Lettre de Gabrielle Réval à Marguerite Audoux
Auteur : Réval, Gabrielle
Description
- « Odette MAUREL, de son nom de plume : Marion GILBERT, est née le 4 août 1876 à Montivilliers (Seine-Maritime) dans un foyer protestant. Son père, le pasteur Théophile Maurel, était issu d'une longue lignée de pasteurs protestants descendants d'un célèbre encyclopédiste italien : Fortunatus de Felice (1723-1789), établi comme imprimeur à Yverdon (Suisse). Sa mère, Marguerite-Hélène Bowes, d'origine anglaise, devait la laisser orpheline à trois ans, en 1879, lui laissant aussi un frère, édouard Maurel, de cinq ans, et une sœur, Madeleine Maurel, de neuf ans, laquelle sera plus tard sa collaboratrice dans de nombreuses traductions de romans anglais.Marion Gilbert fut élevée par sa tante, Anna Maurel, professeur de piano à Bolbec (Seine-Maritime), qui eut une grande influence sur sa formation, son goût pour la musique et l'affirmation de sa vocation pour la défense des femmes. Après ses études secondaires, elle devient professeur de piano à Bolbec qu'elle ne quittera pour Paris, en 1902, à vingt‑six ans, qu'à l'occasion de son mariage avec un ingénieur agronome : Léon Bussard.Sa vie, dans cette petite ville manufacturière (filatures) de Haute Normandie au contact, à la fois, de la bourgeoisie provinciale et des jeunes ouvrières asservies par le patronat industriel, d'une part affermit ses orientations féministes, et, d'autre part lui fournit un trésor de connaissances de ces milieux qu'elle utilisera tout au long de sa vie pour constituer la trame de son œuvre littéraire.Cette jeunesse passée en Normandie, dans le pays de Caux qu'elle adorait, marque également son œuvre. C'est le lieu où se déroulent la plupart de ses romans dont les personnages sont très typés et très marqués par leurs racines.Au cours de sa jeunesse à Bolbec, elle intervient dans la vie artistique et intellectuelle de cette petite ville, participant à des concerts, pratiquant la peinture mais aussi écrivant des articles pour les journaux locaux et préparant les éléments de son œuvre littéraire future.La plupart de ses romans se déroulent dans le Pays de Caux (Haute-Normandie). Les noms de ces villages et de ces bourgs normands sont modifiés mais aisément décryptables : Beuzeboc pour Bolbec (Du Sang sur la Falaise, Les Scandalisés, etc.), Raymesnil pour Luneray (La Barrière, etc.).Deux sujets sont omniprésents dans l'œuvre de Marion Gilbert : la Nature (Normandie) et le Devoir.La Normandie, avec ses paysages changeants, cette extraordinaire floraison printanière, la verdeur humide permanente, la dureté du climat entrecoupée d'extraordinaires rayons de soleil, ses nuages sortis d'un tableau de Boudin, sont l'arrière-plan de toute son œuvre. Mais cette nature n'est pas seulement un " décor " ; elle entre directement dans la structure de ses personnages et modèle leur être : leur lenteur et leur rudesse, leur parler économe de mots. En somme, ses héros sont marqués par leur origine ethnique : des Calètes (fondamentalement Celtes), pour le plateau cauchois, et des Nordmen (Vikings) pour la côte, et par la terre qui les entoure.Sa vie à Bolbec, jusqu'à vingt-six ans, lui a donc permis une connaissance intime de la bourgeoisie provinciale, particulièrement protestante, comme elle, et à laquelle elle était apparentée. Cette filiation lui a probablement laissé un fond contestataire, commun dans ce groupe social, qui l'a très vite poussée à adopter la cause des faibles et des exploités, au premier chef des femmes, dont l'asservissement était particulièrement sévère à la fin du XIXe siècle.Si la situation légale des bourgeoises était scandaleuse, celle des jeunes ouvrières confinait à l'esclavage. Devant ce tableau qu'elle voyait tous les jours, Marion Gilbert a été conduite à prendre une position de féministe de combat qu'elle a conservé jusqu'à la fin de sa vie.Mais