaginables, toutes sérieuses et passionnées qu’elles sont. Car c’est une légèreté inimaginable coupable que de s’abondonner à une idée, à une impression du moment, si complètement qu’on oublie tout le reste, tout ce qu’on a pensé, vu, cru, & qu’on croit toujours au fond de son âme ce qu’on croira, ce qu’on verra le tendemain. Moi, je n’oublie rien. Je pense à tout, toujours, et mon sentiment pour vous est toujours le même, et je suis juste envers vous, dans les plus mauvais moments. Vous comprenez bien que je n’accepte pas votre querelle sur les bals et les jeunes femmes. J’en aurais ri en récevant votre lettre si j’avais été en train de rire. Je crois vous avoir dit une phrase charmante de mon puritain John Newton :
" Since the Lord gave me the desire of my heart in my dearest Mary, the rest of the sex are no more to me than the tulips in the garden. "
Si cela ne vous plait pas, je ne vous parlerai plus jamais des tulipes que j’ai trouvées belles.
Il faut pourtant que je finisse. C’est grand dommage car je n’ai pas fini. Adieu pourtant. Adieu toujours. Je crois en effet que vous ne me connaissez pas. Adieu encore.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Mercredi 20 août 1851

Vous n'aurez ce matin que quelques lignes. Je suis pris d'une violente, migraine. Je viens de me promener trois quarts d'heure dans le jardin pour voir si le grand air la dissiperait ; mais l’air, qui est pourtant charmant, n’y fait œuvre. Je crois que je vais m'étendre sur mon lit. Il n’en sera plus question ce soir. Elles étaient bien plus fréquentes autrefois. Avec beaucoup de plaisirs l’âge emporte aussi quelques ennuis.
Vous ne lisez pas l’Univers ; il conterait ces jours-ci une lettre à Gladstone, très médiocre d’esprit et de forme, mais qui lui donnait, sur quelques uns des faits qu’il a affirmés, des démentis précis et frappants ; par exemple 1800 prisonniers dans les prisons de tout le Royaume de Naples, au lieu de 20 à 30, 000. Et le nom de chaque prison, et le nombre des détenus dans chaque prison, y sont énoncés. Le Roi de Naples et les agents ont grande raison de multiplier les renseignements. Il devrait faire offrir à M. Gladstone de revenir les vérifier lui- même.
Vous vous étiez promis des merveilles de mes lettres écrites de Paris. Vous n'y aurez pas trouvé grand chose. Je n’avais trouvé moi-même à Paris que bien peu de chose. Je n’ai eu rien de mieux à vous envoyer. Je crains bien que ma course en Angleterre ne jette, pour vous comme pour moi, un peu de trouble dans notre correspondance. C’est très ennuyeux. Je ferai tout ce que je pourrai pour l’éviter. Adieu, Adieu.

Je vais réellement me mettre sur mon lit. J’ai la tête lourde, et le cœur barbouillé. Adieu. Je ne fermerai pourtant ceci qu'après avoir reçu mon courrier.

10 heures
Je vous ai écrit mardi matin une longue lettre. Je ne comprends pas ce retard. Votre poste de Francfort est insupportable, et je ne mérite aucun reproche. Je ne vous ai pas écrit le dimanche 10, en arrivant à Paris, parce que ma lettre écrite au Val Richer la veille 9, partait de Paris pour Francfort précisément ce même jour Dimanche 10. C'était donc deux lettres qui vous seraient arrivées le même jour. Peu aurait importe si j’avais eu quelque chose de nouveau à vous dire. Mais je n'avais rien. Je suis très contrarié de votre ennui. Vous aurez certainement eu ma lettre du mardi 12, écrite en partie le lundi, tard en partie le mardi matin. Adieu, adieu.
Adieu, dearest. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham Park Mercredi 2 août 1848
Midi

