Thresors de la Renaissance

Finances et Trésor de la plume française


Auteur(s) : Du Tronchet, Estienne

Généralités

Présentation générale de l'œuvreDu Tronchet est l’auteur d’un recueil de lettres qui paraît pour la première fois en 1569 sous le titre de Lettres missives et familieres d’ Estienne Du Tronchet, secretaire de la Royne mere du Roy. L’ouvrage connaît ensuite de nombreux enrichissements au cours de la décennie qui suit et de nombreuses rééditions après la mort de l’auteur.
Les Finances et thresor de la plume françoise est un recueil de lettres beaucoup plus court qui prend une dimension plus nettement didactique en proposant des modèles de lettres suivant la classification cicéronienne selon les situations d’énonciation. Adressé aux secrétaires de France, l’ouvrage se veut avant tout pratique, avec un avant-propos qui rappelle les types de lettres et une table par lieux communs qui permet de trouver la lettre adéquate qui pourra ainsi servir de modèle d’écriture selon les circonstances.
Titre long de la première édition identifiée (ou autre édition)Finances et thresor de la plume françoise de Estienne du Tronchet, Secretaire de la Royne (Lucas Breyer, 1572)
Information sur l'auteur ou les auteurs
  • Du Tronchet, Estienne
  • Écrivain, auteur de discours, de lettres, de vers et de traductions de Pétrarque et de Caton. - Secrétaire de Jean d’Albon, puis de son fils, trésorier de leur domaine en Forez
Date de la première publication de l'œuvre1572
Date de la dernière édition identifiée1572

Informations sur l'œuvre

Consulter une transcription de la table des matièresTDM 1572 Finances et Trésor de la plume française Lucas Breyer

