Lettre à Alphonse Baudelaire, 6 septembre 1832
Auteur : Baudelaire, Charles
Texte de la lettre
[Lyon] Le 6 [septembre] 1832.
Mon frère,
Qu’as-tu donc, que t’est-il arrivé, es-tu fâché contre moi, es-tu malade ? Voilà deux fois que je t’écris ; tu n’as donc pas reçu ma lettre ? Mais j’ai regardé dans une de tes anciennes lettres et j’y ai trouvé ton adresse. Pour celle que je t’ai écrite il y a quelque temps, croyant que la maison de M. Ducessois était connue à Fontainebleau, j’ai mis sur la lettre chez M. Ducessois. Tu ne m’écris peut-être pas parce que tu ne sais pas où je demeure. Dans ce cas mon adresse est : rue d’Auvergne, numéro 4.
Je suis en vacances, mais c’est comme si je n’y étais pas ; on a eu la détestable idée de me mettre en pension comme le reste de l’année. Ce qu’il y a de pis, c’est que papa m’avait promis de voyager et qu’il n’a pas le temps.
Dis-moi donc positivement ton adresse à Fontainebleau tant que tu y seras et avertis- moi de ton départ. Je crois que tu demeures place des Fossés. Allons, si tu es fâché de ce que j’aie passé le premier du mois, pardonne-moi et redi mecum in gratia. Réponds. Ecris-moi ce que tu fais, si tu vas beaucoup à la chasse. J’avoue que ma sixième a été bien ébauchée. Car je n’ai eu au collège qu’un accessit. Il est vrai que dans la pension j’ai eu des livres, mais qu’est-ce que c’est qu’un prix dans une petite pension ? Mais je vais entrer tout à fait au Collège en 5e et j’espère que je me ferai remarquer.
J’ai reçu deux invitations pour la campagne, mais maman a dit qu’elle ne savait guère si nous irions. Dans toutes mes lettres j’ai oublié de te parler de notre société. Nous ne connaissons pas une Lyonnaise ; toutes nos connaissances se bornent au militaire, à l’intendance et à la gendarmerie. Nous avons dans notre société des personnes aimables et quelques femmes charmantes. Je n’ai pas besoin de te les nommer, cela ne t’intéresserait nullement, puisque tu ne les connais pas. J’ai oublié aussi de te parler de notre logement. Il est charmant ; sans exagérer nous avons une vue des plus belles de Lyon. Tu ne peux pas te figurer comme c’est beau, comme c’est magnifique, comme c’est beau (sic), comme ce coteau est riche, comme il est vert.
Allons, réponds-moi. Adieu. Je t’embrasse de tout mon cœur ainsi que toute la famille.
Ton cadet.
CHARLES.
Maman et papa me chargent de les rappeler à ton souvenir.