230. Nous ne sommes pas des pharaons

Auteur(s) : Sassine, Williams

Les folios

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Sassine, Williams, 230. Nous ne sommes pas des pharaons , 1996/08/19.
Claire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle).
Consulté le 19/04/2024 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/francophone/items/show/3573

Texte de l'article

Transcription

N° 230, 19 août 1996 : « Nous ne sommes pas des pharaons »

D’Aristarque de Samos aux astronomes de 1900, l’humanité a mis vingt-deux siècles pour calculer avec une approximation satisfaisante, la distance de la terre au soleil. 149 400 000 kilomètres. Il eut suffi de multiplier par un milliard la hauteur de la pyramide de Chéops, construite 2900 ans avant Jésus Christ.

La construction des pyramides témoigne d’une technique qui nous demeure jusqu’à présent incompréhensible. Gizeh est une montagne artificielle de 6 500 000 tonnes. Des blocs de 12 tonnes sont ajustés au demi millimètre… »

Ce soir-là, comme de plus en plus de soirs, je n’avais pas envie d’écrire, mais de lire. Et je lisais un bouquin de Louis Pauwels, « le Matin des magiciens ». Mais mon plaisir ne dura pas. Une grosse poufiasse blanche de partout, sauf des dents, racontait dans un coin qu’elle adorait Sankara etc… C’était un héros, l’Afrique devait prendre les armes pour le venger, son successeur n’a pas voulu la recevoir pour un entretien, d’après les rumeurs il n’aimait pas être dérangé « même par les Blanches ». Vous vous rendez compte, camarade … ?

Qu’est-ce que j’avais à foutre ! disait un blanc tout maigre « dans la pêche » au voisin. Ensuite qu’il était venu aider… des choses comme ça et il parlait fort comme si quelqu’un avait quelque chose à foutre de sa coopération.

Un autre racontait que Khomeiny allait ressusciter, que la guerre sainte allait reprendre, même dans les maquis. J’ai haussé les épaules. Un douanier est entré. Il m’a dit : « je n’ai pas pu avoir ton groupe électrogène, mais si tu veux, demain je t’apporte autant de bibles que tu veux pour éclairer ta foi. C’est tout ce que j’ai pu sauver, quand la douane a brûlé ». Il avait l’air sincère le mec. Mais je lui ai dit : « Va te faire foutre ! » Il a commandé deux bières, pendant que deux énergumènes, s’insultaient à cause des dimensions de la basilique du vieux Houphouët. Ils ont fini par demander mon avis. Je leur ai répondu que ça ne m’intéressait pas. Oui, qu’est-ce que j’en avais à foutre ? Nous on cherche à résoudre les problèmes d’un petit barrage à coup de milliards. De toute façon, je bois ni du café, ni du cacao.

Le « pingouin » est entré, avec sa petite tête, ses bras qui traînent. Il paraît que son père était ministre sous le régime Tolbert ou Tubman, et que Samuel Doe avait mangé son pater, c’est lui qui l’affirmait, mais qu’est-ce que j’avais à foutre. Donc le pingouin est entré et il m’a dit : « Tu me payes un Whisky ! ». Je m’en foutais encore. Je n’avais pas un sou. Il ne faut jamais avoir peur quand on n’a rien. Le barman est venu avec la bouteille et il a dit : « Je mets sur votre compte ? » J’ai regardé son cahier de crédits. C’était plein de chiffres bizarres. Et il a ajouté : « Grand-frère, c’est beaucoup ». Je lui ai répondu « Si tu n’as pas confiance, je vais prendre crédit ailleurs. Le crédit ne tue pas » Le barman m’a remercié. Il avait raison. J’avais raison. Tout le monde a raison, quand ça ne va pas. Pendant que le pingouin buvait le faux Whisky, un bègue au fond de la salle parlait : «Bobo Kakassa devait être être libébéré, mais il ne veut veut pa…pas, vous vous rendez comcompte ?»

Qu’est-ce que j’en avais encore à foutre. J’ai repris mon bouquin : « le matin des magiciens ». Donc « le pharaon aurait disposé d’une main d’œuvre colossale. Resterait à expliquer comment a été résolu le problème de l’encombrement de ces foules immenses. Et les raisons d’une aussi folle entreprise. Comment les blocs ont ils été extraits des carrières. Les constructeurs n’auraient disposé que de marteaux de pierre et de scies de cuivre, métal mou. Voilà qui épaissit le mystère. Comment des pierres de 10 000 kilos et plus furent-elles hissées et jointes ? Au XIXe siècle, nous eûmes toutes les peines du monde à acheminer deux obélisques que les pharaons faisaient transporter par douzaines… »

Ma lecture me faisait rêver. Autant je rigole de notre petit barrage tam-tam Garafini. Ce projet pour le moment n’a donné que des sucettes et des cigarettes. Donnez nous un cheval, nous le transformerons en âne. N’est-ce pas Sydia ? Que sont devenus les chevaux de Kindia ? La dernière fois où j’y suis passé, à l’Institut Pasteuria, je n’y ai trouvé qu’un crocodile borgne dans une flaque d’eau. Il doit être mort à l’heure actuelle. Tous les autres animaux ont fui du zoo. Même les serpents ! Le gorille aussi. Il n’y a pas à manger. A Fakoudou !

J’oubliais. J’y ai vu également un singe philosophe. Il passe son temps assis, à se gratter le ventre, comme s’il voulait y trouver de la nourriture. Le singe pourtant relève d’un ministère. Avec des ministres gros et gras, genre Tolno, l’ex-tout. Sydia, il faut faire un tour à l’institut Pasteuria de Kindia !