Description & Analyse de l'œuvre

Date de la dernière édition identifiée1572

Transcription et analyse des péritextes

Transcription des péritextes de toutes les éditions
  • ILLUSTRATION – portrait de l’auteur (Recto de la page de titre) [Nicolas Du Chemin, 1572]
    Est. Du Tronchet sur son pourtrait.
    Le graveur non sans cause en mon pourtrait m’a mis
    Les yeux gros & ouverts, & la bouche couverte.
    C’est que ma volonté est plus souvent ouverte,
    Par effect, que bouche, au besoing des amis.
    Et quand à ce qu’il m’a pourtraict sans bras & mains.
    Et ainsi que tu vois la teste toute nue :
    Ce n’est pas (comme il dit) pour sembler aux Romains :
    Mais c’est pour faire veoir ma puissance menue.
  • Lettre pour l’honneur et tiltre de ce livre, addresse a monsieur le Baron de Ferrals Seneschal de Lauraguais, conseiller & maistre d’hostel ordinaire du Roy, & ambassadeur de sa Majesté en Flandres. [Nicolas Du Chemin, 1572]
    Monsieur il plaist à nos grands & saiges maistres qu’il n’y ait chose en ce monde plus belle que la congregation de beaucoup de bon peuple conjuré ensemble pour le bien public & utilité particuliere de l’un & de l’autre, & semble que ce soit la premiere chose qui ait esté veue & acceptée au monde de vi- (ã 2 r°) vre les hommes ensemble unis : car de telles unions sont venues à croistre les villes & les citez admirables. Apres selon Plato furent trouvées les republicques, desquelles furent les formies inventrices par la comprinse & imagination des hommes qui considerent ces petits animaux aller ainsi de compaignie, se travailler esgalement, pourveoir autant à l’une comme à l’autre de leurs utilitez & avoir toutes choses communes. Veritablement c’est une belle imagination que de ce petit train, qui s’aide & gouverne ainsi mutuellement par le benefice de Nature. Pleust à Dieu Monsieur, qu’il y eust autant de solicitude entre les hommes à conquerir & apprendre la vertu, comme elle est en ces petites bestes en la provision de leur vie. Que paravanture les paresseux ne vivroient pas ainsi de la sueur de ceux qui travaillent : Les meschans ne s’avanceroient pas sur l’interest des personnes de bonne volonté. Les ineptes ne s’advantageroient point sur la capacité des hommes de valleur. Et ne se paistroient les vicieux du pain de la vertu. Mais baste que Dieu ayant creé [sic] toutes choses avec ame sans raison : hors mis (ã 2 v°) l’homme à qui il luy a pleu donner en preciput ceste singuliere excellence participe de sa divinité. Il semble que quelque bastarde Nature s’y soit depuis introduicte, qui a si bien brouillé les cartes du jeu du monde que nous sommes reduicts à ce poinct, qu’il faille que les hommes tirent le spectacle de la raison sur l’exemple des choses desraisonnables. Et pour revenir à mon premier propos apres ceste congregation vindrent à se principier les lettres qui furent aussi acceptées pour bonnes. Comme à la verité on ne leur peut desrober l’honneur qui leur appartient. Mais pareillement par la malice du temps tout ainsi que les loix qui en sont derivées qui furent aussi quelques saisons fort aggreables. Toutes choses ont esté si prevaricquées, que nous sommes reduicts en pire condition que nous n’estions lors qu’il n’y avoit lettres ny loix ny chose autre pour l’establissement de la societé humaine, que la naifveté & sincerité des hommes : Et semble que tant de sciences & de loix adjoustées & interpretées l’une sur l’autre à l’appetit de chascun qui se veut plus faire veoir, qu’il ne sçauroit estre en effect, soient la (ã 3 r°) propre matiere de nos confusions. Non point, Monsieur, que je voulusse inferer que les lettres de soy ne soient bonnes & fructiferes quand elles sont comme le miel, ou la rose tirées de leur espine, ou de la mouche qui poingt. Ce qui ne peult resulter qu’à la gloire & reputation des gens de bien qui en font profession de tant plus grande & merveilleuse que le nombre s’en treuve petit, lesquels je craindrois scandaliser en cest endroict, des autres me souciant si peu que de rien : Mais veux-je bien conclurre que j’ay trouvée la coustume fort louable d’aucuns Roys & Princes anciens qui faisoient difficulté de commectre les charges de leurs principaux affaires en pays estrangers, à personnes fondées de trop de sciences acquises, mais plustost y preferoient personnes fideles, de bon sens, de jugement solide & de vertueux naturel par peu qu’ils les sentissent imbus de la praticque de leur estat. Ayans oppinion comme il se voit que plusieurs choses ont esté perverties & gastées en beaucoup de republiques par une trompeuse outrecuidance de ceux qui se sont trop promis de leur sçavoir & plusieurs autres conservées (ã 3 v°) & maintenues en la modestie d’une ancienne rondeur & simplicité de creance. Et vient que les loix & les ordonnances des princes sont aujourd’huy la plus part assez villipendées, de ce qu’il n’y a gueres ministre de robbe longue, qui arrivé à quelque supreme degré de dignité publique ne vueille incontinent establir une nouvelle loy, plus pour faire parler de luy & insinuer son tiltre, que pour consideration du bien universel, mesprisant & revoquant ce que ses predecesseurs auront faict avec apparence de