Thresors de la Renaissance

Trésor de la sagesse


Auteur(s) : Charron, Pierre

Généralités

Titre long de la première édition identifiée (ou autre édition)Le thresor de la sagesse. Compris en trois livres par M. Pierre le Charron, parisien (François Le Fèvre, 1606)
Information sur l'auteur ou les auteurs
  • Charron, Pierre
  • Moraliste et prédicateur. - Avocat. - Homme de lettres. - Homme d’Église
Date de la première publication de l'œuvre1606

Transcription et analyse des péritextes

Transcription des péritextes de toutes les éditions
  • A Monseigneur, [François Le Fèvre, 1606]
    Monseigneur le Duc D’Espernon, Pair & Colomnel de l’Infanterie de France.
    Monseigneur, Tous sont d’accord, que les deux plus grandes choses qui tiennent plus du ciel, & sont plus en lustre, comme les deux maistresses du monde, sont la vertu & la bonne fortune, la Sagesse & le bonheur. De leur preferance il y a de la dispute ; chascune a son pris, sa dignité, son excellence. A la vertu & Sagesse, comme plus laborieuse, suante, & hazardeuse, est deuë par precipu [sic] l’estime, la recompense : à l’heur & bonne fortune, comme plus haute & divine, est deuë proprement l’admiration & l’adoration. Ceste cy par son esclat touche & ravit plus les simples & populaires ; celle là est mieux apperceuë (¶ 2 r°) & recogneuë des gens de jugement. Rarement se trouvent elles ensemble en mesme subject, au moins en pareil degré, & rang, estant toutes deux si grandes, qu’elles ne peuvent s’approcher & mesler sans quelque jalousie & contestation de la primauté. L’une n’a point son lustre, & ne peut bien trouver son jour en la presence de l’autre : mais venans à s’entre bien entendre & unir, il en sort une harmonie tres melodieuse, c’est la perfection. De cecy vous estes, Monseigneur, un exemple tres riche & des plus illustres, qui soit apparu en nostre France, il y a fort long temps. La bonne fortune & la Sagesse se sont tousjours tenus par la main, & conjointement se sont faits valoir sur le theatre de vostre vie. Vostre bonne fortune a estonné & transy tous par sa lueur & splendeur ; Vostre Sagesse est recognuë & admirée par tous les mieux sensez & judicieux. C’est elle, qui a bien sçeu mesnager & maintenir ce que la bonne fortune vous a mis en main. Par elle vous avez sceu non seulement bien remplir, conduire, & relever la bonne fortune ; mais vous vous l’estes bastie & fabriquée, selon qu’il est dict, que le Sage est artisan de sa fortune ; (¶ 2 v°) vous l’avez attirée, saisie, & comme attachée & obligée à vous. Je scay avec tous, que le zele & la devotion à la vraye religion, la vaillance & suffisance militaire, la dexterité & bonne conduicte en tous affaires, vous ont acquis l’amour & l’estime de nos Rois, la bien-vueillance des peuples, & la gloire par tout. Mais j’ose & veux dire que c’est vostre Sagesse qui a la meilleure part en tout cela, qui couronne & parfait toutes ces choses. C’est pourquoy justement & tres à propos, ce livre de Sagesse vous est dedié & consacré ; car au sage la Sagesse. Vostre nom mis icy au front est le vray titre & sommaire de ce livre : c’est une belle & douce harmonie, que du modele oculaire avec le discours verbal, de la practique avec la theorique. S’il est permis de parler de moy, je diray confidemment, Monseigneur, avec vostre permission, que du premier jour que j’eu ce bien de vous voir & considerer seulement des yeux, ce que je fis fort attentivement, ayant auparavant la teste pleine du bruit de vostre nom, je fus touché d’une inclination, & depuis ay tousjours porté en mon cœur, une entiere affection & desir à vostre bien, grandeur & prosperité. Mais estant de ceux qui (¶ 3 r°) n’ont que les desirs en leur pouvoir, & les mains trop courtes pour venir aux effects, je l’ay voulu dire au monde, & la publier par cest offre que je vous fais tres-humblement, certes de tres-riche estoffe, car qui a-il de plus grand en vous & au monde, que la Sagesse ? Mais qui meriteroit d’estre plus elabouré & relevé pour vous estre presenté. Ce qui pourra estre avec le temps, qui afine & recuit toutes choses : & de vray voicy un subject infini, auquel l’on peut adjouster tousjours : mais tel qu’il est je me fie, qu’il sera humainement reçeu de vous, & peut estre employé à la lecture de Messeigneurs vos enfans, qui apres l’idée vive, & patron animé de Sagesse en vous, y trouveront quelques traits & lineamens : & de ma partie demeureray tousjours,
    Monseigneur,
    Vostre tres-humble & tres-obeissant serviteur.
    Charron. (¶ 3 v°)