J’ai eu votre lettre à 10 heures en sortant de la prière. Je m'afflige, mais je [ne] me plains pas de sa tristesse. Ni Montaigne, ni Pascal, ni La Bruyère, ni personne n'a dit la moitié de ce qu’il y a à dire sur les contradictions et les incohérences dont notre cœur est plein. Les livres sont toujours, si au-dessous des personnes, et les paroles des réalités. J'en reviens à ce que je vous disais hier matin ; si nous nous étions toujours tout dit, si nous nous disions toujours tout, nous éviterions bien des chagrins, et nous supporterions bien mieux, ceux que nous n'éviterions pas. Voulez-vous que nous essayions une fois de nous dire tout ? Cela se peut-il ? J’ai fait mon voyage sans accident. Sauf un peu de pluie qui pénétrait dans les glaces mal jointes des voitures de seconde classe du railway. Car je me suis mis dans une voiture de seconde, classe très passable d'ailleurs. J’ai trouvé que plus d’une livre, pour cinq personnes était une économie à faire. M. Hallam et sa fille qui venaient par le même train se sont un peu étonnés. Mais c’est un étonnement qui ne me nuit pas. Je suis ici dans une bonne et grande maison de Country gentleman. Sir John est parfaitement content de deux choses, de sa maison et de me la montrer. Orgueilleux d'être anglais. Orgueilleux de descendre d’un Français. Des souvenirs de France étalés avec une complaisance affectueuse au milieu des conforts d'Angleterre. Et au bout de la pièce d’eau qui orne le parc, un pavillon portant mon nom. Whig, et whig plus vif que je ne croyais, il me pardonne tout puisque je lui fais le plaisir d'être son cousin. Mais il veut me réconcilier avec Lord Palmerston. Il m’en a dit hier tout le bien imaginable.
Vous avez raison ; l'Angleterre est heureuse. Tout lui tourne bien. Mais elle a droit d'être heureuse, car elle se conduit bien. Je ne connais pas de justice plus complète que celle de Dieu envers l’Angleterre à propos de l'Irlande en ce moment. L'Angleterre fait honnêtement sensément, courageusement depuis 30 ans, tout ce qu'elle peut pour soulager les maux de l'Irlande, les maux qu’elle lui a faits depuis 300 ans. Elle n'y réussit guères. L'Irlande reste pour elle, un fardeau énorme, une plaie hideuse. Et en même temps que l’ancien crime est puis le bon vouloir actuel est récompensé. L'Irlande ne vient pas à bout de devenir, pour l'Angleterre un danger. La bêtise irlandaise vient en aide à l'impuissance de la sagesse anglaise. Le volcan gronde toujours et n'éclate jamais. Il faudra un temps immense à l'Angleterre bien intentionnée pour guérir le mal et se guérir elle-même du mal de l'Irlande. Mais elle y réussira, si elle en a le temps, et j'espère que Dieu le lui donnera, car elle le mérite. Plus je regarde cette société-ci, plus je lui porte d'estime, et lui veux de bien. Il y a dans la maison., M. Hallam, son fils et sa fille, un dean d'Ely et sa femme. On attend demain l’évêque de Norwich, et je ne sais combien de Stanley. Nous étions déjà 21 ce matin à déjeuner. J’écris à lord Fritz-William pour décliner son invitation. J'attends impatiemment des nouvelles d'Italie. Il est clair qu'entre Autrichiens et Piémontais la mêlée est vive, et qu'aux dernières nouvelles il n’y avait point de vainqueur. Je ne connais rien de plus ridicule que cet immense bruit que font partout les Italiens, laissant d'ailleurs le Roi de Sardaigne à peu près seul aux prises avec l’Autriche. Et si le vieux gouvernement Autrichien avait eu la moitié de l’énergie de son vieux maréchal Radetzky, il aurait certainement réprimé un mouvement si superficiel quoique si général. Je doute beaucoup que Cavaignac ait inventé et suive, dans cette affaire italienne la bonne politique que vous faisiez si bien l'autre jour. Adieu. Adieu. La poste part d’ici à 3 heures, après le luncheon, on ira se promener. Il ne pleut pas. Le pays n’est pas joli. Mais au dessus de beaucoup de navets, il y a beaucoup d'arbres. C’est bien Wymondham. Adieu. Adieu. On n'a pas encore ici le Times de ce matin. Tenez moi bien au courant de votre santé. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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369. Londres, Vendredi 15 mai 1840

Une heure
Votre fils va bien. Brodie devait l’autoriser à sortir en voiture aujourd’hui ou demain. Je saurai avant de fermer ma lettre, si en effet, il est sorti. Il a eu une petite indigestion, uniquement pour avoir trop copieusement dîné. Mais sans aucune suite fâcheuse.
Vous me dites aujourd’hui : " N’essayez pas de voir mon fils, cela le troublerait." C’est ce que j’ai pensé dès le premier jour.
Je ne vous en veux point. Je vous pardonne tout. Je reste surpris et triste. Vous souvenez-vous de ce que disait la petite Princesse men éfonne Dunfultass? J’ai cette folie de vouloir que ce qui est beau soit parfait.