raison. Somme, Monsieur, que si les loix du monde estoyent à restablir, & que ce fust à mon souhaict, je voudrois faire comme les Romains, qui demeurerent trois cens ans apres la construction de la ville, vivans heurensement [sic] de leurs propres meurs, sans aucune prescription de loix, que de ce qui se tiroit de leur naturel jugement, & encores apres les guerres finitimes, ayans prins nouvelles considerations de se reformer par Roys, & envoyé en athenes pour en estre instrucits, dont ils tirerent par les meurs de leurs voisins, les loix des douze tables, leurs affaires se porterent assez bien pour une espace [sic] de temps. Mais depuis qu’un (ã 4 r°) & autre Empereur ou Consul voulurent adjouster du leur, chascun à qui mieux mieux selon que l’ambition qui se mesla parmy leur Republicque qui les transportoit. Elle vint à empirer jusques en la declination qui s’en est ensuyvie. Ou bien voudrois-je (comme vous dictes n’agueres) rechercher exactement si faire se pouvoit, les meilleurs & plus sainctes loix qui auroyent esté faictes par nos predecesseurs, & icelles faire si curieusement observer que les Roys & les Empereurs mesmes ny voulussent contrevenir de leur puissance absolue & auctorité privée. Et cela Monsieur ay-je a long temps eu en mon imagination. Et comme il n’y a si petit qu’il ne se cuide estre Empereur aux discours capricieux qu’il se faict à part soy, & dont il veut estre creu seul, & adheré par soymesmes. Depuis que j’ay eu cest honneur par deça d’estre receu amiablement pres de vous, & quelque fois quand il vous a pleu me faire cest honneur de m’employer en vostre charge au service du Roy. J’ai consideré que je me suis trouvé bien souvent trompé en l’opinion que j’avois eue des hommes, & cogneu par effect que com-  (ã 4 v°) me les loix ne font pas les hommes, mais les hommes font les loix. Ainsi au contraire, les hommes ne font pas les charges, mais les charges font les hommes. Ceux qui sont nourris de bonnes meurs preuvent de leur seul entendement ce que requiert la necessité du temps, les escritures sont tousjours en un estat, & l’homme de bien, & accort change de conseil & d’oppinion selon la diversité des occasions. Et voyla pourquoy Licurgus ne voulut oncques user de loix escriptes. Ainsi Monsieur j’ay veu de vous qui n’estes fondé en l’œuvre, que ce  que la vivacité d’esprit & la bonne affection qui vous conduict vous en acquiert tous les jours, avez neantmoins si dextrement manié la grandeur des affaires qui vous ont esté imposez. Ayant à negocier avec l’excellence du Duc d’Alve qu’est recogneu pour l’un des plus grands Cappitaines de sa qualité que l’on puisse reputer en ce monde, & en temps si dangereux, qu’il n’y a guere lieu en l’université chrestienne, qui se puisse prevalloir d’une clarté parfaicte, sans quelque fascheuse tenebre de la turbulance du temps, que si les propositions que (ã 5 r°) vous avez faictes à sa dicte excellence, en nombre & diversité de chose de grande importance, avec la grace des remonstrances, inductions, instances & regularitez, conformes aux oracles & sentences d’un si grand Romain valeureux Scipion, estoyent escriptes, comme j’ay eu cest honneur d’en sçavoir la pluspart, cela seroit suffisant argument pour en faire un livre auquel le plus docte du monde, sans la praticque et experience des choses, seroit bien empesché avec la subtilité de son latin. Je laisse à part d’avoir sceu bien & entre nations si esveillées & accortes, moderer vos actions. Et par consequence je puis asseurer au monde que si les loix prescriptes estoyent aussi bien perdues que le reste des livres de la Sibile, encores en la France aussi bien qu’en Athenes & en Sparte on trouveroit des Solons & des Licurgues en la judicieuse nature & facilité d’esprit de vous & de vos semblables. Je me tais de la patience qui vous a conduict quatre ans de suitte pour preferer le bien public au naturel appetit de vostre patrie, sans jouyr de la presence d’une si sage & vertueuse patrie que Dieu a joinct à vos merites aves trois fils heureusement (ã 5 v°) nez, ny mesmes du bien que vos predecesseurs vous ont de si longue main accumulez, & suffisamment laissez pour vivre tranquilement en la grandeur de vous mesmes, sans vous empescher d’autres affaires que des vostres, & jusques à sentir de trois cens lieues le pays invahi [sic] & ravagé par les grosses trouppes qui y ont passé, vos maisons en proye & danger de combustion & pillage, sans vous esmouvoir autrement que de ces propres mots que j’ay ouy avec plusieurs gens de bien qui le sçavent comme moy. Je prie Dieu (dictes vous) que tout le mal tombe sur mon bien seulement, que ma femme & mes enfans soyent (s’il luy plaist) preservez d’inconveniens, les pauvres habitans de mes terres soulagez, & qu’il plaise à sa divine bonté envoyer bien tost quelque si heureuse fin aux affaires de mon maistre, que son pauvre peuple s’en puisse ressentir. Et sur toutes choses que sa volonté soit faicte. Les amours, les passions, les ardeurs ont faict autre fois par la fiction des Poetes transformer les hommes en pierres & en bois, & puis eslevez aux cieux en signes celestes. Et vos experiences & longues & studieuses affections & ardeurs (ã 6 r°) au service des Roys en