Archives Marguerite Audoux

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Lettre de Marguerite Audoux à Antoine Lelièvre

Auteur(s) : Audoux, Marguerite

Description
Sur sa santé et celle de Paul - Huguette et Jacques Lelièvre - Annette Beaubois - L'Atelier - Décès de Georges Roche - Les Cahiers d'aujourd'hui - Werth (son œuvre, son mariage) - Voeux
Texte


[Paris,] 4 janvier 1923[1]

Non, mon bien cher ami, je n'ai pas juré de vous laisser dans l'ignorance de ce que je deviens, et je m'en veux de vous avoir rendu inquiet à mon sujet. Sans doute ma main a été paresseuse, mais, depuis votre lettre de septembre,[2] si vous aviez pu entendre ma pensée, vous n'auriez pas trouvé que j'étais une amie silencieuse. C'est que dans le même moment mon fils adoptif[3] a eu la mauvaise idée de se casser la jambe. Cela lui est arrivé à l'atelier où il apprend le métier d'orfèvre. Il est tombé avec un triboulet (pièce de fonte de 40 kilos dont se servent les orfèvres) et naturellement ce n'est pas le triboulet qui a cédé. Le voici guéri. Pas très solide encore cependant, mais tout à fait en bonne voie. Je n'ai pas besoin de vous dire que les tourments et la fatigue m'ont tenu fidèlement société pendant les deux mois où l'enfant est resté alité. Et pour que la fête soit complète il y avait l'ennui du petit blessé, un ennui noir que je n'arrivais pas toujours à éclairer. C'est un gosse gentil au possible que mon Paul, mais comme tous les gosses, il n'acceptait pas facilement son immobilité.
Nous nous entendons bien tous deux, pourtant, et il a une confiance en moi que d'autres ébranleraient difficilement. De plus, en dehors de ses défauts d'enfant, c'est un garçon intelligent et courageux, et gai, par‑dessus le marché. J'en ferai un homme, si Dieu me prête vie encore[4] quelque temps.
J'espère que cette lettre‑ci vous parviendra, car si j'ai bien compris vous n'avez pas reçu celle de l'an dernier[5]. J'y avais pourtant joint la photo de mes trois garçons réunis. Trois frimousses expressives en diable. Je voulais vous montrer qu'il n'y avait pas que vous qui aviez de beaux enfants, papa orgueilleux !
Je regrette que ma lettre se soit égarée.
Votre Huguette est adorable et admirable. Je trouve[6] qu'elle ressemble beaucoup à sa mère, et je pense aussi que sa personnalité ne sera pas mince.
Quant au bon gros Jacques, il vous a un petit air boudeur qui lui va très bien. Il doit être bien changé depuis. Les tout‑petits avancent si rapidement !
À cause des ennuis dont je vous parle, et d'autres[7] aussi, j'avais délaissé Annette Beaubois[8], mais je vais m'y remettre dans quelques jours, car je commence à avoir besoin d'argent. L'Atelier de M[arie‑] C[laire] n'a pas dépassé ses 12 mille. Espérons que sa sœur Annette sera moins paresseuse.
Tout comme vous, mon cher ami, mes yeux m'apportent[9] des surprises. Je suis myope et presbyte. L'oculiste y perd son latin.
Je ne savais pas que Louise vous avait envoyé un faire‑part. La maladie du pauvre Roche a été une chose pénible à voir[10].
Je compte vous envoyer bientôt le n° consacré à Mirbeau par Les Cahiers d'aujourd'hui[11]. Besson m'en a promis un pour vous.
Je lis peu, je n'ai pas le temps. Léon Werth publie un livre chaque année chez Albin Michel. On dit qu'il a un grand talent d'écrivain. Je n'en disconviens pas, étant ignorante et bien incapable de juger un livre, mais je n'aime pas ce qu'il écrit. Cela ne m'empêche pas d'avoir pour lui une bonne affection. Il s'est marié il y a quelques mois, avec la fille d'un commandant[12]. Depuis il écrit dans Excelsior.
Au revoir, mon bien cher ami. Recevez pour vous et les vôtres nos meilleurs souhaits de santé et de bonheur, et pour chacun de vous un baiser bien affectueux.

Marguerite Audoux

[1] Lettre parvenue le 5
[2] Lettre non retrouvée
[3] Paul d'Aubuisson
[4] Un premier encore, qui précède, a été barré.
[5] Lettre dont nous n'avons évidemment pas eu trace, puisque c'est Lelièvre qui a confié celles qu'il avait reçues de la romancière à Paul d'Aubuisson, et que c'est sur cette seule liasse que nous travaillons
[6] Un mot, illisible, est rayé avant Je trouve.
[7] Marguerite Audoux a écrit *de d'autres.
[8] Le troisième roman, qui paraîtra avec le titre De la ville au moulin, chez Fasquelle, en 1926
[9] Ce mot en surcharge un autre, illisible
[10] Le faire‑part concerne donc le décès de Georges Roche, le second époux de Louise, l'amie de toujours de la romancière.
[11] Le n° 9, dans lequel Larbaud a signé l'article « Mirbeau l'essayiste » (p. 131‑134). Voir la note 2 de la lettre 293 de la romancière à Larbaud
[12] Pour mémoire, le 19 août 1922. Sur Suzanne Canard, voir la note 7 de la lettre 258
Lieu(x) évoqué(s)Paris
État génétiqueVoir les notes 4, 6 et 9 de la partie TEXTE

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Notice créée par Bernard-Marie Garreau Notice créée le 17/12/2017 Dernière modification le 14/03/2025