Archives Marguerite Audoux

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Carte postale et lettre de Marguerite Audoux à Antoine Lelièvre

Auteur(s) : Audoux, Marguerite

DescriptionGeorge Besson - Octave Mirbeau très malade - Docteur Albert Robin - Alice Mirbeau - Louise et Georges Roche - Lucile et René Dugué - Lette
Texte

[Paris,] Dimanche 3 décembre 1916[1]

Mon bien cher ami,

Pardon et encore pardon de vous avoir oublié si longtemps. Il a fallu que je rêve de vous cette nuit pour que votre souvenir remonte brusquement des profondeurs où il se cachait sous les soucis de toutes sortes.
Dans mon rêve vous vous plaigniez du froid. J'espère que vous n'en souffrez pas trop et que vous êtes bien portant..
Je vous envoie les pipes de B[esson] Les deux en bruyère sombre sont de première qualité, et B[esson] me les a données spécialement pour vous. Si vous vous trouvez trop bien partagé, faites un autre heureux. Je suis un peu honteuse d'avoir tant tardé à vous les envoyer, mais vraiment tant de choses laides ont passé sur moi et autour de moi depuis quelque temps, que je vous demande d'être un peu indulgent. Vous savez que je vous aime profondément malgré mes airs négligents.
Encore une mauvaise nouvelle, mon bon Lelièvre. Mirbeau est de plus en plus mal. Une double congestion pulmonaire l'a courbé en deux voilà bientôt un mois et en[2] a fait un pauvre être étouffant et souffrant le martyre. Robin[3] ne donne pas d'espoir malgré un mieux apparent. Je reste souvent des heures auprès de lui et je ne suis pas toujours sûre d'être reconnue. Je tâche de me rendre utile à Mme Mirbeau en lui faisant quelques courses par‑ci par‑là, et en restant près du malade lorsqu'elle est obligée de sortir.
Pour qui a connu Mirbeau encore plein de vigueur, pour qui a su regarder ses yeux de tendresse dans sa face de souffrance, c'est une peine profonde de voir maintenant ce qu'il en reste. Quand il lève sur moi ses pauvres yeux sans regard, je lui sourie, mais j'ai une grande envie de pleurer qui me prend chaque fois.
Ma Louise est de retour. J'espérais qu'elle resterait à Lourdes jusqu'à la fin de la guerre[4] mais elle ne pouvait plus entendre les prières de ses parents, et l'idée que son fils est un « bienheureux au ciel, d'où il protège les siens sur la terre » lui apportait plus de colère que de résignation. Elle ne rapporte pas une santé trop brillante de là‑bas, et comme le malheur l'a frappée dans son enfant, elle s'imagine qu'il continuera en la frappant dans son mari. Vous souvenez‑vous du brave Roche que vous avez vu ici ? Le pauvre gars vient de sauter avec l'ambulance où il était électricien. Il n'a rien eu de cassé pour sa part, mais il est resté avec un corps tout bleu pendant deux semaines.
Ma petite Lucile[5] commence à moins pleurer, et moi j'oublie déjà ce bon petit René[6] que j'aimais bien. Une autre mort[7], et la maladie de M[irbeau] prennent toute ma pensée pour l'instant et font de moi une créature bien abrutie.
Et vous, comment ça va ?
Avez‑vous jamais pensé à devenir un officier d'administration dans l'aviation ?
Dans mon rêve de cette nuit je vous offrais une chaude couverture pour vous envelopper, mais au fur et à mesure que nous la déroulions, elle devenait une étoffe de soie merveilleuse de couleur et de finesse, et vous me disiez avec un peu d'amertume :
« Envoyez‑la à Lette qui aime les jolies choses car pour me tenir chaud il faut des couvertures plus épaisses. »
Au revoir, je vous embrasse bien affectueusement.

M. Audoux

[1] La carte et la lettre sont envoyées le 4.

[2] Avant le en, un l' est rayé.

[3] Il s'agit du Dr Albert Robin. C'est l'époque à laquelle Alice Mirbeau, la femme de l'écrivain, choisit de s'installer au 1 de la rue Beaujon, à Paris, juste en face de la maison du médecin [voir Michel (Pierre) et Nivet (Jean‑François), Octave Mirbeau, l'Imprécateur au cœur fidèle, Séguier, 1990, p. 915].

[4] Voir les lettres 236 (quatrième paragraphe) et 238 (avant‑dernier paragraphe)

[5] Lucile Dugué, la fille de Louise Roche

[6] Le frère de Lucile, qui est mort au front. (Voir le début de la lettre 240).

[7] Décès non identifié

Lieu(x) évoqué(s)Lourdes, Paris
État génétiqueVoir la note 2 de la partie TEXTE

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Notice créée par Bernard-Marie Garreau Notice créée le 17/12/2017 Dernière modification le 14/03/2025