Lettre de Marguerite Audoux à Antoine Lelièvre
Auteur(s) : Audoux, Marguerite
Description
Tricot pour Georges Roche - Lelièvre soldat - Octave et Alice Mirbeau - Lette - Mort de Paul Cornu - Werth - Louise Roche
Texte
Paris, le 8 janvier[1] 1915
Oui, mon bon ami, j'ai bien reçu vos lettres[2], et si je n'ai pas répondu tout de suite à la première, c'est que je n'avais pas une minute de libre pour le faire. Il m'a fallu tricoter des manches de gilet à ce pauvre Roche[3], qui doit partir d'un jour à l'autre. De plus il est très enrhumé et il attendait après son tricot comme après un médicament qui devait le soulager. Je viens de finir et aussitôt je commence de bavarder avec vous.
Savez‑vous que c'est un peu cochon de vous laisser sans paille propre. Ne pouvez‑vous réclamer ? Il y a des dépôts où les soldats sont bien, pourquoi n'en serait‑il pas de même chez vous ? Cela dépend surtout des chefs. Les brutes ne sont pas toujours ceux que l'on pourrait croire.
Je n'ai pas encore pu aller voir Mirbeau. Je sais par Madame Mirbeau qu'il est assez bien, mais triste et plein d'ennui de sa solitude. C'est si loin, Cheverchemont, et si compliqué pour y aller en ce moment. Et par‑dessus le marché je boite terriblement. Aussi j'attends encore, afin de ne pas m'estropier par une trop grande hâte à faire ce voyage.
Bien sûr que je la défendrai, votre Lette[4]. Mais n'allons pas si vite. Vous n'êtes pas encore mort.
Je viens de voir dans Le Journal que Paul Cornu est mort. Vous le connaissiez aussi je pense. C'était un délicieux ami. Encore un qui ne viendra plus rue Léopold.
Les dernières nouvelles des Werth n'étaient pas mauvaises, mais je tremble pour d'autres que j'aime et qui sont sur le front.
Au revoir et bien affectueusement à vous deux Lette [sic].
Marguerite Audoux
Ma Louise me prie de vous embrasser aussi. Elle a aujourd'hui de bonnes nouvelles de son fils[5].
M. A.
[1] Lettre envoyée le 9
[2] Lettres non retrouvées, comme toutes les autres de Lelièvre à Marguerite Audoux
[3] Georges Roche, mari de Louise ex‑Dugué
[4] Lelièvre lui a à l'évidence demandé de veiller sur son épouse au cas où il disparaîtrait.
[5] René Dugué
Lieu(x) évoqué(s)Cheverchemont, Mayenne, Paris