Archives Marguerite Audoux

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Lettre d'Élisabeth Davilly à Marguerite Audoux

Auteur(s) : Davilly, Élisabeth

DescriptionCritique acerbe de Marie-Claire
Texte
Royan, 18 décembre 1910

Mademoiselle,

J'achève de lire votre livre[1] et je le ferme avec une telle indignation que je n'hésite pas à mêler un peu d'amertume au miel que vous dégustez en ce moment.
Vous êtes sans âme et sans cœur : vous mettez en scène deux hommes[2] et trois religieuses ; de l'une[3] vous faites une grande coupable, de l'autre[4] une créature repoussante par la dureté, de la troisième[5] une invraisemblable.
Puisque vous avez mangé pendant toute votre enfance le pain de la charité et du dévouement, si votre malheur a été assez complet pour ne voir que ce que vous racontez, votre strict devoir était de vous taire, et non d'en faire la délation[6].
En revanche, vous vous parez d'une inaltérable pureté n'ayant d'égale que celle de votre Eugène et de votre Henri Deslois. Vraiment ils sont attendrissants. Je salue en vous la Jeanne d'Arc des filles de ferme : toutes celles de France vous envieront ce rare privilège qu'on n'ait osé vous toucher que le bout de vos doigts.
Ne croyez pas que j'ignore les dessous de la vie. Je sais qu'il peut y avoir de la fange partout. Lisez L'Isolée de René Bazin[7] et vous aurez la mesure des tableaux de vertu et de dépravation qui peuvent trouver place dans un livre plein de tristes réalités mais honnête et franc.
Si vous avez négligé toutes les[8] leçons de délicatesse, vous avez fort bien appris le français ; votre style clair et coulant est d'une facture charmante. Peut‑être que vous êtes véritablement bien douée et qu'il n'était pas nécessaire de tremper votre plume dans une autre encre que la vôtre, toute chargée des affreux microbes de décomposition morale. Peut‑être que toute cette histoire d'ouvrière parisienne n'est qu'une fable pour amorcer le public. J'aimerais bien mieux cela plutôt que de perdre ma belle confiance dans l'âme populaire si souvent admirable et de croire que rien n'y peut vibrer de beau et de bon.

Élisabeth Davilly

[1] Marie‑Claire, rappelons‑le, a obtenu le Femina seize jours plus tôt.

[2] Il y a plus de deux hommes dans Marie‑Claire. Quels sont donc ceux qui ont pu frapper, en bien, ou plus vraisemblablement en mal, la prude lectrice ? Le père démissionnaire ? L'aumônier coupable ? Sylvain ou Eugène Cherrier (le premier maître et son frère, en Sologne) ? Henri Deslois, l'amoureux de la colline ?… Après le paragraphe moralisateur qui suit, le quatrième semble reprendre ce propos en mettant le projecteur sur Henri et Eugène.

[3] Sœur Marie‑Aimée, enceinte des œuvres de l'aumônier

[4] L'acariâtre Supérieure

[5] Sœur Désirée‑des‑Anges, dont le naturel n'a d'égal que le charme, et qui se dénude avant de mourir, ne supportant plus son austère habit de religieuse

[6] Est‑il si étonnant de trouver la même argumentation bien‑pensante chez Claudel, qui écrit à Jacques Rivière le 10 décembre 1910 (huit jours avant les propos fielleux d'Élisabeth Davilly) : « [Q]uelle belle action que celle de cet enfant élevé par charité qui vient diffamer ses bienfaitrices! Le livre est digne du ruisseau d'où son auteur est sorti. [...] » ? [Correspondance Paul Claudel-Jacques Rivière (1907-1924), Gallimard, Cahiers Paul Claudel n° 12, 1984, p. 172-173].

[7] À notre connaissance, René Bazin n'a jamais écrit d'ouvrage portant ce titre. Peut‑être s'agit‑il de l'intitulé d'un extrait découvert dans un manuel scolaire ou autre anthologie, un passage des Oberlé faisant allusion à Odile, par exemple… (Il n'est pas impossible que l'épistolière soit une religieuse ou une célibataire employée dans une maison d'éducation, ce qui expliquerait bien la tonalité du début de la lettre ; ou encore plus précisément – et de surcroît ‑ une enseignante, ce que confirmerait la fin – le jugement sur le style ‑).

[8] Par inadvertance, deux les se suivent de la fin d'une ligne au début de la suivante.

Lieu(x) évoqué(s)Bourges, Sainte-Montaine
État génétiqueDernier paragraphe :
Par inadvertance l'épistolière fait suivre dux les de la fin d'une ligne au début de la suivante.

Lettres échangées


Collection Correspondants

Cette lettre a comme auteur :
DAVILLY, Élisabeth

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Notice créée par Bernard-Marie Garreau Notice créée le 17/12/2017 Dernière modification le 03/05/2024