Pendant ce temps, il y a des milliers d’années, des hommes soulevaient des tonnes de pierres, pour défier le temps et la mort. Ils élevaient des obstacles contre eux. Car ils avaient déjà compris que seule la matière nous sépare du néant. C’est pourquoi Dieu a créé des montagnes. C’est pourquoi les pharaons ont bâti des pyramides. Et les fous sont venus avec leurs bombes atomiques. Nous les intellectuels, sommes des casseurs de cailloux. Aux autres, de construire les routes.

Et puis, un maure est venu s’asseoir près du douanier qui voulait me refiler des bibles. Le maure a commencé à se plaindre comme d’habitude : « Mon usine de fabrique de bougies est toujours fermée, pas de courant… » Il me regardait comme si son histoire pouvait m’intéresser. De toute façon, pourquoi acheter des bougies quand le courant marche ?

Lamine le « Croco », à cause de sa gueule longue et bourrée de dents pointues, m’a tapé dans le dos. Je me suis retourné. Je n’aime pas qu’on me tape dans le dos, ni ailleurs. Il était accompagné d’une naine ventrue. « C’est François, la fille du chef adjoint. Celui qu’on vient d’arrêter… » me chuchota-t-il. Qu’est-ce que j’avais à foutre ! J’ai quand-même serré les doigts boudinés de sa guenon. Le « Croco »est sorti tout fier, probablement pour la présenter ailleurs. Ce n’était pas mon problème.

Ils ont coupé le courant. Le douanier disait au Maure : « Viens monter ton usine ici. J’ai un cousin qui peut te brancher sur une ligne en douce… » Le « pingouin » s’est penché sur mon oreille : « Je peux prendre un autre verre ? J’ai un rendez-vous important. Je dois être en forme ». Je lui ai fait : « Prends toute une bouteille, et fiche moi la paix ». Il est parti en tâtonnant vers le comptoir. J’ai attendu 5 minutes. Je ne l’ai plus revu. J’avais oublié de le prévenir, près du comptoir il y a un puits. Tous ses parents avaient disparu. Alors pourquoi pas lui ? Qu’est-ce que j’en avais à foutre !

J’avais envie de me remettre à ma lecture. Toujours pas de lumière ? J’ai repensé à la construction des pyramides. Elles datent de plus de 5000 ans. Et nous ignorons presque tout. Parce que nous croyons que la civilisation moderne est la seule civilisation technique moderne. Or, il se peut qu’une pensée toute différente de la pensée occidentale ait pu concevoir des techniques aussi perfectionnées que les leurs, mais elles aussi différentes, des instruments de mesure et des méthodes de manipulation de la matière, sans rapport avec ce que nous apprenons dans les écoles, ne laissant aucun vestige apparent à nos yeux. Il se peut, il est probable qu’une science et une technologie puissantes, ayant apporté d’autres solutions que les occidentales aux problèmes posés, aient totalement disparu sous les différentes vagues de la colonisation.

Il est difficile de croire que notre civilisation puisse mourir. Et pourtant…

Et puis la police est venue, me tirant de mes rêveries. Il paraît que c’était la police. Nous étions dans l’obscurité. Ils devaient être deux. Une voix d’homme et une voix de femme. Ils n’avaient pas de torche et ils racontaient des conneries comme : «Vos papiers, SVP !» Et j’ai entendu le Maure protester. On l’avait reconnu à cause de son grand boubou. On l’a amené. Le douanier a essayé d’intervenir en me prenant à témoin. « N’est-ce pas qu’il veut aider le pays, en fabriquant des bougies, dès que le courant sera normal ? « J’ai répondu : « Où est ton problème ? »

Le ciel a grondé. Un gars a dit : « On dirait que le ciel gronde. » Un autre lui a répondu : « S’il pouvait pleuvoir jusqu’à l’an prochain, jusqu’à la fin du monde. Que la terre explose, que mon frère en crève mille fois… » J’ai visé la voix, et j’ai jeté dedans une grosse bouteille. La bouteille a fait plus de bruit que le tonnerre dans la bouche du prophète de malheur. Qu’est-ce que j’avais à foutre de son frère ?

Quelqu’un a vomi derrière. Le barman a crié : « C’est qui ? ». Je lui ai crié dans l’obscurité : « C’est ta… »Après j’ai entendu un bruit de lutte. Je me suis dit : pourquoi ne pas penser à autre chose. Le bruit de lutte continuait. Le courant est revenu. Le barman avait un œil fermé. Il a simplement dit en désignant, un corps couché à ses pieds : « J’ai eu le salaud. Il n’insultera plus jamais sa mère ! »

Je suis sorti pour penser à ma chronique et à mon billet. Le barman versait les cendriers sous les tables pour balayer les mégots. Hé kéla !

Quelqu’un racontait : « Je ne comprends rien. J’ai élevé mon petit frère. Je l’ai mis à l’école. Et tout et tout. Aujourd’hui, je ne travaille pas. Et lui, il est devenu l’adjoint du sous-préfet d’un petit village. Et depuis, il ne m’envoie rien. Rien du tout ! Alors je vais aller, lui retirer le vieux fusil que notre père nous a laissé en héritage. A Fakoudou ! Je n’aurai pas pitié ». Wallahi !

Billet

UN CHAT M'A CONTÉ

Filles d’honneur,

Garçons d’honneur

Vin d’honneur

Médaille d’honneur

Prix d’honneur

Hôte d’honneur

Il nous manque des hommes d’honneur

Par Williams Sassine

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 230

Présentation

Date1996/08/19

GenreDocumentation - Presse

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Éditeur de la ficheClaire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

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Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

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