Le Fils du pauvre
Auteur(s) : Feraoun, Mouloud
Le va-et-vient entre les cahiers :
Nous présentons ici un dossier fatalement lacunaire. Fatalement, parce que Mouloud Feraoun avait l'usage d'envoyer les manuscrits de ses œuvres à ses amis et connaissances pour solliciter leur avis sur le travail en cours de rédaction. On ne les a pas tous retrouvés. En ce sens, le dossier génétique présenté ici, bien qu'incomplet, illustre très bien la démarche d'écrivain de Mouloud Feraoun. Pour d'autres dossiers littéraires (les romans de l'émigration, Le Journal 1955-1962) nous ne disposons que d'un seul état, il ne peut donc être question de donner des exemples de ses usages d'écriture.
Les documents concernant Le Fils du pauvre, numérisés par les soins des membres de la Fondation Feraoun, nous dévoilent plusieurs étapes de la création de l'œuvre. Ils sont également témoins de la grande humilité et de la persévérance de Mouloud Feraoun qui non seulement n'hésitait pas à soumettre son travail aux critiques, mais aussi s'efforçait d'en tenir compte jusqu'à satisfaire les demandes les plus saugrenues de ses relecteurs (p.ex. celle de voir dans son roman un extrait sur l'éducation sexuelle des Kabyles ; voir, à ce sujet, la dernière lettre du cahier des brouillons de correspondance, f8r/v et la comparer aux F. 103v.-104r. de la "Seconde mise au net").
Ces échanges ont laissé une trace ineffaçable sur les documents de genèse qui se partagent en trois groupes. Le premier, appelé "Noyau" regroupe les trois premiers cahiers : deux contenant le brouillon de la version primitive du roman, le troisième constituant une mise au net. Ce noyau a été envoyé à diverses personnes et institutions. Visiblement, Mouloud Feraoun cherchait à affirmer sa vocation d'écrivain en consultant ses maîtres et ses amis, censés avoir l'expérience nécessaire pour évaluer avec acuité son talent d'écrivain. Car écrivain il l'était déjà, cela se lit dans les manuscrits : partant d'une simple autobiographie qui commençait avec "J'ai vu le jour l'an de grâce 1913 […]" ("Premier brouillon 1/2", F. 8r.), il construit progressivement un univers qui lui est propre. La réécriture ("Première mise au net") de ce fragment subit un double travail de fictionnalisation : d'abord, l'écrivain procède à une mise en abyme pour rendre son texte plus littéraire. Il n'est plus question d'une simple autobiographie (voire d'un curriculum), mais d'un texte littéraire digne de ce nom. Hic natus est scriptor. Ensuite, il veille à effacer les traces du repérable en déréférentialisant ses personnages (il change par exemple le nom de famille du missionnaire protestant de Tizi-Ouzou) et en présentant son histoire comme celle qui aurait pu arriver à n'importe qui. Ce travail de déréférentialisation, assez modeste dans le cas du Fils du pauvre, sera plus approfondi dans ses autres textes (notamment dans La Terre et le sang), et deviendra, de même que le recours au procédé de la mise en abyme (Les Chemins qui montent mais le plus abouti dans le cas du roman inachevé La Cité des roses), une marque de Mouloud Feraoun – écrivain consacré.
Au moment de la rédaction du Fils du pauvre, son auteur est pleinement conscient de l'originalité de son œuvre qui puise dans deux sources (les traditions kabyles et la langue française standardisée par l'école coloniale), mais confronté au silence de ses amis bien placés dans les milieux littéraires, il n'est pas encore convaincu d'avoir bien choisi son chemin.
Il soumet donc son manuscrit au jury du Grand Prix littéraire de l'Algérie. Un certain docteur Edmond Sergent, membre de l'Académie des Sciences et de l'Académie de Médecine, membre également du jury mentionné ci-dessus, envoie à Feraoun une réponse négative (Feraoun n'a pas été retenu parmi les lauréats), mais non dépourvue d'encouragements (accompagnés d'un chèque de 5000 francs de l'époque). Stimulé par l'intérêt porté à son travail et les félicitations reçues de la part du jury, redirigé vers un autre concours littéraire (Sully-Olivier), Mouloud Feraoun oublie le refus de publication de la part des Éditions Fasquelle et reprend le travail sur son texte. Les ajouts se multiplient, les lettres circulent, diverses personnalités prennent connaissance du Fils du pauvre.
Nous retrouvons les traces lacunaires de ce travail de reprise dans la deuxième partie du dossier génétique, "Correspondance et ajouts". Elle regroupe des documents divers : brouillons des lettres, cahiers qui se présentent tantôt comme une réécriture partielle de la première mise au net ("Ajouts 1"), tantôt comme des cahiers de brouillon, à l'écriture hâtive et largement raturée... Ces cahiers contiennent des chapitres supplémentaires ("Ajouts 2" et "Ajouts 3") qui trouveront leur place dans la "Seconde mise au net". À ce stade, l'écrivain tente d'enrichir le récit premier.
Fiche descriptive de la collection
- Algérie
- francophone
- Kabylie
- Le Fils du pauvre
- manuscrit
Citation de la page
Feraoun, Mouloud, Le Fils du pauvre, 1944-1948.
Claire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle).
Consulté le 22/11/2024 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/francophone/collections/show/329