Lettre (co-signée par Léon-Paul Fargue) de Valery Larbaud à Marguerite Audoux
Auteur(s) : Audoux, Marguerite
Valery
Léon‑Paul Fargue
[2] Valery Larbaud a emmené dans sa voiture automobile Léon‑Paul Fargue pour un pèlerinage « au couvent de Marie‑Claire », c'est‑à‑dire l'Hôpital Général de Bourges où Marguerite Audoux demeura en tant qu'orpheline de 1868 à 1877. Les deux compères visitent aussi les environs, comme l'attestent la suite de cette lettre et la carte qui la précède (lettre 69), postée le matin de Gien, d'où ils sont partis pour rejoindre la cité berruyère, avant de gagner Argenton.
[3] « Quasie » (voir la note 1 de la lettre 106) est le surnom, diversement orthographié, de la voiture automobile de Larbaud. En 1911, l'auteur de Barnabooth écrira même Le Journal de Quasie, qu'il ne publiera pas – et dont une grande partie sera vraisemblablement détruite (les seules traces qui en subsistent sont les quelques feuillets recopiés par G. Jean‑Aubry) ‑. Au début du manuscrit, se trouve cette note : « Ceci est le journal de bord d'une jeune limousine peinte en bleu de roi à filets bleu clair, et qui a reçu son nom d'une petite fille surnommée Quasie » [Aubry (G. ‑ Jean), Valery Larbaud, sa vie et son œuvre, éditions du Rocher, Monaco, 1949, p. 151]. Le surnom de Quasie, selon Francis Jourdain, est donné en Bretagne aux enfants qui louchent. La petite Quasie en question est la fille de Millie, une ancienne maîtresse de Charles‑Louis Philippe. La fillette, au demeurant, aurait eu des facilités pour écrire. Quel rapport entre la fillette et la voiture de l'écrivain ? Les dons littéraires ? Les phares qui souffriraient d'un léger strabisme ?…
[5] Quotidien dans lequel Alain‑Fournier écrira plusieurs chroniques sur sa consœur. N'oublions pas non plus que la carte qui précède (lettre 69), et la lettre, postées le même jour par Larbaud, de Gien puis de Bourges, arrivent à Paris à la veille du Prix Femina‑Vie heureuse que la romancière va remporter. L'article en question, « «Claudine» et «Marie‑Claire» » est en première page du Paris‑Journal du 30 novembre 1910, avec les photos des deux romancières (Marguerite Audoux pose avec un livre ouvert devant elle, qu'elle lit). Pour donner une idée de la tonalité de cet article quelque peu alambiqué (portant notamment sur la simplicité de Marie‑Claire…), nous en extrayons le principal passage consacré à notre romancière :
« Marie‑Claire ? Une idylle fraîche, pure et chimérique comme les fleurs de givre que l'hiver brode aux vitres des maisons ; un jet de bon lait frais tiré. Mais les idylles ne se prolongent guère, pas même le temps d'écrire trois cents pages, au sein de la Nature féroce autant que belle. Le lait suave est servi dans une tasse de choix et la main qui l'a trait a ciselé la coupe.
Cette fraîcheur, cette simplicité soutenue, nous les avons déjà savourées dans certains contes norvégiens, dans certaines pages de nos jeunes gens de lettres ; ce sens savant de l'imprécis, épanoui en un vague lumineux, Maeterlinck l'a mis à la mode et, chez Marguerite Audoux, l'âme de la rurale s'accompagne indéniablement d'une très ferme volonté d'artiste qui transpose, arrange, choisit dans la corbeille que lui tend le Destin. »
[6] Tout ce que retrouvent Larbaud et Fargue se situe par rapport à ce que leur a raconté la romancière, et aussi en relation avec le propos de Marie‑Claire. Nous nous référerons au roman à chaque fois que cela sera possible (certains détails mentionnés ici n'apparaissant pas dans le livre).
[9] La niche, qui se trouve au‑dessus de l'entrée à présent condamnée, protège une statue de Saint Roch avec son chien.
[10] « Notre nouveau curé habitait dans une petite maisonnette, tout près de la chapelle. Le soir, il se promenait dans les allées plantées de tilleuls. » [Marie‑Claire (1910), première édition des « Cahiers Rouges », Grasset, 1987, p. 49].