ce militantisme de défense des droits humains, elle l'a exercé pour d'autres causes, comme dans l'affaire Dreyfus qui a si profondément divisé la bourgeoisie française à la fin du XIXe siècle. Elle a été une fervente dreyfusarde, ce qui était, il est vrai, plus facile dans les milieux protestants qu'ailleurs.Attirée par le journalisme, Marion Gilbert fut amenée à prendre la plume, rédigeant des articles d'actualité, des essais et des études pour diverses revues. Pour bien montrer qu'elle savait ce qu'elle voulait, elle avait avoué à un confrère que ce nouveau métier : l'écriture, elle ne l'avait pas tant choisie que " préférée ", étant ainsi assurée de pouvoir mieux s'exprimer que comme musicienne, afin de réaliser son œuvre.En 1902, Marion Gilbert quitte la Normandie pour Paris où elle se marie avec un ingénieur agronome : Léon Bussard, qui vient de créer, avec un collègue, E. Schribaux, le premier laboratoire officiel d'essais et de contrôle des semences du Ministère Français de l'Agriculture. Dès lors, toute sa carrière se déroulera à Paris, jusqu'à son décès, en 1951.Après la naissance de ses deux premiers enfants : Claude (1903) et Olivier (1905), elle se consacre au journalisme par des contes et des chroniques au Petit Journal et à La Petite République, à Paris.Elle écrit également deux ouvrages de technique agricole, sous le nom d'Odette Bussard : Le Livre de la Fermière (Baillière) et Comment Vivre de son Jardin (Baillière), ce dernier ouvrage étant destiné aux personnes frappées par la guerre et soumises aux restrictions alimentaires.Cette période : de 1902 au début de la guerre (1914) fut très féconde pour Marion Gilbert, à côté de ses activités journalistiques. Elle publia son premier roman : Du Sang sur la Falaise (1913), commença son œuvre de traductrice de l'anglais aidée de sa sœur (Madeleine Duvivier, pseudonyme) avec Dickens (David Copperfield, etc.)Du Sang sur la Falaise, relatant des faits anciens de façon déguisée, provoqua un scandale à Bolbec au point qu'un notable fit acheter tous les exemplaires disponibles pour tenter d'en stopper la diffusion. Ce roman, à la fois régionaliste et de moeurs, fut publié en 1913.Pendant la guerre 1914-1918, Marion Gilbert se consacra surtout au journalisme, particulièrement consacré au sort des femmes durant cette période dramatique. Elle prépara certains de ses romans qui allaient paraître après cette guerre. Durant cette période allait naître un troisième fils : Alain Bussard (auteur de ces lignes).Son activité littéraire et journalistique allait commencer à faire connaître Marion Gilbert dans les cercles littéraires parisiens et aussi dans le milieu féministe français où elle se faisait de nombreux amis dont, entre autres, Marguerite Durand, dont la bibliothèque a constitué un fonds essentiel pour l'histoire du féminisme (voir références pour en savoir plus).La période 1920-1940 fut la plus féconde pour Marion Gilbert. Elle publia seize romans (dont une biographie historique), trois livres de contes, un livre d'enquête féminine et un recueil de poèmes. C'est à cette époque qu'elle s'établit comme une importante romancière dont de nombreux ouvrages furent traduits à l'étranger (Italie, Norvège, etc.).Son roman le plus célèbre fut Le Joug (1925) qui manqua de peu le Prix Femina et obtint en Angleterre le prix Northcliff, l'équivalent du prix Femina. Cet ouvrage fut tiré à plus de cinquante‑cinq mille exemplaires.Marion Gilbert était au centre d'un cénacle littéraire très actif avec de nombreuses amies romancières comme Colette, Lucie Delarue-Mardrus et tenait un salon littéraire très fréquenté où l'on se réunissait une fois par mois à Paris.Militante du droit des femmes, Marion Gilbert fut une active féministe combattant pour le droit de vote des femmes et membre des organismes dirigeants de ces mouvements en France et à l'étranger.Dans le même