Lettre de Marguerite Audoux à Paul d’Aubuisson
Auteur(s) : Audoux, Marguerite
- Paul d’Aubuisson (1906-1990) est l’aîné des trois petits‑neveux de Marguerite Audoux. C’est son fils adoptif préféré, celui qui jusqu’à sa mort veille sur la mémoire de la romancière, le flambeau ayant été repris par ses deux enfants, Geneviève et Philippe (à qui Bernard-Marie Garreau doit l’accès au fonds d’Aubuisson, qui se trouve chez lui), ainsi que par son neveu Roger. Une abondante correspondance entre Paul et sa mère adoptive s’inscrit dans le corpus des lettres familiales et familières (dont l’identifiant commence par le chiffre 0). B.-M. Garreau a rencontré paul d’Aubuisson en 1987, et réalisé plusieurs enregistrements de leurs entretiens.
- Roger et Maurice sont les frères cadets de Paul.
- Vitali est une vieille voisine rue Léopold-Robert.Mardi soir
Je n'ai pas porté ton paquet comme j'y comptais, mon pauvre militaire, et tu le recevras un jour plus tard. J'étais trop fatiguée, la chaleur m'avait aplatie. C'est qu'aujourd'hui et hier il a fait 28 degrés ici. Le pauvre Maurice ouvrait le bec comme une jeune carpe, et Roger a mouillé, à s'éponger, plus de mouchoirs qu'il n’en mouillera à pleurer à l'enterrement du père D[‘Aubuisson]. Ne va pas croire que ce vieux singe est mort. Je veux dire, plus haut, au cas où il y aurait enterrement de cette pourriture.
Maurice va bien, il est frais comme une rose. Roger aussi. Seulement, Roger va retourner à la piscine. Attention ! J'ai couché Maurice dans ton lit. Il s'y est trouvé bien et n'avait qu'un regret, c'est de ne pas y coucher plus longtemps. Ça viendra, puisque tout vient, mais pour l'instant il est bougrement mieux à Meudon, Je voudrais bien y être aussi. Quel dommage que je ne puisse pas me changer en petit garçon orphelin !
Revenons au colis. Je crois que tu feras bien de boulotter le cake d'abord, c'est ce qui se conservera le moins par ces chaleurs. J'ai mis tous les crayons que j'ai trouvés et toutes les gommes. Pour les carnets, il en reste deux. Ce sont des carnets de poche, mais il ne reste que deux ou trois pages blanches. J'ai pensé que cela ne valait pas la peine de les envoyer. Tu verras que j'ai mis avec les gommes la petite pompe à fixatif. J'avais mis la petite bouteille avec, mais l'idée m'est venue qu’elle pourrait se casser et fixer les bonnes choses qui sont dans la boîte. Si tu en veux, du fixatif, il doit y en avoir à Strasbourg. C'est heureux que ta lettre soit arrivée ce matin. Comment a-t-elle fait pour arriver si vite ?
J'ai mis sur tes cartons deux grandes feuilles de papier pliées. C'est le papier, acheté exprès pour envelopper tes effets. Comme je te l'ai dit déjà, roule-les bien et enveloppe-les dans une des feuilles, et ensuite dans l'autre. Tu retiens le tout avec une ficelle, et ensuite tu couds le tout dans l'enveloppe qui a servi à ton colis. Tu couds comme je l'ai fait un bout de carton pour l'adresse, et tu reficelle bien par-dessus. Ainsi tes vêtements arriveront sans anicroches. C'est surtout pour ton pardessus, le reste je m'en fiche. Il est vrai que si tu te fais clown après ton régiment, tu seras peut-être bien content de trouver un vêtement percé au cul.
Je joins à ma lettre la liste des choses contenues dans le colis. J'y joins aussi la lettre du percepteur reçue hier. Tu n'as à répondre qu'aux deux premières questions. Tu ajoutes que tu es sous les drapeaux et tu signes. Ils t'enverront sans doute ta feuille à payer, mais alors, tu demanderas du temps. N'oublie pas de renvoyer cette feuille le plus tôt possible 24 rue Morère. Il faut mettre un timbre de 50 sur l'enveloppe tout comme pour des amis.
Vitali m'a donné 10 frs pour t'acheter de l'eau de Cologne que je devais mettre dans le colis, mais c'est risqué, j'aime mieux que tu l'achètes à Strasbourg. Tu n'es pas dans un désert, il s'en faut, et il t'est facile de trouver là-bas tout ce dont tu as besoin. Je joindrai donc les 10 frs aux 100 frs que je t'enverrai dans la première semaine de juin.
Au revoir, mon fils, continue à bien te porter, à ne pas faire le J. (1) avec ton tabac, à être en paix avec ta conscience et à te dire qu'il y a ici des gens qui pensent à toi.
Je t'embrasse
M.A.
(1) faire le Jacques ?
« Roger a mouillé plus de mouchoirs dans sa journée qu’il n’en mouillera à pleurer […] devient, après ajouts et biffages : « Roger a mouillé, à s’éponger, plus de mouchoirs qu’il n’en mouillera à pleurer […] » (Premier paragraphe). Les soulignements sont de la romancière.
« c’est de ne pas y coucher plus longtemps » : le ne a été ajouté dans l’interligne supérieur.
« reficelle bien le tout » devient « reficelle bien par-dessus ».
« N’oublie pas d’envoyer ta réponse de renvoyer cette feuille le plus tôt possible. »
« Je joindrai donc les 10 frs aux [un mot barré] 100 frs que je t’enverrai […] »