grandes & notables charges, tesmoins vingt ans qui y ont esté employez avec peu d’intermission vous ont metamorphozé en un autre vous mesmes prenant le chemin du lieu duquel Scipion parle en son songe qui est preparé la haut pour ceux qui se seront vertueusement portez en l’administration des affaires publics [sic] : de manière qu’on pourra maintenant dire de vous ce qui a esté dict de ce grand Troyen renommé, Hei mihi qualis erat quantum mutatus ab illo Hectore, Or Monsieur, pource que mon intention n’estoit point au commencement d’entrer en vos louanges, Mais que seulement je m’y suis trouvé poussé d’un point à autre, par je ne sçay quel esperon qui m’a picqué les flancs de la raison joincte à l’obligation que j’ay à la verité. Ne reste seulement à respondre à quelques personnes qui m’ont reproché que j’ay cy devant faict mectre en lumiere quelques petits livres que j’ay dediez à grands seigneurs qui n’ont monstré de m’en sçavoir gré ny grace, dont je n’en puis accuser que le propre demerite de moymesmes. Se trouvans esbahis que veu l’affection (ã 6 v°) qu’il vous plaist me porter, les caresses & l’honneur desquelles il vous a pleu me rendre receveur & comptable à vostre genereuse bonté, me jugeans pour cela discourtois & ingrat, je diray seulement que pour me vouloir sembler de pouvoir satisfaire tant d’obligations par lettres de parade qui vous louassent pour amateur de vertu, pour bien facteur des vertueux, courtois, liberal envers chascun magnifique & genereux envers tous. Et semblables autres tiltres qu’on a accoustumé de donner à plusieurs faussement, & qu’on ne sçauroit exprimer, j’attendois qu’il vous pleust à bon escient me commander quelque chose pour vostre service, où ma propre vie se peut constituer en proye de vostre contentement, avec ce peu que Dieu m’a donné d’experience & de sçavoir. Non pour partie de ma satisfaction & cancellation des obligez que je vous ay, mais affin que ma servitute feit apparoir par effect combien elle vous est inclinée, ou pour parler plus clairement pour vous monstrer combien je vous suis fidele & affectionné serviteur. (ã 7 r°) Mais pource que vostre cœur genereux est nay pour exercer continuelles courtoisies & avoir pour privilege de son opinion le propre merite de soy ne voulant chercher recompense d’autruy que celle de son seul contentement. Et somme qu’il vous plaist que chascun vous soit obligé, & nullement vous à personne qui est un secret de grandeur, & une subtile invention de liberalité tirée d’une quinte essence de la parfaicte bonté de nature. Cela a esté cause du ravissement de ma liberté, & que les commandemens que j’attendois de vous, m’ont esté sincoppez à mon grand regret, me mectant maugré moy au chemin de l’ingratitude que je fuys sur toute chose du monde. A ceste cause pour ne me laisser du tout constituer en erreur de mescognoissance. Je me presente à vous avec ce petit livre tout honteux que je suis pour deux choses. L’une de me sentir desja mocqué d’un si petit payement par ceux qui sçavent de combien je vous suis debiteur. Et l’autre pour preveoir le cœur duquel je sçay que vous le recepvrez. Et de la louange que je m’asseure que vous y donnerez par la seule vertu de vostre honnesteté (ã 7 v°), quand il seroit encores beaucoup moindre. Dont de serviteur que je vous ay esté toute ma vie, je vous resteray esclave, ne me pouvant deffendre de telles courtoisies que par l’instrument de vostre mesme courtoisie : à laquelle sans autre artifice de lettre, je presente mes humbles recommandations, suppliant le Createur vous donner
    Monsieur, en parfaicte santé longue & heureuse vie. d’Anvers ce premier jour de Juillet. 1570.
    Vostre humble & ancien serviteur.
    Du Tronchet.
  • Du Duc Dalve. [Lucas Breyer, 1572]
    Audict Seigneur de Ferrals.
    Sonnet.
    Quand je voy ce Duc d’Alve, & que son excellence
    A purgé le pays des fausseurs de la foy.
    Si bien, sans perte d’hommes, qu’à Dieu & à son Roy.
    Il y a restably entiere obeyssance.
    Qu’il sçait quand il est temps exercer la clemence,
    Et quand il est besoin la rigueur de la loy,
    Puis apres bravement ordonner le tournoy
    Pour recevoir sa Royne avec magnificence.
    Il me semble de veoir l’un de ses grands Romains
    Qui meirent joug au col des rebelles humains
    Par vertu, par conseil, par amour, ou par hayne.
    Somme voyant en luy un abysme d’honneur,
    J’honore ta vertu, compaigne de grand heur,
    D’avoir sceu manyer un si grand Capitaine. (ã 8 v°)
  • Audict Seigneur Baron de Ferrals sur l’office & estat d’un ambassadeur. Et sur la plus heureuse retraicte d’iceluy. [Lucas Breyer, 1572]
    Que dict le pere sainct, que dict ce devot homme ?
    Que dict le Catholique et l’Empereur de Rome.
    Quels discours en beuvant font ses sujets Flamans ?
    Quels propos à loisir font ces gras Allemans ?
    Que disent dans sainct Marc ces Seigneurs Magnificques
    Et tous ces potentats maintenant pacifiques
    Que dit le grand seigneur qui a le vent en poupe,
    Qui voudroit ce pendant vaincre toute l’Europe.
    Ces messieurs pencent ils que malheur et souffrance
    Molesteront sans fin par trouble nostre France
    Pour servir aux parleurs de matiere et d’objet
