Archives Marguerite Audoux

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Lettre de Marguerite Audoux à Antoine Lelièvre

Auteur : Audoux, Marguerite

Description
Propos sur la maladie - Rédaction laborieuse de L'Atelier de Marie-Claire - Clavel soldat - Werth - Lette - Huguette - Projets de vacances à la mer - Louise Roche - Vitali - Georges Marielle
Texte

[Paris,] 3 [juin[1]] 1919

Mon cher ami,

Vous devez vous demander ce que je deviens. Je deviens une créature de plus en plus grosse et à peu près bien portante. Mais la vraie vérité, c'est que je ne peux m'imposer aucune fatigue, pas plus du corps que du cerveau. C'est bien désagréable pour une femme active comme je le suis. Je ne m'en fais pas trop pourtant, et je recopie autant de pages de Mon Atelier[2] qu'il m'est possible de le faire chaque matin. Il s'avance, ce bouquin, il s'avance lentement. J'y trouve tant de fautes encore que je reste parfois toute une matinée sur une page. Je ne suis toujours pas satisfaite de mes deux derniers chapitres. Je sens bien que je peux faire mieux, et[3] j'espère que d'ici l'automne ils seront à mon goût.
Avez‑vous reçu Civilisation[4] ?
Je suis contente de ce que vous me dites de Clavel[5]. Vous avez le temps de me renvoyer ces bouquins, rien ne presse.
Pour Werth, ceux qui ne le connaissent pas peuvent croire qu'il est juif[6]. Il n'en est rien. C'est un irréligieux. Ses parents étaient de même.
Que la gentille Lette doit être heureuse de coudre ces mignons vêtements pour sa petite Huguette ! Je pense souvent à vous trois. Je vous vois si bien dans la maison et au jardin.
Il commence à faire chaud dans mon sixième et je me prépare à aller aux Sables d'Olonne ou à Pornic passer un mois[7]. La mer m'a toujours réussi jusqu'à présent, je vais en essayer de nouveau. Si je pouvais me guérir de cette fatigue nerveuse !
Mme Roche s'intéresse toujours à vous et me prie de vous envoyer ses amitiés. Vitali aussi. Cette folle de Vitali ! Ne l'entendez‑vous pas me dire d'un ton qui commande :
« Donne‑moi des nouvelles de ton Lelièvre. »
Je ne sais si je vous ai dit que les Marielle[8] avaient passé ici leurs vacances de Pâques. Quel changement dans ma petite maison avec quatre personnes en plus ! Vous l'aimeriez, mon Marielle. Nous parlons de vous tous deux et je sens qu'il vous aime à travers moi.
Au revoir. De bons baisers affectueux pour vous trois.

Marguerite Audoux

Et vos oreilles ?


[1] La romancière a écrit mai par erreur, ce que dément le cachet de la poste. La lettre parvient le lendemain.
[2] Il s'agit du second roman, qui paraîtra l'année suivante, L'Atelier de Marie‑Claire, intitulé jusqu'à cet endroit Madame Dalignac (nom de la patronne de l'atelier en question).
[3] Remplace un mais barré.
[4] Civilisation (1914‑1917), de Georges Duhamel, qui s'inscrit, à la suite de la Vie des Martyrs, dans les Récits des temps de guerre, a obtenu le Goncourt en 1918.
[5] Clavel soldat, de Léon Werth
[6] Marguerite Audoux évoque seulement l'absence d'engagement religieux, et non le point de vue ethnique. La nécessité qu'a eue Werth de se cacher pendant la guerre suivante parle d'elle‑même, s'il en était besoin.
[7] Nous n'avons pas de trace de Pornic. En revanche, on retrouve bien la romancière l'année suivante aux Sables d'Olonne, en juillet (voir les lettres 271 et 272).
[8] Voir la lettre 181
Lieu(x) évoqué(s)Les Sables d'Olonne, Pornic
État génétiqueVoir la note 3 de la partie TEXTE

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Notice créée par Bernard-Marie Garreau Notice créée le 17/12/2017 Dernière modification le 14/03/2025