esprit, elle fonda, avec Aurore Sand (petite-fille de George Sand), le Club George Sand qui créa un prix annuel destiné aux jeunes artistes. Ce club, bien que marqué de féminisme, n'avait, comme son illustre patronne, aucun ostracisme anti-masculin et était un devancier des tendances actuelles vers la parité, il admettait donc, sans restriction, les hommes et nombreux furent ceux-ci parmi les récipiendaires des prix du Club George Sand.Elle fonda également une autre association : le Club des " Belles Perdrix ", destiné à réunir les femmes gastronomes exerçant par ailleurs une profession (littéraire, artistique, etc.). [1]Vers la fin de cette époque brillante et si active, une deuil brutal et terrible frappa irrémédiablement Marion Gilbert : la mort de son fils aîné, Claude Bussard, à trente‑trois ans. C'était un brillant ingénieur et inventeur, doué de nombreux dons créatifs scientifiques. Il était adoré par sa famille. Marion Gilbert, à la suite de ce deuil, écrivit une série de poèmes qu'elle réunira sous le titre Mon Tombeau[2].L'entourage de Marion Gilbert était grandement cosmopolite, d'abord par sa famille. Sa mère, Helen Bowes était d'origine anglaise et elle avait une sœur et plusieurs neveux et nièces anglais. D'autre part, ses romans et ses attirances culturelles l'avaient liée à l'Italie, la Pologne, la Hongrie, etc.De plus, son milieu était très attaché aux valeurs libérales et à la gauche française. Son mari avait été secrétaire et collaborateur d'Aristide Briand lorsque celui-ci était rédacteur en chef de La Lanterne, journal libéral des années 1890.Marion Gilbert fut donc très inquiétée par la montée des périls et les succès du fascisme et du nazisme qui précédèrent la deuxième guerre mondiale (1939-1945). Le désastre militaire français de juin 1940 l'affecta, ainsi que son mari, profondément. Très anti-vichyssoise et ardemment gaulliste, il fallut même la protéger contre elle-même alors qu'elle avait commencé à arborer l'étoile jaune en 1942 afin de protester contre la discrimination que Pétain et les Nazis introduisait en France à l'égard de nos concitoyens juifs*.En 1943, Marion Gilbert perdit son mari, Léon Bussard, après quarante ans de mariage, exemple d'une union passionnée, basée sur la communauté intellectuelle et morale et le partage de toutes les joies et drames de la vie.Pendant l'occupation de la France, Marion Gilbert ne publia aucun texte important mais prépara des romans qui furent publiés dès la fin de la guerre : La Tournée Marjolaine[3], La Chambre Ardente (1947), Flora (1948).Avec Les Scandalisés, publié un an avant sa mort, Marion Gilbert revint à ses sources de jeunesse en plaçant ce roman à nouveau à " Beuzeboc " (Bolbec) dans ce milieu de la bourgeoisie protestante dont elle était issue mais avec un ton plus détaché et apaisé. Son héros est un homme d'âge et de sagesse confronté à l'opinion publique intolérante d'un bourg normand. C'est une solution consolante et pacifique qu'elle choisit, témoignant d'une certaine sérénité que l'âge lui avait apportée.Marion Gilbert s'éteignit à Meudon, près de Paris, le 16 mars 1951, après une courte maladie. Elle restera comme une importante figure de la littérature féminine française du XXe siècle ainsi que du mouvement féministe de la première moitié de ce siècle.Les archives de Marion Gilbert ont été déposées à la Bibliothèque Marguerite Durand à Paris (75013). Un fonds " Marion Gilbert " y a été créé. Voir " pour en savoir plus ". Une rue de Bolbec (Seine-Maritime, France) porte son nom.Décembre 2000 Alain BUSSARD (son fils)* note d'Alain Bussard : ce qui ne me convenait nullement alors que j'étais activement impliqué dans la Résistance. »SITE MARION GILBERT, BIOGRAPHIE (http://perso.orange.fr/marion.gilbert/biographie.html)[1] C'est nous qui soulignons.[2] Ou plus exactement : Son Tombeau[3] La Tournée de Marjolaine est de 1944.
