Archives Marguerite Audoux

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Lettre de Marguerite Audoux à Antoine Lelièvre

Auteur(s) : Audoux, Marguerite

Description
  • Anecdotes vaudevillesques sur La Haie-Fouassière - Jacques Lelièvre - Les petits-neveux - Lette
  • La Haie-Fouassière, objet principal de la lettre, est le fief, près de Nantes, de la grand-mère de la petite Angèle (fille de Millie, maîtresse de Charles-Louis Philippe, emportée prématurémént comme lui) dont la romancière se préoccupe de la pension, assurée principalement par Gide. C'est dans cette contrée ligérienne que se trouve Marguerite Audoux pendant la Grande guerre pour aider les femmes restées seules, notamment aux vendanges. Lelièvre est allé y faire une sorte de pèlerinage, et a rencontré Eugène, l'un des personnages du petit vaudeville raconté par l'épistolière.


Texte



[Paris], le 15 juin 1931 [1]

Mon bien cher ami,

Comment vous dire la joie que m'a donnée votre lettre si claire et si pleine de vivants détails ? J'aurais répondu aussitôt à cette lettre intéressante sans un stupide bobo, qui ne m'a pas trop fait souffrir mais qui interdisait à mon pouce droit d'aider son frère l'index à tenir sa plume. Le bobo se décide à s'en aller et j'en profite.
Comme tous ces gens de la Rairie[2] bougent et parlent devant moi, grâce à vous !
Ah ! Dame oui ! Eugène M. aime le muscadet plus que cela ne se doit, certainement. Il aimait les femmes aussi, dans sa jeunesse, et peut-être les aime-t-il encore. Cela ne l'empêchait pas d'aimer la sienne, pas celle que vous avez vue, qui est la seconde. Jeanne, morte subitement en 17. Celle-là en savait long sur la fidélité de son mari. Oh ! l'adorable créature que cette Jeanne ! Intelligente et pleine de cœur. Et belle par-dessus le marché. Créature de force et de dévouement, toute[3] pétrie de bon sens et de raison, et ne donnant à l'acte d'amour pas plus d'importance qu'il n'en mérite. « Qu'est-ce que cela ? », disait-elle avec un rire joyeux qui lui était particulier, « Une minute de plaisir, dans la vie qui n'est pas si drôle, après tout. » Elle aimait son Eugène, aussi lorsque des bavardes venaient lui dire que le bel Eugène faisait la cour à celle-ci ou à celle-là, elle haussait les épaules en répondant : « Il a bien raison, la jeunesse passe vite. »
Mais voilà qu'après sa mort E. a trouvé dans la poche d'un tablier des lettres d'amour. Des lettres récentes adressées à Jeanne. Cris, rage, déception du mâle qui se croyait seul à tromper. Et moi, malgré la déception que je ressentais pour cet homme plus peiné que furieux peut-être, je riais en dedans et disais à Jeanne, que je sentais auprès de moi : « Est-ce possible que tu aies trompé aussi ? Ne t'en va pas, ma Jeanne, reste là pour en rire un peu avec moi ! » car, à l'idée qu'elle avait pu avoir un peu de bonheur au cœur, je me sentais moi-même toute réjouie, et je disais à part moi : « Allons, la vertu est quelquefois récompensée ! »
Ah ! Dame oui, monsieur !
Qu'il est mignon, votre petit Jacques ! Et comme cela se voit qu'il sera bon ! C'est toujours autant de pris pour lui car les bons ont une manière de se rendre heureux que ne connaissent pas les autres.
Les miens sont bien portants et Eugène ne les reconnaîtrait pas. L'aîné, Paul, a vingt-quatre ans bien sonnés, il est orfèvre. Le deuxième, Roger, est électricien. C'est celui-là que Jeanne et Eugène ont élevé. C'est un grand et beau garçon de 19 ans[4] au cœur généreux, à l'âme pleine de mansuétude et à l'intelligence ouverte.
Petit Maurice aura 14 ans dans trois mois[5]. Il est en pension à Meudon, d'où il doit sortir cette année pour l'apprentissage.
Comme vous le voyez, mon cher Lelièvre, ma tâche est bien près d'être finie avec ces enfants-là. Elle a été dure, vous pouvez me croire.
S'il vous arrive de retourner à la Haie, parlez surtout à Eugène de Roger. Il l'aimait bien et le garçon le lui rendait bien.
Je vous remercie de votre gentille invitation pour le Grand-Logis[6], je n'en profiterai pas cette année, nos vacances étant déjà décidées. Elles sont assez compliquées, du reste, et difficiles à grouper.
Je serais heureuse pour vous de vous savoir dans un coin délicieux du Léon. Les hivers y sont si doux ! Et puis, si vous y étiez, est-ce que je pourrais m'empêcher d'y aller aux vacances ?
Nous avons l'intention de nous faire photographier tous les 4[7], à la fin du mois. Je vous enverrai nos figures.
Au revoir, mon cher ami. Ne m'oubliez pas auprès de la jolie Lette dont je garde un si bon souvenir.
Bien affectueusement votre

M. Audoux

[1] Lettre postée le 16 et reçue le 17
[2] Voir le quatrième paragraphe et la note 3 de la lettre 343
[3] Le toute est précédé d'un et barré.
[4] de 19 ans est ajouté dans l'interligne supérieur.
[5] Plus tôt, puisqu'il est du 6 août 1917
[6] La demeure des Lelièvre à Mayenne
[7] Elle et ses trois petits‑neveux. On peut trouver une photo des mêmes, mais qui doit être antérieure, dans le cahier iconographique centrale de notre biographie.


Lieu(x) évoqué(s)La Haie-Fouassière, Mayenne, Paris
État génétiqueVoir les notes 3 et 4 de la partie TEXTE

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Notice créée par Bernard-Marie Garreau Notice créée le 17/12/2017 Dernière modification le 03/05/2024