[11] C'est là que travaille Marie‑Claire, dans la troisième partie du roman, qui suit l'épisode solognot : « Je vis aussitôt qu[e Sœur Désirée‑des‑Anges] me conduisait vers les cuisines, dont la large porte vitrée était tout éclairée. / Je ne pensais plus à rien. La neige, qui tombait fine et dure, me piquait le visage, et je sentais de violentes brûlures aux paupières. En entrant dans les cuisines, je reconnus les deux jeunes filles qui se tenaient devant le grand fourneau carré. / C'étaient Véronique la pimbêche et la grosse Mélanie […]. […]Bien avant le jour, je me levai pour commencer mon métier de cuisinière. / Mélanie me montra comment on soulevait les énormes marmites. / Il fallait autant d'adresse que de force. Il me fallut plus d'une semaine avant de pouvoir seulement les bouger de place. » (Ibid., p. 191 et 197). C'est dans ces mêmes cuisines que l'on apprendrait à Marie‑Claire qu'Henri Deslois, celui qu'elle avait aimé en Sologne, est marié : « J'entendis encore quelques mots que je ne compris pas ; puis, le jour éclatant des cuisines se changea en nuit noire, et je sentis que les dalles s'enfonçaient et m'entraînaient dans un puits sans fond. » (Ibid., p. 200‑201).
[14] Personnages de la première partie du roman (tous deux « fauteront », et un enfant naîtra – détail au demeurant véridique). Sœur Marie‑Aimée (née en 1836, la même année que la mère biologique, et à un mois près) est le modèle avéré (le nom de religion a été inchangé) de celle qui, en tant que première mère de substitution pour l'orpheline, la marquera à jamais. « M. le curé » est l'abbé Marti (1813‑1877), nommé à… soixante ans aumônier de l'Hôpital général (sœur Marie‑Aimée en a alors trente‑sept). Sur l'importance du banc dans leurs relations, voir la partie "notes"
[15] Il n'en est en effet pas fait mention dans Marie‑Claire. Pour la grange, devenue un débarras, le détail provient à l'évidence de conversations tenues avec la romancière.
[16] Il s'agit des Sœurs de la Charité. (renseignement fourni par Jean‑Yves Ribault, Directeur honoraire des Archives de Bourges).
[17] Dans la troisième partie du roman, en effet, Marie‑Claire, après avoir été chassée par la famille Deslois, revient à l'Hôpital général. Cet épisode correspond à la réalité biographique, contrairement à d'autres, cette troisième partie étant la plus romancée (on sait par exemple qu'Henri Dejoulx, le modèle d'Henri Deslois, ne se mariera que cinq années plus tard, contrairement à ce qui est évoqué dans Marie‑Claire). Rappelons ‑ ce qui n'apparaît pas dans le roman autobiographique ‑ qu'il y avait eu un premier retour à l'orphelinat le 28 mars 1877 après neuf mois d'apprentissage chez un marchand tailleur de Neuvy‑sur‑Barangeon (marguerite Donquichote partira pour la ferme de Berrué le 2 juin suivant).
[18] Si les deux écrivains sont passés par Sainte‑Montaine, oui. Sinon, c'est peu probable. Il y a fort à parier que « Quasie » ait emprunté le chemin le plus direct, via Aubigny‑sur‑Nère, que Larbaud évoque. Il écrit que Sainte‑Montaine est indiquée sur la carte, mais y serait‑il allé qu'il n'eût pas manqué de décrire le village et les environs.
[20] Voir le début de la deuxième partie de Marie‑Claire, quand l'orpheline vient d'arriver à la ferme : « Un grand silence s'étendait autour de la ferme, et de tous côtés on ne voyait que des sapins et des champs de blé. Il me semblait que je venais d'être transportée dans un pays perdu, et que je resterais toujours seule avec le vacher et les bêtes que j'entendais remuer dans les étables. » (Op. cit., p. 92). Et, une vingtaine de pages plus loin, l'épisode où la bergère se perd avec ses moutons dans le brouillard (qui s'étendait peut‑être sur la lande sillonnée par Quasie le 30 novembre 1910) : « Un jour, je fus surprise par un brouillard si épais qu'il me fut impossible de reconnaître mon chemin. Je me trouvais tout à coup auprès d'un grand bois qui m'était inconnu. Le haut des arbres se perdait complètement dans le brouillard, et les bruyères paraissaient toutes enveloppées de laine. Des formes blanches descendaient des arbres et glissaient sur les bruyères en longues traînées transparentes. » (Ibid., p. 111).
