Les textes des mythographes
Les textes de Cartari et de Conti
Les Furies
Les couronnes de Narcisse
"Pluton fut aussi couronné de l’herbe appellée Adianthum , & vulgairement Capili Veneris. Aucuns luy ont aussi mis à l’entour de la teste, le Narcisse, luy faisans des chappelets parce que ceste fleur estoit estimée estre agréable aux morts, paraventure pour l’occasion de la fin malheureuse du jeune homme qui fut changé en icelle, à cause dequoy ils en faisoient aussi des chappelets, comme dit Phurnut, aux Furies d’enfer : lesquelles estoient servantes & ministres de Pluton, & venoient souvent pour punir & chastier les hommes de leurs meschantes œuvres, ou bien les attiroient à en faire d’autres : & estoient trois, nommées, Alecto, Tisiphone, & Megere."
(Cartari, 1610, p. 369)
"Ceux qui leur faisoient sacrifices estoient couronnez de guirlandes de Narcisse, qui leur estoit sacré, ou parce qu’il croissoit volontiers prés des tumbeaux, ou parce qu’elles estoient Deesses d’endormissement & de crainte, ce qui convient avec le nom de Narcisse. Sophocle tesmoigne que cette plante avec le saffran estoit destinee pour faire des guirlandes aux Eumenides :
Narcisse le bien grené,
Duquel on void couronné
Avec du saffran en tresses,
Le chef des grandes Deesses."
(Conti, 1627, p. 210)
La chevelure de serpents
"Ciceron escrit que les Romains eurent certain petit bois consacré à la Deesse Furine : là où avec ceremonies solennelles, ils adoroyent des serpents entortillés à l’entour de la teste au lieu des cheveux. Car Eschyle les a ainsi feint devant tous les autres, qui l’ont suivy apres, comme recite Pausanias."
(Cartari, 1610, p. 371)
"Dante dit, que se trouvant au profond d’enfer, il dressa les yeux à certaine tour, où il vit grimper en haut
Trois Furies d’enfer, qui de sang estoient teintes,
Ayans membres de femme, & de verds serpents ceintes :
Et au lieu de cheveux, de coulevreaux retors.
[...] Quand Ariadne fut laissée sur le bord de la mer par Thesée, qui s’en alla auec Phedre, la miserable fit de grandes lamentations puis ayant recours aux prières, demanda vengeance de celuy qui l’avoit trahie, & appella les Furies, leur disant ainsi en Catulle :
Vous Furies qui les humains
Punissez de leurs forfaits maints,
Selon que merité ils l’ont
Qui avez vostre triste front,
Couvert de serpentins cheveux
Auquel le courroux furieux,
L’ire enragée & insensée,
Qui procede de la pensée,
Se void & se descouvre aisément
Venez cy, venez vistement
Ouyr ma plainte, & dueil mortel
Contre ce meschant & cruel"
(Cartari, 1610, p. 375)
"On peint les Eumenides auec un tres-horrible aspect, & enchevelees au lieu de perruque, de Couleuvres & Serpens : comme le montre Horace au 2. livre des Carmes :
Et les serpens lacez aux tresses
Des Eumenides vengeresses
Plaisir encor y vont prenant.
Et Catulle és Argo-Noch.
Les Fureurs punissans d’une main vengeresse
Des humains les forfaits, qui portent une tresse
De Couleuvres au front.–
Et Tibule au 1. des Elegies :
Tisiphone tressant tout au-tour de sa face
Un serpentin, de Couleuvres se lace
En guise de perruque, elle enrage, elle bruit ;
Les meschans prennent fuitte à l’effroy de ce bruit.
