237. "Rire d’outre berceau"

Auteur(s) : Sassine, Williams

Les folios

En passant la souris sur une vignette, le titre de l'image apparaît.

1 Fichier(s)

Citer cette page

Sassine, Williams, 237. "Rire d’outre berceau", 1996/10/07

Claire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

Consulté le 29/08/2025 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/francophone/items/show/3580

Texte de l'article

Transcription

N°237, 7 octobre 1996 : « Rire d’outre berceau »

Ma grand-mère était contente. Très contente. Il était temps que je lui explique ce qui se cache derrière son syllabaire de la TVA.

- Ecoute grand-mère. Si le premier ministre encourage tout le monde à payer la TVA, c’est parce que cet argent qu’on donne à l’Etat finit par revenir au payeur. En échange l’Etat veillera à ce qu’il ne manque de rien, surtout pas de nourriture.Tu comprends grand-mère la Té Vé Aï, c’est bon !
- Oui, Oui, je comprends ! C’est comme si je coupais la queue à mon chien pour lui donner un bon morceau de viande.

Ma chienne barbue avait suivi la conversation. Elle ramassa ses chiots un à un et s’en alla les cacher dans la cour. On ne sait jamais…

Je disparus à mon tour, vers un « maquis », le centre culturel du pays. Qu’est-ce que vous voulez ? On ne sait pas où placer la culture. Aux sports ? À l’enseignement supérieur ? À la communication ? C’est peut-être parce que le mot « culture » commence par cul.

Dans le «maquis» on demandait à un client :

- Du vin rouge ou du vin blanc ?

- Je m’en fous de la couleur ! Je suis aveugle.

On y parlait encore du voyage du président au Maroc. Un plaisantin, qui avait la voix de Sow Baylor, le terroriste du rire de Simbaya racontait :

- Vous êtes à la fois général et président dit son premier ministre. Vous devez voyager. En votre absence, quand on parle de vous, que doit-on dire ?

- Du mal…

Il faut voir notre premier ministre, accompagner notre grand général à l’aéroport. J’ai demandé un jour à un gosse qui commençait à aller à l’école, ce que représentait les 2 importants personnages. « Ils forment le nom Li » me répondit-il, sans hésiter. Les Sénégalais eux parlaient de «Il» au temps de Senghor quand Abdou-girafe jouait au premier ministre. Ainsi l’humour fit naître la démocratie au Sénégal.

On condamna à mort un grand criminel. Comment voulez vous mourir ? Pendaison, fusillade, bastonnade … ? Lui demanda t-on. Sans hésiter, le condamné choisit l’électrocution. Ça se passait à Kankan, il y a très longtemps. Le condamné à mort vit heureux en attendant que la ville soit électrifiée. A moins qu’on ne l’achève à la bougie.

Je faillis lui répondre que si l’assassin avait choisi l’écrasement par le train, il serait mort en bonne santé. Quant à un bandit, tout jeune et tout innocent, il se demandait souvent : que faut-il faire pour que le bon Dieu lui pardonne ses péchés. « D’abord il faut pécher », lui répondit un jour une petite voix. On connaît la suite, n’est-ce pas monsieur le procu-rieur Agbohola.

Ça se passe dans une salle de cinéma. Le général Dada s’y rend incognito. Sur l’écran il se voit apparaître, tout à coup. Aussitôt la salle se lève en applaudissant, sauf Amin Dada lui même. Alors son voisin lui glisse à l’oreille : « lève toi imbécile. La salle est pleine de flics. Tu ne vas pas risquer de te faire fusiller pour ce gros cochon »

Le rire ! Il est rarement insignifiant. L’histoire drôle est aussi vieille que la vie en société. Elle a longtemps occupé parmi les littératures orales une place de choix. Et puis les dirigeants « sérieux » sont arrivés. Plus question d’exorciser les maux quotidiens par cette sagesse souriante puis, dans nos très longues années de souffrance, d’humiliation et de déception, sagesse qui n’était pas forcément de l’ordre de la résignation ou de l’obéissance. Comment ne pas remarquer que ceux qui nous gouvernent ont autant besoin, pour maintenir clos le couvercle de la marmite, d’amuseurs publics que de policiers.

Il me fallait aller à Kankan. Il y avait trop de courant à Taouyah. Tous les postes radio étaient branchés à fond. Ainsi que les magnétos, et autres appareils hurlants. Les griots passaient dans les rues en se bouchant les oreilles. J’avais vraiment besoin de calme, même d’un calme vide. En plus depuis la nomination d’un premier ministre, tout le monde se découvrait des dons d’économistes.

