Lettre de Georges Marielle à Marguerite Audoux
Auteur(s) : Marielle, Georges
Description
- Extrait de Marie-Claire donné à un examen
- Voir ce qui concerne Georges Marielle dans la DESCRIPTION de la lettre 181
Texte
Vouziers, 21 juillet 1912,
Dimanche
Ma chère amie,
Les aspirants et aspirantes au certificat d'aptitude à l'enseignement des langues vivantes dans les écoles Normales ont eu, cette année, à traduire en anglais, en allemand, en espagnol ou en italien le texte suivant[1] :
Thème commun aux langues anglaise, allemande, espagnole et italienne.
En fuite dans la nuit.
Aussitôt que j'eus dépassé les bâtiments de la ferme, je m'aperçus que la nuit n'était pas très noire. Le vent soufflait furieusement et de gros nuages roulaient sous la lune. La route était loin, et pour y arriver il fallait passer sur un pont de bois à moitié démoli ; les premières pluies avaient grossi la petite rivière, et l'eau passait par‑dessus les planches.
La peur me prit, parce que l'eau et le vent faisaient un bruit que je n'avais jamais entendu. Mais je ne voulais pas avoir peur, et je traversai vivement les planches glissantes.
J'arrivai à la route plus vite que je ne pensais ; je tournai à gauche comme je l'avais vu faire au fermier quand il allait au marché de la ville.[2]
Dans le lointain, j'apercevais une masse noire qui couvrait tout le pays ; cela semblait s'avancer lentement vers moi, et,[3] pendant un instant, j'eus envie de retourner sur mes pas. Un chien qui se mit à aboyer me rendit un peu de confiance, et presque aussitôt je reconnus que la masse noire était une forêt que la route allait traverser. En y entrant, il me sembla que le vent[4] était encore plus violent ; il soufflait par rafales, et les arbres, qui se heurtaient avec force, faisaient entendre des plaintes en se penchant très bas. J'entendis marcher[5] derrière moi, et je sentis qu'on me touchait à l'épaule. Je me retournai vivement, mais je ne vis personne[6] ; alors je me mis à courir avec une telle vitesse que je ne sentais plus si mes pieds touchaient la terre. Les cailloux sautaient sous mes souliers et retombaient autour de moi[7] avec un bruit de grêle. Je n'avais plus qu'une idée : courir jusqu'au bout de la forêt.
J'arrivai bientôt à une grande clairière…[8]
Marguerite Audoux, Marie‑Claire, roman.
J'ai trouvé ce document dans le Manuel général de l'Instruction primaire (n° du 20 juillet 1912) (Hachette et Cie, éditeurs).
C'est un journal hebdomadaire pour les instituteurs, qui ne coûte que 10c.
Vous pensez bien que cela n'a pas passé inaperçu pour moi.
Et, sans perdre de temps, je vous signale ce fait, certainement très important, qui me remplit de joie et qui vous communiquera une légitime fierté !
Demain, à coup sûr, je vous dirai que vous figurez dans les anthologies classiques.
Affectueusement à vous.
Georges Marielle.
[1] Le collage est le même que dans la lettre précédente.
[2] Un passage de six lignes, achevant ce paragraphe, a été supprimé.
[3] La virgule après et a été ajoutée.
[4] À partir de le vent, une deuxième coupure est collée à la suite.
[5] Le début de la phrase a été coupé.
[6] À la suite, quatre lignes ont été supprimées.
[7] derrière moi dans le texte
[8] Les points de suspension ne sont pas dans le texte.