3 heures et demie
Je reviens de Buckingham-Palace. J’avais des lettres à remettre à la Reine. Comme de raison, Lord Palmerston l’a fait attendre un quart d’heure seulement. J’ai été heureux jusqu’ici. Il a toujours été avec moi d’une ponctualité exemplaire. Je ne l’ai pas encore attendu plus de dix minutes. Il y a cinq semaines, je n’avais pas entendu dire un mot des restes de Napoléon. Thiers m’en a parlé le jeudi 7 mai pour la première fois. J’ai vu Lord Palmerston le même jour. Il m’a donné, le samedi 9 l’assentiment du Cabinet, et il a écrit le même jour à Lord Granville. J’ai fait savoir la nouvelle à Thiers, Dimanche 10 par le télégraphe. Il a reçu le lundi 11 mon courrier et communication, par Lord Granville, de la dépêche de Lord Palmerston. Il a présente sa loi le mardi 12 ; et je lui enverrai très probablement ce soir 15 le reglement détaillé du mode d’exécution ; le nom de l’officier anglais qui ira sur notre frégate, porteur des ordres du Cabinet au Gouverneur de St Hélène. Vous avez la chronologie compléte de cette affaire.
J’ai été chargé de l’arranger ici. Je l’ai fait. Je ne suis pas chargé des conséquences. Du reste, nous sommes, je crois, destinés à vivre sous un horizon couvert de gros nuages qui  ne portent pas de tonnerre.
Je n’ai pas éte surpris de ne pas voir mon nom dans le discours de M. de Rémusat, et je le trouve assez convenable. Il ne devait y avoir dans ce discours comme il n’y a en effet, que quatre noms : le Roi, Napoléon, la France et l’Angleterre. Ce que j’admire, sans en être surpris c’est l’art avec lequel les journaux, ministeriels ou de la gauche, ont évité de parler de moi à ce propos. Cela m’arrivera souvent. Même quand on m’aura écrit : " Réussissez dans cette affaire et nous vous en laisserons tout l’honneur."
Moi aussi, je suis préoccupé de l’été qui commence et de ce qu’il peut apporter dans ma destinée. Mais ma situation est claire pour moi et ma résolution arrêtée. Je suis donc préoccupé sans agitation. Un homme d’assez d’esprit m’écrit : " On connait ici tout l’avantage de votre position, on l’admire et on l’envie. Vos amis sont peut-être ceux qui s’en arrangent le moins. Ils trouveraient assez bon que quelque cause de mécontentement vous ramenât à Paris afin que vous passiez leur dire ce qu’ils ont à faire. Il n’y a de direction nulle part. Le ministère manque complètement d’assiette. La gauche n’en sait pas encore assez long pour se conduire sagement ; et la droite paye en détail pour ses lachetés précédentes. Restez bien longtemps le plus loin possible de ces misères et gardez le moins de pitié possible pour les détresses de l’amitié.
Qu’en dites-vous ? Pourtant je me méfie de ce conseil, car c’est mon penchant. Je ne veux pas devancer d’une minute la nécessité ; mais je ne veux pas lui manquer.

5 heures
Votre fils n’est pas sorti à cause de la pluie, et aussi par prudence. Il ne sortira probablement pas avant Lundi. Mais il va de mieux en mieux. Je ne doute pas qu’il ne préfère aller à Paris, et ne vous engage à l’y attendre. Adieu. Je vous ai écrit hier à Boulogne et à Douvres, poste restante. Adieu. Adieu
Réposez-vous.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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368. Londres, Jeudi 14 mai 1840

Votre fils va bien. La convalescence suit son cours régulier. Je ne vous dis rien de plus parce qu’il n’y a rien de plus à dire. Je vous ai toujours dit la vérité et je n’ai rien negligé pour la savoir au moment où vous m’écriviez Lundi cette lettre dont je suis blessé, j’étais dans ma voiture à la porte de Brodie, attendant, M. Herbet que j’avais envoyé causer avec lui, et qui m’a rapporté les détails que vous avez reçus hier. Adieu. Ceci est la répétition d’une lettre que je vous adresse en même temps à Boulogne. Si vous êtes partie aujourd’hui, je doute que ma lettre de Boulogue vous arrive. Vous trouverez celle-ci à Douvres. J’écris poste restante. Adieu
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