[1554_TJI_Grou] 127 Or suis-je doncq’ demeuré le vaincueur

Présentation générale du poème

Titre de la pièceRencontre de deux Amants, par S. R.

Incipit non moderniséOr suis-je doncq’ demeuré le vaincueur

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Présentation de l'exemplaire

Formatin-16

Imprimeur-libraireGroulleau, Étienne

Date1554

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Transcription du poème

Texte

{G1r}Or suis-je doncq’ demeuré le vaincueur,

Apres avoir contre le chaste cueur
De ma déessɇ essayé maints alarmes
Douteusement, mes souciz, pleurs & larmes,
Que contre moy Venus trop courroussée
(Pour mon amour aux Muses adressée)
Avoit brassez, y ont fait tel effort,
Que j’ay vaincu mon avantureux sort :
Car tout ainsi que l’eau. peu vertueuse,
Par trait de temps, la roche dure, creuse,
J’ay par mes pleurs amolly la durté
Du jeune cueur aymant virginité.
Et toutesfois ne vous estonnez pas
S’en me voyant si pres de mon trespas
Pour me sauver en fin ellɇ a soufferte
D’un peu d’honneur je ne sçay quelle perte
{G1v}Sans point de doutɇ on n’avoit esperance
Que de ma mort n’eut esté l’asseurance
De trouver fin à mon mal miserable :
Mais quelle fin ? sa grace pitoyable,
Lors me faisoient les maux que j’endurois
Trouver meilleur le bien que j’esperois,
Comme la faim creuë par la demeure,
Fait ressembler la viande meilleure :
J’ay cependant un enfant qui m’apelle,
Je dy l’enfant c’est Mercure fidelle,
Lequel me dit : Amy trop langoureux
Vien acomplir ton desir amoureux,
Mamyɇ estoit au secret cabinet
D’un tresplaisant & riche jardinet,
Trop mieux remply de graces & douceurs
Que le verger des Hesperides sœurs :
Là leurs chefz vers courboient de tous costez
Les Saux branchuz par bon ordre plantez,
Qui estendoient leurs umbres verdoyantes
Commɇ en un camp les pavillons & tentes,
Le vif ruisseau d’une fonteine claire,
Et le long fil d’une grosse riviere,
Qui plus qu’argent en coulant reluisoient,
Des deux costez la closturɇ en faisoient
Non loing de là au joly verd bocage
Dix mil oyseaux de chanter faisoient rage,
Si qu’ilz sembloient acorder leurs chansons
{G2r}Aux cleres eaux & leurs argentins sons.
Le joyeux chant des accordans oyseaux,
Et le doux bruit des murmurans ruysseaux
M’amyɇ avoient de se coucher contrainte
Sur l’herbe fraischɇ & diversement painte :
Quand je l’a vy en ce point estendue
Et a sommeil par sa douceur rendue
Contenté fu (car je ne povais mieux)
Tant seulement de repaistre mes yeux.
Or pris (je doncq’ en sa beauté pasture,
Et au plaisant ouvrage de Nature,
Qui la dedans produisoit tant de fleurs
Paissant mes yeux d’infinies couleurs,
Puis tant d’oyseaux de chanter s’efforçoient,
Que de leurs sons les champs remplissoient,
Car il sembloit que chacun voulust faire
Chose qui peust au nouveau juge plaire,
Brief, tout ainsi qu’en l’Arabiɇ heureuse,
Tout estoit plein d’odeur delicieuse,
Tant y avoit de belles violettes
En tous endroitz, & de choses doucettes.
En tout celà grand plaisir y avoit,
Mais un plaisir, qui chacun jour se void.

