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Le corpus de fiches sur lequel je me suis concentrée est celui de la boite XIX du Fonds Foucault, intitulée « Économie, libéralisme de Smith à Hayek ». Cette boite contient dix-sept chemises, parmi lesquelles une a particulièrement retenu mon attention.

Nommée « Néo-libéralisme », elle est non seulement la plus importante pour ce qui est du nombre de fiches, mais également celle qui paraît rassembler les premières notes prises par Foucault sur le thème. Bien que toutes les fiches sur les auteurs néolibéraux ne s’y trouvent pas, elle constitue l’une de nos sources principales d’information pour effectuer la cartographie du regard de Foucault au moment où il s’est lancé dans ses études sur le néolibéralisme et, plus spécialement, l’ordolibéralisme. Si ces fiches ne nous permettent pas de tirer des conclusions convaincantes en ce qui concerne l’ordre des lectures – par quels livres ou auteurs Foucault a-t-il commencé sa recherche ? –, ces documents nous donnent, néanmoins, des indices sur la manière dont il a cherché à collecter des informations sur ces auteurs et leurs thèses.

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Les notes sur le libéralisme allemand comptent au total trente-cinq fiches, à la suite desquelles figure un second groupe, dont onze fiches portent sur le livre de Friedrich Hayek, La route de la servitude, et quatre autres sur des textes de Ludwig von Mises, le tout constituant donc un ensemble majoritairement consacré aux auteurs autrichiens. Dans son cours, Foucault présente ces auteurs comme des « intermédiaires »[1] entre le néolibéralisme allemand et le néolibéralisme américain, thème sur lequel nous trouvons, ensuite, une douzaine de fiches. Cela montre l’existence, au moins en partie, d’une correspondance entre l’étape de l’exposition de la pensée (les leçons) et la manière dont les fiches ont été organisées.

 

Ainsi, dans Naissance de la biopolitique, pour la partie la plus longue et que Foucault lui-même présente comme la plus importante théoriquement[2] – elle concerne la question du néolibéralisme allemand – le philosophe s’appuie largement sur cette bibliographie secondaire, sans consulter de manière systématique les sources primaires. Les ouvrages qu’il privilégie, issus de travaux de thèse, ont l’avantage d’offrir une vision plus générale, ainsi qu’un grand nombre d’informations et de références, caractéristique particulièrement adaptée au contexte de la préparation de ce cours et à la temporalité de la recherche qui y est liée. Si dans les deux cours précédents (« Il faut défendre la société » et Sécurité, territoire et population) sa recherche s’était concentré sur des cadres temporels plus éloignés, en 1979 il décide d’aborder des sujets touchant l’actualité la plus directe de la politique française – une démarche inédite dans la série des cours au Collège de France. Les sources très peu nombreuses qu’il choisit de lire sont donc probablement sélectionnées selon des critères liés à cette temporalité spécifique de sa recherche, se construisant dans un rapport direct avec l’actualité. Dans la perspective de parcourir en peu de temps une vaste plage de savoir, Foucault a probablement procédé à des choix stratégiques. Dans le cas des fiches étudiées ici, son rapport à la bibliographie secondaire n’est donc pas tout à fait le même que celui établit, par exemple,  lors de la préparation d’un livre ou même de cours plus anciens, ayant servi soit à des chantiers de livres en préparation – comme c’est le cas, par exemple, du cours La société punitive (1973), dont le contenu est directement lié à celui de Surveiller et punir (1975) –, soit à des moments de reprise ou d’approfondissement de dossiers déjà travaillés – comme dans Le pouvoir psychiatrique (1974), qui fait un retour à un livre plus ancien, l’Histoire de la folie (1961).

[1] M. Foucault, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France, 1978-1979, F. Ewald, A. Fontana et M. Senellart (éd.), Paris, Gallimard - Le Seuil, 2004, p. 166.

[2] Ibid., p. 81.