Archives Marguerite Audoux

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Lettre de Marguerite Audoux à Valery Larbaud

Auteur(s) : Audoux, Marguerite

Description
Sur "Baboulo" (fils des Jourdain), enfant capricieux - Vie à Saint-Jean-sur-Mer - Problèmes de santé

Texte
LE GRAND JARDIN
SAINT-JEAN-SUR-MER
(ALPES MARITIMES)[1]
[Saint-Jean-sur-mer, février 1911]

Mon cher Valery,

Votre lettre[2] m'a fait un très grand plaisir. Je m'ennuyais de ne pas bavarder avec vous comme par le passé. Je vous remercie de ce que vous me dites pour Baboulo mais je crois que c'est fini pour lui. Je crois qu'il a eu surtout une mauvaise grippe car il toussait à faire frémir. La petite[3] a eu à peu près la même chose mais elle supporte tout avec une bonne humeur étonnante ; c'est‑à‑dire qu'elle est[4] moins désagréable pendant sa maladie que Baboulo quand il est en bonne santé. Je n'ai jamais vu d'enfant comme Baboulo ; il pleure tout le temps, ou il gronde, ou il se plaint ; il ne peut rien supporter, ni en bien ni en mal ; il n'est jamais content de rien ; c'est affreux. Ses parents sont à genoux devant lui pour tâcher de lui rendre la vie meilleure ; rien n'y fait. C'est une petite victime de tous les instants, et ceux qui vivent autour de lui ont l'estomac serré comme s'ils redoutaient toujours un malheur. Agathe ne peut pas s'y faire, elle en souffre terriblement, et Francis ne dit pas ce qu'il en pense. Quant à moi, mon cher Valery, il m'est impossible de l'oublier, même si je suis éloignée de lui. C'est vous dire qu'il m'est impossible de travailler. S'il faisait chaud, je pourrais peut‑être fuir la maison et m'en aller dans les bois, mais il fait un temps gris sans soleil. Il a plu pendant plusieurs jours et le temps ne se remet pas. De plus, nous habitons des chambres qui communiquent, dont les portes restent ouvertes pour que chacun ait un peu de chaleur, car il n'y a que deux mauvais poêles dans la maison, mais quand même j'habiterais 15 étages au‑dessus ou au‑dessous, j'entendrais les enfants crier et Agathe se tourmenter. Ensuite je ne vais pas très bien ; j'ai eu pendant deux jours un commencement de grippe que j'ai soignée d'après le docteur[5], c'est‑à‑dire une purge et des cachets, mais je ne peux pas me remettre. J'ai mal à la tête depuis plusieurs jours et de la fièvre toutes les nuits. En un mot, je ne suis pas bien, sans être vraiment malade. J'espère pourtant que tout cela va se remettre et que je vais pouvoir enfin travailler, mais que de temps de perdu !
Parlez‑moi de Fermina Marquez[6].
Et les Nocturnes[7], à quand ?
Michel m'a écrit qu'il a failli se tuer en tombant dans un trou de quatre mètres de profondeur avec sa bécane. Si le docteur[8] n'avait pas été avec lui, il n'en serait pas sorti vivant, probablement. J'espère qu'il va mieux. Écrivez‑lui[9].
Au revoir. Je vous embrasse très affectueusement.
Marguerite

[1] Même en-tête que pour la lettre 96

[2] Lettre qui n'a pas été retrouvée. On notera le retour au vouvoiement, qui se maintient dans la lettre 99.

[3] Lucie Jourdain, dite « Lulu », de deux ans plus jeune que le frère

[4] est se trouve au‑dessus d'un était biffé.

[5] D'après la médecine en général, ou le docteur représente‑t‑il un personnage particulier ?

[6] Marguerite Audoux évoque ici (comme dans la lettre 97), non le texte en fin de gestation, mais le lancement et le tirage, d'où notre datation (difficile à préciser davantage).

[7] Marcel Ray pose la même question à Larbaud dans une lettre de Montpellier du 12 mars 1911 (« Que deviennent les Nocturnes de Fargue ? »). [Valery Larbaud – Marcel Ray, Correspondance 1899‑1937, tome second, lettre 151, p. 94]. Françoise Lioure précise dans une note de cette édition que « [l]a correspondance Fargue‑Larbaud manifeste à quel point ce dernier poussa Fargue à travailler et à publier ses poèmes […]. Des poèmes de Fargue sous le titre de Nocturnes avaient paru en 1905. En 1910 et 1911, Larbaud harcèlera son ami pour qu'il prépare une nouvelle édition de ses œuvres. Celle‑ci paraîtra en 1912 sous le titre de Poèmes aux éditions de la N.R.F. » [Ibid., p. 281, note 3 de la lettre 144 de Marcel Ray à Valery Larbaud du 31 décembre 1910, lettre dans laquelle Ray écrit à Larbaud : « Je trouve admirable votre tentative de sauver Fargue, alors que tout le monde l'abandonnait. » (Ibid., p. 78) ‑ allusion clairvoyante à la vocation de découvreur et de sauveur chez l'auteur de Barnabooth].

[8] Non identifié

[9] Comme à son habitude, Marguerite Audoux organise les relations de son entourage masculin, et en particulier lorsqu'il s'agit de Michel (voir ce qu'elle écrit à Gide, en particulier dans les lettres 41 et 51).

Lieu(x) évoqué(s)Saint-Jean-sur-Mer
État génétique
c'est-à-dire qu'elle est : est se trouve au-dessus d'un était biffé.

Géolocalisation

Notice créée par Bernard-Marie Garreau Notice créée le 17/12/2017 Dernière modification le 03/05/2024