O combien plus de joye me donna

Quand le sommeil m’amyɇ habandonna :
Je voudrois bien à chacun departir
La volupté que j’y ay peu sentir :
{G2v}Mais mon esprit ravy lors de plaisance,
A peinɇ en peult avoir la souvenance,
Et ce recit à ma languɇ est à faire,
Laquellɇ encor’ ne sçauroit satisfaire
A exprimer l’heur qu’elle savoura,
Et comment doncq’ le bien d’eutruy [[autruy]] dira
Nymphes icy vueillez doncq’ acourir,
Pour ma memoirɇ au besoin secourir :
Car quand ce bien ainsi se departoit
Parmy les eaux maintɇ herbe vous portoit.
Ce qui avint, certes (Dames) vous vistes,
Peut estrɇ aussi que non tout : mais si fistes.
Vous vistes tout, aumoins tout ce que honte
Nous a permis & en sçavez le conte.
Quand le sommeil eut delaissé m’amye,
D’une voix foyble & quasi endormie,
Incontinent elle s’escriɇ ainsi :
Helas amy, que n’estes vous icy ?
Car pres de soy alors ne me cuydoit,
Et se plaignant ses deux braz estendoit,
Que je receu, & sa forcɇ esgarée
Luy fut par moy renduɇ & restaurëe :
Adoncq’ ses yeux qu’à ouvrir commença
Si vivement vers moy ellɇ adressa,
Que la vigueur & constance des miens
Ne peult souffrir la grand’ lueur des siens
Si que mes yeux de sa veuë empeschez
{G3r}Dedans les siens demeurerent fichez
Ou sont ceux là, qui estonnez ne fussent
De tant de bien, si veu comme moy l’eussent ?
Ouvrant adoncq’ sa tant aymée bouche :
Est ce bien vous, dist elle, que je touche ?
Est ce bien vous, mon seul bien & desir
Qu’en ce doux jour j’embracɇ à mon plaisir ?
Et de ce pas chanta de sa façon
Unɇ elegante & bien belle chanson,
Qu’aucunesfois à part elle chantoit,
Quand par amours tristement lamentoit.
Cruelle peur de faux bruitz mal semez
Pourquoy noz biens, en plaisir consommez,
Empesches-tu ? Amour de tout vaincueur
Vaincra il point ta mortelle rigueur ?
Si sera fi : c’est un trop puissant Dieu.
Or donne doncq’ à sa puissance lieu
Craintɇ abusant du fol peuple les yeux :
Car il ne fault mener la guerrɇ aux dieux.

Voylà le sens que sa chanson portoit,

Que de tel son & gracɇ elle chantoit
Que fait au bord de sa rivierɇ un Cigne,
Lequel sa mort, en chantant, predestine,
Au plaisant son de l’angelique voix
Firent silencɇ & fontaines & boys
De là autour, & le semblable firent
Incontinent les Nymphes qui l’ouyrent.
{G3v}L’oyant chanter, mes oreilles levay,
Mais aussi tost estonné me trouvay.
Qui tournera toutesfois à merveilles,
Que tant de biens estonnoient mes oreilles.
Ce temps pendant que la bellɇ attendois,
Et de sa bouche à peu pres dependois,
De descouvrir son blanc sein fut contrainte
Par la chaleur dont elle fut atainte
Pas n’eut si tost descouvert sa poitrine
Que l’on eust dit un odeur tresdivine
D’encens, de myrrhɇ & de celeste basme
Yssu du sein que desnua ma Dame.
S’en moy y eut lors de sens quelque reste
Il fut perdu par cest odeur celeste.
Et en est il encor’ un qui s’estonne
Qu’un si grand heur ayt ravy ma personne ?
Lors je la prens & l’embracɇ à mon ayse
Et de son gré doucement je la baise.
Mais noz baisers receuz & presentez
Estoient confitz en mille voluptez.
O quel plaisir de recueillir & prendre
L’heureuse fleur de cestɇ aleine tendre.
Qu’en respirant la bouche gracieuse
Fait de partir d’une damɇ amoureuse :
Tout aussi tost de moy furent absens,
Par ce plaisir le surplus de mes sens :
Et ne doit-on en rien trouver estrange,
{G4r}Que tant de biens ayent de moy fait change.
Or ce pendant que noz bouches vermeilles
Conjointes sont de voluptez pareilles
S’entrebaisans & confondans ensemble
Les deux espritz que le corps desassemble
Je sens, helas, helas soudainement
Mes membres pris je ne sçay quellement
D’une fureur secrettɇ & incogneuë,
Et qui jamais ne m’estoit avenuë.
Telle fureur, ainsi comme je croy
Sentoit aussi m’amye comme moy
Laquellɇ en soy tant de douce forcɇ eut
Que doucement la surprit & deceut.
Mais quellɇ embuche & secrette surprise
Vous dressa l’on ? pourquoy fustes vous prise
Pensez vous bien, que j’eusse peu avoir
Assez d’esprit lors pour vous decevoir ?
Si par dessus les baisers non contez
J’ay pris de vous le point dont vous doutez
Ce n’est pas moy : car trop estois surpris,
Ce n’est pas moy, c’est l’amour qui l’a pris.
Pardonnez doncq’ au Dieu qui les ravit
Ou à celuy que sa fureur suyvit.
Car vous sçavez que vous plus qu’autre chose
De ma fureur alors fustes la cause.