    D’un grand roy molesté du mal de son subjet.
    Pensent ils voir tousjours la saison si maligne
    Qu’e dit l’ambassadeur en Flandres quelle mine
    Tient il aux discoureurs pour tenir mieux couverts. (ē 1 r°)
    Ses advis plus certains qu’en la bourse d’Anvers ?
    L’un dit qu’il est besoing que le tout s’extermine
    L’autre que peu à peu le temps se contremine,
    Et l’autre que le peuple interessé y est
    Tel parle de la guerre qui ne sçait pas que c’est.
    La guerre vient de Dieu, et faut qu’ainsi il aille
    Sans parler d’une paix ny de donner bataille
    Si n’est en tant qu’il plaise à sa grande bonté
    Pour ne rien attenter contre sa volonté.
    D’ailleurs mal-heur n’est pas tousjours à une porte
    Raison plus que jamais est equitable et forte,
    Et sous elle fortune a si legere main
    Que tel rit aujourd’huy qui plorera demain.
    Pauvres ambassadeurs il me prend grand envie
    A propos de cela d’escrire vostre vie,
    Et par combien de fois pour fournir le devoir
    Il vous est necessaire exceder le pouvoir.
    Premier estans prochains ou vous faire longs & rares,
    Et de favoritez convertir en barbares,
    En vous ostant des mains le pain quotidien,
    Pour vous mander brotter le champaige Indien.
    Mais voicy que je sents meilleur en vostre office
    C’est que s’il est besoing pour le bien du service
    Des princes & des rois que quelqu’uns soient trompez (ē 1 v°)
    Vous estes en cela les premiers attrapez.
    Figurez & couvrez par saincte contenance
    Le bien ou le malheur qu’il vous plaist que l’on pense,
    Soyez bien asseurez retenus & rusez
    Vous estes toutes fois les premiers abbusez.
    Vostre plus grand soing est vous garder de mesprendre
    Ne dire ou faire rien que lson puisse reprendre
    Car comme l’umbre au corpps (sic) les traits calumnieux
    Et le reproche sous obstacle de vos yeux.
    Et apres advenant que quelqu’un de vous face
    Quelque chose de bon, messieurs qui sont en grace.
    Pres de leurs majestez le font trouver petit
    Ou grand, bon, ou mauvais, selon leur appetit.
    Ils veulent qu’en briefs mots soit faicte ample response
    Et qu’en peu d’escripture un grand discours s’enfonce,
    Et ainsi vous faisans deviner leur façon
    Par leurs propres humeurs ils vous font la leçon.
    Ils vous donnent la loy telle que bon leur semble,
    Ils la font et deffont quelque fois tout ensemble
    Et comme si estiez innocents ou nouveaux
    Vous tirent par le nez ainsi qu’on fait les veaux
    Ce pendant practiquez les choses et qu’on entre (ē 2 r°)
    En affaire important penetré jusqu’au centre
    Tellement observez sont vos dits et vos faits
    Que vos esprits ne sont jamais bien satisfaits,
    Car sans quelque soupçon onques ne sçauriez estre
    Du peuple ou de partie, ou bien de vostre maistre
    Tout vous vient à travers par derriere ou devant
    Ainsi qu’à un pignon toute sorte de vent.
    Laissons là la sueur qui vous monte au visaige
    Vous voyant arriver, ou courrier ou message.
    Avant qu’ouvrir la lettre, y craignant de toucher :
    Quelque chose à rebours qui se peust reprocher.
    Premier on vous y paist d’une faveur expresse,
    Et d’un stile commun vostre grande sagesse,
    Vostre fidelité vostre dexterité,
    Monsieur l’ambassadeur ont beaucoup merité,
    Ayez doresnavant plus de solicitude
    D’user en cest affaire extreme promptitude
    Sans que nostre envieux s’en puisse apercevoir,
    N’y aussi nul soubçon nostre amo concevoir.
    Au surplus et au reste, et quant à l’autre affaire
    Vous eussiez (disent ils) bien mieux faict de le taire.
    Toutes fois sur le lieu l’œil juge le besoing
    Mieux qu’on ne le pourroit considerer de loing,
    Faites au reste à tout si bonne diligence (ē 2 v°)
    Que le retardement ne nous porte nuisance
    Et à choisir le temps trouvez vous si dispos
    Que rien ne soit tenté qui ne soit à propos.
    Dieu sçait quelle faveur ce pendant tel vous presle
    Qui par œil de desdain ou par branle de teste
    Ayant fair mal gouster tout ce qu’avez bien faict
    Vous mande que le Roy en est fort satisfaict.
    Au surplus il vous faut tenir ouverte table
    Représentant un Roy, vostre charge notable
    A force de despense, et Dieu sçait de combien
    A bon compte il y va de vostre propre bien.
    Puis pauvres orateurs vivans en esperance
    De quelque grand bien faict pour toute recompence
    Apres qu’on vous a faict deux ou trois ans tirer
    On vous faict grand faveur de vous en retirer.
    Donques retire toy Ferrals de ta province
    Ne laissant apres toy la grace de ton Prince
    Pour changer tes travaux avec tranquilité
    Et composer repos avec felicité.
    Apres le long labeur, rien n’est qui ne repose
    Qui bien est il ne doit desirer autre chose
    Celuy n’est pas accort qui sans blasme ou rebut
    A servy pour son temps et n’y mect quelque but.
    Curius grand Romain reffusa les grandeurs
    Des tresors presentez par les ambassadeurs (ē 3 r°)
    Lors qu’ayant triumphé victorieux et brave
    Il fut trouvé chez soy rostissant une rave.
    Ceux là qui ont assez & qui par une rage