- Il faut redresser la monnaie
- Non, c’est la douane
- La douane, ce n’est rien, il faut boucher les frontières
- Non vous n’avez rien compris. Il nous faut un frigo pour y cacher tout le bétail du pays.
- Mon frère, je suis d’accord. Il faut congeler tous les emmerdeurs, les chômeurs, les infirmes, les déflatés, les malades. Sidya a raison, le courant fait taire. Est-ce que vous avez appris un jour que les esquimaux font du bruit ?
- Ça, c’est vrai. Si on pouvait faire chanter notre Ibro à moins 50°, il n’allait pas nous casser les oreilles
- Vous savez reconnaître le sexe d’un perroquet ! Vous en mettez un dans votre glacière. Si l’oiseau crie après. Aïe mes couilles gèlent. Alors c’est un mâle.

Je me relevai. Kankan ! Mais comment y aller ? Surtout comment y arriver ? René Caillé a essayé. Il n’est pas prêt de recommencer. A Fakoudou ! La nouvelle de mon expédition imminente s’était répandue. On me héla, de l’autre côté de la route. Une voiture rouge.

- Sassine, on peut t’amener à Kankan. On s’y rend comme ça.

La voiture était rouge, ça c’est sûr. Mais le reste…le chauffeur avait à ses pieds 2 bouteilles pleines d’alcool.

- Sassine, n’aie pas peur. On ira très vite et on arrivera en état conforme. D’ailleurs, j’ai pris un marabout. Je me penchai pour regarder. A l’arrière je commençai à compter. Un passager dont un pied était dans le plâtre. Un passager qui riait tout seul. Un autre qui ronflait avec un œil ouvert. Enfin le marabout. Comment je reconnus que c’était lui le marabout ? C’est lui qui me reconnut. « Saytani ! Lynx Saytani » J’avais envie de l’étrangler avec son chapelet. Mais ce ne sont pas des choses à faire au Lynx. Assan Abraham Keïta, notre Ayatollah nous l’a interdit. Tout compte fait prendre cette voiture, même pour sortir de la ville, c’est comme prendre une brochette pour aller sur la lune.

Le rire permet de fuir l’insupportable. Contre la tristesse uniforme des gardiens de l’ordre et contre l’humeur massacrante des révoltes, on peut parier que l’homme qui rit accroit son énergie et améliore ses rapports sociaux. Rire c’est désarmer la rancune et l’angoisse. Car l’histoire contemporaine tourne essentiellement dans les conversations autour du fric et du cul. Par exemple si nous n’avons pas de rails, pourquoi ne pas construire des histoires pour « dérailler » ? On ne rit que de nos problèmes et de ce qui nous est interdit. Mais le rire peut être ni transparent, ni irréprochable. Il peut être sélectif : sectaire, sexiste, raciste. Surtout quand les personnages politiques manquent de gaieté. Eux, quand ils réussissent à faire rire, c’est souvent à leurs dépens. Quant à nous simples mortels, pour changer la vie, rions d’abord de notre vie, en toute lucidité, car comme le dit un proverbe : « on ne rit plus au paradis : on sourit, mais tout le temps».

Quelqu’un racontait : « Moi en tout cas, je ne comprends rien. Peut-être que je ne suis pas comme les autres guinéens qui comprennent tout. Par exemple le président voyage. Le premier ministre voyage en même temps. Chacun avec ses ministres. Je sais que nos compatriotes n’ont pas besoin de gouvernement pour survivre. Ce sont tous des « fictifs » de la fonction publique. Si on doutait, le jour de la fête nationale, tout le monde était content parce que c’était un jour chômé. Bon, peut-être qu’on a besoin de ministres même en IT intellectuel Touré ? Mais pourquoi continuer à salarier les ministres avariés. Est-ce qu’ils n’ont pas assez détourné ? Il n’en va pas de même pour Africa number One qui a détourné pendant deux semaines l’auditoire de notre petite radio locale, notre Africa number dernier. Retournez chez vous Africa N°1. Nous on n’aime pas les changements brusques. A Fakoudou !

Est-ce que nous sommes des citrons « pressés » ? Ha ! Ce pays ! On nomme quelqu’un au Port Autonome. Il en fait un service si bien géré, que de partout on vient féliciter son directeur. Nos autorités elles, pour encourager le monsieur, le remplacent. Est-ce que c’est bien ça ?

Billet

UN CHAT M'A CONTÉ

Six démocraties attrapent

6 partis politiques en 6 ans

Combien de démocraties

Attraperont 60 partis en 60 ans

NB : La réponse est dans notre loi fondamentale

Par Williams Sassine

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 237

Présentation

Date1996/10/07

GenreDocumentation - Presse

Mentions légales

Avec l'aimable autorisation des ayants-droits
Avec l'aimable autorisation des ayants-droits
Avec l'aimable autorisation des ayants-droits (pour les collections, les items et les fichiers)
Fiche : Elisabeh Degon, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes, CNRS-ENS ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

Éditeur de la ficheClaire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

Exporter cette fiche

atom, dcmes-xml, json, omeka-xml

Exporter en PDF les métadonnnées
Exporter en PDF les métadonnées et l'image

Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

237. "Rire d’outre berceau"

Auteur(s) : Sassine, Williams

Les folios

Citer cette page

Autres notices de la collection