- Gabrielle Réval (1870‑1938), connue en son temps, est l'épouse de Fernand Fleuret, écrivain qui laissera peu de souvenirs, hormis ceux consignés dans les mémoires des invités de leurs salons littéraires, dont celui de la Villa Mirasol qu'ils ont fait construire en 1908 à Cap d'Ail. Ancienne normalienne, Gabrielle Réval, avec Mmes Georges de Peyrebrune (Présidente), Jean Bertheroy, Judith Gautier, Jeanne Marni, la baronne de Pierrebourg, Séverine et Marcelle Tinayre, fait partie du jury du Femina, pour la « littérature en prose » (Voir Leroy, Géraldi et Bertrand‑Sabiani, Julie, La Vie littéraire à la Belle époque, PUF, Perspectives littéraires, 1998, p. 269). Elle s'inscrit parmi ces femmes qui « mettent à profit leur formation universitaire pour écrire des romans à clefs : Gabrielle Réval livre dans Les Sévriennes (1900) [ouvrage que nous possédons avec un envoi à Marcelle Tinayre] sa connaissance de l'école normale féminine récemment fondée, et dans Lycée de jeunes filles (1901), son expérience de professeur en province. Ces succès de librairie ont‑ils compensé son échec à l'agrégation et ses déceptions professionnelles ? » (Ibid., p. 279).
- Marguerite Audoux lauréate du Prix du Club des Belles Perdrix - Rappel du Femina de 1910
Texte
11bis av. Colonel Bonnet
Tél. Aut. 82-74[3]
Chère Madame et chère confrère [sic],
Le Club des Belles Perdrix[4], composé uniquement de femmes de lettres, a décerné, au cours de sa dernière séance, plusieurs prix littéraires. L'un de ces prix d'une valeur de cinq cents francs[5] vous a été attribué en témoignage d'admiration et de sympathie pour votre œuvre.
Je me fais un plaisir, chère Madame, de vous adresser ce prix (sous forme d'un chèque sur le Crédit lyonnais, que vous trouverez ci-joint).
Je me rappelle avec joie, ainsi que Marcelle Tinayre et Lucie Delarue-Mardrus, parmi les Perdrix, que notre jury du Prix Fémina salua le premier votre beau talent[6]. Maintes fois j'ai eu l'occasion de m'entretenir de vous, à Bruxelles avec Neel Doff, dans le Midi avec la charmante femme qui fut la fée de Menton[7], mais jamais je n'ai eu le plaisir de vous rencontrer. Je me félicite aujourd'hui, chère Madame, d'avoir été choisie par mes collègues et amies des Belles Perdrix pour vous annoncer cette bonne nouvelle.
Croyez à mes sentiments très sympathiques.
Gabrielle Réval
Ci-joint un chèque Crédit lyonnais n° A 323086 dont je vous prie de m'accuser réception d'un mot.
[1] Ces deux mots sont imprimés en bleu, ainsi que 19.
[2] Lettre parvenue à destination le 28
[3] ADRESSE : à LA MEILLEURE BECQUéE (imprimé entre le lieu de création suivi de la date et les coordonnées manuscrites) a été rayé.
[4] Cette association féministe, destinée à l'origine à réunir les femmes gastronomes exerçant par ailleurs une profession (littéraire, artistique, etc.) fut fondée par Marion Gilbert (1876‑1951). Sur Marion Gilbert, dont la vie et l'œuvre reflètent bien le contexte dans lequel évolue Gabrielle Réval, voir la partie DESCRIPTION
[5] Quelque trois cents euros de 2020
[6] Les deux romancières, avec Gabrielle Réval, ont fait partie des vingt‑et‑une femmes membres du prix Vie heureuse, institué à quelques jours des deux prix littéraires créés par Femina (voir la partie DESCRIPTION), et qui ne se limite pas à des lauréates féminines (Voir Leroy, Géraldi et Bertrand‑Sabiani, Julie, La Vie littéraire à la Belle époque, Op. cit., p. 270).
[7] Il s'agit sans doute de Katherine Mansfield (1888‑1923), l'écrivaine – admirée par Virginia Woolf ‑ qui fréquenta Menton à la fin de sa courte existence, et à laquelle le nom de la ville est resté attaché. Yvonne Arbogast (la fille des hôteliers de l'Hôtel des Anglais qui recevaient Mirbeau, une inconditionnelle du romancier et de Marguerite Audoux) n'écrit‑elle pas à Paul d'Aubuisson que Katherine Mansfield « est à Menton ce que les berlingots sont à Carpentras »… [Voir Garreau, Bernard‑Marie, « La Correspondance d'Yvonne Arbogast avec Paul d'Aubuisson : portrait épistolaire d'une mirbeauphile », in Cahiers Octave Mirbeau n° 11, mars 2004, p. 245-262 (p. 251 pour ce passage)].
Lieu(x) évoqué(s)Menton, Paris