Correspondance Baudelaire

Édition électronique de la correspondance de Baudelaire


Lettre à Madame Aupick, 9 janvier 1851

Auteur : Baudelaire, Charles

Texte de la lettre

Transcription diplomatique

Jeudi 9 1851.

 

Voilà plusieurs mois que j’ai résolu de vous écrire. Plusieurs fois déjà j’ai essayé, et plusieurs fois j’ai été obligé de renoncer à ce travail. Mes douleurs incessantes et la solitude de ma pensée m’ont rendu un peu dur et sans doute aussi très maladroit. Je voudrais pouvoir attendrir mon style, mais quand même votre orgueil le trouverait inconvenant, j’espère que votre raison comprendra l’excellence de mon intention, et le mérite qu’il y a à moi à faire près de vous cette démarche qui autrefois m’eût été si douce, mais qui dans la situation que vous m’avez faite vis-à-vis de vous doit être irrévocablement la dernière.
      Que vous m’ayez privé de votre amitié, et de toutes les communications que tout homme a le droit d’attendre de sa mère cela regarde votre conscience, et peut-être aussi celle de votre mari. C’est ce que j’aurai sans doute à vérifier plus tard.
      Mais il y a une certaine délicatesse qui avertit qu’il ne faut pas affecter de vouloir obliger les gens qu’on insulte, ou tout au moins, qui ne vous font rien. Car c’est une nouvelle insulte. Vous devinez que je veux parler de quelque argent qu’a reçu M. Ancelle. Quoi !  il reçoit de l’argent, sans lettre pour moi, sans un mot qui m’en prescrive ou m’en conseille l’emploi. Mais songez donc que vous avez perdu tout droit à la philantropie [sic] vis-à-vis de moi, car je ne peux pas parler du sentiment maternel. Vous avez donc intérêt à montrer des sentiments humains à un autre qu’à moi. Vous avez donc des remords. Moi, je ne veux pas accepter l’expression de votre repentir, s’il ne prend pas une autre forme, et en termes plus clairs, si vous ne redevenez pas immédiatement, et tout à fait, une mère, je serai obligé de faire faire, par un huissier, entre les mains de M. Ancelle opposition à toute acceptation d’argent venant de vous, et je prendrai des mesures pour que cette opposition soit strictement respectée.
      Je ne crois pas que je doive m’attacher à vous faire comprendre l’importance de cette lettre, et de votre réponse qui doit être adressée À moi, À moi, entendez-vous? De cette réponse ou de votre silence dépend ma conduite future vis-à-vis de vous et aussi ma conduite vis-à-vis de moi-même. Je vais avoir trente ans dans trois mois juste. Ceci me suscite beaucoup de réflexions qu’il est facile de deviner. Ainsi, moralement, une partie de ma vie future est en vos mains. Puissiez-vous m’écrire ce que je désire !
      Si vous daignez comprendre l’importance de cette lettre, vous ajouterez sans doute dans votre réponse des informations très exactes sur votre santé.
      Puisque vous avez une si grande influence sur M. Ancelle, vous devriez bien lui dire, quand vous lui écrirez, de me rendre la vie moins dure, et plus supportable.

Je désire, je veux qu’il ne prenne aucune part dans la question que j’agite aujourd’hui avec vous. Je n’accepterai aucune réponse de sa bouche.

 

Charles Baudelaire.

Informations sur la lettre

Date exacte9 janvier 1851
DestinataireAupick, Caroline
LangueFrançais

Information sur l'édition

SourceCPl I, 168
Éditeur numériqueAurelia Cervoni ; Andrea Schellino, groupe Baudelaire, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS), EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)
Mentions légalesFiche : groupe Baudelaire, ITEM (CNRS-ENS), EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Contributeur(s)Catherine Delons
Notice créée par Groupe Baudelaire Notice créée le 24/03/2020 Dernière modification le 22/06/2021