Lettre de Marguerite Audoux à Romain Rolland
Auteur(s) : Audoux, Marguerite
DescriptionAlain-Fournier - Proposition d'une visite
Texte
[Paris,] Samedi soir, 2 avril [1921]
Cher Monsieur Rolland,
Madame Menet[1] me dit que vous allez bientôt quitter Paris.
Puisque vous êtes bon, il vous faut bien donner, avant votre départ, une tranquillité au phénomène que je suis, en lui permettant (comme à Beversen[2]) de voir votre jardin.
Alain‑Fournier qui avait pour vous une très grande affection[3] n'a pas eu grand mal à me faire aimer le solitaire que vous étiez alors, et dont il me parlait souvent. Mais, je ne sais pourquoi, je vous imaginais sombre, et fermé à toute amitié, ressassant jour et nuit une souffrance aussi noire que vous‑même, et vivant dans un endroit mal éclairé où il n'y avait qu'une table sur laquelle vous écriviez sans répit. Alain‑Fournier est mort, mais je pense à lui comme s'il était vivant, et il m'est difficile de vous séparer de lui dans ma pensée. Seulement, maintenant que je vous connais, je ne peux plus vous mettre dans le noir. Voilà que vous êtes pour moi comme un homme sans logis. Et cette idée me tracasse et m'obsède.
Voulez‑vous me permettre de venir lundi ou mardi de la semaine prochaine, ou un autre jour, à l'heure qui vous conviendra le mieux ?
Bien cordialement.
Marguerite Audoux
[1] Les renseignements les moins imprécis sur cette femme se trouvent dans le Journal de Romain Rolland en date du 22 mars 1921, jour où il mentionne sa première rencontre avec Marguerite Audoux, accompagnée d'une autre femme, Madame Menet, plus jeune, couturière elle aussi. Un exemplaire de La Fiancée qui se trouve au Musée Marguerite Audoux d'Aubigny‑sur‑Nère contient un envoi à Émile et Henriette Menet. Rien ne nous permet pour l'heure d'affirmer qu'il s'agit de la même que celle mentionnée dans la présente lettre. Voir aussi la fin de la note 2 de la lettre 327 du 11 octobre 1928 de Francis Jourdain à Marguerite Audoux. Notons enfin que Paul d'Aubuisson, dans ses lettres à sa grand‑tante, mentionne à de nombreuses reprises une « Menette », qui pourrait bien être la fille des mystérieux Menet… Ces transformations de patronymes sont monnaie courante rue Léopold‑Robert (la mère de Léon‑paul Fargue ne devient‑elle pas « Farguette » ?...).
[2] Nous n'avons rien trouvé d'éclairant sur Beversen. Sans doute s'agit‑il du critique hollandais, que Léautaud évoque une fois dans son Journal (Mercure de France, 1986, tome deuxième, p. 516, 3 février 1930).
[3] C'est cette affirmation qui provoque l'étonnement de Romain Rolland dans sa réponse du 4 avril, et en particulier la parenthèse omise par François Talva ou par Europe (cf. la note 2 de cette lettre 280). Dans son commentaire (voir la partie PUBLICATION), Bernard Duchatelet estime qu' « on peut même se demander si [cette « très grande affection »] n'est pas une invention de Marguerite Audoux, qui est bien la seule à l'évoquer. Dans toute sa correspondance Alain‑Fournier ne parle jamais de Romain Rolland. Dans ses « chroniques et critiques », s'il en parle parfois, c'est en échotier, qui ne laisse transparaître aucune affection dans ses très courts billets. » Notons cependant une mention de Romain Rolland, et fort laudative, dans une lettre d'octobre 1911 de Fournier à René Bichet (Alain‑Fournier, Lettres au petit B., Fayard, 1986, p. 250).
Notes
On trouve dans la bibliothèque du Musée Marguerite Audoux de Sainte-Montaine deux documents en rapport avec Romain Rolland :
‑ Der Romain Rolland Almanach (Zum 60. Geburtstag des Dichters gemeinsam herausgegeben von seinen deutschen Verlegern), Literarische Anstalt Rütten & Coening. Frankfurt a[m] M[ain] ; Georg Müller Verlag München/Rotapfel‑Verlag Zürich ; Kurt Wolff Verlag München. (L'Almanach Romain Rolland, publié par les éditeurs allemands de l'écrivain à l'occasion de son soixantième anniversaire […] ).
‑ Le Liber Amicorum Romain Rolland, Rotapfel‑Verlag, Zürich und Leipzig, 1926, où figure, p. 34, la contribution de la romancière :
Romain Rolland est tout amour et tout courage.
Marguerite Audoux
Parmi les signataires des textes, on trouve des correspondants présents dans notre corpus (Gabriel Belot, Lucien Descaves, Selma Lagerlöf, Léon Werth) parmi d'autres noms connus (Alain, Einstein, Freud, Gandhi, Gorki, Hesse, martin du Gard, Richard Strauss, tagore, Zweig…).
Lieu(x) évoqué(s)Paris