Archives Marguerite Audoux

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Lettre de Marguerite Audoux à Antoine Lelièvre

Auteur(s) : Audoux, Marguerite

Description
  • Fonds d'Aubuisson, chez Bernard-Marie Garreau
  • La famlle Lelièvre - Annette Beaubois - Sur l'adoption de ses trois petits-neveux - Louise Roche - Lucile Dugué - Eugène Fasquelle - Marcelle Vioux
Texte

[Paris,] 3 janvier 1924

Mon bien cher ami,

Oui, j'ai reçu en septembre la photo de vos mignons et de leurs parents. Je croyais bien avoir répondu à votre lettre. Il est vrai qu'à ce moment‑là le désordre était grand chez moi. Un décès inattendu apportant toutes sortes d'ennuis[1], des enfants à recueillir, à placer, une jeune mère à réconforter, à guider dans une pauvre histoire de petit héritage. Et par‑dessus tout ça, mes propres soucis, qui ne sont pas minces.
Elle est épatante, votre Huguette. Jacques est adorable, avec son petit air boudeur. Il n'a pas l'air très satisfait de poser devant le photographe. Peut‑être qu'il sait déjà que le petit oiseau, c'est de la blague.
Je ne ferai pas de compliment au papa, il serait trop content de savoir qu'il est si jeune. Quant à Lette, il semble que son air de douce maman augmente encore ce je‑ne‑sais‑quoi qui la faisait déjà ressembler à la Madone.
Je travaille à mon Annette Beaubois[2], malgré des empêchements multiples. Ça ne va pas très vite, mais tout de même, ça prend tournure. Mes yeux, surtout, me jouent de sales tours.
Je vous envoie mes trois fils[3]. Le grand est l'adoptif[4]. Les deux autres[5] ne le sont pas moins, sans que cela y paraisse. Voici deux ans déjà que le jugement d'un divorce a confié les enfants à leur mère. Le père, condamné à payer 150 fr[6] par mois pour les trois, n'a jamais donné un sou de cette somme pourtant si minime, et je n'ai pas besoin de vous dire quels efforts nous faisons ma nièce et moi pour élever ces trois garçons[7].
Encore un an, et mon Paul aura fini son apprentissage. Cela en fera un de débrouillé, tout au moins en partie puisqu'il gagnera 300 F[8] par mois. Cette photo a été prise en octobre dernier, dans une maison de santé où était soigné notre Roger.
Je vois très rarement Louise Roche. Sa fille lui a fait construire, aux environs de Paris, une maisonnette en bois où elle se plaît à vivre seule. Elle a un jardin grand comme trois fois la main, où elle fait pousser trois petits pois et quatre haricots, et cela suffit à remplir sa vie. Lucile a trouvé le bonheur, pas sur le droit chemin, mais le bonheur[9] est si difficile à atteindre qu'il ne faut pas le laisser échapper, même si on le rencontre dans un chemin tortueux.
Je sais peu de choses de ce qui se fait ou se lit. Mon jardin, où il pousse des enfants, m'absorbe complètement. Je ne m'en plains pas. Du reste, les gens, et je parle de ceux que j'aimais le mieux, ont tellement changé ! – Fasquelle sort d'ici, il est devenu presque un gros homme, doublé d'un gros monsieur. Naturellement, il m'a parlé de Marcelle Vioux[10], avec un sourire bien épanoui.
Au revoir, mon ami. Mes meilleurs souhaits et mes meilleurs baisers pour vous quatre.

Marguerite Audoux

[1] Nous n'avons pu identifier cette personne décédée.
[2] Le futur De la ville au moulin (1926)
[3] C'est‑à‑dire leur photographie
[4] Paul d'Aubuisson
[5] Roger et Maurice (le cadet)
[6] Environ 125 euros (820 francs) du début du XXIe siècle.
[7] Voir la partie DESCRIPTION
[8] Environ 250 euros (1640 francs)
[9] le bonheur se trouve dans l'interligne supérieur, au‑dessus d'un il barré.
[10] Voir la lettre 318. Marcelle Vioux est éditée par Fasquelle.


Lieu(x) évoqué(s)Paris
État génétiqueVoir la note 9 de la partie TEXTE

Géolocalisation

Notice créée par Bernard-Marie Garreau Notice créée le 17/12/2017 Dernière modification le 03/05/2024