    D’ambition extreme en cherchent davantage
    Ceux là jamais ne sont en ce monde contens,
    Et si ne vivent pas la moitié de leur temps.
    Je sçay bien qui te tient bien loing de l’avantage
    Du bien et du desir d’en avoir davantage
    C’est la foy et l’honneur, le respect et le cueur
    Qui est envers ton Roy de ton aise vaincqueur
    Tu t’en pourrois passer, si tu le sçais cognoistre
    Tes moyens suffisans pour de toy estre maistre
    Sans penser aultre part qu’à ton Dieu. Car pourquoy
    Ton pere te laissa heureusement dequoy.
    C’est bien faict toutes fois et naturel office
    D’aymer de cœur son Roy et luy faire service,
    Il faut aussi aimer soy mesme et sa maison
    Nature à toute chose a donné sa saison.
    Va t’en à Lavraguais visiter le domaine
    De ta Seneschaucé, prens congé de la Royne
    Mais prens congé de gré par tel si retenu
    Qu’à la servir tousjours tu sois le bien venu.
    C’est là ou le tien corps sans attendre qu’il meure
    Pour le salut de l’ame doibt bastir de bonde heure
    Et au ciel par vertu quelque bon lieu choisir (ē 3 v°)
    Ce qu’en court on ne peut au comble du plaisir.
    C’est là où le repos esloigné de la guerre
    Ne te donra souci qu’à dresser le parterre
    Du jardin et du parc garni de pourmenoyrs,
    Tellement umbragez qu’ils seront presque noirs
    Tous les jours au matin ton œuvre la premiere
    Sera de prier Dieu, et apres ta priere
    Discourir en bon air d’affaires un petit
    Pour peu à peu te faire esmouvoir l’appetit.
    Si tost ton disner prest se couvrira la table
    De morceaux à loisir, d’histoires ou de fable
    Tendant à la vertu pour en instruire mieux
    Tes enfans et nepveux lumiere de tes yeux.
    Mon Dieu quelle douceur, & au corps et à l’ame
    Te voyant caressé d’une si saige dame
    Loin d’affaire d’autruy qui te tenoit transy.
    Et qui plus que le tien te donnoit de soucy.
    Alors que le beau temps te mettra le courage
    Tu prendras l’air au long de ton riche heritaige
    Avec force de chiens, ou s’il te vient à poinct
    Pour vaincre le Gibier un oyseau sur le poing.
    Quand tu seras pressé ou jour ou nuict du somme
    Tu te reposeras s’il te plaict, & en somme
    Tous poincts d’heures du jour que tu auras comptez.
    Seront heures de toy et de tes volontez. (ē 4 r°)
    Tu verras tes voisins par faveur amiable.
    Et eux souvent et toy ne ferez qu’une table,
    Ou par divers plaisirs communement contents
    Tascherez de tromper la malice du temps.
    Tu verras volontiers par douceur apparente
    Les hommes qui te font le service et la rente
    Semant paix parmy eux, s’il leur survient discords
    Et les aymans non moins que membres de ton corps.
    Mais ainsi que l’oiseau retiré en sa caige
    En mirant les vertus d’une femme si saige
    Te mectras à couvert si le temps pluvieux
    Sera de ton plaisir quelque fois envieux
    Tu tromperas les vents à fueilleter le livre
    Pour l’antique vertu imiter et ensvyvre
    Et visitant par fois tes papiers de raison
    Tiendras en bon estat l’ordre de ta maison.
    Tu verras de bon cœur et d’une chere honneste
    Tant d’amis par toy faicts de courtoise conqueste,
    Tant en court comme ailleurs au service du Roy.
    Je sçay que tu voudrois y tenir Villeroy.
    Tu y souhaicteras la prime nourriture
    Que je puis appeller ta seconde nature (ē 4 v°)
    Pour y avoir receu d’honneurs à million
    Ce sont tes bons amis habitans de Lyon.
    L’Espagnol soubsçonneux avec son arrogance.
    Ne te fera plus là sa brave reverence
    Ny ses propos dorez, expressement ornez
    Pour te (comme l’on dit) tirer le vers du nez.
    L’Italien subtil qui va selon fortune
    Ne t’y fera aussi sa requeste importune,
    Dont je t’ai veu souvent avec moy irrité
    Pour changer sa mensonge avec ta verité.
    Mais plustost par souhaict la gracieuse trouppe.
    Du Flamant plus ouvert y brindera la coupe,
    De laquelle si bien il acquiert du voisin
    L’amitié et la foy par le sang du raisin.
    Voila ton certain but, et qui plus me contente
    Le chemin plain et seur ou la mer sans tormente
    Laissans aux plus actifs le plus haut qui plus nuict.
    Et puis adieu Ferrals, bonsoir et bonne nuict.
    En heur content se dict. (ē 5 r°)
  • Stephano du Tronchet. Guy Pignard
    Magister regiorum computorum. [Lucas Breyer, 1572]
    Jullius ornavit divina laude quirites,
    Qui viguit latio primis in eloquio.
    Sic nostri eloquii certissima gloria cum fis,
    Gallia ne latio cedat honore, facis. (ē 5 v°)
  • De Denys Godeffroy, Parrisien. [Lucas Breyer, 1572]
    Ode.
    Strophe.
    Si le temps est tantost heureux
    S’il est apres plus dangereux ?
    Si nuls jours n’ont rien soubs leur main
    Qui ne se change au lendemain,
    Je veux avant que destinée
    Vueille mon ame à soy tirer
    Heureusement me retirer
    A la voye mieux estimée,
    Je veux aller vers les neuf sœurs,
    Où je feray mes accords seurs,
    Et y tenant de main senestre
    Mon luth chantera de la dextre
    Faisant à l’entour retentir (ē 5 v°)
    De du Tronchet la renommée
    Duquel la plume si bien nommée
    Ne peult me faire autre sentir.