Je baisois doncq’ m’amye doucement,

Et el le moy, avant finablement,
{G4v}Que noz deux corps alliez de tous poinctz
Furent ensemblɇ, à leur grand plaisir joinctz
Si qu’en estans mes membres desireux
Uniz aux siens, se sentoient bien heureux
Les siens aussi de rencontres pareilles
S’esjouïssoient & plaisoient à merveilles
Que pensez vous que devint lors mon ame ?
Elle cerchoit [[cherchoit]], pour entrer en ma dame,
Quelque sentier, & tant estoit surprise,
Que long temps fut sus mes levres assise.
De sens aucun retenuë n’estoit
Et sa prison liberté luy prestoit :
Parquoy soudain à son plaisir alla,
Et vers ma damɇ & son ame vollà.

Vrays amoureux, je dy vous, en effait,

Qui savourez de l’amour l’heur parfait,
Vous sçavez bien, & seulz povez sçavoir
Combien de joyɇ elles peuvent avoir
Car s’ainsi est que deux corps assemblez
Reçoyvent tant de plaisirs redoublez,
Combien prendront de joyɇ & volupté
Les deux espritz conjointz en liberté ?
Je croy pour vray que les dieux & déesses
Sentent au Ciel de pareilles liesses,
Et leur Nectar & Ambrosiɇ aussi
N’est autre cas que ce plaisir icy :
D’aucun soucy jamais ne se trister,
{G5r}Mais toute joyɇ en soy mesme porter
Tout ce qui est estimer ce seul bien
Et le surplus sans celà n’estre rien :
S’esbahit on si par mortelle guerre
A feu & sang, on void parmy la terre
Se travailler maints corps & bon espritz
Pour parvenit [[parvenir]] à si grand & hault pris
Amour adoncq’, veu ce ravissement
Usa de gracɇ en nous egalement,
Et ne voulut que nostre grand’ plaisance
Finist au jour propre de sa naissance :
Car, par amour, mon ame de la sienne
Estoit raviɇ, & elle de la mienne,
Sans point douter d’elles chacunɇ alors
Eust delaissé son inutile corps
Tost eut Amour esveillez & remis
Noz sens quasi yvres & endormiz :
Car chacune amɇ en ce poinct rencontrée,
Il commanda en son corps faire entrée.
En son corps doncq’ alors entra chacune
Qui luy sembla prison fort importune
Tant luy estoit plaisante la maniere
De l’assemblée en la fureur premiere
L’œil desiroit cestɇ amyable face,
L’oreillɇ aussi ce chant de bonne grace,
Et les nazeaux ce basme souhaitoient,
Bouches & braz l’un l’autre regrettoient
{G5v}La couleur blanchɇ estoit noyrɇ a mes yeux,
Tout plaisant son me sembloit ennuyeux,
Toutes odeurs me sentoient toutɇ ordure,
Tout doux, amer : la chose molle, dure.
Finablement ce que mon corps aymoit
Auparavant, & mon cueur estimoit
Fut tout autant haï & desprisé,
Commɇ il estoit desiré & prisé.

Qui n’eust alors enduré grand tourment

De voir perir le fruyt en un moment
De ses labeurs ? Mais qu’est ce qui pourroit
Plairɇ à un cueur, qui si faché seroit
Soucy, travail, pleur & deuil infiny.
Vous avez tout commencé & finy.
Que, par malheur, ne soit un jour deffait,
Ainsi void on qu’il n’est heur si parfait,
Voylà la joyɇ & le plaisir humain :
C’est le lien, que la mortelle main :
Traine tousjours le long de ceste vie
A tristes maux & douleurs asservie.

Forme poétiqueDistiques

Emplacement du poème

Rang dans le recueiln° 127

FoliotationF8v, G1r, G1v, G2r, G2v, G3r, G3v, G4r, G4v, G5r, G5v

Présentation typo-iconographiqueIllustration entre le titre et la pièce sur le folio G1r.

Informations sur la notice

Contributeur(s)Réach-Ngô, Anne

ÉditeurÉquipe Joyeuses inventions ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

Mentions légales

Fiche : Équipe Joyeuses inventions ; EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Notice créée par Équipe Joyeuses Inventions Notice créée le 22/06/2017 Dernière modification le 04/11/2021