Lettre de Georges Marielle à Marguerite Audoux
Auteur(s) : Marielle, Georges
Description
- Georges Marielle est instituteur à Autrecourt, dans les Ardennes. La présente lettre est la première trace que nous ayons de cette amitié.Peut‑être Marie‑Claire est‑elle à l'origine de cette relation, littéraire et amicale, probablement favorisée par Werth, puisqu'on retrouve les deux lettres de Marielle à Marguerite Audoux (181 et 182) dans le fonds familial, et que la romancière, dans une lettre à son «animal poilu» du 5 septembre 1919 (259), parle de Mme Marielle. Voir aussi les lettres 256, 257, 282 (à Lelièvre), et 283 (à Huguette Garnier) et une lettre de Paul d'Aubuisson, du 14 janvier 1925, à sa mère adoptive, dans laquelle le jeune homme écrit à propos de la fille :« J'ai reçu une lettre de Louise Marielle, qui me dit qu'elle apprend à danser à son père, qui lui aussi espère te faire pirouetter aux prochaines vacances. Louise met aussi : «Comme ta tante vient passer les trois mois, j'espère que tu viendras l'accompagner.» »(Fonds d'Aubuisson)Cependant, on peut se demander si cette amitié ne remonte pas à plus loin, dans la mesure où les Ardennes sont présentes dans le conte « Le Chaland de la Reine », publié dès le 28 décembre 1908 dans Le Matin. Ce n'est qu'une hypothèse ; mais l'on sait que Marguerite Audoux fonde la plupart du temps ses fictions sur des lieux connus (on retrouve le Jura où elle fut avec les Besson dans « Valserine », l'Île‑d'Yeu dans « Les Poulains » et Douce Lumière, etc.).
N.B. : Nous n'avons une trace épistolaire que d'un séjour de la romancière chez ses amis ardennais, celui d'août 1921 (lettre 282). - Écho extrait de Gil Blas (sur Octave Mirbeau)
Texte
Vouziers, le 16 juillet 1912
Chère amie,
Encore un «écho» que je détache de Gil Blas[2] et qui est, je pense, susceptible de vous intéresser, voire même de vous émouvoir[3].
Sourire en Île de France.
La République n'a pas fait, pour sa fête, grand bruit sur la côte de Triel [4]qui décline harmonieusement sa verdure jusqu'à la Seine, lente et lumineuse. Quelques cris d'enfants, déjà fiers d'être français ; le jet de quelques « pétards »… Un brave homme empourpré de patriotisme et d'ivresse, qui crie sincèrement des paroles éternelles… Et, blanche, nette, largement ouverte à l'espace, sur le plateau qu'elle couronne, une maison semblait, là, se bercer sous le soleil et dans son repos. Un admirable écrivain y souriait par toute sa santé revenue. Il confiait des projets, qui seront de grandes œuvres. Il n'était pas sans amertume, parce que la fortune que les modes et les pudeurs imposent aux lettres et au théâtre français n'a rien qui puisse réjouir ceux qui se font un libre et fort idéal de cette si belle gloire de chez nous… Mais la Seine s'offrait aux regards, laquelle s'étirait, sinuait à travers l'Île de France, au gré de la naïade qui l'habite.
La nature faisait à ceux qui l'admiraient une leçon d'art puissante et pacifiée ; tout le paysage ensoleillé vivait comme une ode.
Et, tout ému, Octave Mirbeau dit :
« C'est quand même le plus beau pays du monde ».
Ne trouvez‑vous pas que ce morceau vaut bien des pages ?
L'évocation est vivante et pleine de grandeur et de mélancolie de cette maison qui « semble se bercer sous le soleil et dans son repos » et qu'habite un admirable écrivain rendu à ses forces et à sa santé – de « cette maison[5] blanche, nette, largement ouverte à l'espace, sur le plateau qu'elle couronne » et vers laquelle, souvent, doit aller votre pensée.
À vous de tout cœur.
Georges Marielle
[2] Il y en a donc eu d'autres, peut‑être envoyés à la romancière, et dont nous n'avons pas trace. Nous n'avons rien trouvé dans les Gil Blas pour la période autour du 14 juillet 1912. Lapsus du rédacteur ?
[3] Le texte en question a été découpé et collé à l'endroit où nous le faisons figurer dans le corps de la lettre.
[4] Où se trouve la propriété de Mirbeau
[5] Les guillemets ouvrants devraient se trouver avant blanche.
Lieu(x) évoqué(s)Triel-sur-Seine (alors en Seine-et-Oise, actuellement dans les Yvelines)