Archives Marguerite Audoux

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Lettre de Marguerite Audoux à Antoine Lelièvre

Auteur(s) : Audoux, Marguerite

Description
  • Description des lieux - Recherche de vacances au bord de la mer pour les Lelièvre - Huguette - Paul d'Aubuisson - Santé - 12e mille de L'Atelier de Marie-Claire
  • Voir les lettres 181 et 182 de Georges Marielle à Marguerite Audoux, et en particulier la partie DESCRIPTION de la lettre 181


Texte

8 août 1921[1]

Autrecourt (Ardennes)

Mon bien cher ami,

J'ai reçu votre lettre hier, mais comme c'était dimanche, c'est‑à‑dire jour de promenade, j'ai eu la flemme d'y répondre. Qui n'a pas sa petite flemme par ce temps ? Car ici, c'est comme chez vous, depuis mai on ne sait plus de quelle couleur est la pluie. Cependant l'eau ne manque pas[2], elle coule de partout. Une source abondante, captée dans la forêt, toute proche, alimente le gros village d'Autrecourt[3], et trouve moyen de couler nuit et jour dans les ruisseaux qui vont se déverser dans la Meuse, fleuve bas[4] et trouble, comme une rivière vulgaire et sans gloire des pays tranquilles.
À part quelques villages représentés par un petit monticule de pierres qui commence à se cacher sous la mousse, on ne s'aperçoit pas qu'il y a eu la guerre par ici. La maison d'école où j'habite, chez les Marielle[5], n'a souffert que de la présence des boches, qui l'avaient transformée en caserne. Mme Marielle, qui est une femme énergique et à laquelle on ne résiste guère, a obtenu les réparations nécessaires assez rapidement, de sorte que je suis installée dans une grande et belle chambre, pourvue d'un large cabinet de toilette. Mon fils[6] a une non moins belle chambre à côté de la mienne, et je vous assure que cela nous semble bon d'être à l'aise dans la maison, nous qui sommes si à l'étroit rue Léopold. – Tout en vous écrivant, je lève le nez de temps en temps, et ce que j'aperçois au loin me fait rester la plume aussi en l'air que le nez. Autrecourt se trouve à une dizaine de kil. de Sedan, et ma chambre a vue sur une large vallée couronnée de forêts, les fameuses forêts des Ardennes où tous les grands arbres ont été enlevés par les boches, pour leur plus grand malheur et le nôtre. Ces forêts sont devenues une sorte de maquis où vivent en bande des sangliers tranquilles, car il n'est guère possible d'y chasser, et surtout d'y poursuivre le gros gibier. Pour l'instant ces[7] forêts sont un enchantement pour mes yeux, elles ferment la vallée en un large cercle d'un bleu foncé qui s'unit à l'horizon clair tout[8] comme la mer que je viens de quitter.
À propos de la mer, je pense que vous espérez un trou pas cher. Des trous, il y en a toujours, mais il faut biffer de votre projet le mot pas cher. Il ne faut surtout pas penser à mon île[9], l'endroit n'est pas pour enfants, et de plus, les deux hôtels vous comptent 20 fr par jour et par personne. C'est, paraît‑il, encore en Bretagne que l'on trouve les trous les moins chers. Cette année, on y est mal à cause du manque d'eau mais, paraît‑il, les Bretons ont baissé leurs prix. Je crois en effet que la mer ferait du bien à votre gentille Huguette[10]. Les enfants à qui elle ne réussit pas sont bien rares. Le mien en a profité au‑delà de tous mes espoirs. Par exemple il est plus noir qu'un bout de pain d'épices séché sur une boutique de la foire. C'est un gentil enfant, qui me donne des satisfactions réelles, qui viennent compenser les réels ennuis qu'il apporte dans mon existence. S'il se développe dans le sens que je lui indique, il sera un homme. Jusqu'alors j'aperçois en lui un grand fond d'honnêteté. Le côté volontaire et rageur qu'ont tous les enfants fait place peu à peu au raisonnement juste. Vous verrez, mon ami, comme les vôtres[11] seront différents dans quelques années. C'est bon de former une petite âme, mais quelle patience il faut avoir !
Mes yeux vont bien pour l'instant. Fasquelle a tiré deux nouveaux mille de L'Atelier de Marie‑Claire en juin dernier, ce qui nous fait 12 mille. Par ce temps de livres chers, je suis encore dans les privilégiés.
Au revoir, mon très cher ami. Je vous embrasse bien affectueusement ainsi que Lette et les deux mignons.

Marguerite Audoux

[1] Lettre parvenue à Mayenne le 9
[2] Mot suivi d'un ici barré
[3] Autrecourt‑et‑Pourron compte entre sept et huit cents habitants à l'époque (les Autrecourtois ne sont plus que trois cent cinquante à la fin du XXe siècle).
[4] Les deux mots se trouvent au‑dessus d'un basse barré.
[5] Voir la lettre 181 (notamment la partie DESCRIPTION), 182 et 281
[6] Paul d'Aubuisson
[7] Le démonstratif est précédé d'un c'est barré (l'une des nombreuses erreurs orthographiques couramment commises). Il est rarissime que la romancière corrige une faute d'orthographe.
[8] Ajouté dans l'interligne supérieur
[9] L'Île‑d'Yeu
[10] La fille des Lelièvre
[11] Huguette et Jacques

Lieu(x) évoqué(s)Autrecourt et ses environs, Bretagne, Île-d'Yeu
État génétiqueVoir les notes 2, 4, 7 et 8 de la partie TEXTE

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Notice créée par Bernard-Marie Garreau Notice créée le 17/12/2017 Dernière modification le 03/05/2024