[21] C'est en tout cas celui de sa mère, Marie Aussudre, déclarée à la mairie de Chaillac, dans l'Indre, entre Argenton et Le Blanc.
- À propos du motif de la cloche dans Marie-Claire :
« Ce fut encore Mélanie qui m'apprit à sonner la lourde cloche du réveil : elle me montra comment on cambrait les reins pour tirer la corde. Je saisis vite le balancement du son régulier, et chaque matin, malgré le froid ou la pluie, j'avais un grand plaisir à sonner le réveil.
La cloche avait un son clair que le vent augmentait ou diminuait, et je ne me lassais pas de l'entendre.
Il y avait des jours où je sonnais si longtemps que sœur Désirée‑des‑Anges ouvrait la fenêtre et me disait avec une moue suppliante :
‑ Assez ! Assez ! »
[Audoux (Marguerite), Marie‑Claire (1910), Grasset, « Les Cahiers Rouges » (première édition), 1987, p. 197].
La cloche apparaît de façon récurrente dans la fin du roman, comme si le son en rythmait le dénouement tragique. à la mort de la jeune sœur Désirée‑des‑Anges, le motif en question assume particulièrement cette fonction, bien rendue, parmi d'autres répétitions, par l'anaphore dont l'écho semble se prolonger à travers le passage du passé simple à l'imparfait :
« Je sonnai longtemps ; les sons s'en allaient loin, bien loin ! Ils s'en allaient où s'en était allée sœur Désirée‑des‑Anges.
Je sonnais, parce qu'il me semblait que la cloche disait au monde que sœur désirée‑des‑Anges était morte.
Je sonnais aussi parce que j'espérais qu'elle mettrait encore une fois son beau visage à la fenêtre pour me dire :
«
Mélanie m'arracha brusquement la corde. La cloche, qui était lancée, retomba à faux, et fit entendre une sorte de plainte.
Mélanie me dit :
‑ Es‑tu folle, voilà plus d'un quart d'heure que tu sonnes !
Je répondis ;
‑ Sœur Désirée‑des‑Anges est morte. »
(Marie-Claire, Grasset , Les Cahiers Rouges, édition de 1987, p. 210‑211).
« Pendant la promenade, je remarquai qu[e sœur Marie‑Aimée] marchait comme si quelque chose l'eût soulevée. Je ne me rappelais pas l'avoir jamais vue marcher comme cela. Son voile s'envolait un peu aux épaules, et sa guimpe ne cachait pas complètement son cou.
Elle ne faisait aucune attention à nous, elle ne regardait rien, et on eût dit qu'elle voyait quelque chose. Par instants, elle souriait, comme si quelqu'un lui eût parlé intérieurement.
Le soir, après dîner, je la retrouvai assise sur un vieux banc qui touchait à un gros tilleul. M. le curé était assis près d'elle, le dos appuyé contre l'arbre.
Ils avaient l'air grave.
Je croyais qu'ils parlaient de Colette, et je m'arrêtai à quelques pas d'eux.
Sœur Marie‑Aimée disait, comme si elle répondait à une question :
‑ Oui, à quinze ans.
Monsieur le curé dit :
‑ à quinze ans, on n'a pas la vocation.
Je n'entendis pas ce que répondit sœur Marie‑Aimée, mais M. le curé reprit :
‑ à quinze ans, on a toutes les vocations : il suffit d'un geste affectueux ou indifférent, pour vous éloigner ou vous encourager dans une voie.
Il fit une pause, et dit plus bas :
‑Vos parents ont été bien coupables.
Sœur marie‑Aimée répondit :
‑Je ne regrette rien.
Ils restèrent longtemps sans parler ; puis sœur Marie‑Aimée leva le doigt comme pour une recommandation et dit :
‑ En tout lieu, malgré tout, et toujours.
Monsieur le curé étendit un peu la main en riant, et il dit aussi :
‑ En tout lieu, malgré tout, et toujours.
La cloche du coucher sonna tout à coup, et M. le curé disparut dans les allées de tilleuls.
Pendant longtemps, je me répétais les mots que j'avais entendus ; mais jamais je ne pus les associer à l'histoire de Colette.
(Ibid, p. 67‑68. C'est nous qui soulignons).