    Antistrophe.
    Les traicts gaillards de l’heureux style
    Qui doucement coule & distille
    Aux oreilles de nos espris
    Par l’ancien honneur appris
    Meritent bien que l’on entende
    De combien fut sa douce voix
    Favorisée soubs le pavoys
    De Minerva et de sa bande.
    Dont l’ignorance ire conceut
    Des aussitost qu’elle le sceut,
    Pour veoir la françoise faconde
    Comparoistre par my le monde
    Avec toute sa seureté,
    Et de son antique ramage
    Par un privé et doux langage
    Modifier sa dureté. (ē 6 r°)

    Epode.
    La gloire fut grande & prospere
    Achile : mais comme j’entends
    Ce fut alors que l’heureux temps
    La feit hausser par un Homere :
    Ceste cy est d’autre façon
    Il ne luy faut nulle leçon
    Pour la louer que de la sienne,
    Et si vaut bien la delienne,
    Apollo seul en faict les sons
    Conduit l’archet, bande la lyre
    De du Tronchet qui le faict bruire
    Si doucement en ses chansons.

    Strophe.
    Muses ( (sic) d’honneur voulez vous pas
    Agiliter mes pesants pas
    Et m’impartir vos heureux dons
    Pour inventer mille fredons
    El les toucher dessus ma lyre
    En la faveur de cest esprit
    Tant renommé par son escrit
    Qui faict de France la plume luyre ?
    Muses d’honneur voulez vous taire ?
    Les merites du Secretaire (ē 6 v°)
    Dont l’heur et la dexterité
    Maugré du temps l’austerité
    Qui a son cours comme on peut veoir
    Sans coutelas et sans espée
    Nous a l’ignorance coupée
    En augmentant vostre pouvoir ?