Les Anciens content que ces Deesses tant severes & hagardes n’ont sceu éviter l’effort d’amour : & Menandre en ses histoires fabuleuses escrit que Tisiphone devint amoureuse d’un beau jeune garçon, nommé Cytheron, & que ne pouvant plus durer, elle luy fit parler d’amour ; mais luy effrayé de ce tant hideux visage ne luy daigna pas seulement faire response : dont elle indignee, arracha de sa teste une des Couleuvres qu’elle portoit, & la luy jetta à la teste, cette mesme Couleuvre s’entortilla si serré autour de son col, qu’elle l’estrangla. Or de pitié que les Dieux en eurent, la montagne où cela avint fut nommee Cytheron, qui auparauant s’appelloit Astere. Sophocle en son Electre appelle Erynne pied-d’airin :
Erynne pied-d’airin se tient en embuscade.
On peut recueillir du 19. de l’Iliade d’Homere, que les Poëtes tenoient que ces Furies volassent en l’air comme oyseaux, auec dessein & commission d’aller punir & chastier les mal-vivans :
Jupiter & la Parque, Erynne en l’air volante.
Toutesfois au 12. livre il dit qu’elles assistent devant le throsne de Jupiter, & espient sa contenance, si d’aventure il veut envoyer quelque affliction ou calamité aux hommes.
Deux pestes l’on y void dictes Dires, leur mère
Avecques la Megere infernale , est la Nuict ;
D’un seul & mesme part que sombre elle a produit,
Et de tout-pareils ronds de Serpens annelees,
Et de pareils cerceaux dessus le dos ailees :
Au throsne & sur le seuil de Jupin cruël Roy
Presentes elles sont, & aiguisent l’effroy
Aux mal-heureux mortels."
(Conti, 1627, p. 206-207)
Les torches
"Ces affections donques & passions de l’ame, cependant qu’elles demeurent en leur nature : & que ne passent plus outre de ce à quoy elles furent ordonnées, nous donnent vne vie tranquille : mais quand elles sont autrement, elles la troublent toute, & nous tourmentent comme Furies d’enfer : ausquelles les anciens bailloient des torches & flambeaux allumez en la main, pour monstrer l’ardeur, que nous mettent en nostre cœur ces passions que j’ay dit, comme on verra encores mieux en l’image de Tisiphone, de laquelle le Poëte Stace en sa Thébaïde fait elegamment le pourtrait, & la description, quand elle va fermer haine & discorde entre les meschans frères Thebains Etheocle, & Polynice."
(Cartari, 1610, p. 371-375)
"Ciceron n’estime pas qu’il y ait autres Furies infernales, que les Poëtes ont feint estre les vengeresses des crimes. Car il escrit ainsi conre L. Pison : Ne pensez pas, Peres conscripts, qu’ainsi que vous voyez en la scene & sur l’eschafaut les mechans par l’instigation des Dieux estre espouvantez des torches ardentes des Furies ; sa fraude, son crime, sa meschanceté, son outrecuidance abbat un chacun hors de sa santé, & de son esprit. Cestes cy sont les furies des meschans, cestes cy sont les flambeaux & les torches.
(Cartari, 1610, p. 376-377)
"Qui la presse fendans des ombres enfumees,
Apportent en leurs mains des torches allumees,
Des flambeaux embrasez cruellement hideux"
(Conti, 1627, p. 210)
Les oiseaux des Furies
"Elian escrit que les Tourtrelles furent consacrees par les anciens aux Furies, & je ne treuve point qu’autre animal leur aye esté propre, sinon que Virgille en fait changer vne en choüette, ou hibou, quand Iupiter l’enuoye pour espouventer Turne, pendant qu’il combat contre Enee. Il y a eu aussi d’autres qui ont aiousté auec les trois Furies la quatriesme, qu’ils appellent Lissa. […] Elle a la teste enuironnee de serpents, & porte vn eguillon, ou vn foüet à la main."