  • Table des chapitres [9 pages] [François Le Fèvre, 1606] (¶ 4 r° - ¶ 8 r°)

  • De la Sagesse. Preface où est parlé du nom, subject, dessein, & methode de cest œuvre. [François Le Fèvre, 1606]
    Il est requis avant tout œuvre, sçavoir que c’est que sagesse, & comment nous entendons la traitter en ce livre, puis qu’il en porte le nom & le tiltre. Or des l’entrée nous advertissons, que nous ne prenons icy ce mot subtilement au sens hautain & enflé des Theologiens & Philosophes (qui prennent plaisir à descrire & faire peinture des choses, qui n’ont encores esté veuës, & les relever à telle perfection, que la nature humaine ne s’en trouve capable, que par imagination) pour une cognoissance parfaicte des choses divines & humaines, ou bien des premieres & plus hautes causes & ressorts de toutes choses : laquelle reside en l’entendement seul, peut (¶ 8 v°) estre sans probité (qui est principalement en la volonté) sans utilité, usage, action, sans compagnée & en solitude ; & est plus que tresrare & difficile, c’est le souverain bien & la perfection de l’entendement humain ; ni au sens trop court, bas, & populaire, pour discretion, circonspection, comportement advisé & bien reglé en toutes choses, qui se peut trouver avec peu de pieté & preud’hommie ; & regarde plus la compagnée & l’autruy que soy mesme. Mais nous le prenons en sens plus universel, commun & humain, comprenant tant la volonté que l’entendement, voire tout l’homme en son dedans & son dehors, en soy seul, en compagnée, cognoissant & agissant. Ainsi nous disons [1], que sagesse est preude-prudence, c’est à dire preud’hommie avec habileté, probité bien advisée. Nous sçavons que preud’hommie sans prudence est sotte & indiscrette ; prudence sans preud’hommie n’est que finesse : ce sont (¶ 9 r°)  deux choses les meilleures & plus excellentes, & les chefs de tout bien ; mais seules & separées sont defaillantes, imparfaictes. La Sagesse les accouple, c’est une droicture & belle composition de tout l’homme. Or elle consiste en deux choses ; Bien se cognoistre, & constamment estre bien reglé & moderé en toutes choses par toutes choses ; J’entens non seulement les externes, qui apparoissent au monde, faicts & dicts : mais premierement & principalement les internes ; pensées, opinions, creances, desquelles (ou la sainte est bien grande, & qui en fin se descouvre) sourdent les externes. Je dis constamment, car les fols par fois contrefont, & semblent  estre bien sages. Il sembleroit peut estre à aucuns, qu’il suffiroit de dire, que la Sagesse consiste à estre constamment bien reglé & moderé en toutes choses, sans y adjouster bien se cognoistre : mais je ne suis pas de cest advis : car advenant que par une grande bonté, douceur (¶ 9 v°) & soupplesse de nature, ou par une attentive imitation d’autruy, quelqu’un se comportast moderément en toutes choses, ignorant cependant & mesconoissant soy-mesme, & l’humaine condition, ce qu’il a & ce qu’il n’a pas ; il ne seroit pourtant sage, veu que sagesse n’est pas sans cognoissance, sans discours, & sans estude. L’on n’accordera pas, peut estre, ceste proposition : car il semble bien que l’on ne peut reglement & constamment se comporter par tout sans se cognoistre ; & suis de cest advis. Mais je dis, que combien qu’ils aillent inseparablement ensemble, si ne laissent-ils d’estre deux choses distinctes, dont il les faut separément exprimer en la description de Sagesse, comme ses deux offices : dont se cognoistre est le premier, & est dit le commencement de Sagesse. Parquoy nous disons sage celuy, qui cognoissant bien ce qu’il est, son bien & son mal, combien & jusques où nature (¶ 10 r°) l’a estrené & favorisé, & où elle luy a defailly, estudie par le benefice de la Philosophie, & par l’effort de la vertu, à corriger & redresser ce qu’elle luy a donné de mauvais ; reveiller & roidir ce qui est de foible & languissant ; faire valoir ce qui est bon ; adjouster ce qui deffaut, & tant que faire se peut la secourir : & par tel estude se regle & conduict bien en toutes choses.
