Lettre de Marguerite Audoux à André Gide
Auteur(s) : Audoux, Marguerite
DescriptionManuscrit de La Mère et l'Enfant - Léon Werth - Angèle Lenoir - Valery Larbaud
Texte
Marguerite Audoux
Vendredi soir [28 janvier 1910[1]
]Cher Monsieur,
Je suis toute confuse d'avoir été vous troubler ce soir, mais je crois vraiment qu'il n'y a pas lieu de se tourmenter outre mesure de ce qui arrive. En admettant que Francis Jourdain ne possède pas un autre manuscrit de La Mère et l'Enfant, il sera aussi content d'avoir n'importe lequel ; ce qu'il désire avant tout, c'est une chose de Philippe[2].
Je le connais assez pour pouvoir affirmer qu'il serait très peiné de savoir qu'on peut retirer ce manuscrit à quelqu'un qui est heureux de l'avoir ; cela lui gâterait tout le bonheur qu'il aurait lui‑même à le posséder.
Si vous ne lui avez pas encore écrit, ne le faites pas ; ce serait le troubler aussi inutilement que je l'ai fait pour vous. Je le verrai dimanche et je saurai s'il existe un autre manuscrit.
Pardonnez‑moi, je vous en prie, d'être venue vous déranger ce soir. J'étais surtout venue pour vous parler de Werth et il s'en est fallu de peu que je n'en parle pas. Je voulais aussi vous remercier pour la petite Angèle Lenoir[3].
Cela me semblait une chose toute simple d'aller vous trouver avec Valery Larbaud et voilà que j'ai été saisie de je ne sais quelle inquiétude en entrant dans votre maison.
Pardonnez‑moi et croyez à mes meilleurs sentiments.
Marguerite Audoux
[1] La Médiathèque ne propose pas de date. Le 28 janvier (qui correspond bien à un vendredi) semble certain puisque l'allusion, dans le quatrième paragraphe, à la démarche en faveur de Werth est commentée, ce même 28 janvier, dans une lettre que Gide écrit à Jean Schlumberger : « Ne pourriez‑vous pas écrire à Werth […] pour lui dire de la manière la plus douce possible que la NRF n'a pu prendre que la première partie de sa note. Il paraît (Mme Audoux sort d'ici) que le pauvre garçon est très désemparé […]. » [André Gide – Jean Schlumberger, Correspondance (1901‑1950), Gallimard, 1993, p. 247‑248. (c'est nous qui soulignons)]. La note en question est celle qui, sous la signature de Werth, paraîtra dans le numéro spécial de la NRF du 15 février 1910 sur les Contes du Matin de Charles‑Louis Philippe (p. 319‑323).
[2] Le manuscrit de La Mère et l'Enfant a déjà été offert à Anna de Noailles (voir les lettres 23, 391 et 392). On se reportera avec profit à l'article de David Roe, « La Publication de La Mère etÉ l'Enfant en 1911 », in Bulletin des Amis de Charles‑Louis Philippe, n° 57, 2001, p. 2‑50 (voir en particulier les p. 23‑28, « Le rôle de la Comtesse de Noailles »).
[3] La fille d'Émilie Legrand, ancienne maîtresse de Philippe, disparue neuf mois plus tôt que lui. Marguerite Audoux s'occupe de réunir l'argent pour la pension de la fillette qui vit à La Haie-Fouassière, près de Nantes, chez sa grand‑mère.
Lieu(x) évoqué(s)Paris