Archives Marguerite Audoux

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Lettre de Marguerite Audoux à Antoine Lelièvre

Auteur(s) : Audoux, Marguerite

DescriptionPropos sur la santé - Douce Lumière - Les enfants - Many
Texte

[Paris,] 13 janvier 1935[1]

Mon bien cher ami,

Mauvais, les yeux, toujours mauvais. Ah ! les sales bêtes ! Cependant l'affreuse tache noire qui me bouchait presque complètement le jour commence à s'éclaircir. Si tout va bien dans trois ou quatre mois, je pourrai peut-être reprendre mon bouquin. On ne sait pas comme cela vous manque, un bouquin à faire ! Du temps que je vous parle de mes maux [sic], je continue par les oreilles . Des bourdonnements insupportables accompagnés de violents maux de tête. Je crois que vous avez eu cela pendant la guerre. Je n'ai pas besoin de vous les décrire. Et puis quoi encore ? Non, plus rien, je pense, tout au moins pour aujourd'hui.
Parlons vite de nos enfants tandis que le voile gris n'efface pas trop encore ce qui sort de ma plume. Cela ne tardera pas, hélas ! Je le sens, là, tout près, ce méchant voile.
Je suis contente de ce que vous me dites de votre Huguette et du solide Jacques[2]. Les miens sont en bonne santé, mais que de tourments, et que de difficultés pour vivre !
Je crois vous avoir dit que l'aîné s'est marié il y a deux ans déjà. Ils font bon ménage mais voilà le mari sans travail depuis trois mois. Et vous savez, tout comme moi, que « quand il n'y a pas de foin au râtelier »… Ce qui est vrai pour les chevaux l'est également pour les hommes.
Le deuxième n'est pas encore marié, mais c'est tout comme. Charmante, la jeune personne, avec des qualités sérieuses. Le garçon, retour du régiment en avril dernier, a été en chômage pendant sept mois. Le petit, dix-sept ans, peu intelligent, fait du bricolage en attendant de s'engager dans la marine ou autre. C'est un enfant doux, affectueux, n'ayant rien à lui, donnant tout, ou se laissant tout prendre, ce qui revient au même.
Moi non plus je ne suis guère au courant de ce qui s'imprime[3], se joue, ou se dit, pour la bonne raison que je ne peux plus lire. Ma future petite bru[4] essaye bien de me lire les faits sensationnels, mais j'ai ce travers de ne pas écouter, ou de partir sur un mot qui m'emmène je ne sais où tandis que la lectrice continue, de sorte que lorsque je reviens, je ne sais plus de quoi il retourne. Et je n'ose pas le lui demander.
À vous mes meilleurs souhaits, mon cher ami, et un solide baiser, bien affectueux, à partager en famille.

Votre très vieille amie M. Audoux[5]

[1] Lettre envoyée le 14 et reçue le 15
[2] Les enfants de Lelièvre
[3] Réponse à une lettre que nous n'avons pas retrouvée
[4] Marie‑Rose Pirié (1905‑1989), dite « Many », épousera Roger d'Aubuisson (qui a sept ans de moins qu'elle) le 7 septembre 1935 à Bagnolet. En 1934, avec Roger et Many, Marguerite Audoux s'est rendue en Sologne et à l'Île‑d'Yeu.
[5] Le dernier paragraphe est écrit en haut à l'envers, et la signature suit de haut en bas à gauche.
Lieu(x) évoqué(s)Paris

Géolocalisation

Notice créée par Bernard-Marie Garreau Notice créée le 17/12/2017 Dernière modification le 03/05/2024