Lettre à Alphonse Baudelaire, 2 décembre 1839
Auteur : Baudelaire, Charles
Texte de la lettre
[2 décembre 1839].
Mon bon frère,
Je t’écris encore pour de l’argent ; mais c’est la dernière fois : j’en resterai là, je l’ai bien décidé.
Voici pourquoi je reviens à la charge : avec le premier argent que tu m’as donné, j’ai payé des drogues et des livres, et j’ai dépensé le reste en spectacles ; mais j’avais étourdiment oublié que je devais une petite dette au tailleur. Quand je suis sorti du collège, mon père m’a dit formellement que toutes les fois que j’achèterais quelque chose, il le faudrait payer comptant. Malheureusement il se sert du même tailleur, et j’ai peur qu’un beau jour il ne lui dise comme par hasard : Charles vous doit-il quelque chose, vous paye-t-il exactement ?
Je vais voir si M. Guérin est chez lui ; j’use une dernière fois de ta permission et je lui demanderai 50 fr.
Je dis une dernière fois, non pour ne pas alarmer ta générosité, mais pour m’imposer l’obligation de ne pas compter toujours sur l’argent d’un autre ; car mon frère ne sera pas toujours.
Dernièrement j’ai déjeuné avec Paul ; et je lui ai rappelé ce que tu m’as dit sur ton avancement ; il s’est mis à rire et m’a dit que tu voulais aller trop vite et qu’il fallait au moins six ans de patience.
Mille choses aimables à ma sœur. Quand j’irai à Fontainebleau, il faudra me faire faire une connaissance intime, qui peut-être à dix-neuf ans n’osera pas demander de l’argent à son père et en demandera à son oncle. Adieu ; porte-toi bien et crois que je me mets à travailler.
CHARLES.