Archives Marguerite Audoux

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Lettre de Marguerite Audoux à Antoine Lelièvre

Auteur(s) : Audoux, Marguerite

Description
Octave Mirbeau affaibli - Lette - Difficulté à écrire - Louise et Georges Roche - René Dugué
Texte

[Paris,]6 mai 1916[1]

Mon cher ami,

Ne croyez pas que je vous oublie. Depuis la longue lettre que vous m'avez envoyée au moment de votre départ[2], nous avons souvent parlé de vous ici, mais écrire est une chose presque impossible pour moi. Vingt fois déjà j'ai pris la plume et chaque fois je suis restée abrutie devant mon papier.
Avec Mirbeau aussi je parle souvent de vous. Il me charge toujours d'un tas de bonnes choses à vous dire et je n'en fais rien. J'espère que vous ne m'en garderez pas rancune et que vous voudrez bien me donner des nouvelles de votre santé. Parlez‑moi aussi de la petite Lette. Comment a‑t‑elle pris cette séparation[3] ?
Ici, c'est toujours la même chose. Je travaille un peu. C'est‑à‑dire que j'essaye de travailler pour oublier la tuerie de chaque jour, mais je ne crois pas à du bon travail.
Ma Louise va partir ces jours‑ci pour Lourdes chez ses beaux‑parents, car la vie devient impossible à Paris pour elle. Son Roche[4] a eu la chance d'échapper jusqu'alors, et son fils[5] aussi, mais je vous laisse à penser dans quelles transes elle est constamment. Son pauvre corps qui avait repris une forme est maintenant redevenu une chose presque inexistante.
Mirbeau ne va pas bien non plus. Il s'affaiblit terriblement. Il ne veut plus entendre parler de sa si belle maison de Triel. Tout lui est égal. Il passe son temps à regarder dans la rue, assis près de la fenêtre, et il rumine silencieusement. La guerre le tue à petit feu. Il regimbe de moins en moins et j'éprouve un affreux serrement de cœur chaque fois que je le vois.
Si cela vous est possible, dites‑moi où vous êtes afin que je me sente plus près de vous.
J'ai l'impression que vous êtes dans un pays étranger et que je serai longtemps sans vous voir, tandis que si je sais dans quelle région vous vous trouvez, je vous suivrai sur la carte comme mes autres poilus.
Au revoir, bonne santé surtout, et croyez que je reste votre amie très affectueuse.

Marguerite Audoux

[1] Lettre reçue le 7

[2] Lettre non retrouvée. Lelièvre serait donc reparti pour la guerre. Son épouse lui a donc fait suivre la présente lettre, ou l'aura gardée pour la prochaine permission, puisque l'adresse est celle de Mayenne.

[3] Le nouveau départ de Lelièvre

[4] Georges, son mari

[5] René

Lieu(x) évoqué(s)Lourdes, Paris, Triel-sur-Seine (alors en Seine-et-Oise, actuellement dans les Yvelines)

Géolocalisation

Notice créée par Bernard-Marie Garreau Notice créée le 17/12/2017 Dernière modification le 14/03/2025