(Cartari, 1610, p. 379)
Leurs vêtements
"Mais quelles estoient au demeurant, on le peut sçauoir de Strabon, lequel escrivant des isles Casiterides, dit qu’une d’icelles est habitée par hommes qui sont tous bruns, & vestus de robbes [qui] vont jusques aux pieds, & ceintes à travers la poictrine, tenans un baston à la main, & semblables du tout aux Furies qu’on voit souvent representées aux tragedies. Suidas parlant de Menippe le Cynique, à qui estoit entré en phantasie une certaine folie, de se faire croire qu’il estoit un des officiers d’enfer, & que les Dieux infernaux l’avoient envoyé là bas pour voir le mal que les hommes faisoyent, & leur en faire rapport, dit qu’il portoit pareil habit que les Furies, & le descrit ayant une robbe noire, longue jusques à terre, non fort large, ceinte à travers bien estroit d’une grosse barde, un chapeau à la teste, auquel estoyent figurez les douze signes du Zodiaque, des souliers semblables à ceux que portoyent les joüeurs de tragedies, un gros baston de Fresne à la main, & portant aussi une barbe, qui estoit sienne propre, comme celle d’un Philosophe, non pas que pour ceste barbe il eust rien de conforme auec les Furies, comme on peut dire aussi du chapeau ; car seulement la robbe noire, longue, & ceinturée à travers, avec le baston à la main, seront en Menippe (selon Suidas) l’image de l’habit des Furies, comme aussi Strabon l’escrit."
(Cartari, 1610, p. 373)
"Les Anciens cuidoient qu’elles estoient vestues d’habillemens noirs, qu’ils appelloient vestemens des Erynnes. […] La pluspart de toutes lesdites choses est comprise en ces vers :
J’esgorge trois chichons tous noirs en leur pelage,
Et mesle de la pourpre, & du saffran sauvage,
(Ou cartame autrement) et de l’herbe au foulon,
Du chalcime, orcanete, item du psyllion.
De tout cecy je fais une farce qui entre,
Meslant leur sang parmy, des petits chiens au ventre.
Je pose puis-aprés le tout en un vaisseau,
Et creusant un fossé j’y verse autour de l’eau,
Et la graisse, vestuë en habit de tristesse,
En faisant retentir des airins de destresse :
Je reclame humblement les Eumenides sœurs,
Dont je sens tout soudain les benignes faveurs,
Qui la presse fendans des ombres enfumees,
Apportent en leurs mains des torches allumees,
Des flambeaux embrasez cruellement hideux,
Cernees de serpens à guise de cheveux,
Sur le dos, sur la teste, & toute leur criniere,
Tisiphone, Alecton, et la dive Megere."
(Conti, 1627, p. 209-210)
Les ailes
" […] les Furies, ausquelles Virgile adjouste aussi les aisles, disant qu’elles sont toujours prestes […]."
(Cartari, 1610, p. 379)
Tisiphone
"Or revenons à Tisiphone, laquelle Ovide descrit quand Junon l’envoye oster le sens à Athamant, avoir un regard trouble, & les crins blancs & chenus, entremeslez de serpents, qui descendent en bas par le visage, & vestües d’une robbe ou cotte toute tachee de sang, ceinturee aussi à travers avec serpens ensemble entortillez, & tenant à la main un flambeau, teint pareillement de sang : & aussi le mesme Poëte, qu’avec elle marchent la crainte & l’espouvantement."
(Cartari, 1610, p. 377)
Lissa
Il y a eu aussi d’autres qui ont ajousté avec les trois Furies la quatriesme, qu’ils appellent Lissa. […] Elle a la teste environnee de serpents, & porte un eguillon, ou un foüet à la main.
(Cartari, 1610, p. 379)
Les Harpies
"Avec les Furies nous pouvons adjouster les trois Harpyes, filles de Neptune, & la terre, nommees Aello, Ocypeté, & Celeno, lesquelles on a feint demeurer au centre de la terre, & avoir le visage de femme, & le reste comme un oiseau serpentin, & leur soucy & estat n’estre que de rapiner & voler tout ce qu’il leur plaist, à raison dequoy elles ont esté nommees les chiens de Jupiter. […] C’estoient doncques oiseaux monstrueux, ayans visage de pucelles, assez beau, mais maigre, les mains crochues, le ventre grand à merveilles, auec une perpétuelle faim, & en outre, grandes aisles, & ongles crochues. [...]