    Antistrophe.
    Mais quoy ? sçais tu pas du Tronchet
    Que de nous comme d’un eschet.
    Fortune joue à son plaisir,
    Ainsi nous faut avant moisir
    Savorer une et autre chose,
    Ainsi le soldat valeureux
    Apres avoir esté heureux
    En la victoire il se repose,
    Ainsi heureux cent et cent fois
    Qui sçait vivre soubs telles loix
    Ainsi vivant heureux seras
    Et ainsi tu devanceras
    Fortune & le temps en sa rage
    Cependant je te chanteray
    Et tes livres je hanteray
    Prenant exemple en ton ouvrage. (ē 7 r°)

    Epode.
    Car ta vertu inveterée
    Vogue en mon cœur, comme sur eaux
    On veoit voguer plusieurs vaisseaux
    Sans s’escrier apres Terée
    Philomelle pour la vanger
    Aupres des Dieux se veut ranger
    Ainsi soit ma langue muette
    Si je ne fais sur ma musette
    Retentir ton nom florissant
    Ainsi sur moy dure l’envie
    Si je ne suis toute ma vie
    Ton plus que tresobeissant. (ē 7 v°)
  • Denys Godefroy Parisien. [Lucas Breyer, 1572]
    Sonnet.
    Celuy qui calpestrant le silence odieux
    Veult de son cœur à tous bons tesmoignage rendre,
    Et combien l’homme peut s’honnorer pour apprendre
    Les autres à sçavoir discourir beaucoup mieux.
    Celuy aussi qui joinct le soing delicieux
    Au prouffit qui se peut par la lecture prendre
    Que peut il esperer, qu’obtenir et pretendre
    Des hommes la louange, et la gloire des cieux ?
    Doncques pour du Tronchet (Muses bien advisées)
    Puis que si bien il a eslargi les brisées
    Du naturel pouvoir de la plume de France :
    Gravez le marbre dur, et sur maints collysées,
    Parmy tous escrivains, soyent ses lettres prisées,
    Affin qu’à chascun siecle en soit la souvenance. (ē 8 r°)
  • Est. Du Tronchet à messieurs les secretaires de France. [Nicolas Du Chemin, 1572]
    Le grand pere des secretaires Cicero escrivant à Curio se fust bien estendu plus avant, s’il luy eust pleu d’en prendre la peine, à nous prescrire un certain ordre & observation de stile en toutes manieres d’escrire, mesmement en ce qui concerne l’office d’un bon & suffisant Secretaire, dont il n’est pas si grand nombre (peut estre) que de mouches en Esté. Mais je croy que le bon homme pensoit (comme je fais) que telles choses se peuvent mieux concevoir par long usage & par imitation de ceux (ĩ 1 r°) qui ont ceste grace de Dieu, que d’y pouvoir rendre force precise ny regle certaine. Et quant à moy (Messieurs) qui me repute l’un des moindres de vous, je trouve bien avec ce grand Orateur qu’il y a trois manieres d’escrire, dont la moindre me semble estre basse, doulce & facile, que nous appellons pour mieux dire familiere, l’autre (qui est la superbe & souveraine) nous ‘appellons grave & severe. Et la troisiesme (qui est la moyenne) nous l’appellons commune & participe. Mais à fin que tant de noms & d’appellations ne nous puissent constituer en confusion d’escriture, je suis d’advis si vous le trouvez bon (& me semble que vous le devez trouver mauvais) que doresnavant nous les appellions seulement, l’une familiere, l’autre souveraine, & l’autre lettre de compliment. Et à fin de nous en pouvoir servir avec quelque plus d’ordre qu’il n’a esté observé jusques icy par l’indignité de ceux qui n’ont cogneu ou qui ont mesprisé la dignité de nostre estat. (ĩ 1 v°)
Collection créée par Anne Réach-Ngô Collection créée le 16/10/2016 Dernière modification le 24/07/2022