    [2] Suyvant ceste briefve declaration, nostre dessein en cest œuvre de trois livres, est premierement enseigner l’homme à se bien conoistre, & l’humaine condition, le prenant en tout sens, & regardant à tous visages ; c’est au premier livre : puis l’instruire à se bien regler & moderer en toutes choses ; ce que nous ferons en gros par advis & moyens generaux & communs au second livre ; & particulierement au troisieme par les quatre vertus morales, sous lesquelles est comprise toute l’instruction de la vie humaine, & toutes les par- (¶ 10 v°) ties du devoir & de l’honneste. Voyla pourquoy cest œuvre, qui instruit la vie & les mœurs à bien vivre & bien mourir, est intitulé Sagesse, comme le nostre precedent, qui instruisoit à bien croire, a esté appellé verité, ou bien les trois Veritez, y ayant trois livres en cestui-ci, comme en celui-la. J’adjouste icy deux ou trois mots de bonne foy, l’un que j’ay questé par cy par là, & tiré la plus part des materiaux de cest ouvrage, des meilleurs autheurs qui ont traitté ceste matiere morale & politique, vraye science de l’homme, tant anciens, specialement Seneque & Plutarque grands docteurs en icelle, que modernes. C’est le recueil d’une partie de mes estudes : la forme & l’ordre sont à moy. Si je l’ay arrangé & ajancé avec jugement, & à propos, les Sages en jugeront, car meshuy en ce subject autres ne peuvent estre mes juges, & de ceux là volontiers recevray la reprimende : & ce que j’ay prins d’autruy, je l’ay  (¶ 11 r°)  mis en leurs propres termes, ne le pouvant dire mieux qu’eux. Le second que j’ay icy usé d’une grande liberté & franchise à dire mes advis, & à heurter les opinions contraires, bien que toutes vulgaires & communement receuës, & trop grandes, ce m’ont dit aucuns de mes amis : ausquels j’ay respondu, que je ne formois icy ou instruisois un homme pour le cloistre, mais pour le monde, la vie commune & civile ; ny ne fais fois icy le Theologien, ny le cathedrant, ou dogmatisant, ne m’asubjettissant scrupuleusement à leurs formes, regles, stile, ains usois de la liberté Academique & Philosophique. La foiblesse populaire, & delicatesse feminine, qui s’offense de ceste hardiesse & liberté de paroles, est indigne d’entendre chose, qui vaille. A la suitte de cecy, je dis encores, que je traitte & agis icy non pedantesquement selon les regles ordinaires de l’eschole, ny avec estendue de discours, & appareil d’elo- (¶ 11 v°) quence,  ou aucun artifice. La Sagesse, quæ si oculis ipsis cerneretur morabiles excitaret armores sui, n’a que faire de toutes ces façons, pour sa recommandation, elle est trop noble & glorieuse : les veritez & propositions y sont espesses ; mais souvent toutes seches & cruës, comme aphorismes, ouvertures & semences de discours. J’y ay parsemé des sentences Latines, mais courtes, fortes, & poëtiques tirées de tres-bonne part, & qui n’interrompent, ny ne troublent le fil du texte François. Car je n’ay peu encores estre induict à trouver meilleur de tourner toutes telles allegations en François (comme aucuns veulent) avec tel deschet & perte de la grace & energie, qu’elles ont eu leur naturel & original, qui ne se peut jamais bien representer en autre langage. (¶ 12 r°) 

    [1] Description de Sagesse.

    [2] Dessein et methode de l’autheur en cest œuvre.

Collection créée par Anne Réach-Ngô Collection créée le 26/01/2017 Dernière modification le 02/08/2021