Virgile descrit les Harpyes, & à son imitation l’Arioste les depeint fort bien : mais je trouve meilleur de mettre icy les vers de Virgile tournez en nostre langue :
Là me reçoit des Strophades le port,
Sauvé des eaux. Or ces Strophades cy
Des isles sont, qu’en Grec on nomme ainsi,
Dedans la mer d’Ionie la grande,
Où Celeno la cruelle, & sa bande
Des autres sœurs Harpyes à foison
Vont habitant, depuis que la maison
Du vieil Phiné leur fut close, & des tables
Furent chassez ces monstres detestables :
Monstres, desquels plus malheureux au monde
Il n’en est point, ne peste plus immonde.
Ire des Dieux plus grande ne se treuve
Sortant de Styx, l’infernal triste fleuve.
De filles ont les visages humains,
Ventre ord & creux, & à griffes les mains,
La face aussi pallissante & ternie,
Toujours de faim &c.
Dante pareillement prenant le patron d’icelles en Virgile, en a tracé quelque chose en son enfer disant :
En ce lieu font leurs nids les Harpyes tres-viles,
Qui mirent les Romains hors des Strophades isles,
Par presages mauvais de leur futur dommage.
Leurs aisles larges sont, leur col, & leur visage
Sont comme d’une femme, & à griffes leurs pieds,
Le ventre plumeux, &c."
(Cartari, 1610, p. 380-381)
"LES Harpyes, autrement oyseaux Stymphalides, furent filles de Thaumas & d’Electre, fille de l’Ocean ; & sœurs d’Iris, tesmoing Hesiode en sa Theogonie. […] Elles habitoient en Thrace, & avoient des oreilles d’Ours, des corps de Vautours, le visage de pucelles, des aisles aux costez, des bras & pieds d’hommes ; garnis de monstrueuses griffes, des ventres grands à merveilles, & insatiables. Voicy comme Virgile les depeint au 3. de l’Æneide :
un monstre plus horrible & plus fier que ces feres,
Ny plus meschante peste & ire des grands Dieux
Ne s’est point eslevee hors des flots Stygieux ;
De Vierges ces oyseaux retiennent la semblance,
Insatiables ont sale & gloutte la pance
En griffes recourbee & l’une & l’autre main,
Et les faces tousjours pallissantes de faim.
Aprés il les descrit se ruants d’une volee impetueuse sur les viandes qu’on servoit sur table."
(Conti, 1627, p. 727)
"Leur forme aussi le donnoit à entendre, lesquelles on dépeignoit ayans des aisles & visages de femmes, à cause de leur double legereté & vistesse si grande, que mesme les Boreades aislez ne les peurent qu’à peine atteindre.
[…] Et pourquoy fut Phinee aveuglé ? parce qu’il ne consideroit pas que la condition de la vie humaine est enclose en de tres-estroittes barrieres & limites, & qu’elle se doit contenter de peu ; c’est pourquoy cette faim cotinuelle le travailloit sans cesse : & ne pouvoit taster des viandes qu’on luy servoit, pource que cette avidité & convoitise d’en avoir qui luy minoit le cerveau, ne luy permettoit pas de se bien faire à luy-mesme des biens qu’il possedoit ; ains n’avoit autre pensement que de s’enrichir de plus en plus. C’est ce que vouloient dire leurs corps de Vautours, leurs mains crochues, leurs visages pasles & blesmes de male-faim, & le reste de leur forme corporelle, qui de poinct en poinct dechifre l’affection & naturel de l’avaricieux. Quelques-uns ont voulu par les Harpyes entendre le naturel des larcins. On les a qualifiees Vierges à cause que comme les Vierges ne produisent point, aussi les biens acquis par rapine & volerie sont steriles & tournent bien tost à neant : pour ce regard les a-on appellé affamees, gloutes, ailees & immundes."
(Conti, 1627, p. 730)
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