Lettre de Vernon Lee à Mathilde Hecht

Lettre de Vernon Lee à Mathilde Hecht - 27 Octobre 1919

Auteurs : Lee, Vernon (Violet Paget)

Information générales

LangueFrançais

CoteFonds de dotation André et Berthe Noufflard

Nature du documentLettre

SupportPapier

Etat général du documentBon

Les folios

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Dossier génétique

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Lee, Vernon (Violet Paget), Lettre de Vernon Lee à Mathilde Hecht - 27 Octobre 1919, 1919-10-27. Holographical-Lee, Sophie Geoffroy, Université de La Réunion ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle). Consulté le 10/11/2025 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/HoL/items/show/1745

Texte & Analyse

Transcription

Le 27 Oct. XIX

Il Palmerino

San Gervasio

Florence

Bien chère Mathilde,

La jolie interprète (car c’est là, n’est-ce-pas, son signalement ?) de Gluck et de Piccini m’a souhaité ma fête en me rappelant votre commission dont je me souvenais au reste avec un certain effort d’ascétisme, puisque ce n’est que depuis le 14 que j’ai commencé à me délecter de l’admirable chocolat.

J’en ai donné un peu (pas beaucoup je l’avoue !) à Fortunata qui est restée svelte et énergique malgré son prochain rang de mère de famille. J’en ai donné (encore moins) à la femme de Carlo et à ses deux filles que j’ai logées ici à cause de l’exorbitance du loyer de ces pauvres gens. Je n’en ai point donné à Carlo parce que cet homme, si robuste depuis vingt ans s’est remis à cracher du sang et a dû être mis au lit… Je ne pense pas que la chose soit grave, et un traîtement soigné le remettra je l’espère assez vite. Mais cet incident montre combien la dénutrition continue l’ouvrage de la guerre. Les vivres ici arrivent à des prix monstrueux ; et les plus usités dans ce pays, les pâtes et le riz, sont introuvables. L’incapacité et la corruption sont à leur comble, et l’on s’attend à une prochaine recrudescence des troubles et des répressions du mois de Juillet, quand la population a saccagé tous les magasins de vivres et d’autres encore, pour répéter les mêmes violences aux dépens des paysans et des propriétaires. Au moins en Angleterre le rationnement avait mis riches et pauvres sur le même pied, tandis qu’ici tout peut se procurer par des moyens détournés, excepté naturellement le nécessaire. Un mauvais résultat entre bien d’autres de ces troubles auxquels on s’attend à l’intérieur de chaque pays, c’est qu’on oubliera la guerre qui en a été la cause directe : la crainte du bolchévisme est faite (et souvent faite de plein propos) pour rejeter tous les pays dans le militarisme.

C’est l’avis d’Irène F. M. et de son cousin Brentano, que j’ai vus à Zurich.

L’Entente, en réduisant l’Europe centrale à la disette et au chômage forcé (par le manque de matières premières autant que de vivres) la pousse dans une anarchie qui amènera une réaction monarchique des plus formidables, à moins que cette anarchie ne se propage à l’occident pour y produire le même cycle destructeur. Je ne vous parlerai pas du désespoir absolu de ces pauvres gens, qui avaient reposé une foi si illimitée en Wilson et les idées que celui-ci n’a plus. Car Car j’ai bien compris même dans notre courte conversations que malgré votre liberté d’esprit, vous avez subi le mythe qui fait de la guerre l’œuvre d’un seul pays tandis qu’elle n’est que l’accumulation de l’indifférence, de la sottises, des convoitises et malheureusement des beaux sentiments de tous les peuples sans exception. Et tant que cette façon de voir les choses (façon de voir propagée par tous les gouvernements non-révolutionnaires) persiste nous en serons aux procédés qui à leur tour enfanteront des guerres plus horribles encore, comme on semble le faire de gaieté de cœur léger en France.

Et si des luttes économiques s’engagent dans chaque pays, un mythe analogue, une peur et une haine réciproques et insufflées per les mêmes moyens empêcheront les concessions de classe à classe qui seules pourraient nous sauver.

La guerre semble avoir laissé derrière elle une crédulité nouvelle, au lieu d’avoir donné l’éveil à un juste scepticisme…

Voilà des choses auxquelles j’ai peu pensé depuis mon retour quoique tout cela gronde constamment dans l’arrière plan de mes pensées. La première quinzaine de mon retour ici a été une sorte d’entrée dans les régions chantées par les ombres bienheureuses de Gluck… Dans ma maison et tout ce que je vois d’ici, si peu de changement, tant de beauté et de douceur, une si charmante bonne volonté de la part de mes domestiques, une vie si délicieuse de propreté et de détente après les cinq années passées dans des chambres garnies malpropres et parmi des gens maussades. Très fatiguée par ces années, j’ai passé les premiers temps de mon retour ici dans une lassitude qui a été en même temps une béatitude. La guerre et tout ce qui s’en est suivi était devenue un mauvais rêve… J’étais un revenant mais un revenant heureux.

Maintenant les choses du dehors commencent à me reprendre, comme de juste, quoique je n’aie plus ni l’envie du travail ni la foi à mes efforts. Le médecin de Carlo vient de m’interrompre. La chose a été prise au début et n’aura pas de gravité je crois. En attendant me voici quand même sortie des régions élyséennes…

Mon piano est maintenant installé dans ma chambre de travail, agrandie avant la guerre et où je passe ma journée, le reste de la maison condamnée par l’absence de chauffage.

Si vous saviez la joie que j’ai à mes horribles tapotements ! Je me suis mise à relire les premiers quatuors de Beethoven ; et, avec mon amie Miss Wimbush qui joue presque plus mal que moi, nous avons repassé le premier quintette de Mozart et l’adorable trio en mi majeur…

Pensez après cinq ans sans jamais entendre une note !

Ce qui me manque ce ne sont pas les gens (mes amis morts me semblent toujours si vivants !) mais les livres.

Si par hasard vous ou vos enfants tombiez sur un bon nouveau roman, faites moi la charité de l’envoyer. Daniel Halévy me tenait toujours au courant de ce qui se publiait en France !

Maintenant il a d’autres pensées et surtout nos idées ne se rencontrent plus. Je’en suis à relire Le Rouge et le Noir !

Dites à Mary combien son hospitalité m’a été douce et délicieuse : elle m’a semblé merveilleusement rajeunie, la Mary d’il y a 30 ans !

Au-revoir - et merci, chère Mathilde

Rappelez-moi au souvenir de vos enfants et ne m’oubliez pas

Aff^t

Vernon

Contributeur(s)

Geoffroy, Sophie (édition scientifique)
Noufflard, Berthe (copie de la lettre originale)
Walter, Richard (édition numérique)

Présentation

Date1919-10-27

GenreCorrespondance

Mentions légales

Document : Fonds de dotation André et Berthe Noufflard.
Fiche : Holographical-Lee, Sophie Geoffroy, Université de La Réunion ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

Editeur de la ficheHolographical-Lee, Sophie Geoffroy, Université de La Réunion ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle)

PublicationInédit

Informations éditoriales

DestinataireHecht, Mathilde

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Notice créée par Sophie Geoffroy Notice créée le 23/04/2019 Dernière modification le 26/09/2023