Archives Marguerite Audoux

Archives Marguerite Audoux


RACHILDE

Auteur(s) : Garreau, Bernard-Marie

Dates1860-1953
Notice biographique
Rachilde est le pseudonyme de Marguerite Eymery, qui épouse Alfred Vallette (1858‑1935) en 1889. C'est le succès de Monsieur Venus (1884) qui la propulse au‑devant de la scène littéraire. Dès lors, elle reçoit le mardi dans son minuscule salon du 5 de la rue des écoles, là où se réunissent les futurs collaborateurs du Mercure, dont elle sera la patronne et une critique assidue (elle assure la recension d'une quarantaine de romans par mois). Elle fait un compte rendu des deux premiers romans de Marguerite Audoux dans les Mercure de France du 16 décembre 1910 et du 15 septembre 1920. Dans le premier de ces articles, elle affirme que « Marie‑Claire est une œuvre de génie. »

Notes

Mercure de France, revue de la Quinzaine, 16‑XII‑1910, p. 682‑683

J'arrive bien tard, trop tard pour vous parler de ce qu'un grand journal illustré, capable de rendre illustres les gens dont il parle, a naïvement appelé : « le cas de Marguerite Audoux » ! Mais est‑il jamais trop tard pour être de l'avis de tout le monde ? Je crois, comme tout le monde, que Marie‑Claire est une œuvre de génie. Ceci posé, je me bornerai à m'étonner d'entendre les gens raconter des choses qui n'ont aucun rapport avec l'œuvre de génie en question. Deux académies se sont disputé l'honneur de couronner cette dame et il m'eût semblé juste qu'elle fût couronnée deux fois, non pas parce que 10.000 fr. valent mieux que 5.000, mais parce qu'en général il n'y a guère qu'une œuvre de génie par an… J'allais risquer par siècle. Maintenant il faudrait savoir si le prix Vie heureuse ou le prix Goncourt est une récompense en nature (c'est‑à‑dire en gloire) ou si c'est une récompense en argent. Tant que nous ne serons pas fixés là‑dessus, nous serons perplexes. Vise‑t‑on, en décernant ces prix, la pauvreté du patient ou son mérite littéraire ? Je ne connais pas du tout Mme Audoux et je suis certaine que son orgueil d'artiste a dû cruellement saigner en parcourant les feuilles publiques où l'on traînait sa pure vie privée sur le… pavois, pour ne pas dire sur la claie. Des femmes jalouses n'auraient pas planté plus de banderilles aux flancs du taureau de la publicité que ces journalistes amis n'ont lancé de perfides insinuations. Encore beaucoup de succès de ce genre et les femmes de génie auront vécu !… Marie‑Claire est une charmante page de la vie de toutes les créatures qui sont capables d'analyser avec leur cœur ou la sensibilité de leur tact artistique. Il n'y a là‑dedans ni faute d'orthographe ni faute de goût. L'auteur connaît son métier, elle s'arrête où commencerait la sensiblerie qui est l'erreur de la belle émotion. Son histoire ? Que l'auteur soit un saint ou un sacripant, j'estime qu'il ne doit jamais raconter son histoire. Je le veux toujours plus haut que lui‑même. Un instinct démocratique, le plus bas des instincts, pousse en ce moment les gens de lettres et les journalistes à insister sur le côté populaire de la question littéraire. Or, ce serait bien mal connaître le peuple que de le supposer capable de rêver démocratiquement. Ce qui lui fait lire les feuilletons de préférence aux œuvres d'art, c'est que les héros sont presque toujours de la haute. La midinette est toujours victime du grand seigneur ou l'épouse… et les mouchoirs se mouillent. La joie frénétique des interviews en proclamant femme du peuple cette princesse de lettres nouvelle venue parmi les autres m'a fait l'effet d'une douche envoyée au peuple. Est‑ce que par hasard ce peuple ne serait souverain qu'en bloc ? Je n'ai jamais douté de la richesse de son sang, qui fournit souvent de très nobles individus, lesquels ne sont plus du peuple, mais des individualités en sortant et prenant place parmi l'élite de la nation. Si Mme Audoux reçoit également le prix Goncourt, ce sera justice[1] : les femmes, dans une idée touchante d'intime charité, l'auront aidée comme une sœur, les hommes ensuite la couronneront comme une reine, ce qui sera doublement honorable, quoique point excessif… et puis ça fera toujours plaisir à ce grand enfant terrible qui s'appelle Octave Mirbeau !


[1] L'article a donc été écrit avant le 8 décembre (jour où le Goncourt a été décerné).

Notice créée par Bernard-Marie Garreau Notice créée le 17/01/2018 Dernière modification le 03/05/2024